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Assis derrière son bureau en angle au douzième étage de la plus haute tour du Fifth Street Towers de Minneapolis, Mark Davisburry terminait de dicter ses directives à son assistant.

— Une dernière chose. Assurez-vous que les deux cent mille dollars soient virés sur le compte offshore de Johanna avant que je la rencontre. Elle ne se contentera pas de promesses. Et c’est à elle que vous confierez les visas.

— Ce sera fait monsieur, mais…

— Vous voulez savoir qui sont Johanna et Hotkins, n’est-ce pas ?

— Pas par curiosité. Seulement, plus j’en saurai, mieux je pourrai réagir et m’adapter à leurs volontés. D’autant qu’ils ont l’air particuliers.

L’homme d’affaires fit pivoter son fauteuil en cuir vers la grande baie vitrée dans son dos et contempla la ville qui s’éveillait à ses pieds.

— Effectivement, ils sont particuliers. Cela faisait cinq ans que j’étais à la CIA quand Johanna a terminé première aux examens d’entrée. J’ai tout de suite su qu’au-delà de ses compétences, elle avait quelque chose de plus que les autres. Une envie de réussir qui venait de loin et qui tenait de la revanche sur la vie. Je l’ai intégrée dans mes équipes et je me suis rapproché d’elle. J’ai appris comment elle avait perdu ses parents à l’âge de dix-sept ans dans un cambriolage qui avait mal tourné et comment elle s’en était voulu de ne pas avoir été capable de les protéger. Je l’ai écoutée, je l’ai encouragée et je l’ai recadrée aussi, si bien que je suis devenu une espèce de père de substitution pour elle. On a obtenu ensemble de beaux résultats, elle sur le terrain, moi dans les bureaux. Elle était promise à un avenir brillant jusqu’au jour où elle a, disons, montré un autre visage. Elle a abattu de sang-froid un suspect qui venait de se rendre. Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait fait ça, elle m’a répondu que cela avait été plus fort qu’elle. Je l’ai couverte et lui ai épargné un procès et une condamnation, mais j’ai été obligé de lui faire quitter la CIA. Le problème, c’est qu’elle ne savait rien faire d’autre que traquer et tuer si besoin.

Mark Davisburry se retourna vers Jonas.

— C’est là que j’ai eu l’idée d’en faire un agent officieux… pour nos opérations « mains sales ». Johanna s’est montrée parfaite dans ce rôle et a toujours donné entière satisfaction.

— Et Hotkins ?

— C’est un profil différent. Un croyant, contrairement à Johanna qui ne croit en rien. En 1992, il a tenté de tuer le gynécologue de sa femme qui devait la faire avorter. Il a fait irruption dans le cabinet avec une arme à feu. Il a ensuite ligoté le médecin sous la menace et a entrepris de le confesser avant de l’exécuter. La police est arrivée avant qu’il ait eu le temps d’aller au bout de son geste. Lors du procès, il a plaidé l’assistance à personne en danger en disant qu’il avait agi ainsi pour sauver la vie du fœtus. Plus jeune, il avait fréquenté des groupes évangéliques extrémistes qui menaient des raids contre des hôpitaux pratiquant l’avortement. À l’âge de vingt-deux ans, il a intégré le corps des Marines. Il en est ressorti plus fort, plus croyant encore et plus dangereux. Il ira jusqu’au bout.

— Mais vous le connaissez ?

— Quand j’ai entendu parler de son procès, je me suis intéressé à lui. J’ai aimé son jusqu’au-boutisme et sa façon de défendre ses actes en suscitant le doute chez les jurés. Je me suis dit que notre religion avait besoin de types comme lui. J’ai fait jouer mes relations pour le faire transférer de Rikers Island à Stillwater en espérant qu’il survivrait plus longtemps. Il m’a toujours dit qu’il me serait éternellement reconnaissant.

Mark Davisburry se leva. Il enfila son manteau en laine d’alpaga et se retourna vers son assistant juste avant de sortir.

— Nous touchons au but, Jonas. Contactez-moi sur le réseau interne dans les prochaines quarante-huit heures. Je serai à Soudan.

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