CHAPITRE III

Le lendemain, après une nuit de sommeil signée Super-Simmons-Elastix, je rallie mon burlingue, fringué up-to-date. Il fait un temps à mettre Bérurier dehors. Les oiseaux pépient, les souris m’épient et le moteur de ma MG. tourne rond. Je me dis néanmoins qu’un de ces quatre après-midi je casserai ma tirelire pour m’acheter une Jaguar. Toujours plus vite ! C’était la devise d’une gente amie et je l’ai faite mienne (la devise et le gente amie).

Magnin m’attend dans mon bureau en lisant le baveux et en mangeant un croissant. L’un et l’autre sont frais.

— Dites, monsieur le commissaire, murmure le Rouquinos, votre affaire se développe, on dirait.

Il me désigne la une de son canard. Sur deux cols, on voit la propriété vaucressonnaise de Fouassa avec, en médaillon, la terrine de la mère Renard. Le cliché a été tiré voici une dizaine d’années car là-dessus, la dame de compagnie (qui nous a faussé compagnie de si cruelle manière), a moins de bajoues, moins de moustache, et l’air béat d’un boa sous un baobab.

— C’est inouï, non ? je fais, manière de dire quelque chose qui me permette de me manifester sans pour autant engager ma responsabilité. Alors, enchaîné-je, vous avez trouvé quelque chose, vieux ?

— Ce sera à vous de décider, monsieur le commissaire, rétorque mystérieusement le cher Magnin.

Il sort d’une enveloppe les sept billets de dix mille balles que je lui ai soumis.

— De votre réponse dépend l’importance de mon observation, monsieur le commissaire. Lorsqu’on vous a remis ces billets, étaient-ils épinglés ?

— Non, dis-je. Ils se trouvaient dans une enveloppe.

— Et on les a prélevés, dites-vous, dans des envois différents ?

— C’est ce qu’a prétendu Pinuche.

Magnin se penche sur mon bureau. Sa tignasse rousse ressemble à un projecteur.

Il étale les billets comme on étale les cartes d’un jeu.

— Sur ces sept billets, trois ne comportent qu’une seule trace d’agrafage par épingle, vous voyez ?

Avec la pointe de mon coupe-papier il me désigne les deux minuscules trous résultant du passage de l’épingle.

— Et alors ? fais-je sans comprendre.

— J’ai examiné les billets au microscope : les deux perforations de ces trois billets ont été faites par la même épingle, ce qui signifie qu’ils ont été épinglés ensemble et en même temps, comprenez-vous ? Par conséquent, ils faisaient partie d’une même liasse.

J’émets un sifflement appréciateur.

— Et ce n’est pas tout, poursuit Magnin. Parmi les quatre billets restants qui eux ont de nombreuses piqûres d’épingles, on retrouve sur deux d’entre eux la même perforation que sur les trois premiers.

Il me désigne les trous mis en cause.

— Ceux-ci. Je puis vous montrer au microscope les lèvres de ces orifices : elles concordent.

— Je vous crois, vieux, je vous crois.

Le cher San-A. se masse le menton en un geste dubitatif (mis au point par Jacques Duby et Jacques Tati, d’où le mot dubitatif).

— Ainsi le vieux Fouassa aurait menti en affirmant avoir prélevé chacun de ces billets dans les sept envois espacés ?

— On peut le supposer.

Sans un mot, je décroche mon bigophone à sonnette et j’appelle Pinaud. C’est le vieux paillasson en personne qui me répond. Il m’annonce qu’il vient de boire son premier muscadet de la journée et me demande quel temps il fait à Saint-Cloud. Comme le respectable habite Vincennes, on peut mesurer par là son goût de la précision.

— Dis voir, Trésor chéri, est-ce toi qui as prélevé les billets échantillons dans des liasses ?

— Non, je les ai demandés à M. Fouassa et c’est lui qui me les a apportés.

— Étaient-ils épinglés ensemble ?

— Non, ils se trouvaient dans l’enveloppe que tu as z’eue z’entre les mains.

J’ai alors la réflexion du siècle :

— En somme, mon Pinaud occulte, ces quatorze millions, tu ne les as jamais vus ?

Silence du rachitique qui mesure toute la profondeur de la remarque et qui en chope le vertigo.

— C’est vrai, fait-il au bout d’un moment d’intense abrutissement. C’est vrai ce que tu causes : après tout, je ne les ai jamais vus ! Il m’a montré les papiers, des billets, mais l’ensemble, pas !

— Et ça n’est pas maintenant que tu risques de les contempler, chère vieille guenille dédaignée, puisqu’on les a volés. Passe me voir dans la matinée, qu’on discute…

Je raccroche au moment où il me raconte les plaies variqueuses du cordonnier d’à côté.

Le bigophone, c’est traître. Lorsque vous commencez à vous en servir, le voilà qui se met à déconner. À peine ai-je posé l’écouteur que le mien se met à jouer Décroche-moi, chéri, je ne puis vivre loin de ton oreille. Je souscris à cet appel. Et une voix auvergnate m’informe qu’elle est celle du café-charbon d’en bas.

Je demande d’en bas de quoi, car il n’existe encore pas de café-charbon en bas de la Grande Taule. Et la voix, de plus en plus auvergnate, m’informe qu’elle est située au bas de l’appartement de Bérurier. Elle ajoute que l’inspecteur Principal Béru voudrait me voir d’urgence à propos du crime de cette nuit. Mon étonnement pourrait être turc car il va croissant. Il pourrait à la rigueur être corbeau car il va aussi croassant, et peut-être même grenouille car, sans en avoir l’« r » il va coassant. Que peut avoir à déclarer Sa Majesté Lagonfle à propos de l’affaire Renard ? Je décide que la meilleure manière d’étancher ma curiosité c’est d’aller trouver le Gravos. Je remercie Magnin pour ses bons offices et lui conseille de faire comme le nègre, c’est-à-dire de continuer. Il m’assure qu’il va se consacrer maintenant aux papiers d’emballage.

* * *

Valse lente chez Béru. La radio diffuse un air qui flanquerait le cafard à un fabricant de poudre hilarante. Je sonne, et c’est une guenon qui vient m’ouvrir. Une guenon avec une voix de pintade enrhumée. Imaginez un être grand comme ça, et même un peu plus petit, avec la poitrine creuse, bien que cet être appartienne au beau sexe, des cheveux Louis XIV, des pommettes en avance sur le progrès, des yeux comme deux glaves de phtisique et une bouche mal fermée sur un dentier Louis XV. Les jambes sont Louis XVI et les bras Louis XII, l’ensemble n’est donc pas sans évoquer l’image de Louis X, dit le Hutin. Je crois m’être gouré d’étage, mais le barrissement de la Baleine, off, calme mes craintes. Il est rare d’entendre barrir une baleine, j’en conviens, pourtant il n’est pas d’autre terme susceptible de qualifier la clameur qui s’échappe des poumons généreux de B.B.

— Qu’est-ce c’est ? clame la Gravosse.

— Un m’sieur, répond la guenon.

— C’est au sujet d’à propos de quoi ? demande la délicieuse Berthe.

— J’sais pas, explique la guenon.

— Demandez-y ! conseille le Cétacé.

— Je vais z’y demander, certifie la guenon.

En en effet elle me demande « au sujet d’à propos de quoi que c’est ». J’y réponds que c’est à propos de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’os et j’entre en plaquant la guenon contre la cloison. Je me propulse jusqu’à la cuisine. J’y découvre Berthe Bérurier, en combinaison arachnéenne, hélas, hélas, hélas, prenant un bain de pieds de moutarde dans une bassine aussi fumante que le Vésuve en rogne. Ses jambons à l’air ne font pas vrai. On se croirait dans un cauchemar en technicolor sur écran large. La Mammouthesse écarte le nuage de vapeur qui l’enrobe et me virgule un sourire épais comme de la gelée de groseille.

— Tiens ! C’est notre cher commissaire !

Elle me désigne à sa guenon et me présente :

— C’est lui qu’on cause toujours…

Et à moi :

— Voilà Héloïse, ma nouvelle bonne !

Une bonne ! Les Béru ! Dans leur hhhantre !

Je m’incline devant la nouvelle Héloïse.

— Rajoutez-moi de l’eau chaude et sortez le pâté en croûte du frigo ! ordonne Mme Bérurier. Vous en prendrez bien une tranche, commissaire ?

Le commissaire objecte qu’il n’est que neuf heures du matin et allègue un croissant récemment consommé pour refuser le pâté.

B.B. se met à tortorer seulâbre. Elle m’explique, la bouche pleine, que ce bain de pieds est destiné à hâter la circulation de son sang. Je lui suggérerais bien d’utiliser plutôt un accélérateur hydraulique, mais je redoute qu’elle ne s’étouffe.

— Votre étalon est-il là ? je demande.

— Et comment ! fait-elle. En plein traitement. Figurez-vous, cet endoffé voulait descendre jusque z’au café d’en bas ce matin. J’y ai dit ma façon de voir les choses. La santé c’est comme les allumettes : faut pas jouer z’avec. Il est là pour se soigner, il se soignera ! Si vous voudrez le voir, vous n’avez qu’à z’aller dans la chambre. Je crois qu’il repose…

Je vais donc jusque z’à la chambre. Dans une pénombre propice au repos ou à la méditation, Béru est affalé à plat ventre sur le lit. Nu. Il ne bouge pas. Il ronfle. Son impressionnant fessier, généreusement offert aux convoitises humaines, ressemble aux montagnes Rocheuses. Quelque chose de blanc est piqué dans le Grand Canyon du Colorado : un thermomètre. Je donne une chiquenaude à l’instrument, et les vibrations se communiquent jusqu’aux régions inexplorées des Rocheuses. Béru bâille, et se retourne sur le dos. Il fait jouer ses clignotants, re-bâille, et m’identifie.

— Tiens, San-A. !

— Tu prenais ta température ? dis-je gentiment.

— Oui.

— Je te fais remarquer que tu as toujours le thermomètre en ordre de marche.

— Ah ! fait le Gravos sans s’émouvoir, je me disais aussi…

Il risque une opération de récupération, mais celle-ci n’aboutit pas[6].

— M… ! je l’ai avalé ! tonne son Importance. Qui c’est qui m’a foutu des thermomètres z’aussi minuscules et aussi glissants ! C’est traitre : ça se faufile, cette saloperie-là !

— Tu devrais te faire faire un thermomètre à crampons, conseillé-je.

Il tente un nouvel effort, essuie (en attendant mieux) un nouvel échec et appelle à la cantonade :

— Héloïse !

Apparition de la gente guenuche.

Le Gros lui explique son drame. Il demande à la soubrette de mettre tout en œuvre pour récupérer le thermomètre baladeur. Celle-ci examine le problème d’un peu près et déclare qu’elle se fait fort de le résoudre. Pour ce faire elle va quérir la pince à sucre à ressort des grands jours et commence l’opération sans anesthésier son patient. Etienne Lalou verrait ce travail, il radinerait avec ses caméras. EN DIRECT du dargif de Béru, ça paierait, non ? En Eurovision, s’il vous plaît !

La guenon pousse un cri de triomphe !

— Je l’ai ! dit-elle.

Et elle annonce :

— 36,9 ; c’était pas la peine de l’enfoncer pareillement !

— Tu as une soubrette à toute épreuve, remarqué-je.

— Tu permets, ronchonne Béru, ses huit mille francs par mois faut qu’elle les gagne tout de même, non !

— Où as-tu déniché cette perle ?

— À la cambrousse. Elle marnait chez un vieux bouseux veuf qui lui refilait quinze cents balles et qui se la cognait par-dessus le marka ! Moi, promu inspecteur principal, j’ai besoin d’une bonniche pour tenir mon rang, fatal ? Alors je fais des propositions à Héloïse. Ce qui la retenait c’était qu’elle aime pas la ville. Mais l’appât du gain et mon sourire enjôleur ont z’agi, quoi.

Il se penche par-dessus sa chaloupe de débarquement pour saisir le journal froissé jonchant la carpette élimée. Il se penche trop et se retrouve les quatre fers en l’air, vitupérant comme un charretier qui a paumé une roue. Je l’aide à reprendre place dans sa Super-Plumard décapotable à double pot d’échappement.

— Je suis pas fait pour la vie de régime, soupire Béru. Si je te causais que Berthe a détracté l’état d’urgence ? Cette v… — là me fait bouffer de la légume bouillie et du riz à l’eau pendant qu’elle se tortore du mets délicat, style choucroute garnie, sous mes yeux. Je veux pas être méchant, San-A., mais elle y prendrait du plaisir à me faire tirer la menteuse que ça m’étonnerait pas.

— Tu vas devenir pin-up, Gros, promets-je pour embellir son frugal présent.

— Je serai jamais une couverture de revue pour tailleurs, renonce le Gros. Chacun son casier dans la vie. Mon rayon à moi c’est celui du Juliénas et du bœuf gros sel ; la salade au citron, c’est bon pour Miss Tringle-à-rideaux. Un inspecteur principal a besoin de calorifères. C’est pas avec du jus de carotte que tu peux te payer les deux cents kilos à l’épaulé-jeté.

Il caresse nostalgiquement ses belles épaules d’orang-outan, couvertes de poils et de cicatrices. C’est pas un frugivore, Béru. Dans son pucier ravagé, avec son énorme bedaine où zigzaguent les vestiges de ses multiples laparotomies, avec sa barbe profuse, son œil désabusé et sa bouche en forme de ventouse-à-déboucher-les-éviers, on dirait un monstrueux roi fainéant ou une vache crevée, au choix.

— Tu as demandé à me voir, ô sublime ami ?

— Ouais, passe-moi le machin froissé que je m’ai cassé la gueule en essayant de le ramasser.

— Cela s’appelle L’Aurore, dis-je en récupérant le journal.

Il sélectionne la première page, celle où s’étale la photo de dame Renard.

— Je voulais te dire que je connais cette rombière, fait-il. J’ai lu l’article et je m’ai dit que ça pourrait peut-être apporter de l’eau à ton moulin…

— Vas-y, je suis tout ouïe.

— C’est l’an dernier que j’ai rencontré cette mémé. Elle était caissière dans un hôtel près de la gare de l’Est.

— En effet. Et dans quelles circonstances l’as-tu connue ? Serais-tu allé grimper une sœur dans sa taule ?

Béru prend une expression terrorisée.

— Cause pas si fort ! supplie-t-il. Si Berthe qu’à l’oreille fine t’entendrait ce serait tout un drame : elle est jalmince comme une tigresse ! Non, c’est pas à titre privé que j’ai connu la bonne femme, mais en enquêtant. Tu te rappelles de l’affaire Simmon ?

— Le matelassier ?

— T’es cloche, je te jure ! Non, tu peux pas te rappeler, biscotte t’étais à l’étranger quand c’est que ça s’est produit. T’as entendu parler de Rudolf Simmon ?

— L’agent secret ?

— Yes. Il est mort l’an passé. Il s’est empoisonné à l’hôtel où que travaillait la mère Renard.

Je dresse haut l’oreille. Voilà qui commence à m’intéresser.

— Voyez-vous !

— T’as le nez qui remue, hein ? jubile le Mahousse en tressant les poils de sa poitrine. En deux mots commençant, voilà l’histoire. Rudolf Simmon descend à l’Hôtel du Danube et du Calvados Réunis. Il prend une chambre avec vue sur la gare, salle de bains, et tout. Il s’installe. C’est le matin. Puis il sort pour déjeuner. Il revient à trois heures de l’aprème, l’air tout guilleret. Il monte dans sa piaule. Tu me suis ?

— Marche à marche, assuré-je ; after, boy ?

— Sur les choses de dix-sept heures, un coup de fil pour lui. Comme y a pas de bigophone dans les chambres, une soubrette grimpe l’appeler. Mais il répond pas et sa lourde est fermaga de l’intérieur… Au verrou ! Tu notes ?

— Dans du marbre, au ciseau à froid, poursuis !

— La bonniche appelle ! Macache ! comme dit Bonnot. Elle s’inquiète, prévient la taulière… La taulière monte itou.

Toujours pas de réponse. Alors elle alerte Police-Secours. On fait sauter la lourde et on retrouve m’sieur Simmon aussi mort qu’un maquereau dans du vin blanc. Cette patate avait avalé de l’acide bavarois…

— C’est un cocktail ?

— Attends, y a gourance : je veux dire de l’acide prussique, une ampoule qu’il avait croquée. On a retrouvé des débris de verre plein sa bouche…

— Alors ?

— Quand le commissaire de la gare de l’Est a repéré qu’il s’agissait d’un agent international, il s’est branché sur nous. Et c’est moi que j’ai été chargé de regarder l’affaire de plus près. Voilà comment que j’ai connu la mère Renard.

— Et du côté Simmon, l’enquête a donné quoi ?

— Ballepeau. Le gars s’était vraiment suicidé. Fenêtre fermée, verrou tiré, tu mords le topo ? J’ai fouillé ses bagages et je les ai même confiés au gars du labo : rien. D’ailleurs il avait juste une valtouze avec des fringues.

— Tu as dû connaître Fouassa, le patron de l’hôtel ?

— Je l’ai vu comme ça. Il n’était pas chez lui au moment où que c’est arrivé.

— C’est lui qui se trouvait avec Pinuche hier.

— Je ne l’ai pas reconnu. Faut dore que je n’ai prêté attention qu’à not’ pote.

— Et l’affaire Simmon s’est arrêtée là ? questionné-je après un temps de réflexion.

— Oui. Qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de plus, du moment que le suicide était prouvé ? Ce mec devait avoir des soucis graves. Dans son job, c’est plutôt fréquent.

— Il était client de l’hôtel ?

— Non. C’était la première fois qu’il y descendait.

— Et le coup de fil pour lui ? Il ne t’a pas fourni d’indications ?

— Il était signé anonyme. Une voix demande après M. Simmon. La taulière dit : « Quittez pas, on l’appelle. » Logique ? Là-dessus, on commence à se faire un sang d’encre à propos de ce client. La mère Renard dit à l’interloqueur « On le trouve pas, rappelez plus tard. »

— Et on a rappelé par la suite ?

Le Mastar rougit.

— Ça, j’en sais rien.

— Tu devrais le savoir, hé ! dévitaminé ! Je ne comprends pas qu’on fasse des inspecteurs principaux avec des flics pareillement ratés.

L’homme des caves se rebiffe :

— Je te répète qu’il s’agissait d’un banal suicide, San-A. J’allais tout de même pas mettre Pantruche à cul et à sac pour essayer d’apprendre le nom de jeune fille de son arrière-grand-mère.

— Le suicide était peut-être banal, mais pas le suicidé ! souligné-je. Le rôle d’un vrai poulet, c’est justement d’essayer de découvrir les mystères qui se cachent derrière les faits divers.

Le Gros, fortement humilié, s’en tire par une question assez abrupte :

— Et mon c… ? demande-t-il d’une voix sans faiblesse.

Comme, précisément, il m’est donné d’admirer la partie de lui-même ainsi mise en cause, je formule un jugement sans appel :

— Il ferait rougir un singe, Béru !

Là-dessus, entrée de la Baleine. Elle a passé un kimono (ramené du Japon par son illustre époux[7]). Le kimono est noir avec un immense soleil par-devant et une énorme lune par-derrière (cela va de soie). Mme Bérurier mange un pilon de poulet (afin de pouvoir attendre midi, prétend-elle). Son mâle en verdit d’envie.

— Je te jure qu’un peu de blanc ne me ferait pas de mal, plaide l’Obèse.

Indignation de Berthe.

— Jamais vu un bonhomme aussi glouton ! tonitrue-t-elle. Ce gros sac boufferait à longueur de journée si on l’écouterait !

— Et toi, qu’est-ce t’es en train de faire pleurniche le Gros.

— Mon cas est particulier, j’ai des crampes d’estomac le matin, riposte le Cétacé.

Je sens que la discussion peut très vite se détériorer et je décide de disparaître après avoir apporté ma contribution au conflit.

— Je vous laisse, mes enfants. Béru, si la petite rousse qui vient te relancer au bureau chaque matin téléphone encore, qu’est-ce que je dois lui dire ?

La pauvre pomme me roule des gobilles grosses comme des boules de bowling. Sa mégère violit, avale son membre de poulet et demande d’une voix qui ressemble au tonnerre enfermé dans une lessiveuse :

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Il débloque ! bavoche le Gros. Je te jure, Berthounette, qu’il a dit ça pour me faire une blague…

Je me lève.

— Voilà que j’ai encore gaffé, dis-je, je suis incorrigible. Bonne fin de cure, Gros !

Et je taille, tandis que les premières porcelaines se mettent à voltiger dans la chambre et que le saint-bernard enfermé dans les gogues commence à hurler à la mort.

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