CHAPITRE IX

A peine venait-il de pénétrer dans sa chambre, que le téléphone sonna. A l’autre bout, Marina Samson s’annonça, la voix bizarre.

— Le sénateur Holden veut vous voir tout de suite. Que lui avez-vous fait ? Il a l’air mécontent.

— J’arrive tout de suite.

Il descendit au rez-de-chaussée, pénétra dans les salons réservés à la commission. Il n’y avait plus que la brune secrétaire particulière dans la pièce.

— Le sénateur reçoit une dernière personne, et ensuite vous pourrez entrer.

— Que se passe-t-il ?

Elle prit un air embarrassé, regarda la porte qui la séparait de son patron avec appréhension.

— Il s’agit de cette fille, Blanca Lascos.

— Oui. Et alors ?

— Le ministre de l’Intérieur a fait faire des recherches. Elle ne figure sur aucune liste d’arrestations.

— Ça ne prouve rien, dit Kovask très sur de lui. Certains prisonniers sont enfermés dans les entrailles du stade Chile ou du Stade national, sans qu’on n’en sache rien.

— Le sénateur vous expliquera.

La porte s’ouvrait, et Holden raccompagnait un dernier visiteur visiblement soulagé.

— Entrez ! aboya-t-il à l’adresse du Commander.

Sans attendre, il retourna à son bureau. La pièce était remplie de fumée.

— Ouvrez-moi une fenêtre, s’il vous plaît.

— C’est pour cela que vous m’avez convoqué ?

— Ne faites pas de la susceptibilité. Blanca Lascos n’a pas été arrêtée, comme vous le prétendiez.

— C’est le ministre lui-même qui l’affirme ?

— Oui. Et il m’a laissé entendre que s’il mettait la main sur elle, il ne la relâcherait pas.

— Ils l’ont fait disparaître, un point c’est tout.

— Non. Il n’y a pas eu d’opération policière dans la région que vous m’avez indiquée. Ni ce soir-là, ni depuis huit jours. Pas plus de la part des carabiniers, que de l’armée. Je n’ai aucune raison de mettre sa parole en doute. Il m’a proposé de visiter les deux stades, et les vapeurs en rade de Valparaiso où sont enfermés les suspects.

Kovask fronça les sourcils.

— Curieux. Il faut croire que cette fille est d’une importance capitale. Pourtant, ma collaboratrice a assisté à son arrestation avec déploiement de forces.

— Elle n’a pas eu la berlue ?

— Non, pas du tout. Je ne doute pas plus d’elle, que vous du ministre de l’Intérieur chilien.

Un sourire défit les lèvres boudeuses du sénateur :

— Bon. Soit. Que penser ?

— Que les Chiliens vous cachent son arrestation.

— Ce n’est quand même pas un personnage sensationnel. Le ministre m’a dit que, selon son dossier, elle en prendrait pour dix ans. Comme tous ceux qui ont gravité autour du M.I.R. Les autres sont exécutés. Donc, malgré la sévérité de la peine encourue, ce n’était qu’une sympathisante.

— Dans ce cas, dit Kovask, il faut admettre qu’il existe une force de répression parallèle dans ce pays. Qui utilise des command-cars. des Jeeps, et des uniformes des carabiniers.

Holden tendit la main vers sa boîte de cigares, mais se souvenant que l’heure du déjeuner était sonnée, il préféra s’abstenir.

— Et qui dirigerait cette force ?

— Pourquoi pas la C.I.A. ?

— Bigre… Comment vous y allez !

— Souvenez-vous des informations publiées par la presse. Que des gorilles boliviens, brésiliens et uruguayens, sont arrivés dans ce pays depuis le coup d’Etat pour mettre en pratique les méthodes éprouvées, qui leur ont été inculquées dans les écoles du Southern Command au Panama. Je cite de mémoire. Vous savez comment ça se passe ? Tous les sous-officiers et officiers catholiques, qui sont passés dans ces diverses écoles éparpillées le long du canal de Panama, se sont juré aide et solidarité. Dès que la Junte a été au pouvoir, ils sont accourus. Certains opèrent dans les stades, les camps et les prisons, mais d’autres se sont peut-être mis au service de Mervin.

— Possible, admit Holden. Ecoutez, mon vieux, venez avec moi déjeuner. Je meurs de faim. Nous pourrons continuer à discuter.

— D’autant, que j’ai des nouvelles étranges à vous apprendre.

Dans l’antichambre, Holden présenta la jeune femme avec ironie :

— Voici une demoiselle qui ne mange jamais à midi pour conserver la ligne. Je vous avais tendu un piège, Kovask. Vous avez accepté parce que vous pensiez qu’elle serait à notre table, et que vous n’auriez pas à supporter un vieux birbe comme moi.

— Pas du tout, protesta le Commander amusé.

Marina, elle, paraissait furieuse. Peut-être regrettait-elle d’observer trop strictement son régime.

— A tout à l’heure, belle enfant. Nous allons absorber quelques maxicalories.

Le menu composé avec soin, Holden porta son cocktail à sa bouche.

— Je suis un vieux traditionaliste, et rien ne vaut un vermouth dry pour moi, avec un peu de gin, une olive et un zeste d’orange. Je vous laisse volontiers votre whisky. Alors, ces nouvelles ?

— Avez-vous déjà convoqué un certain Alan Decker ?

— Le conseiller économique de l’ambassade ? Non, pas encore. Vous croyez qu’il a quelque chose à se reprocher ?

Mi-sceptique, mi-intéressé, il écouta le récit que Kovask tenait du petit épicier.

— Une maison bourrée d’armes ? Appartenant à un diplomate ? Avec la complicité de Mervin ? C’est quoi ? Un feuilleton T.V., ou de la provocation ?

Kovask ne répondit pas, à cause du maître d’hôtel qui approchait avec les serveurs. On déposa dans leur assiette un feuilleté de fruits de mer, recouvert d’une sauce onctueuse. Holden commença de manger avec appétit, savoura ensuite son vin d’Alsace.

— Avouez que vous avez des doutes.

— Je ne sais pas, dit Kovask. Il faut que j’aille voir là-bas.

— Et si vous êtes pris en flagrant délit ?

— Je vais tâter le terrain. Ou la maison est paisible, sans précautions particulières de surveillance, ou bien elle est truffée de gardes, et je n’insisterai pas.

— Qu’attendez-vous de moi ? Que je me présente à la porte de cette propriété pour la visiter ?

Le Commander se frotta le menton.

— Pourquoi pas ?

— Vous êtes fou ou quoi ?

— Demandez à Decker s’il ne veut pas vous la louer. Dites que vous avez besoin de passer le week-end au calme, pour méditer et réfléchir sur votre mission.

Holden se mit à rire, sans bruit, mais en secouant son corps puissant.

— Et une fois là-bas, je fais un caprice, et j’insiste pour voir si la cave est bien fournie en crus des meilleures années ?

— Pourquoi pas ? dit froidement Kovask.

Interdit, le sénateur avala le contenu de son verre, parut se renfrogner, mais n’en perdit pas l’appétit pour autant. Peu à peu, il se calma, et regarda Kovask d’un air songeur :

— Vous voulez les paniquer ?

— Exactement. Convoquez Alan Decker pour vendredi, et demandez-lui carrément son hospitalité. Laissez-lui même entendre que vous ne l’avez convoqué que pour cela. Vous avez entendu dire qu’il avait une maison merveilleuse, et vous avez besoin de repos. Il ne pourra pas refuser. Il sera coincé. Il devra déménager les armes dans la nuit, si vous lui dites que vous arriverez le samedi matin.

— Seul, ou avec le reste de la commission sénatoriale ?

— Pourquoi pas ?

— Et vous pensez nous faire intervenir de nuit ? Comme des douaniers ou des flics ? C’est insensé. Ecoutez, Kovask. La moyenne d’âge est de soixante ans, chez nous, et il y a belle lurette que nous ne courons plus l’aventure au clair de lune. De plus, nous sommes tous des gens honorables, et vous nous voyez faire le guet, sauter au collet des chauffeurs, pour exiger de fouiller les caisses ? Et si nous faisons chou blanc ? Quelle catastrophe ! Quel scandale ! Nous n’aurions plus qu’à faire nos bagages et à rentrer à Washington. Et, là-bas, on nous recevra comment ? De quoi perdre nos sièges aux prochaines élections.

Le maître d’hôtel approchait à nouveau avec le carré d’agneau, et ils se turent. Mais lorsqu’ils furent seuls, Kovask mangea en silence, et Holden finit par exploser :

— Dites-le, que vous me prenez pour un froussard, pour un type qui a peur de se mouiller ?

— L’ai-je dit, sénateur ? s’offusqua le Commander.

— Non, mais je lis très bien dans votre regard couleur de mer. Il y a un fond de tempête dans ce regard. Vous vous dites que jamais vous n’auriez dû accepter d’accompagner un vieux con qui dirige une commission composée d’autres vieux cons, qu’on ne peut rien espérer de vieux bien confortablement installés dans la vie. Que les peuples peuvent être enchaînés, que la C.I.A. peut triompher, nous resterons immuables dans notre auto satisfaction.

On les regardait discrètement, tant le vieil homme paraissait en colère. Le serveur s’approcha opportunément pour remplir les verres d’un bordeaux irréprochable, et Holden s’apaisa.

— Bon, dit-il plus tard, je vais étudier ça. Mais arrangez-vous pour que nous ne fassions pas chou blanc.

— J’y veillerai, dit Kovask.

— Et pour la fille de Lascos ?

— Je ne sais pas. Il n’y a que Mervin qui peut nous renseigner. Mais, par Decker, nous pouvons le coincer. Vous m’excuserez de ne pas attendre le dessert, mais il faut que je file.

Holden hocha la tête :

— Soyez prudent. Ciprelle Erwing a été liquidée sans pitié. Souvenez-vous-en.

— Merci.

Vers 14 heures, il arrivait dans le centre d’Aconcagua, repartait en direction de la frontière. Il fut arrêté par un barrage. Le sous-officier des carabiniers examina son passeport, son sauf-conduit, et lui demanda où il se rendait.

— Chez un ami, Alan Decker, un diplomate qui possède une propriété dans le coin.

— Je connais, dit le sergent. Je vous le demande, car nul n’est autorisé à aller beaucoup plus loin sur cette route, qui se dirige vers la frontière. Le señor Decker vient souvent dans sa propriété. Depuis les événements, il y a accueilli beaucoup d’amis, qui ne voulaient pas rester à Santiago. Je le sais, car le gardien-chef vient tous les jours en ville, faire des provisions.

— Il y a beaucoup de monde là-haut ?

— Au moins une dizaine de personnes, dit le carabinier. Un groupe révolutionnaire avait tenté de s’en emparer le 12 septembre, mais ils n’ont pas insisté. Les amis du señor Decker sont de bons tireurs.

— Ils se sont défendus ?

— Bien sûr. La propriété bénéficie de l’extra-territorialité. Il y a même une plate-forme pour les hélicoptères légers.

Kovask le remercia et poursuivit sa route. Sans le vouloir, il venait d’obtenir des renseignements précieux. Il repéra vite l’entrée de la propriété, deux piliers soutenant une chaîne. Un Chilien avec un vague uniforme de garde-chasse veillait tout près. Il continua, remarqua le haut grillage qui courait sur des kilomètres, désespéra de trouver une issue. Il dut abandonner sa voiture dans une zone boisée, et grimper en haut d’une colline, pour découvrir les bâtiments.

L’habitation principale, de style colonial, était très belle avec ses colonnades, ses patios intérieurs. Mais, plus loin, d’autres bâtiments attirèrent son regard. Grâce à ses jumelles, il les détailla, estima qu’il s’agissait de garages. Sur le sol, il nota des traces de pneus assez curieuses. Aucune voiture n’avait pu les laisser, et il ne pouvait s’agir que de camions.

Son cœur battit plus rapidement, lorsqu’il supposa qu’elles pouvaient venir de command-cars ou de Jeeps. Est-ce que la police parallèle qui avait procédé à l’arrestation de Blanca Lascos provenait de Las Madrés ?

Il s’arma de patience et, caché par les arbres, attendit longtemps. Il aperçut des silhouettes, reprit ses jumelles. Des hommes allaient et venaient apparemment désœuvrés. L’endroit paraissait paisible. Assez loin derrière la résidence s’étendaient des champs et des prés, mais il découvrit qu’un grillage élevé isolait cette partie de la propriété des bâtiments principaux. Des ouvriers agricoles travaillaient dans ces étendues, et il nota la présence de plusieurs tracteurs.

Vers le soir, alors qu’il allait renoncer, un command-car sortit soudain d’un des garages, et grâce à ses jumelles, il put parfaitement distinguer l’insigne des carabiniers peint sur l’une des portières. Le Dodge se dirigea vers une aire de lavage, et deux hommes en treillis le nettoyèrent soigneusement. L’un d’eux avec une brosse fit même disparaître l’insigne peint avec un produit facile à enlever. Puis, l’engin regagna son abri. C’était suffisant pour Kovask.

Redescendu de sa colline, il regagna Aconcagua par une autre route, où il ne trouva aucun barrage. Lorsqu’il atteignit Santiago la nuit était tombée depuis longtemps, mais le sénateur Holden travaillait dans son bureau, recevait encore des citoyens américains habitant le Chili. Dans l’antichambre, l’ambiance était morne, et les trois personnes qui attendaient paraissaient se morfondre.

— Je vous envie, dit Marina. Vous vous baladez, tandis que je suis bloquée ici. J’aimerais bien connaître les environs.

— Vous croyez que l’époque est bien choisie, pour faire du tourisme ? fit-il un peu agacé.

Elle haussa les épaules :

— Oh ! moi, la politique… Vous sortez ce soir ?

— Je ne crois pas.

— Nous allons danser ?

— Pourquoi pas ?

Holden le vit lorsqu’il ouvrit sa porte, lui fit signe d’attendre. D’ailleurs, il liquida les trois personnes en un temps record. Puis, il invita Kovask à rentrer.

— Ouf, quel métier ! C’est curieux, mais j’ai l’impression que les gens ont la trouille, comme s’ils avaient tous quelque chose à se reprocher, et vous savez ce que j’en arrive à penser ?

Kovask secoua la tête :

— Non. Vous paraissez troublé.

— Je le suis. Car j’ai la conviction intime que tous les Américains qui habitent ce pays sont tous, à des titres divers, responsables de ce qui est arrivé le 11 septembre. Oh ! ce ne sont pas tous des activistes, loin s’en faut, mais tous ont péché, par pensée, par omission, par vanité, par dépit. En fait, vous savez ce qui se passe ? Ils détestent les Chiliens, tous les Américains du Sud. Ils auraient les mêmes réactions pour les Boliviens, les Brésiliens, les Mexicains ou les Argentins. Et de les avoir vu danser et chanter sous le régime Allende, même lorsqu’ils crevaient de faim, nos compatriotes ne le leur ont pas pardonné. On veut faire le procès de la C.I.A., mais ce sont tous les Américains vivant dans ce pays qu’il faudrait mettre en accusation. Ils ont répandu des faux bruits, ils ont mis des bâtons dans les roues. Un professeur m’a laissé entendre que dans ses cours, il glissait des allusions perfides contre le gouvernement. La femme d’un représentant de société se vante d’avoir tous les jours vidé les boîtes aux lettres de son immeuble, de toute la prose marxiste qu’elles contenaient. Pourquoi ? Elle ne se l’explique pas elle-même. Si on l’avait arrêtée et condamnée, que n’aurait pas entendu l’ambassade ? Elle était dans son tort, mais ne veut pas l’admettre. Il y a aussi celle qui apportait du café aux militaires, lorsqu’ils patrouillaient dans sa rue le jour du putsch. Curieux, non ? Un type apparemment paisible m’a confié que, lorsqu’il prenait le train à cette époque-là, il lacérait toujours les coussins de son compartiment, pour que l’on puisse dire, que depuis que l’Union Populaire était aux pouvoirs, le public en prenait à son aise. Des stupidités, des petite : mesquineries, des veuleries, et voilà !

Il haussa les épaules :

— Laissons cela. J’ai eu des renseignements sur Decker. En fait, il n’est pas conseiller économique en titre, depuis que l’autre a été renvoyé au pays du temps d’Allende. Celui-là fait l’intérim, mais a été imposé par Langley très certainement. Donc, jusqu’ici, rien n’accroche. Je lui ferai parvenir ma convocation demain, pour après-demain. Vous êtes allé là-bas ?

— Oui. Grande propriété, cernée par un grillage épais. J’ai vu un Dodge portant les insignes des carabiniers. Deux hommes l’ont lavé, et ils ont tout effacé.

— Hum, pas mal, reconnut Holden.

— Il y a au moins dix hommes en permanence là-bas. La propriété jouit du droit d’exterritorialité. Je ne sais pourquoi. Il y a même une piste pour hélicoptère.

— Oui, c’est intéressant. Pour en revenir à cet Alan Decker, il a séjourné longtemps à Panama. J’ai pu avoir Washington par téléphone spécial, et c’est mon pool qui m’a renseigné. Ils ont des fiches sur tout le monde, ce qui est nécessaire. Depuis le temps que je dirige des commissions d’enquête… Mais pas moyen de savoir si ce type appartient à la C.I.A. C’est comme pour Mervin. Langley prend des précautions depuis quelque temps. Il y a eu tellement d’histoires cafouilleuses. Mais cette nouvelle génération d’agents est vraiment dangereuse, car ils ressemblent à des technocrates, et sont aussi froids et efficaces. Inhumains pour tout dire. La plupart sont gagnés par des idées extrémistes, sans même s’en rendre compte. Vous leur diriez qu’ils se comportent comme des fascistes, qu’ils vous traiteraient de gamin. Il faut dire que ce mot a été mis à toutes les sauces depuis quelques années. Mais c’est cela. Leur seul but est de réussir, en écrasant le maximum de pieds, et quand je dis ça, c’est un euphémisme, car il leur arrive au besoin de torturer de façon scientifique les gens qui leur font obstacle. Mais ils se conduisent comme n’importe quel jeune cadre qui tend des pièges à un supérieur immédiat, pour lui faucher son poste. Rien de plus. Le malheur, c’est qu’ils ont la responsabilité de l’avenir du pays. On est allé trop loin, et lorsque vous protestez, on insinue que vous n’êtes plus de votre temps, et qu’un sénateur moins âgé pourrait très bien vous remplacer opportunément.

— Quand allez-vous prévenir vos confrères de leur escapade nocturne ?

Il éclata de rire :

— Vendredi seulement. Mais comment allons-nous agir ?

— Je vais y réfléchir, dit Kovask, et nous en reparlerons demain. Vous devriez vous arrêter. Il est tard.

— Merci, Commander. D’ailleurs, je suis un peu écœuré par ce que j’ai entendu. Ces gens médiocres, qui pensent et agissent avec tant de haine… Ils ont glacé quelque chose en moi.

Kovask dîna avec Marina, et l’emmena danser, mais, rapidement, elle remarqua son peu d’allant.

— Fatigué ?

— Oui, un peu.

— On va boire un verre au bar, et on va se coucher ?

— Ensemble ?

— Le repos du guerrier, hein ? Je devrais m’offusquer. Vous me considérez vraiment comme une insignifiante personne.

Il songeait à Luisna, que peut-être il n’aurait pas l’occasion de prendre dans ses bras. Marina n’était pas désagréable, mais même dans l’amour, restait fonctionnelle.

— Vous avez un air rêveur qui vous va très bien, murmura-t-elle. D’habitude, vous ne vous laissez pas tellement aller.

— Allons boire ce verre, dit-il, en lui prenant la main, et en l’entraînant jusqu’au bar.

Assise sur le tabouret voisin, elle appuya son genou contre le sien.

— Beaucoup de gibier dans votre besace ?

— Ça peut aller, fit-il brièvement.

— Pas bavard. Serez-vous plus prolixe tout à l’heure ?

Il sourit.

— A moins que vous aussi, vous n’ayez besoin de films érotiques pour vous donner des idées ?

Kovask souriait toujours. Marina plongea ses lèvres dans son verre :

— Vous me trouvez bien dévergondée ?

— Non, pas du tout.

— Ces gens, ce travail enfermé m’énervent en diable, dit-elle, comme pour s’excuser. Je suis habituée à plus d’activité, lorsque mon patron est à Washington. Et puis, ces gens qui attendent leur tour plus ou moins fébrilement, me dépriment.

— Vous n’aimeriez pas être à leur place, hein ?

— Grands dieux, pourquoi ? Je me demande d’ailleurs ce qu’ils peuvent bien répondre aux questions du sénateur. La plupart sont de braves gens, qui n’ont rien à se reprocher.

— Le sénateur Holden n’en est pas aussi certain que vous, savez-vous ?

Elle haussa ses jolies épaules.

— Oh ! il philosophe beaucoup en ce moment, et aurait tendance à se poser trop de questions.

— Vous le jugez trop vieux ? demanda-t-il perfide.

Marina hésita, le regarda avec surprise, puis secoua la tête en riant.

— Pas du tout. Mais que nous sommes graves soudain. Je me demande, si ce soir, j’arriverai à vous dérider.

— Vous avez raison, dit-il brusquement. Je crois que je ferai un piètre compagnon, et je préfère aller me coucher.

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