CHAPITRE XI

Le compagnon du grand patron. L’homme au chapeau de paille noire à damier, c’est Hector !

Vous avez bien lu, bien compris ? Avec vos yeux de taupes et vos cervelles de mollusques ? J’ai bien écrit en toutes lettres : Hector. Mon cousin. L’ex-fonctionnaire devenu policier privé grâce à l’agence accueillante de Pinuche. Rien de surprenant à ce que notre brave Baderne se soit évanoui en le reconnaissant. Je cache ma surprise de mon mieux. D’ailleurs, présentement, personne ne s’occupe de moi. Nos geôliers discutent à toute vibure. C’est à se demander s’ils arrivent à se comprendre ! Hector, quant à lui, s’approche de moi, innocemment. Il soulève ses lunettes noires et me distille un chouette clin d’yeux. Toujours innocemment, il passe derrière mon siège. Je sens une légère vibration dans mes liens, et puis ils se détendent comme par miracle et je récupère la liberté de mes mouvements.

— Bouge pas, Toto ! me souffle Hector.

Il s’occupe de Bérurier avec la même discrétion. Y a de l’émoi dans le réseau. Il en a sec, le grand boss, d’avoir dépensé tant d’argent et sacrifié ses hommes et son hélicoptère pour faire tintin sur la ligne d’arrivée. D’après ce que je crois piger, il enguirlande Werner et le pilote, lesquels n’ont pas su dénicher la deuxième moitié de la formule. Puisque le patron de l’autre réseau, Arthuro, l’avait en sa possession, elle n’a pas pu se volatiliser…

Sur une table basse, au fond de la pièce, sont déposés trois revolvers et la mitraillette dont le pilote se servit pour prendre à revers les assaillants. Je vois le brave et bel Hector (il est fringué sur mesure et en soie sauvage) se diriger dans cette direction.

Il nous adresse un petit signe, à Béru et à moi. Et puis il agit. Des deux mains il empoigne les lance-prunes et nous les jette.

Je biche le mien au vol. Béru rate le sien, mais s’empresse de le ramasser. Stupeur des autres qui nous voient brusquement debout et armés. Ils n’ont pas le temps de réagir. Hector est en train de leur jouer Descends-moi debout j'ai le vertige sur son yukulele. L’homme qui eut naguère un imperméable immaculé a bien fait de ne pas le remettre car il aurait été taché. Il culbute, foudroyé. Le pilote a défouraillé et s’apprête à tirer sur Hector, mais San-Antonio a obtenu trois médailles d’or au concours international de tir de l’Étang-la-Ville. Il morfle une praline dans le bol et cesse de plaisanter.

— Les mains en l’air ! je hurle. Vite ! Vite ! les gars, ça urge…

Elsa lève ses bras. Son boss idem. Y a que l’autre truffe, celui au chapeau de feutre taupé qui ne doit pas entraver le français. Ça cause sa perte. Comme quoi la culture française est la first of the world. Il se prend, dédicacé par Bérurier, une demi-douzaine de bouts de plomb dans la boîte à ragoût.

Il crie « Jawohl » et court retenir sa place chez saint Pierre, car du train où vont les choses il risque bien de ne pas y en avoir pour tout le monde.

Maintenant on y voit un peu plus clair. Aidé du Gros, je ligote Elsa et le vieux kroumir sur les sièges que nous occupions.

— C’est ce qui s’appelle une renversée à grand spectacle, fais-je en essuyant la sueur de mon noble visage. Vas-tu m’expliquer, Hector, comment il se fait que…

Il explique, un altier sourire aux lèvres. C’est devenu un vrai julot, Totor, depuis qu’il est matuche amateur. L’arbitre des élégants, le gros tombeur de gerces, et le gars le plus courageux du monde et de ses environs.

— Fastoche, dit-il en sortant une cigarette de sa poche. Je radine de ma dernière enquête, et l’on m’apprend que tu as disparu ainsi que Pinaud et Bérurier. La femme de celui-ci m’explique qu’elle a viré son gros lard avec une valise de fringues. J’enquête. J’apprends que vous étiez tous plus ou moins sur l’affaire Fouassa et je me rends chez le retraité. J’y trouve les portes grandes ouvertes, la maison vide, et un saint-bernard hurlant à la mort dans le jardin. Je fouille la demeure bien à fond, mais je ne vois aucun de vous. Par contre, je découvre la valoche du Gros. Je la fais sentir à Médor en lui disant : « Cherche ! Cherche ! » Dérouté par l’odeur, il me conduit pour commencer aux ouatères, mais il se remet de sa bévue et le voilà parti en direction de la rue… Je le suis. Il parcourt cent mètres et stoppe devant un pavillon en meulière.

« Je m’apprête à sonner, mais auparavant, vieille habitude qui m’est restée de l’époque où j’étais fonctionnaire, je prête l’oreille.

« J’entends M. Chibaldouk…

Il désigne le boss.

« Parlant allemand avec cet autre…

Il montre le mort au chapeau taupé.

« … Et puis le téléphone sonne. C’est M. Chibaldouk qui répond en français. Il résulte de sa conversation que « tout le monde a été embarqué en Allemagne ». Quand on n’a pas, comme c’est mon cas, du râpé à la place du cerveau, on traduit tout le monde par : San-Antonio, Pinaud, Béru, Fouassa, non ?

— Yes, cousin, t’es un crack, poursuis…

Chibaldouk s’agite. Il fulmine, il écume, il éructe, il glapit, il grince comme une girouette rouillée. Cousin Hector s’approche de lui.

— Je t’ai un peu fabriqué, hein, mon neveu ? lui dit-il en lui tordant aimablement le nez entre le pouce et l’index.

Un vrai farceur, le Totor !

— En écoutant la communication, j’ai appris que tu attendais un spécialiste du déchiffrage que tu voulais emmener avec toi en Allemagne. Le gars devait arriver d’une minute à l’autre, et c’était un certain Kébelhognard qui te l’envoyait. Alors sais-tu ce que j’ai fait, hé ? Peau-de-derrière-atteint-d’érésipèle ? J’ai guetté l’arrivée du type en question, un certain Morzana, selon ce que j’avais compris.

« Il est débarqué d’un taxi. Pendant qu’il carmait sa course je lui ai demandé s’il était soi-même, il a répondu qu’oui, alors je lui ai bonni que c’était moi qui l’attendais et que nous avions affaire dans la maison d’en face. Je l’ai drivé en loucedé dans la turne de Fouassa…

Éclat de rire d’Hector auquel se joint le bel organe béruréen.

— Il y est encore ! Je l’ai estourbi et ligoté dans la buanderie. Ensuite j’ai sucré ses fafs et je me suis fait passer pour cézigue.

« Voilà comment j’ai pu vous récupérer, mes agneaux.

Il passe deux doigts nonchalants entre son col et son cou.

— Sans me vanter, je crois être intervenu à point nommé, non ?

Pinaud qui rouvre les yeux demande timidement qu’on le libère. Il veut s’assurer qu’il n’est pas mort et que tout ça est bien réel !

— Qu’est-ce qu’on va fiche, maintenant ? demande le Gros. Je casserais bien une graine, pas vous ?

— On récupère les plans que monsieur doit avoir sur lui, dis-je en désignant Chibaldouk…

Le boss regimbe, jure qu’il n’a pas sa moitié de formule, etc.

Mais moi je sais qu’il l’a. Si Arthuro s’était muni de la sienne pour être en mesure d’établir une concordance avec les deux feuillets, Chibaldouk qui n’a pas de la mousse de savon ni de la paille d’emballage dans le crâne a certainement pris la même précaution. Dans cette affaire, tout a été réalisé au papier carbone…

Je fouille le monsieur et, dans la doublure de son portefeuille je déniche une feuille de bouquin pliée en quatre. Elle est effrangée d’un côté. On a dû la séparer de son autre partie avec un coupe-papier qui tranchait mal. Ce qui est imprimé là-dessus ne me dit rien. Le déchiffrage est le boulot de nos services spécialisés.

— Maintenant, dis-je, on va essayer de rallier Berlin-Ouest.

— Mais y a plus de pilote ! bredouille Pinuche.

Je pâlis. L’objection est d’importance. Les deux gars qui pilotaient les appareils gisent à nos pieds, en fort piteux état.

— Écoutez, les gars, dit Hector, vous savez comme je suis passionné pour la mécanique ? J’ai regardé tout le long du parcours comment opérait notre petit copain et je suis en mesure de le piloter à mon tour, sans me vanter.

« La seule chose qui me gêne, c’est le point.

— T’inquiète pas, coupé-je, j’ai été navigateur dans l’armée. En route ! Je commence à avoir le mal du pays !

— Et eux ? demande Béru en désignant Elsa et Chibaldouk.

— On les laisse sur place. Je n’ai pas l’habitude de bousiller des gens prisonniers.

— Après ce que cette fille a fait ! s’indigne le Gros.

— Justement, elle aura le temps de méditer ! D’ici que des gens viennent les pêcher dans ce coin perdu, il lui aura sûrement poussé des champignons sous les pattes, pas vrai, mon ange ?

Je me baisse et je l’embrasse. Elle est liquéfiée, Elsa. Elle n’a même plus la force de protester.

— Jolie nana, apprécie Hector, si on avait le temps, je me la ferais volontiers…

— La vertu d’une prisonnière, c’est aussi sacré que sa vie ! m’indigné-je. Filons !

* * *

Y a du tangage dans l’entrepont et par instants on a l’impression que le carburateur va divorcer d’avec la boîte à vitesses, mais je dois reconnaitre que, néanmoins, Hector s’en tire convenablement.

— On dirait qu’il a manœuvré un plafonnier toute sa vie ! admire Bérurier…

— On dit palonnier ! rectifié-je.

— On dit comme on sait ! proteste l’Énorme en se renfrognant.

Pour cacher son mépris, il saisit un hebdomadaire français réputé qui traîne dans la carlingue du zoziau. Hector explique que le journal est à lui, il l’a acheté avant de partir. Béru se met à le potasser. Tout à coup il se met à vociférer. On lui demande ce dont à propos de quoi, et il nous désigne une petite annonce à la rubrique mariage. Je lis tout haut :

Dame ayant passé la trentaine en cours divorce mais détestant la solitude, envisagerait remariage avec garçon de vingt-cinq ans au plus, bonne situation si possible. Écrire Berthe Poilfout au journal.

— Et alors ? m’étonné-je, en quoi cela peut-il te faire mugir ?

— Mais il s’agit de Berthe, ma femme ! rugit le Superbe en faisant sauter quatre boutons à son pantalon. Son nom de jeune fille c’est Poilfout ! Ah ! la v…, elle perd pas de temps ! Elle a déjà instruit une insistance en divorce et elle se cherche un pigeon ! Et puis pardon : elle se mouche pas du coude, la morue : vingt-cinq berges ! Il lui faut de l’agneau de lait à madame ! Le jour où que j’ai trimbalé ce tas de saindoux z’à la mairie j’aurais mieux fait de me faire pape.

— Du calme ! intimé-je. L’appareil est déjà trop chargé. S’il doit, en plus, trimbaler ta colère, on va se retrouver au tapis !

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