Débordant de son gémissant fauteuil d’osier, Mé était à sa place sous le sophora taillé en ombrelle, au bout de ce jardin dominant à pic une Argos trouble, tachée de vieux nénufars effrangés et lessivant mollement de longs bancs verdâtres, filandreux, entre lesquels affleurait de-ci, de-là, le fugitif dos gris d’un gardon. Pé aussi était à sa place, assis sur le mur de soutènement, haut d’un petit mètre côté salades, mais de trois et demi côté rivière où le dévoraient scolopendres et giroflées sauvages. Au-dessous le bateau, pas écopé depuis quinze jours et dont le caillebotis flottait sur une bonne couche d’eau sale, avouant l’importance des récentes giboulées, tirait sur sa chaîne cadenassée au bas de l’échelle de fer. Mais M. Rebusteau, l’œil vague, ne regardait rien : ni l’Argos qui s’engouffrait à droite sous le pont de la vicinale, ni à gauche les arbres encore nus du parc du marquis, ni même sa fille plantée sur le sablon et qui venait de dire :
— À propos, le jugement a été prononcé lundi. J’ai gagné.
— Ça, pour gagner, grogna M. Rebusteau, à qui perd gagne, on ne fait pas mieux !
— Ça non, on ne fait pas mieux ! fit Mme Rebusteau, en écho.
Criarde ailleurs, fort soumise à Chazé, Aline ne craignait guère sa mère : bonne cassandre à l’aise dans la prédiction du petit malheur — renchérissement du veau, nocivité d’un courant d’air — et qui n’était plus devant les grands fléaux qu’une brebis du Seigneur stupéfiée par son injustice envers ses fidèles Rebusteau. Mais Léon Rebusteau, aussi régisseur à la maison qu’au château, inspirait à sa fille une affection craintive. Certes, elle savait garder son quant-à-soi. Elle avait mal pardonné certain propos, émis la veille de son mariage : Aline a trop de chance : son polichinelle, elle méritait de Vélever toute seule. Elle ne digérait pas la colère qu’avait piquée son père, lors des vacances de Noël, après avoir lu la lettre dictée à Louis par les avocats : Allez vous faire voir, ma chère ! Je ne rentrerai jamais. Vous savez bien que j’ai refait ma vie… Le cou, les pommettes, les oreilles violettes, auguste et définitif, ne s’était-il pas écrié :
— C’est indigne ! Non, Aline, tu ne te serviras pas de cette lettre de complaisance. En la produisant, en ne faisant pas tout ce que tu peux pour éviter le divorce, tu t’en rends complice.
Il avait même ajouté froidement :
— Et qu’est-ce que tu me racontes ? Tu devais aller à Chamrousse ? Tu as changé d’avis quand ton mari t’a prévenue de son intention d’aller exercer sur place son droit de visite ? Tu aurais dû au contraire saisir l’occasion pour essayer, loin de sa maîtresse, de te rabibocher avec lui. Tu ne devais pas renoncer pour une question d’argent. Je ne suis pas riche, je ne vois pas souvent les enfants, mais je me serais volontiers imposé un double sacrifice.
La mère elle-même, si proche du père, si pétrie des mêmes préjugés, en était restée médusée, avait trouvé le courage d’opiner :
— Enfin, Léon, qu’espères-tu ? Comme dit le vicaire, il n’y a aucune possibilité d’annulation en cour de Rome. Mais Aline a le droit de se défendre. Il suffit qu’elle ne se remarie pas.
Encore heureux que ni l’un ni l’autre n’aient appris la vérité ! À savoir que Louis, en éventant le piège, en proposant de se trouver à la station dans un autre hôtel, avait aussi offert de payer ; qu’Aline l’avait vu venir, le malin, rêvant sans doute d’improviser hors des jours légaux des rencontres sur les pistes avec les enfants, en l’absence de leur mère peu soucieuse de mettre le pied sur une latte ; qu’Aline avait donc menti à tout le monde en inventant une invitation pressante de la famille, une quinzaine de consolation mutuelle à Chazé, où Louis ne s’aventurerait pas. Se défendre ? Voilà, elle se défendait. Elle n’avait pas voulu le divorce. Il avait divorcé, lui. Elle était divorcée, elle. Nuance ! Elle n’acceptait pas de se sentir coupable. Le Sacrement ? Bien qu’ayant cessé de pratiquer depuis son mariage, elle n’y était, certes, pas indifférente ; mais c’est avec les Quatre qu’elle en demeurait gardienne. Et puis franchement le divorce avait bien quelques avantages… Toucher son dû — son maigre dû — au lieu de quêter misérablement à chaque apparition de Monsieur, ne plus avoir besoin de ses avis, de sa signature, ne plus se mépriser, ne plus attendre pour rien, se comporter en chef de famille, découvrir l’autonomie, ce n’était pas négligeable. Un affreux, en vous portant le dernier coup, parfois vous rend service.
— J’ai vu les carnets de notes, dit M. Rebusteau. Ils ne sont pas fameux.
— Le contraire serait étonnant, fit sèchement Aline. Les enfants sont très perturbés.
Regrettant son aigreur, elle se rapprocha et mit la main sur l’épaule de son père qui, visant les nénufars, lançait nerveusement de petits cailloux. Le patriarche, si sûr de lui, voilà qu’il se plaignait :
— Trois filles, trois échecs ! Tu te retrouves séparée. Ginette malmène son minus. Annette n’en a même pas trouvé un.
Que répondre ? Choisissant de subir, de mater ou de fuir, les filles de ce régisseur de père étaient mal préparées aux équilibres conjugaux. Mais Pé changeait de sujet :
— C’est vrai, ce que dit ta mère ? Tu envisages de revenir ici ?
— Elle pourrait envisager…, rectifia Mme Rebusteau.
— C’est la même chose, trancha M. Rebusteau.
Ballon d’essai. Récupérer au moins une de ses filles — toutes montées à Paris, avec entrain, dès leurs vingt et un ans —, c’était le rêve de la mère. Les parents en avaient sûrement discuté entre eux. Comme Aline elle-même avec les Quatre, pas chauds.
— Ça me paraît difficile, dit-elle. Il y a un problème de lycée. Et un problème de logement : je ne peux pas m’installer chez vous avec ma smala. Mais surtout l’avocat craint que Louis n’en profite pour faire réviser la garde en invoquant la distance, les visites impossibles. Je croyais que, mauvais époux, il serait aussi mauvais père, qu’il se fatiguerait vite. Pas du tout. Vous n’imaginez pas à quel point il peut me harceler.
— Ça prouve qu’il aime ses enfants, dit M. Rebusteau.
— S’il les voit peu, il l’a voulu, et s’il en souffre, c’est justice, reprit Aline, hargneuse.
— Moi, ce qui me révulse, c’est l’idée qu’il pourrait les emmener chez cette fille, dit Mme Rebusteau.
Le régisseur se leva brusquement, l’air inquiet :
— Que savent-ils d’elle, exactement ?
— Tout, dit Aline. Il fallait bien que je les informe. Si ça se trouve, dans six mois, elle sera leur belle-mère.
— Non, reprit M. Rebusteau, cette femme ne sera jamais leur belle-mère. Une belle-mère, c’est la seconde femme d’un père veuf… Enfin, j’espère que tu as averti les enfants avec précaution.
— Il suffisait de leur faire lire la lettre de Louis, dit Aline, sans sourciller.
— La lettre ? Tu as fait ça ?
M. Rebusteau s’empourprait. Mais Aline, décidément majeure, se mit à crier :
— Enfin, papa, ce qu’il m’a écrit, qu’on le veuille ou non, c’est la vérité !
D’étonnement son père en retomba assis sur le muret.
— La vérité, c’est vrai ! marmonna-t-il. Mais les enfants ont droit à ce qu’on l’habille.
Sermon. Écoute-moi, ma petite fille… Aline connaissait l’exorde. Elle connaissait aussi la suite, cette tirade de manuel : Il est indispensable qu’un enfant garde bonne opinion de ses parents, même fautifs ; qu’il ne participe jamais à leurs discordes ; qu’il conserve une égale tendresse pour son père et sa mère, chacun ménageant l’autre pour être lui-même ménagé… Aline laissait passer. Une égale tendresse ! Pour le coupable et pour l’innocente ! Pour l’absent comme pour la présente ! La fille observait du coin de l’œil le visage de sa mère, rond, fêlé de rides, encadré de cheveux cireux tirés sur les oreilles et dont les paupières décemment chues vibraient de réticences. Qu’il lût l’Évangile au lutrin, selon le nouvel usage, ce saint homme de Chouan, parfait ! Mais que, de l’intransigeance sur les principes, il pût glisser dans la pratique à l’indulgence pour le réprouvé, allez comprendre ! Pour une faute de jeunesse — qu’il n’était plus du tout de mode maintenant de considérer comme une faute — l’avait-on assez maltraitée ! Un homme ménage toujours un peu les autres hommes ; et ce n’était pas la péroraison de grand-père qui la ferait changer d’avis :
— Tout à l’heure j’ai fait écrire aux enfants une carte collective. Question de correction. Sur le fond tu sais ce que je pense de ton mari.
Le coup d’œil de sa fille ne sembla pas l’émouvoir. Il se redressa, talonnant la terre :
— Quant à ton retour ici, malgré l’envie que nous en avons, je te le déconseille. Tu n’y serais pas vraiment mal accueillie…
— Mais je ne serais pas à l’aise, je sais, figure-toi !
— Je vais jusqu’au tennis, dit Léon Rebusteau, partant droit devant lui.
Une minute coula. Trois canards domestiques, croupionnant de concert, apparurent sous le pont. Un peu plus loin, à l’endroit où se coudait l’Argos, un rat d’eau traversa, le nez dans la canetille et un soleil de Jeudi Saint apparut dans une faille bleue, entre deux nimbus. Hélas ! La douceur d’un pays ne déteint pas sur ses habitants. En ville où tout flue, tout change, où les gens vous connaissent moins qu’ils ne vous rencontrent, les voisins ne glosent pas longtemps sur l’échec d’un couple. À la campagne où les familles se comptent comme les maisons, un divorce, même sans l’intervention des cagots, ça fait un trou dans le paysage. Ce ratage introduit la malchance, sinon la contagion. Un homme peut se croire libéré. Une femme fera toujours figure de répudiée. Pour tout le monde il semble qu’il y ait en elle quelque chose qui fait qu’elle n’a pas pu, pas su, peut-être pas voulu retenir son mari. L’infortune devient un état, autour de quoi se dressent, en palissades aiguës, le doute, la vigilance, la commisération. La veille, pour en éprouver les effets, Aline n’avait eu qu’à traverser le bourg avec les siens : un défilé de culs-de-jatte n’eût pas réussi à voiler plus de regards. Pas un bonjour n’avait su éviter l’intonation consolatrice. Les parents se trompaient. Venue à Noël pour semer Louis, redescendue pour les Rameaux, mais forcée de remonter pour livrer les Quatre à Monsieur, le jour de Pâques, Aline ne réclamait pas le droit d’asile.
— Le marquis n’a pas prévenu, mais ça ne m’étonnerait pas qu’il vienne faire un tour, dit Mme Rebusteau.
Pas toujours futée, la mère, mais pourvue d’antennes. Le marquis, justement ! Autre raison de rester banlieusarde. Voilà pourquoi son fidèle sous-ordre était allé faire un tour jusqu’au tennis. Régisseur d’un domaine où le propriétaire ne mettait pas les pieds plus de deux mois par an, il régnait sur huit fermes, il détenait toutes les clefs, il pouvait discrètement faire profiter les Quatre du court, de la piscine, de l’étang ou des bois, quitte à leur faire vider les lieux, en vitesse et bien poliment, si d’aventure la Mercedes du patron remontait la grande allée. Mais laissez-les donc jouer ! dirait sûrement ce paternel seigneur qui, enfant, avait couru dans la futaie avec Aline et plus tard, sans insister, pour se faire une idée des choses, glissé la main sous son chandail. M. Rebusteau, là-haut, s’appelait Léon et son épouse, Sophie ; et Mme Davermelle, leur fille, devenue bru de pharmacien, montée d’un échelon en somme — sur le barreau qu’on sait, disait depuis dix-huit ans la rumeur —, n’aimait pas dans l’ombre de Léon se faire appeler Aline. Sa position sociale, voilà encore une chose que le départ de Louis remettait en question. Mais trêve de regrets ! Il fallait profiter de l’absence du père pour en venir au but de ce voyage :
— Maman, dit Aline péniblement, je suis très ennuyée. Après le divorce il va y avoir partage.
— Quoi ! fit Mme Rebusteau, joignant les mains. Il n’a même pas l’élégance de tout te laisser ?
— Il dit que c’est déjà bien beau que j’en garde la moitié, puisque je n’ai rien apporté ni rien gagné.
Fontaine. Une des grandes forces d’Aline avait toujours été de pleurer sur commande, de désarmer son monde. Mais que pouvaient ces larmes en étoilant le sablon ?
— Pour les meubles, c’est déjà grave, reprit-elle, grelottant du menton. Pour la maison, c’est une catastrophe. Notaire, agent immobilier, fisc, comptons un quart de frais. Solde dû au Crédit foncier, un autre quart. Coupons le reste en deux et je n’aurai même plus de quoi m’acheter un studio. Nous sommes à la rue…
— Et tu n’oses pas demander à ton père de t’aider ? Tu voudrais que je m’en charge ? fit Mme Rebusteau, faiblement.
D’un revers de main Aline s’essuya les yeux. La consternation de sa mère disait assez son impuissance. Elle regardait filer l’eau. Si toute branche est bonne à saisir, quand on se noie, encore faut-il qu’elle soit de taille à soutenir quelqu’un. Mme Rebusteau se tassait dans son fauteuil :
— Ne te fais pas d’illusions, dit-elle. Il faudra vendre. Vous êtes trois filles. Même si tu étais seule, ton père ne pourrait pas à la fois rembourser la part de ton mari et payer les annuités du Crédit foncier. Il a soixante-cinq ans. S’il était fonctionnaire, il serait à la retraite. Il ne peut pas arrêter : le chalet appartient au marquis et nous nous retrouverions, nous aussi, sans maison, avec des économies ridicules… Je ne lui dirai rien. Il se rongerait inutilement les sangs.
— Tant pis ! Je louerai, dit Aline, les dents serrées.
Une maison, elle avait eu une maison. À elle. Alors que ses parents vivaient chez autrui, sa sœur Ginette dans un petit trois-pièces de Créteil, sa sœur Annette dans une chambre meublée. Elle avait été la bien casée, l’enviée, la chanceuse de la famille, et c’était encore Louis, toujours Louis, qui la dépouillait. Le Misérable ! Qui reprend ce qu’il nous donne nous lèse bien plus que s’il n’eût rien donné.
— Remets-toi, voilà les enfants, fit une lèvre poilue cherchant à l’embrasser.
La mère s’était levée sans qu’elle s’en aperçût. Avait-elle jamais su, la mère, ce que c’était que la haine ? Œil pour œil, cadeau pour cadeau, retrait pour retrait. Les enfants, mais oui, Aline lui avait donné les enfants et jusqu’ici elle hésitait, sevrée de bons conseils. Affaire classée : en te les reprenant, salaud, je te léserai bien plus que si je ne te les avais jamais donnés.
Il était préférable que la Pintade ne fût pas là pour glousser, charitable : Eh bien, mon cher, ça te pousse aussi ? Le fait est que passer l’après-midi chez une petite cliente, la contenir vertueusement dans les limites d’une conversation esthétique et commerciale, gloser sur la couleur des papiers, des tentures, à mettre en accord avec celle du divan — sans faire un pas vers lui de peur d’y basculer —, se sauver en disant qu’on aurait pu, qu’on aurait dû, qu’en d’autres temps c’est une de plus qu’on aurait laissée courbatue, rentrer néanmoins la commande en poche, quitter à six heures l’Atelier Mobiliart pour mettre un libre pied sur la rue Saint-Antoine et découvrir sur le trottoir d’en face Odile en train d’embrasser un garçon d’une trentaine d’années, vraiment, il y avait de quoi se troubler.
Louis ne se troubla pas. Un flot de voitures, déferlant au feu vert, l’empêchait pour l’instant de traverser, mais on venait de pointer le doigt dans sa direction et il était improbable qu’Odile fût en train de désigner son numéro un à un numéro deux. Louis leva le bras, ce qui dans toutes les langues signifie : me voilà. Odile leva le bras. Le garçon leva le bras. Bien, ils étaient donc là, eux aussi : ni tendres, ni polis, et l’air plutôt bonasse, se regardant tous deux comme on regarde une pendule. Une seule explication : ce garçon, il était de la famille. Le feu venait de changer. Louis traversa sans hâte.
— Mon frère ! dit Odile avant de tendre la bouche.
Ouf quand même ! Faire confiance participe toujours de la confiance en soi. Mais durant quelques secondes dans ces situations-là une idée saute à l’autre. Divorcer pour rien, cela s’est vu ; il y en a qui ont tout démoli pour se retrouver seuls. (Et seule, après tout, n’était-ce pas ce que devenait Aline ? De cette hantise-là, madame, quand nous déferons-nous ? D’une certaine patience que l’on garde avec vous, ne devinez pas la source.)
— Raymond m’a téléphoné au bureau, expliquait Odile. Je lui avais donné rendez-vous ici. Sa femme et son fils sont à la tour Eiffel. Ils nous rejoindront à la maison.
Spontané ou provoqué, ce coup de téléphone ? Odile prenait un bras de Louis, un bras de son frère, tractait le tout vers le métro. Louis réprimait une de ces envies de rire qui servent parfois d’alibi à la gêne : Me voilà libre et l’on accourt pour beau-fraterniser. En fait Raymond Milobert disait en dégringolant l’escalier de la station :
— Vous êtes artiste, je crois ?
— Ne me flattez pas, dit Louis. Je peins, il est vrai ; mais pour vivre je suis décorateur. Vous, si je ne m’abuse, vous êtes ingénieur ?
— Ne me flattez pas non plus, répondit-on modestement. Je serais plutôt conducteur de travaux.
Ils s’engouffrèrent dans une rame bondée et Louis s’installa, un genou entre ceux d’Odile. Il souriait. Pas si mal après tout, le fils du libraire. Sur ce ton goguenard, qui avait longtemps servi à désorienter les Rebusteau, on pourrait rompre la glace : une glace devenue banquise depuis le quinquennat. Par sa faute, indiscutablement. Rencontrer une petite provinciale égarée dans une exposition de meubles, la mettre dans les siens huit jours plus tard, lui chercher un job faute de finances pour l’entretenir, lui découvrir par chance un poste de stagiaire dans une maison d’édition, avouer un peu plus tard qu’on a une femme et quatre enfants, conserver la demoiselle en dépit de toute morale et de toute vraisemblance, trouver la chose aussi normale que la famille la trouve scandaleuse, ignorer qu’il existe dans l’indicateur Chaix au moins quatre trains en hiver, huit en été pour La Baule, dame ! pour parler local, on ne pouvait s’étonner qu’au rappel de son nom soufflât peu d’enthousiasme sur la Côte de Jade.
Pour l’instant ça semblait aller mieux. Mais après un premier effort nul n’en faisait d’autres, la question Qui récupère qui ? flottant dans l’air à la ronde. Odile dut crier : Saint-Mandé, tout le monde descend ! à l’intention du provincial et glisser dans l’oreille du Parisien : Sois gentil, tiens-lui le crachoir, pour obtenir sur le court trajet de la rue des Laitières quelques échanges de vues sur le temps qu’il faisait dans l’Ouest.
Mais l’ascenseur à peine renvoyé, remonta un second chargement de Milobert et je te présente Armelle, ma belle-sœur, et je te présente mon neveu et je vous présente Louis : ce dernier pas autrement qualifié, mais observé de la tête aux pieds par une petite dame aux yeux verts et par un gamin roux qui, joints aux précédents, surpeuplaient la moquette, cherchant de quoi s’asseoir dans le minuscule studio d’Odile.
On se casa comme on put, le gosse à terre, le vrai ménage sur deux cubes de plastique, le faux au bord de son divan. Porto, gâteaux. Et bien entendu concerto : Comment va maman ?… Et papa ?… La librairie marche bien ?… Oh, tu sais, s’il n’y avait pas le scolaire… Ils étaient déjà tous à La Baule : sauf Louis qui s’enfonçait dans les comparaisons. De Rebusteau en Milobert, était-ce donc là le commencement d’un troc ? Ce qu’il y a d’étonnant dans les brouilles de famille, ce ne sont ni leur nombre ni leur durée ; c’est au contraire la facilité avec laquelle tout s’arrange. La fille, vous l’aviez connue seule et comme telle accointée, toute à vous, rien qu’à vous, pour cette sorte d’amour qui se suffit à lui-même, qui ne tient rien d’une famille et qui n’en fabrique pas. Et puis voilà ! Si migrateur qu’on soit, on sort de quelque part : passe un de ses hirondeaux et du vieux nid crotté s’inquiète l’hirondelle. Avant de penser à en construire un neuf.
— Comment allez-vous faire maintenant ? disait le frère à la sœur. Ce sera tout de même petit pour recevoir les enfants de ton mari.
Sur son mari par anticipation Odile jeta un regard prudent :
— Ça va nous créer des problèmes, admit-elle.
Le tacite a de la force. De ces problèmes-là, très longtemps ruminés, Aline avait tiré au moins trois ans de prolongations. La semaine de Pâques en posait un, plus simple, mais si pressant qu’à son propre étonnement Louis se mit de la partie :
— Pour l’instant, dit-il, je voudrais bien savoir ce que je vais faire d’eux pendant huit jours. Je ne peux pas prendre un congé. Mes parents sur qui je comptais, abusivement du reste, seront en cure à Dax. Il n’y a qu’une solution : me servir de leur appartement et mobiliser la sœur de mon père, tante Irma, pour nous faire la tambouille.
À bon entendeur, salut ! Ils arrivaient la bouche en cœur, les braves. Il était bon de leur faire comprendre les difficultés dans lesquelles on pouvait se débattre pour les beaux yeux de la sœur. Difficultés qui ne faisaient sans doute que commencer ! C’est déjà malaisé d’articuler dans le mariage les exigences de deux tribus. Il y en aurait trois, bientôt ; et quatre si Madame se remariait. Ce serait un jeu de gènes aussi étonnant que le jeu de gênes correspondant. Mais en face de Louis on béait de gentillesse et de compréhension :
— Si tout était en ordre, disait la belle-sœur, je vous aurais dit de nous les envoyer à La Baule avec Odile. Mais évidemment tant que…
Pause. Les choses se précisaient. Une date, cher monsieur, nous voudrions bien ramener à La Baule une date. Odile cillait très vite, visiblement anxieuse de l’insistance des siens. On fuit un vieil amour devenu obligation pour se jeter dans un jeune, qui vous piège de nouveau. Mais quand trois cent soixante-cinq fois par an, durant un lustre, le désir, le plaisir, loin de s’éteindre, vous ont fait parvenir à cet état indéfinissable où l’absence de celle-ci deviendrait pire que le manque du drogué, à quoi bon se duper en disant : je suis fait ! Troc entre Rebusteau et Milobert, peut-être. Mais troc, surtout, entre 25 et 42, entre le miel et le vinaigre, entre le pois de senteur et la cosse. Louis se pencha, embrassa une fois de plus Odile sous l’oreille :
— Tout sera réglé en juillet, dit-il.
8 heures
La valise est ouverte. Rentrée par le train de nuit (par le train, évidemment, quand on n’a plus de voiture… mais à propos puisque Louis se l’est attribuée, il faudra veiller à ce qu’au partage il en rembourse la moitié), Aline remet ses affaires dans la penderie. Elle accroche sa robe bleue, prend un autre cintre, se ravise, le laisse sur la tringle et revient vers la table de chevet. Cet extrait de jugement arrivé en son absence et qui a été ou va être signifié à Monsieur, elle l’a bien relu dix fois. Trois précieux feuillets ! Un bleu, imprimé passe-partout à l’en-tête du tribunal de grande instance de la Seine ; deux blancs, le premier à l’en-tête de la Première Chambre première section, numéroté 21 168, timbré à deux francs cinquante et comme le second dactylographié recto verso. Quatre-vingt-huit lignes : Aline les a comptées. Quatorze attendus et notamment : SUR LA DEMANDE PRINCIPALE DU MARI : attendu que Davermelle a formé contre son épouse une demande en divorce, attendu que dame Davermelle s’est portée reconventionnellement demanderesse aux mêmes fins, attendu que par conclusions signifiées le 18 février 1966 Davermelle déclare n’avoir pu recueillir les témoignages nécessaires et renoncer à faire la preuve des faits par lui articulés…
A renoncé à faire la preuve ! À tout jamais il sera l’accusateur qui se rétracte. Aline se baisse, saisit sa robe grise, va l’accrocher, reprend sa lecture : PAR CES MOTIFS déclarons Davermelle mal fondé en sa demande… Vous entendez, les Quatre ? Mal fondé ! Écoutez la suite : Et recevant dame Davermelle en sa demande reconventionnelle, prononçons le divorce d’entre les époux à la requête et au profit de la femme…
Aline va suspendre son châle d’angora. Le meilleur est à la fin, après les clauses de garde et de visite, ces dernières scandaleusement généreuses envers le coupable. Nous disons bien : le coupable, légalement défini, le verbe employé pour ses obligations le proclame : Condamnons Davermelle à verser à sa femme une pension alimentaire… Condamnons Davermelle en tous dépens. On sait bien que les tribunaux, même civils, ne connaissent pas d’autre formule, qu’il ne leur semble pas être venu à l’idée d’employer des verbes moins blessants du genre contraindre, obliger, exiger. Non, c’est parfait : Louis est un condamné. Écoutez encore :
En conséquence la République française mande et ordonne à tous huissiers sur ce requis de mettre les présentes à exécution, aux procureurs d’y tenir la main, à tous officiers de la force publique d’y prêter main-forte… Vous voyez bien que le législateur lui-même veut que tout le monde soit prévenu, vous voyez bien qu’il faut que ça se sache ! Aline va ranger ses bas dont deux ont filé. En conséquence, il sera bon de laisser longuement traîner ce jugement sur la table de la salle, pour que nul n’en ignore, pour que celui-ci ou celle-là, quand Aline aura le dos tourné, vienne y jeter un petit coup d’œil.
On sonne et Aline, déjà engagée sur le palier, fait volte-face, saute à la fenêtre de sa chambre qui domine la rue. Voilà les invités du dîner rituel de Pâques : œufs mimosa, gigot, haricots verts mis en bocaux à Chazé, tourte aux prunes de conserve, également angevines. Voilà, en même temps, du renfort pour accueillir le non-invité quand il se présentera. Annette, qui, un samedi sur deux, va coucher chez Ginette, accompagne le ménage Fioux, dont les deux fils Arthur et Armand dépassent d’une bonne tête maintenant leur nabot de père. Aline tambourine aux carreaux. Vieux signal : Montez donc, les filles ! Les garçons vont rejoindre les garçons, dans leurs chambres, au sous-sol. Henri Fioux, qui n’a pas de jardin, qui trouve scandaleux l’abandon des plates-bandes, va se précipiter sur une serfouette et, en bon aide-comptable, semer des carottes ou des petits pois en rangs aussi bien alignés que ses colonnes de chiffres. Ce sera toujours ça de fait.
Déjà l’escalier retentit du crépitement des talons aiguilles. La chambre est envahie. Deux fois deux bises. Sautillent sur le lino, tout ponctué de petits trous, la maigre Annette, la grosse Ginette — assez ressemblantes d’ailleurs pour que Louis pût assurer que la première, passée au gonfleur, ne se distinguerait plus de la seconde. Sautille aussi Agathe, jaillie de la salle de bains pour le congrès des soutiens-gorge. Manque Rose… Mais Rose n’en fait jamais partie.
— Alors, tu vas refuser les enfants ? Tu ne crains pas d’avoir des histoires ? demande Ginette, très excitée.
S’il est un modèle de symbiose téléphonique, ce sont bien Aline, ses sœurs et ses amies qui du bureau, du café, d’un taxi-phone ou de chez elles, à toute heure, assurent les relais de la chronique. Aline, en rentrant, n’a donné qu’un coup de fil : à Emma, pour prendre son avis. La nouvelle a été aussitôt répercutée. Point n’est besoin de convaincre les sœurs, toutes gagnées et qui passeront sur le détail pour lui donner raison. Mais Agathe écoute ; et plaider pour son saint, de toute façon, encourage. Aline se lance :
— Léon a une belle angine de Vincent et Guy a la gorge un peu rouge. Ça tombe bien. De toute façon, il faut tenter le coup. La petite est là, elle vous dira elle-même qu’elle en a assez ! Les enfants travaillent toute la semaine. Auparavant, le dimanche, c’était leur dimanche, ils en faisaient ce qu’ils voulaient. Maintenant, une fois sur deux, c’est le dimanche de leur père. Contents, pas contents, il les emmène. Or, aujourd’hui, tombent à la fois Pâques et l’anniversaire d’Agathe. J’ai demandé l’autre jour à Louis de me laisser les Quatre un jour de plus, de venir les prendre demain… Pas question ! Il m’a même crié qu’il regrettait beaucoup d’avoir cédé ses droits à Noël, que je saisissais toutes les occasions pour les lui rogner.
— Ses droits ! dit Ginette. Il a manqué à tous ses devoirs et le voilà carré dans ses droits.
Agathe se mordille les ongles et il n’est pas sorcier de deviner pourquoi. Tant pis ! Le temps presse et il faut qu’elle soit bien remontée. Les cadeaux, elle les aura quand même ; mais la réunion, les bougies, la sauterie avec les copains, c’est fichu. On la fêtera peut-être aussi, rue Vaneau. En tout cas le programme ne supportera pas la comparaison.
— Voir papa, dit-elle, ça ne devrait pas être une punition.
Aline dédie un tendre coup d’œil à cette bonne enfant. Elle recule vers la fenêtre pour surveiller la rue, comme si l’ennemi était proche :
— J’ai interdit à Louis de venir avant midi. Les enfants ont treize jours de vacances et la moitié de treize, c’est six et demi. Emma a raison : il faut serrer, il faut lasser. Depuis six mois j’ai déjà refusé tout changement de jour, quand on me proposait de troquer un dimanche contre un autre. Désormais, passé dix heures Louis sera réputé manquant.
De la pochette de son tailleur Aline tire un agenda pygmée, le feuillette :
— Je tiens mes petits comptes. Louis a manqué trois fois, dont une sans prévenir. Il est arrivé deux fois après dix heures. Il ne s’est pas encore avisé de m’envoyer ma pension en retard. C’est presque dommage. Nous avons déjà fait bloquer son compte en banque, jusqu’au partage. Si besoin est, nous pouvons mettre arrêt sur son salaire. S’il ne payait pas et que je porte plainte, il risque même trois mois de prison… Vous saviez ?
Les yeux d’Annette se sont rétrécis. Ginette, plus coriace, ne dit rien. Agathe retourne à l’onychophagie. Est-ce donc trop ? Jadis en Indochine au temps du Code colonial, on pouvait liquider la congaï et garder les enfants nés de graine blanche. Qu’est-ce que le divorce, sinon le même rejet, suivi des mêmes prétentions sur ce qui vous est sorti du ventre ? Chassez la chienne et vous n’aurez plus de chiots. Coupez le pommier et vous n’aurez plus de pommes. À son grand regret Aline baisse le ton :
— Deux malades. Un refus. On verra bien ce qu’il fera.
— Tu n’empêcheras pas Rose, dit Agathe.
— Qu’elle y aille ! crie Aline. Je ne retiens personne.
Elle ricane, elle répète :
— Qu’elle y aille ! Ça prouvera notre bonne foi.
matinée
La belle journée ! À huit heures, sur un coup de fil de son frère descendu avec sa femme dans un petit hôtel du XIIe, Odile se laisse convaincre et décide : Puisque tu reçois tes enfants pendant six jours rue Vaneau, autant que j’en profite pour descendre à La Baule. Qu’elle ait raison de préparer la suite, c’est sûr. Mais pour la première fois la voilà partie, évadée d’une adorable solitude à deux, dans le souci de la légitimer aux yeux de sa tribu — et les tribus, Louis sait ce que c’est.
À neuf heures et demie coup de téléphone de Gabriel, cette fois embauché par Aline : Aline me prie de te rappeler que c’est l’anniversaire d’Agathe. Celle-ci tient absolument à le fêter à Fontenay, ainsi d’ailleurs que ses frères et sœur, dont deux au surplus sont souffrants. Je crois que tu ferais mieux d’aller chercher tes enfants demain. Il a convenu cependant du double vice de la chose : céder, c’est s’exposer à cent autres prétextes ; et admettre qu’un anniversaire ne puisse être bien célébré que chez la mère, c’est pour le père accepter un statut inférieur.
À dix heures coup de fil à Grancat. Par chance il a eu peur de la cohue pascale, du massacre routier ; il est resté chez lui. Il commence par bougonner : que Louis le tire du lit, qu’il a oublié le complément d’honoraires prévu pour le début du mois. Louis se vexe. Provisions, frais de greffe, droits taxés, exploits, sans compter le reste, lui ont déjà coûté un demi-million. Cinq mille francs ? fait Grancat — qui trouve les francs nouveaux moins voyants. Dans une affaire aussi vite expédiée, où il a fallu presser, prendre un tour de faveur, faire remonter le dossier sur le haut de la pile et conséquemment « éclairer », ce n’est pas cher. Louis change de disque, parle du jugement dont il a reçu signification l’avant-veille et dont certains termes lui sont restés en travers de la gorge. La forme, dit Grancat, la forme ! Je t’avais prévenu. Archaïque, injurieuse, périmée, d’accord ! Nous demandons tous au Palais que ça change. Mais pour l’instant il n’y a pas de divorce-constat en France ; il n’y a qu’un divorce-sanction. Qui pis est, nous jugeons sur des faits, non sur leurs causes. L’adultère est un fait, même s’il peut s’expliquer par un long désaccord avec la dame. Elle est ravie, la dame, tu peux m’en croire. Tu es le mouton noir ; elle est la blanche agnelle… Louis en vient au litige. Doit-il passer la main, pour Pâques ? D’avocat, Grancat redevient cousin. Il se fâche : C’était couru ! Vous avez trop bien raté votre ménage pour ne pas rater votre divorce. Vous êtes aussi emmerdants l’un que l’autre. Ma parole ! La guérilla conjugale vous manque. Vous la continuez sur le dos des gosses…
Perplexe, divisé, Louis, à onze heures, met son manteau. À onze heures cinq, il l’enlève. À onze heures vingt il le renfile, il saute dans sa voiture et comme il craint d’être en retard il appuie sur le champignon. Du coup il arrive avec dix minutes d’avance. Sur son coup de sonnette la porte s’ouvre et se referme, laissant seulement passer cette apostrophe :
— Il n’est pas midi !
Il y a du monde qui passe et repasse derrière les rideaux. La grosse Ginette, hilare, en soulève un. Léon la remplace, sérieux, montrant du doigt une gorge enveloppée. Admettons. Si Léon est debout, son angine n’est pas grave, mais il est beaucoup trop prudent pour raconter des blagues. Une discussion confuse a lieu près de la porte où la voix de Rose, semble-t-il, se heurte à celle de sa mère… Midi sonne au carillon des voisins, par la baie de leur salon. Toujours rien. Louis resonne. Rien. La discussion s’est élevée au niveau de la dispute. Reste la ressource de répéter le siège de Jéricho en triomphant de l’adversaire par le bruit, en le contraignant à tenir compte des sentiments de la rue. L’hésitation du début a disparu dans l’agacement qui le cède à la rage : climat connu des surenchères. Louis ramasse un éclat de verre et réussit à coincer la sonnette. Il remonte en voiture, s’assoit et par larges rafales appuie sur le klaxon. Les chiens du coin se mettent de la partie. Au 20, au 30, au 33, des poignées tournent et sous les marquises apparaissent des gens qui remâchent les premières bouchées de hors-d’œuvre. Le 38 hurle : C’est fini, ce boucan ? J’ai un bébé qui dort… Il n’y aura pas besoin de donner l’assaut, d’escalader la grille. La porte s’ouvre, pour livrer Rose.
— Tu m’as demandé de ne pas venir avant demain ? fait Louis en l’embrassant.
— Moi, non ! dit Rose, qui n’est pas cafarde.
La cause est entendue. D’une victoire partielle, on pourrait se contenter, quitte à déchaîner demain les autorités, qui en ce jour festoient comme leurs administrés et seront peu enclines à venir prêter main-forte. Malheureusement, si le klaxon s’est tu, la sonnette est toujours coincée et une Aline exaspérée ouvre la fenêtre de sa chambre d’où elle va dominer, comme en chaire, la chaussée et les jardinets. Appel à l’opinion ? Soit ! On voit le bras de Madame plonger derrière elle, tirer à soi une Agathe réticente, mais tout de même offerte aux populations. Aline crie, urbi et orbi :
— Elle te demande la moitié du jour de Pâques pour fêter avec nous ses seize ans. C’est même le seul cadeau d’anniversaire qu’elle te réclame. Ça t’est si difficile de lui faire plaisir ?… Vraiment te voilà pris d’une soudaine passion pour les Quatre. Avant le divorce tu ne les voyais pas deux fois par mois…
— Parce qu’il fallait te voir avec ! hurle Louis.
— Laisse tomber, dit Rose, tirant sur le bras de son père. Vous allez dire n’importe quoi, tous les deux.
Agathe, il faut le reconnaître, est en train de faire la même chose, là-haut. Mais il reste un mystère : où est Guy ?
— Je veux voir les malades, dit Louis, plus calme. Je veux contrôler s’ils le sont vraiment.
Et aussitôt Aline repart de plus belle, vocifère aux échos :
— Si tu ne me crois pas, va chercher le commissaire. Qu’il vienne prendre leur température ! Mais toi, je t’interdis bien de fourrer les pieds chez moi.
— Tu le veux ! Bon, je vais de ce pas porter plainte.
— Laisse tomber, gémit Rose, insistante.
Que faire d’autre ? Devant Aline, encore provocante, mais déjà blanche à l’idée d’être prise au mot, Louis démarre en trombe et fonce vers le commissariat.
Mais dix minutes plus tard il va en ressortir à grandes enjambées, Rose en flanc-garde. Aucune brise ne fait flotter le drapeau sale, qui pendouille au-dessus d’un factionnaire ennuyé. Aucun zèle n’excitait le sous-fifre chargé de la permanence :
— Aujourd’hui, vous savez…
Et trop d’explications l’ont plutôt fait douter de son devoir :
— Vous dites : deux malades, une présente. Je crois que mademoiselle a raison. Pour une enfant qui manque…
Mademoiselle, c’était Rose, lancinante, avec ses Laisse, papa, laisse donc qui n’arrêtaient pas. Le bonhomme approuvait et, le mégot en coin de bouche, lâchait de la fumée : Ces histoires de divorce ! S’il fallait intervenir chaque fois pour une visite contestée, nous n’aurions plus de jambes… Enfin, bousculé, maussade, il a étendu la main en grognant :
— Moi, je veux bien prendre votre déclaration sur la main-courante… Mais, pour prouver le refus, vous avez des témoins ?
— Toute la rue, a dit Louis.
— Une rue, ce n’est pas un nom, a rétorqué ce précis fonctionnaire. Vous avez votre livret ? Vous avez l’extrait du jugement qui vous donne droit à prendre vos enfants ?
Louis s’est battu les flancs. Le livret ? C’est Aline qui l’a gardé. L’extrait du jugement ? Un texte de trois pages, sur papier fort, format 21/27, qui pense à se balader avec ça, plié en quatre dans son portefeuille ?
— Désolé ! a conclu le sous-fifre, assez compatissant pour ajouter : À votre place je ferais faire une sommation par huissier. Mais, le dimanche, les études sont fermées.
Voilà donc Louis qui bat en retraite, ulcéré, farouche. Il retrouve sa voiture à trente mètres et part d’un méchant éclat de rire. Il était garé du mauvais côté et un flic de passage, un jour de Pâques, a trouvé moyen de lui glisser une contravention sous son essuie-glace. Mais les petits ennuis guérissent parfois les grands et surtout Rose vient de lui sauter au cou. Louis s’avise qu’elle est fraîche et douce et déjà belle, sa fille, qu’elle sent bon, qu’elle est heureuse d’avoir son père pour elle toute seule. Si elle a tort de ressembler à sa mère, ce qu’elle ressuscite vient d’une Aline lointaine, inoffensive, devenue mythique aux confins du souvenir. Et de cette enfant-là en deux baisers, deux phrases, la même petite bouche mêle tendresse et sagesse :
— Ce n’est pas drôle pour nous, non plus, dit-elle. On dirait que maman veut oublier qu’elle nous a eus avec toi. Et pourtant…
Elle n’a pas quinze ans d’âge, Rose, mais vingt ans de raison. Toute jeune, elle était déjà ainsi, passionnée, exclusive, pleine de jugeote et précocement douée pour le trait. Et pourtant… Louis, qui s’engage un peu vite dans l’avenue de Paris, n’a pas pipé. De quiconque, sauf de Rose, il refuserait ce rappel, par délicatesse resté sous-entendu : Et pourtant vous vous êtes aimés… Deux poumons pour un souffle, deux parents pour la vie. Si ma mère, si mon père ne sont que les débris d’un couple dispersé, qu’au moins l’amour soit responsable de ma naissance ! Sinon je manquerais d’air… Pour Rose il ne faudra jamais toucher à ça. Pour les autres non plus. Quelle différence après tout entre le choix de Rose, fille d’un père qui la fit à sa mère, et celui d’Agathe, fille d’une mère à qui la fit son père ? À la dilection près, n’est-ce pas la même chose ? Ceux dont la ville natale a été rasée par la guerre, ceux dont l’acte de naissance présente deux lignes blanches, ils auront toujours l’impression d’être tronqués, de chercher leur commencement. Mais ceux qui l’ont connu et perdu ne seront pas les moins atteints ; ils crient à bouche fermée : Ce dont nous sommes nés n’existe plus et voilà que nous existons moins.
Louis remonte l’avenue du Trône. Il s’en veut. Il s’est laissé aller. Le genre digne et froid, devant Aline, il aurait dû le conserver. Qu’elle soit enfin pleinement dans son tort, rien de plus soulageant. Mais quoi ? Rose — c’est très défendu — vient de poser une main sur celle qui tient le volant. Elle dit :
— Si grand-père et grand-mère s’étaient séparés quand tu étais jeune, tu te rendrais mieux compte.
— Hein ! fait Louis.
Déjà son étonnement l’étonne. Si toute comparaison se fait avec notre enfance, il est bien vrai que l’idée lui paraît saugrenue. Ridicule. Mais ridicule pour qui ? Mère à droite, père à gauche et lui-même au milieu, blotti, par grâce, pour cinq minutes, dans la double chaleur du grand lit d’acajou : c’est son plus vieux souvenir ; et ce souvenir-là il participe du sacré, comme si le drap brodé de grandes initiales à entrelacs était la nappe d’autel d’un dieu lare en trois personnes. Mais si ça se trouve… Oui, c’est exactement ce dont se souvient Rose.
Un œil sur la télé roulante tirée près du canapé, l’autre sur le cours de Monge et Guinchan, Léon recroquevillé dans sa robe de chambre soignait son angine. À son coupé, un match se suit très bien quand on connaît les joueurs aussi bien que le commentateur. Du reste, après un grog bien tassé et un certain nombre de cachets divers, tout se brouillait dans une douce euphorie et Léon en prenait son parti : des couacs de l’amateur de flûte en train de s’exercer au sous-sol comme de la désertion générale. Le chat, Guy, Léon, c’était tout ce qui restait dans la maison.
La veille à pareille heure ils étaient bien vingt à rayer le parquet en cadence : Agathe menant le train et Léon, exempté de trémousse, requis près de l’électrophone. L’oncle Henri, sous prétexte de faire tourner les tantes, leur écrasait les pieds. Lorgnant le buffet, les cadeaux, les accessoires de cotillon, Gabriel faisait des calculs, disait trop haut :
— Ce n’est pas sérieux, Aline, la surenchère ne retient personne.
Lui parti, la fête s’était prolongée tard dans la nuit, malgré la fatigue de la mère qui se secouait, qui se frottait les yeux, qui avait grande envie de dormir et de montrer à ses chéris à quel point lui serait toujours léger le sacrifice de son sommeil et de son argent.
— But ! À la trente-deuxième minute, but pour le SCO ! hurla le commentateur.
La défense enfoncée, devant l’imminence du point, Léon, spécialiste de la chose, venait de rendre le son en tournant le bouton avec son pied nu. De mâle joie rempli, les bras en V, le buteur victorieux revenait vers son camp, se laissait assaillir par les bises des coéquipiers. Des genoux de Léon les sieurs Monge et Guinchan, abandonnés à la page 67, glissèrent sur le tapis. Ce matin, elle aussi, Rose était revenue vers son camp, porteuse d’un message qu’elle avait commencé à lire : À la demande de Rose, je n’ai pas porté plainte. Mais je le ferai dans une heure si elle ne me ramène pas les valides… Quant aux malades, ils rejoindront aussitôt guéris…
— Merci, ma Rose, je n’en attendais pas moins de toi !
D’une main preste subtilisant le billet, la mère s’était épargné la lecture de la suite ainsi que tout commentaire :
— C’est bon ! Filez, les filles !… Non, pas toi, Guy. Je ne prends pas le risque de te laisser sortir.
Évidemment elle ne pouvait pas se dédire et Guy, bien content de rester la veille pour la fête, ravi à l’idée de remettre ça rue Vaneau, était allé s’enfermer dans sa chambre. La flûte, torture acoustique, acharnée sur le Roi de Thulé que pour une raison indéterminée sa mère détestait entendre, exprimait sa fureur. Inutile, d’ailleurs : il ignorait qu’entre-temps Gabriel était passé, insistant :
— Aline, j’ai quelques amis chez moi, à midi. Les Dumont notamment. Tu viens déjeuner avec nous… Si, si, tu dois t’aérer un peu. Tu peux bien laisser tes garçons seuls jusqu’à ce soir. Avec les restes d’hier ils ont de quoi s’étouffer.
Et elle était partie, camouflant mal sa satisfaction, disant d’une voix forcée :
— Après tout c’est vrai, je suis libre. Je vais refaire un peu la fille… Léon, tu surveilleras le petit.
Nouvelle clameur dans le poste : un second but venait d’être marqué… Que la mère eût jadis fait la fille, qu’elle en parlât, même par boutade, qu’elle pût — elle qui recevait peu et sortait moins encore — aller manger quelque part sur une nappe qui ne ferait pas partie de son linge sale, Léon n’appréciait pas. Mais il comprenait bien : parmi les amis, ceux qui restaient capables d’inviter ou de se pointer à la maison devenaient rares ; l’exception méritait d’être encouragée. La clameur se prolongeait, se terminait bizarrement par un bruit métallique. Il aurait fallu ramasser Monge et Guinchan. Le bac approchait. Mais ce bruit métallique, joint au renoncement de la flûte… Sapristi ! Le temps d’écarter le voilage, et déjà, le fichu môme galopait au bout de la rue.
Pieds nus, déshabillé, incapable d’exposer sa gorge piquée de blanc, que pouvait-il faire, Léon ? Et s’il ne faisait rien, qu’allait-on penser ? Du côté de la rue Vaneau, le fuyard une fois reçu, cajolé, examiné, fuserait le reproche : Mais ce petit n’avait rien, Léon, et tu le savais ! De l’autre côté, on ne serait pas moins aigre : Je comptais sur toi et tu le laisses partir. Ma parole tu l’as fait exprès ! Deux fois réputé complice, quand on ne l’est de personne, non et non ! Heureusement douze stations en ligne 1, le changement à Concorde et quatre autres arrêts avant Sèvres-Babylone laissaient le temps de réfléchir et de téléphoner. Afin que rue Vaneau chacun sût son regret de n’avoir pu accompagner les filles, il aurait dû déjà donner un coup de fil.
Nerveux, Léon composa le numéro, se trompa, recommença. À supposer que tout le monde fût sorti, là-bas, que ferait le petit ? Avait-il pensé qu’en ne protestant pas la veille pour se sauver le lendemain il était lui-même fautif ? Allait-il prétendre qu’on l’avait bouclé ? Joli débat, qui en laissait prévoir d’autres : on serait souvent, comme ça, coupés en deux.
— Allô, papa ?
Encore une chance de tomber sur lui. Léon toussa, trois ou quatre fois, se découvrit une pauvre voix :
— Allô, papa ?… Je voulais te prévenir : ne sortez pas. Maman est absente et Guy en a profité pour filer.
À l’autre bout du fil on répondait par une question qui trouva bonne réponse :
— Pourquoi veux-tu que je l’en empêche ? Il n’avait pas grand-chose et de toute façon c’est fini. À bientôt !
Personne n’était trahi. Gardé à droite, il ne restait plus qu’à se garder à gauche. Léon se mit à feuilleter le mémento téléphonique du clan, hésita entre les deux numéros de Gabriel, le privé et le professionnel, élimina le PROvence qui avait toutes les chances d’être bancaire, au bénéfice de VAUgirardet tomba pile sur son parrain :
— C’est Léon ! Puis-je avoir maman ?
Elle accourut dans les dix secondes et, comme prévu, avant toute explication, se déclencha aussitôt le gloussement d’inquiétude : Qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne va pas ? Dis-moi vite.
— Rien de grave, dit Léon. Je me suis assoupi et en me réveillant je me suis aperçu que Guy s’était sauvé… Tu devines où.
On s’affola. On gémit : Mon Dieu ! Ton père va prétendre que Guy n’avait rien, que je le séquestrais. Mais Léon, abandonnant la voix de fausset, s’en recomposait une grave :
— Veux-tu que j’essaie d’arranger les choses ? Je vais dire à papa que finalement je l’ai laissé se trotter parce qu’il allait mieux.
Il raccrocha, bon fils, bon frère, deux fois félicité.
même moment
Revenue dans la salle à manger où les convives, à trois heures passées, en étaient encore au café, Aline, qui avait refusé de la fine, saisit au passage le verre de Gabriel et l’avala d’un trait. L’appareil se trouvant à côté de la porte, chacun avait pu entendre et comprendre. Mais sauf Gabriel, dont le regard interrogateur ne reçut pas de réponse, personne ne demanda rien. Depuis longtemps Aline connaissait la consigne : un prévenant silence ! Les frasques de Louis, ses amis les avaient connues bien avant elle et sûrement commentées, dégustées, comme ils en dégustaient d’autres, avec les liqueurs. Ils avaient sans doute parié : Divorcera, divorcera pas. Mais parmi ces trois ménages quadragénaires, les Dumont, les Bringuet, les Touloux, pas un mari et, chose plus grave, pas une de ces femmes, aussi exposées qu’elle, ne l’avait jamais mise en garde. Tout au plus, voilà une douzaine d’années, entre la naissance de Rose et celle de Guy, alors que leur père manifestait déjà pour sa femme un intérêt à éclipses, celui d’Albert Bringuet s’était-il un moment manifesté. Sans succès. Car enfin le petit jeune homme affamé ne manquant pas, les bajoues de Bringuet n’étaient guère tentantes ; et le plus cocasse c’était bien qu’une fois, une seule fois, Aline ait failli se laisser aller, que pour trois ou quatre baisers échangés au fond d’un taxi avec un étudiant pressé, pour une promesse de rendez-vous pas tenue, elle s’en soit voulu comme d’une trahison ! Louis ne méritait pas tant de scrupules.
Retournée à sa place, assise en équerre, Aline ne bougeait plus. Propos décousus, ronds de fumée, tintements de verre, autour d’elle c’était la confusion habituelle : rien qui pût retenir l’attention. Et pourtant elle avait envie de mettre les pieds dans le plat, d’écraser. Parmi ces trois couples, qui aimait qui ? Qui trompait qui ? Dumont couchait avec sa secrétaire, c’était connu. Mais Touloux, Bringuet et les deux autres bonshommes non mariés, invités pour assurer le panache, et Gabriel lui-même, veuf très veuf, mais fondé de pouvoir entouré de jolies dactylos au Crédit lyonnais, combien de mensonges proféraient-ils par jour ? On sait ce qui passe d’eau, de gaz, d’électricité dans une maison. On sait ce que débite un distributeur de bonbons. Chaque fois que les hommes font l’amour, ça devrait s’enregistrer sur un compteur. On n’aurait qu’à relever. On saurait à quoi s’en tenir. Mais voilà qu’à la droite d’Aline on demandait :
— Vous n’avez pas revu Gertrude, votre collègue ?
— Non, dit Laura Touloux, la postière. Elle s’est fait nommer à Brest. Mais j’ai rencontré son mari : il n’a pas l’air de lui en vouloir.
Qu’il y eût des femmes pour laisser des hommes sur le sable, c’était réconfortant. Pourtant Aline ne put s’empêcher d’intervenir :
— Il est bien bon, dit-elle. Louis m’a quittée et je vous jure que je ne suis pas près de l’en tenir quitte.
Qu’est-ce qu’ils avaient tous à baisser les yeux ? Il y a deux sortes d’abandonnées : celles qui pardonnent et qu’on répute connes ; celles qui tracassent et qu’on répute garces. Pour le respect de soi mieux valait faire partie du second lot.
— Vous voilà délivrée, tout de même ! fit Laura.
— Délivrée, je veux bien, reprit Aline. Mais soyons franches : je n’ai plus aucune chance de me recaser. Les restes des messieurs qui pourraient s’accommoder des miens ne me séduisent pas. Je n’ai aucun métier, aucun moyen de vivre en dehors d’une pension qui est, somme toute, une forme de la mendicité. Il n’y a pas de quoi pavoiser.
Pour les présentes, aussi fragiles, la conversation aurait dû devenir insoutenable. Mais non ! Un accident d’auto, un abandon, ça n’arrive qu’aux autres et puisque l’éclopée elle-même parlait de son mal, la politesse n’avait plus à fermer la bouche de personne. Et allez donc ! En trois minutes ces gens mariés faisaient le tour de la question : tous généreux, libéraux, ouverts, je ne vous dis que ça, mais glosant pour la gloire sans en croire un seul mot. Un des célibataires, Samuel, laissait tomber le droit au bonheur sur le tapis. Annie Dumont, sûre du sien, l’approuvait, regardant Aline avec sympathie, ne croyant pas pour autant que ceci comportât le droit au malheur du conjoint recalé, puisqu’il redevient libre. Libre, n’est-ce pas ? O sainte liberté ! Vénus un peu Janus redevenant Junon à volonté ! L’autre célibataire, Marc, inquiétait davantage, insinuant qu’après tout le divorce n’existerait pas si le mariage lui-même, concubinage légal, si la famille, cellule provisoire des sociétés bourgeoises… Gabriel lui-même s’en mêlait, prenait feu, se lançait dans une défense passionnée de la famille, disant que la fonction sexuelle peut être aisément séparée de la reproductrice, mais non de l’éducative ; que la nécessité d’un territoire, commune à tous les êtres vivants, fonde la propriété et en même temps le socialisme, cet espace vital ne pouvant empiéter sur celui d’autrui ; que de même la famille est fondée sur le temps vital nécessaire à l’élevage des enfants ; que loin de se raccourcir il s’allonge ; qu’au moment où les spécialistes soulignent l’importance des relations d’identification, d’opposition, d’équilibre entre le couple parental et ses enfants, il paraît suicidaire d’attaquer un système naturel pour la seule raison qu’il est pratiqué en système bourgeois. Et la respiration, mesdames, est-elle bourgeoise ?… Toutes choses vraies, mais abstraites et soudain ridicules comme des condoléances. Aline n’écoutait plus. Elle n’était plus de ce monde des ménages, rassurés par l’expression même de leur précarité à quoi, tant qu’ils existent, ils font belle exception.
— À propos, vous savez que la petite Denoux se marie ?
De noir en blanc. De cendre en flamme. Repartez donc en sens inverse. Aline s’absorba tout à fait. Il faudrait surveiller Guy de plus près. Il faudrait sans doute le punir. Mais comment ? Il faudrait le gâter. Mais comment ? Il faudrait enfin se mieux défendre. Emma ne lui avait-elle pas parlé d’un club de femmes séparées, les Agars ? Lheureux était vraiment trop mou. Presque autant que le père qui, à Chazé, avait osé dire : Au partage, réclame ton dû. Mais rien de plus. Par courtoisie Aline se contint encore dix minutes, puis se leva, arguant de ses malades.
— La pauvre ! dit Laura Touloux après son départ. Elle se détériore.