Il s'agit dans Bébé, la pièce de MM. de Najac et Hennequin, d'un de ces grands enfants que les mères gardent jusqu'au mariage, autour de leurs jupes, et auxquels elles ne peuvent jamais se décider à donner la clef des champs. Tel est le bébé, un bébé de vingt-deux ans, et qui a déjà de la barbe au menton. Gaston est adoré par sa mère, la baronne d'Aigreville, qui le cajole, le dodeline et lui parle encore en zézayant, comme s'il portait toujours des robes et un bourrelet.
Quant au sujet philosophique,-il y a un sujet philosophique,-il repose sur cette idée qu'un jeune homme, avant de se marier et de faire un bon mari, doit parcourir trois périodes, la période des femmes de chambre, celle des cocottes et celle des femmes mariées. C'est le cousin Kernanigous qui dit cela, et le cousin s'y connaît, lui qui, chaque année, quitte sa ferme modèle de Bretagne pour venir faire ses farces à Paris.
Naturellement, Gaston, que sa mère croit encore un ange de pureté, a déjà fait de nombreux accrocs à sa robe d'innocence. La baronne lui a meublé un entresol, dans la même maison qu'elle, pour qu'il puisse étudier son droit tranquillement; mais Gaston, en compagnie de son ami Arthur, n'utilise guère son entresol que pour recevoir des dames. Ajoutez que le baron est une absolue ganache; ce digne homme passe sa vie à lire les journaux, chez lui et à son cercle, ce qui fatalement a influé d'une façon déplorable sur son intelligence. Il ne s'occupe de son fils que pour lui adresser la morale la plus drôle du monde. Ainsi, lorsque les farces de Bébé se découvrent, et que celui-ci s'excuse en rappelant à son père les folies que lui-même a dû faire dans sa jeunesse, le baron répond gravement: «Monsieur, en ce temps-là, je n'étais pas encore votre père.» Le mot a fait beaucoup rire.
Donc, Gaston parcourt les trois phases. La première est représentée par la femme de chambre de sa mère, Toinette; la seconde, par une dame galante, Aurélie; et la troisième par sa cousine, madame de Kernanigous elle-même. Des trois, c'est Toinette que je préfère. Elle est adorable, cette enfant, qui s'écrie, lorsque Gaston veut l'abandonner: «Ah! monsieur, vous n'aurez pas le coeur de quitter la femme de chambre de votre mère!» Elle adore son maître, lui recoud ses boutons, pleure au dénouement, quand on le marie. Les auteurs, en rendant la femme de chambre si aimable, auraient-ils eu des intentions démocratiques?
Tout le sujet est là, mais les auteurs connaissent trop leur métier pour ne pas avoir compliqué ce sujet à l'aide des quiproquos les plus inextricables. M. Hennequin persévère naturellement dans un genre qui lui a valu trois grands succès: les Trois Chapeaux, le Procès Veauradieux et les Dominos Roses. Sa part de collaboration est certainement dans les singulières complications de l'intrigue. Je renonce à raconter ces complications, mais je puis les indiquer. Aurélie la cocotte, est en même temps la maîtresse de Gaston et celle du cousin Kernanigous; elle est encore la femme légitime d'un répétiteur de droit, Pétillon, dont je parlerai tout à l'heure. Alors, se produit la débandade obligée. C'est d'abord madame de Kernanigous qu'on prend pour Aurélie; puis, c'est Aurélie qu'on prend pour madame de Kernanigous; la brune et la blonde se mêlent, le public lui-même finit par ne plus savoir au juste ce qu'il doit croire. A un moment, il y a jusqu'à quatre personnes cachées derrière des portes. Et l'on rit.
On rit, parce que tous les personnages courent sur la scène. Cette débandade qui entre, sort, se cache, reparaît, fait claquer les portes, étourdit les spectateurs et les charme. Cela, d'ailleurs, pourrait continuer éternellement. S'il n'y a pas de raison pour que cela commence, il y en a encore moins pour que cela finisse. Enfin, les auteurs veulent bien aboutir à un mariage entre Gaston et une nièce de Kernanigous. L'honneur de la cousine est sauf. La baronne et le baron sont convaincus que leur fils n'est plus un bébé, et ils consentent à le traiter en homme.
Ce genre de pièces à quiproquos est toujours d'un effet sûr. Seulement, je trouve qu'il fatigue vite. Un acte suffirait. Au troisième acte de Bébé, je commençais à être ahuri. Rien d'énervant à la longue comme de voir tous les personnages se précipiter les uns derrière les autres; on voudrait qu'ils se tinssent enfin tranquilles, pour les entendre causer comme tout le monde. S'ils n'ont rien à dire, pourquoi ne se contentent ils pas de jouer une pantomime? cela serait aussi réjouissant. En somme, je le répète, le genre est gros et absolument inférieur. Le succès vient de ce que le public croit entrer de moitié dans la pièce.
Mais ce qui donne à Bébé une certaine valeur, c'est une pointe littéraire, où l'on sent la collaboration de M. de Najac. Il y a, dans les deux premiers actes, quelques scènes fort jolies, d'un comique très fin. Ces scènes sont fournies par la baronne et par Pétillon, le répétiteur de droit.
La baronne a voulu donner un répétiteur à son fils, pour le hâter dans ses examens. Il faut dire que Gaston est un véritable cancre. Or, Pétillon a une façon de professer qui est un poème de tolérance; il laisse ses élèves, Gaston et Arthur, causer de leurs maîtresses et de leurs parties fines, entre deux commentaires du Code; il se mêle lui-même à la conversation, avec le rire sournois et gourmand d'un cuistre voluptueux qui n'est pas assez riche pour contenter ses passions. Une des scènes les plus drôles est celle-ci: le baron surprend ces messieurs tapant sur le piano, dansant avec des dames; et Pétillon sauve les garnements, en expliquant que sa méthode consiste à apprendre le Code en musique. Il va jusqu'à chanter plusieurs articles. C'est là une bonne extravagance. La salle entière a été prise d'un fou rire.