… fils imprudent du bouc et de la léoparde…
Mais si, je suis heureux! Evidemment, je suis heureux! Comment peux-tu me soupçonner de mégoter sur notre bonheur? Tu as vu le visage de ta mère? L'as-tu vu le visage de Julie, penché sur le ventre de Gervaise? Quel genre de monstre faudrait-il que je sois pour ne pas me réjouir de cette joie? Et la bouille de Gervaise, ton autre mère… Sais-tu ce qu'elle m'a dit, Gervaise, en m'apprenant que tu étais revenu par sa fenêtre? Que tout son calme vient de ce qu'elle te porte comme le vieux Thian l'a portée elle-même, ni plus ni moins. La question du vrai père était très secondaire pour Thian. Ce genre de curiosité n'était pas dans son tempérament: il était le kangourou de service, point final. (Et c'est heureux, parce que avec le commerce de la grande Janine, il lui aurait fallu cuisiner toute la rade de Toulon pour remonter à la source de Gervaise.) En te promenant depuis des mois, Gervaise renoue avec sa tradition familiale. Elle te trimballe comme Thian a trimballé Verdun et elle s'en fait un bonheur suffisant. Porter dedans, porter dehors, c'est tout comme, pour elle. De ce point de vue, elle ressemble à Julie: pas le genre de kangourou à faire un opéra de sa maternité. Comment veux-tu que je ne sois pas heureux? Et fier, même! Faire en un seul coup le bonheur de deux femmes, n'est-ce pas un légitime sujet de fierté pour tout bouc qui se respecte?
…
Je noie le poisson?
Comment ça, je noie le poisson?
…
Je ne noie pas le poisson! En évoquant le bonheur des femmes, je contourne mes légitimes inquiétudes de père, nuance! Parce que le bonheur, le bonheur, il n'y a pas que le bonheur dans la vie, il y a la vie! Naître, c'est à la portée de tout le monde! Même moi, je suis né! Mais il faut devenir, ensuite! devenir! grandir, croître, pousser, grossir (sans enfler), muer (sans muter), mûrir (sans blettir), évoluer (en évaluant), s'abonnir (sans s'abêtir), durer (sans végéter), vieillir (sans trop rajeunir) et mourir sans râler, pour finir… un gigantesque programme, une vigilance de chaque instant… c'est que l'âge se révolte à tout âge contre l'âge, tu sais! Et s'il n'y avait que l'âge… mais il y a le contexte! Or, le contexte, mon pauvre petit…
«Père, quand vous serez passé par ce que j'ai vécu avant de naître, vous pourrez l'ouvrir.»
…
…
Qu'est-ce que tu dis?
…
…
«Père, quand vous serez passé par ce que j'ai vécu avant de naître, vous pourrez l'ouvrir.»
…
…
C'est bien ce que je craignais. Oh! oui, je les devine tes procès à venir, je l'entends déjà ta collection de menus reproches filiaux: «Tant que vous y êtes, dites-moi toute la vérité, mon petit papa: sous couvert de lucidité planétaire, vous n'étiez pas ravi de me voir agrandir le cercle de famille, je me trompe?…»
Avec la complicité de tes oncles, évidemment.
JÉRÉMY: Faut admettre, Ben, t'étais pas chaud, chaud…
LE PETIT: C'est la vérité…
THÉRÈSE: Un pareil état d'esprit chez le père, je ne sais pas jusqu'à quel point c'est bon pour le «mental» de l'enfant…
CLARA: Arrêtez de taquiner Benjamin…
TOI: Tante Thérèse a raison, papa, mes parois néocorticales sont encore tout imprégnées de vos premiers conseils: «Et toi, petit con, penses-tu vraiment que ce soit le monde, la famille, l'époque où te poser? Pas encore là et déjà de mauvaises fréquentations, c'est ça?»
JÉRÉMY: Il cite, Ben, il ne fait que te citer.
THÉRÈSE: Charmante façon de lui présenter notre famille…
TOI: Il me semble même vous avoir entendus ajouter: «Alors, fils imprudent du bouc et de la léoparde, si l'envie te prenait de décrocher avant l'atterrissage, je ne pourrais vraiment pas t'en vouloir.» C'est bien ce que vous m'avez conseillé, n'est-ce pas?
LE PETIT: C'est vrai? Tu lui as conseillé ça, Ben?
— Ce n'était pas un conseil, c'était à peine une autorisation…
TOI: Qui n'a pas simplifié mon existence embryonnaire.
THÉRÈSE: Evidemment!
JÉRÉMY: Pauvre gosse…
TOI (me citant): «Laisse-nous seuls, retourne à la béatitude des limbes… »
JÉRÉMY: C'est beaucoup plus qu'une autorisation, Ben…
THÉRÈSE: En tout cas, il y a mieux comme accueil.
TOI (me citant): «Reprends tes ailes et remonte, il n'y aura personne pour t'en vouloir… »
THÉRÈSE: Ce qui signifie qu'il n'y a pas grand monde pour t'espérer…
LE PETIT: C'est dégueulasse! Même Julius trouve ça dégueulasse!
— Mais je n'ai pas dit que ça! C'est très contradictoire un futur père, tout chamboulé! Vous verrez quand ce sera votre tour! Ça pense tout et son contraire! Mon désespoir quand nous avons reçu la fausse lettre de Matthias, par exemple, il compte pour du beurre?
TOI: Parlons-en! Vous avez couru comme un dératé en vous accusant de tous les péchés du monde pendant les cinq cents premiers mètres et vous m'avez fait porter le chapeau à l'arrivée.
— Moi? Moi, je t'ai fait porter le chapeau?
— Pour la douleur de maman, parfaitement. Je vous entends encore, à sept mois de distance! «Mais reviens, putain de ta race! Ça ne te plume pas les ailes, une douleur pareille? Quel genre d'ange es-tu, bordel de merde!»
JÉRÉMY: Après lui avoir dit et répété de remonter au ciel? Tu voulais le rendre dingue, ou quoi?
THÉRÈSE: Non, il voulait juste le culpabiliser, comme tout père qui se respecte. A mon avis, il faudra prévoir un suivi psychologique…
LE PETIT: On va l'aimer, nous. T'inquiète, nous, on va t'aimer! Hein, Julius, qu'on va l'aimer?
CLARA: A table! Le dîner est prêt, et fichez donc la paix à Benjamin!
Nous étions deux, maintenant, à parler seuls dans la maison. Maman dialoguait avec un retraité de la vie, et moi avec un postulant. Si nous avions pu vous mettre en relation, Pastor et toi, vous auriez échangé quelques tuyaux utiles, mais l'éternité est ainsi faite que les morts et les zanaître ne se causent pas. Ils communiquent par les prières des vivants. Le chagrin creusé par ceux qui partent fait le nid de ceux qui arrivent dans le cœur de ceux qui espèrent. Il y a lurette que le manège aurait cessé de tourner, sinon.
Bon. Mettons que tu sois le suppléant de Pastor dans l'équipe Malaussène. Tu attendais ton tour sur le banc de touche et voilà que le divin arbitre siffle la permutation. A Pastor de sortir, à toi d'entrer. On ne peut tout de même pas me reprocher de t'expliquer les règles du jeu à un moment pareil! Tu n'imagines pas comme elles sont tordues, les règles! A se demander, parfois, s'il y en a. On croit bien faire, on suit le parcours fléché, et, sans savoir pourquoi ni comment, on se retrouve accusé de toutes les vilenies du monde.
Un exemple?
Tu veux un exemple?
Pas le mien?
Un autre, alors?
Va pour un autre exemple que le mien.
Ronald de Florentis est le plus ancien copain du vieux Job. Il n'est absolument pour rien dans son assassinat ni dans le vol de son film. Il s'est fait enfler par le Roi des Morts-Vivants qui lui a présenté un contrat de vente en bonne et due forme. C'est un type solide, un roc à tête de lion, armé dès le berceau pour se tailler un empire dans la jungle pelliculaire. Producteur-distributeur, semeur d'images, c'était sa partition. Il a bien dû marcher sur quelques têtes pour s'asseoir au sommet de sa pyramide, mais c'est la loi du genre, et dans l'ensemble la profession le juge honnête. Ronald a fait un gros chagrin en apprenant l'assassinat de son ami Job et un plus gros encore en découvrant que ce vieux frère lui avait caché l'obsession de toute une vie: le tournage du Film Unique. Mais il s'en est consolé en mesurant le succès du film. Sincèrement heureux du génie de Job et de sa célébration posthume. Tout content de voir les Césars, les Zoscars, les Dellucs, les Zours de Berlin et autres Lions de Venise (la ménagerie des zhonneurs cinématographiques) se poser avec des Palmes d'or sur la tombe de ce pauvre Job. Un ami, je te dis; de ceux qui se réjouissent de notre bonheur, les seuls vrais. Or, c'est cet ami-là que le commissaire divisionnaire Legendre est venu cravater en l'accusant d'avoir commandité l'élimination du vieux Job, le vol du Film Unique et son exploitation. Le commissaire divisionnaire Legendre, avec son fichu besoin de cohérence, ne s'est posé qu'une seule question: à qui profite le crime, puisque ce n'est pas à Malaussène? Réponse: au producteur Florentis, évidemment. L'exploitation de ce film représente une pluie de dividendes, le couronnement d'une carrière, une considération internationale… clarté du mobile!
Il a fallu que Coudrier aille de nouveau tirer les oreilles de son incorrigible gendre pour lui faire lâcher prise.
Libéré, Ronald n'est plus le même lion. C'est qu'il a appris une chose affreuse au cours de ces interrogatoires: Le vieux Job ne destinait pas le Film Unique à l'exploitation publique; il la réservait à un tout petit nombre d'élus. Ronald, qui ignorait ce détail, s'est donc retrouvé dans la peau du traître malgré lui. Complice, qu'il le veuille ou non. Et aucun recours à la confession publique. Les ministres de l'Intérieur et de la Culture lui ont fait savoir que cette regrettable arnaque relève désormais du secret d'Etat — du secret de plusieurs Etats! Pas question d'aller faire savoir à des millions d'admirateurs que le Film Unique du vieux Job, ce monument élevé à la mémoire du siècle, est le produit d'une affaire hautement crapuleuse. «On ne désespère pas la planète pour soulager une conscience, monsieur de Florentis! Même au nom de la Transparence! La profession ne vous suivrait pas. Et nous démentirions avec la dernière vigueur.»
En d'autres termes: un internement arbitraire est vite arrivé.
La crinière du lion s'en est éteinte. Une canne lui a poussé. Il compte ses pas. Pour la première fois, il lit clairement le mot fin sur son écran personnel.
Et ce n'est pas tout.
Tu verras, dans le domaine du pire, ce n'est jamais tout.
Il en reste toujours un morceau.
Le fond de la poêle.
Du gratiné.
Désireux de se racheter, Ronald est venu trouver Suzanne et Julie. Objet de cette visite: sauver le Zèbre. En faire comme prévu la cinémathèque du vieux Job, le temple du cinématographe, comme disait Matthias, une fondation ad vitam aeternam. L'argent? Le sien. C'est que Ronald a décidé de mettre ses affaires au clair avant de plier bagage, vendre sa collection de tableaux pour que ses héritiers ne se partagent pas les toiles avec leurs dents, et destiner à Suzanne la part nécessaire à la Fondation Job Bernardin. Nous voici donc dans les salons du Grand Hôtel Machin, à écouter le marteau d'un commissaire-priseur scander la valse des millions. Nous, c'est-à-dire Julie, Suzanne, Jérémy (qui croit devoir se documenter sur tout depuis que Zabo l'a sacré romancier), Clara et moi. Comme ton arrivée est prévue pour les jours qui viennent, Gervaise et le professeur Berthold sont occupés à vérifier une dernière fois ton paquetage. Ils nous ont ordonné, à ta mère et à moi, d'aller faire les cent pas ailleurs. On dépose donc Gervaise à l'hosto, dans la 4-CV jaune de ta julienne maman, pour aller assister en famille à l'éparpillement des Vlaminck, des Valadon, des Seurat, des Picasso, des Braque et autres Soutine, Jim Dine, Laclavetine, de l'éclectique collection Florentis, sous l'œil écarquillé du Tout-Paris et dans le crépitement des calculettes du Tout-Tokyo. Une somme rondelette, au total.
— Que mes héritiers investiront dans la bêtise, j'ai une immense confiance en eux, grommelle le vieux Ronald, assis entre Julie et Suzanne.
Les chefs-d'œuvre, exposés et filmés, apparaissent sur un écran, au rythme des enchères, et leur évanouissement, quand le dernier coup de maillet les retire du chevalet, produit une curieuse impression: exactement comme s'ils changeaient d'univers. Mine de rien, c'est la vie de Ronald qui s'en va.
Lequel Ronald se penche sur l'épaule de Suzanne:
— La vente qui suit vous intéresse directement, Suzanne, elle donnera largement de quoi faire tourner votre cinémathèque.
Ce que confirme le commissaire-priseur en annonçant une collection «à sa connaissance unique au monde» mise à prix à une altitude appréciable. Cela se présente sous la forme d'un inoctavo à couverture de vieille peau qu'on installe sur un lutrin placé sous l'œil de la caméra. Jumelles braquées, souffle suspendu, sucepince haletant…
— Chouette, la mise en scène, murmure Jérémy.
Un manipulateur à gants blancs ouvre enfin le livre. C'est un vieux parchemin, apparemment, que Ronald aura déniché dans quelque médiévalerie.
— Regardez bien.
— Qu'est-ce que c'est? demande Julie.
La réponse explose sur l'écran, en même temps que la voix du commissaire-priseur: une sorte de moine devant son écritoire, la main sur la poitrine, lève au ciel un regard à la fois ferme et suppliant qui lui donne une expression composite de puissance et d'humilité.
— Le Saint Augustin de Botticelli, annonce la voix du commissaire-priseur, détail de la fresque d'Ognissanti, à Florence.
Et, comme Julie bondit en étouffant une exclamation, la voix du commissaire-priseur continue:
— Il ne s'agit ni d'une reproduction ni d'une esquisse du maître florentin, comme pourrait le laisser croire l'extraordinaire fidélité des couleurs, mais d'un tatouage réalisé sur peau de femme.
Exclamation de la foule. Julie pétrifiée, parvenant à peine à murmurer:
— Ronald, où vous êtes-vous procuré ça?
— Oh! c'est une longue histoire…
Que le vieux Ronald n'a pas le loisir de nous raconter car une voix qu'il connaît trop bien murmure à son oreille:
— Je vous arrête, monsieur de Florentis.
Le commissaire divisionnaire Legendre et deux inspecteurs encostardés sont debout derrière nous. Les inspecteurs saisissent discrètement le vieil homme par les coudes.
— Je vous arrête pour complicité d'assassinat sur la personne des jeunes femmes dont les tatouages figurent dans ce volume.
Et, pendant que les flicards entraînent de Florentis vers la sortie, le commissaire divisionnaire Legendre m'adresse un aimable au revoir.
— Je ne suis pas surpris de vous trouver ici, monsieur Malaussène, et j'espère vous revoir très bientôt.
Là-bas, le bonimenteur de luxe qui n'a rien vu ni entendu continue son topo:
— Cette collection de tatouages couvre plusieurs corps de métier. Vous y trouverez des tatouages de compagnons boulangers, datant du XIXe siècle, ou de maîtres verriers, plus anciens, voire même de péripatéticiennes, comme en attestent six pièces reproduisant les œuvres les plus célèbres du Quattrocento ou de l'école flamande, dont cet extraordinaire Saint Augustin.
Il s'étendrait volontiers sur le sujet, mais Legendre vient lui faire savoir qu'on ferme la boutique et qu'il emporte le précieux volume comme pièce à conviction.
Alors, qu'est-ce que tu dis d'une malchance pareille? Parce que Ronald de Florentis n'est pas plus coupable dans cette affaire de tatouages qu'il ne l'était de l'assassinat de Job. C'est bien ton avis, j'espère? Sinon, comment expliquer qu'un tueur en série vende aux enchères des tatouages prélevés sur ses victimes?
C'est à ce moment précis de notre débat intime, comme nous allons récupérer Gervaise à l'hôpital Saint-Louis, que ta mère interrompt notre conversation secrète en me demandant:
— Qu'est-ce que tu dis?
Je regarde Julie. Sa 4-CV est une toute petite auto qu'elle conduit avec majesté, comme un transatlantique, ce qui donne aux passants l'impression de voir glisser une Rolls-Royce. Julie répète:
— Qu'est-ce que tu disais, Benjamin? Tu parlais tout seul?
J'étais dans ta profondeur, elle me rappelle à sa somptueuse surface.
— Non, je disais que Ronald n'y est évidemment pour rien.
— Pourquoi évidemment?
— La fille au tailleur rose qui a essayé de me mouiller aura changé de bouc en l'accusant lui, c'est tout.
— Il a bien fallu qu'il les achète à quelqu'un, ces tatouages.
— Pas à Sainclair. A quelqu'un d'autre, peut-être.
Oui, Ronald de Florentis est probablement l'extrémité candide d'une longue chaîne de culpabilités décroissantes.
— Drôle de commerce, tout de même… marmonne Julie.
Opinion partagée par Suzanne, qui glisse sa tête entre nos deux sièges.
— C'est vrai, je me vois mal financer une cinémathèque sur un trafic de peau humaine. Le cinéma a beaucoup de défauts, mais ce n'est tout de même pas une industrie anthropophage. Jusqu'ici, il ne dévorait que les âmes. Encore faut-il croire aux âmes…
Et Suzanne de nous annoncer, comme ça, sans sommation, qu'elle lâche ce projet de cinémathèque, qu'elle retourne enseigner le grec et le latin dans son Poitou natal; elle part ce soir même, et définitivement.
— Je vous enverrai mon adresse. Vous viendrez voir de beaux films à la maison.
— Vous abandonnez le Zèbre?
Elle nous offre une dernière fois son rire de campanile.
— Je n'ai jamais eu la fibre militante et le Zèbre est très bien défendu par les comités de quartier. Vous me déposez à Colonel-Fabien, avant de passer à l'hôpital? Je ferai le reste à pied.
Suzanne descend bel et bien place du Colonel-Fabien, contourne la voiture, se penche à la fenêtre de Julie, et nous sort en guise d'adieu une petite phrase dont elle n'a pas dû abuser dans sa vie:
— Je vous ai beaucoup aimés, tous les deux, beaucoup. Continuez.
Un dernier éclat de ses yeux d'Irlandaise, un petit geste de la main, et elle s'éloigne d'un pas si ferme qu'on la jurerait en marche pour le Poitou. Va savoir pourquoi, je dis:
— Tu savais que cette latiniste est ceinture noire de judo?
— Et que cette reine des cinéphiles est championne de tennis, oui, le savais, répond Julie en embrayant.
La première personne sur qui nous tombons dans le hall de l'hôpital Saint-Louis est le professeur Berthold, suivi de son éternel troupeau de blouses blanches. Il nous accueille comme seul Berthold sait accueillir. Il nous désigne à sa nichée de canetons savants en gueulant à travers le grand hall:
— Je vous présente le couple Malaussène, bande de nains! A eux seuls ils contribuent puissamment aux progrès de la médecine. Vous croyez voir un petit ménage comme les autres — un peu plus réussi que la moyenne côté femelle, peut-être — eh bien, vous vous gourez, comme d'habitude! C'est tout un département de recherche expérimentale qui s'avance vers vous! Regardez-les, bande de nains, et rendez grâce, vous leur devez tout, vous qui êtes supposés incarner la médecine de demain!
Et, à nous:
— Vous avez oublié quelque chose? Le petit est né sur vos genoux? C'est qu'il est en pleine forme, le saloupiot, il ne demande qu'à sauter dans l'arène!
— Où est Gervaise?
Au ton de Julie, Berthold s'aperçoit que quelque chose cloche:
— Gervaise? Partie avec vous il y a environ trois quarts d'heure.
— Comment ça, partie avec nous? On arrive! dis-je, en utilisant les derniers mots que la terreur laisse à ma disposition.
— Vous arrivez, vous arrivez, s'obstine Berthold, vous l'avez appelée de la cafétéria il y a trois quarts d'heure et elle est descendue vous rejoindre!
— De la cafétéria? Qui a pris la communication? C'est vous?
— Non, c'est ma secrétaire. Gervaise était en train de se rhabiller et ma secrétaire lui a annoncé que M. Malaussène l'attendait à la cafétéria.
Nous fonçons chacun dans notre direction, Julie chez Gervaise et moi vers la maison. Comme toujours, je laisse ma terreur s'occuper de mes jambes, et mes jambes avalent Belleville, ses couleurs et son béton, ses façades mortes plus vivantes que les neuves, ses étalages de ferblanterie et ses devantures de fringues déchues… Comme c'est soir de marché, les épluchures volent sous mes pieds, et comme je n'ai que toi en tête je m'efforce de ne glisser sur rien, de ne pas te secouer, promesse redevenue si fragile, espoir si ténu qu'un pas de côté, une pensée de travers pourraient te décourager à jamais d'éclore, et je ne sais plus que penser, et je ne pense plus rien, je cours sans même prendre la peine de maudire cet abruti de Berthold, je cours sans oser me figurer vers quoi je cours, je cours vers une porte de quincaillerie derrière laquelle je voudrais voir Gervaise occupée à dorloter Verdun, je cours vers une image chère à Gervaise, oui, une vierge du Quattrocento, grosse d'un petit Malaussène et couverte des marmots alentour, je cours et j'ai couru si vite que la porte de la quincaillerie explose sous le choc.
En fait de vierge ronde, c'est une plate vestale qui m'accueille, et froide comme un décret.
Thérèse. Assise, seule, à la table de la salle à manger.
Et qui me tend un petit magnétophone noir.
— Ne t'affole pas comme ça, Benjamin, tout est expliqué là-dedans.
Bon. Une explication. C'est mieux que rien.
Thérèse ajoute:
— J'ai toujours pensé que ça devait finir comme ça.
Bien que cette situation soit manifestement inédite, j'ai la sensation pénible de l'avoir déjà vécue dans ses moindres détails — une sorte de vertige de la mémoire.
— Comment ça marche, ce truc?
— Tu appuies là.
J'appuie là.
Une petite bande se met à tourner, et j'entends l'explication.
Ce n'est pas la voix de Gervaise. C'est la voix de maman:
«Mes tout petits, maintenant que vous ne risquez plus rien… »
La perspicacité maternelle…
«... maintenant que vous ne risquez plus rien…»
Ça y est, je sais où et quand j'ai déjà vécu cette situation: ici même! L'année où maman nous a quittés pour Pastor.
A ceci près qu'à l'époque je n'écoutais pas une bande magnétique, je lisais une lettre, le cœur en miettes, persuadé qu'elle allait m'annoncer le départ de Julie avec l'inspecteur-tueur-de-charme. Mais non, c'était maman. Et aujourd'hui, alors que je brame après des nouvelles de Gervaise, c'est encore maman!
— Il est tombé amoureux d'elle quand il est venu déposer la première cassette, Benjamin, celle qui t'innocentait, l'enregistrement de la voix de Clément.
Je colle le petit magnéto à mon oreille.
— C'est ce que maman explique ici, oui, merci, je ne suis pas sourd!
Mais la voix de Thérèse s'obstine à doubler les explications de maman:
— Il s'est épris de sa transparence, Benjamin!
En effet, c'est, mot pour mot, la phrase idiote de notre mère:
«Barnabé s'est épris de ma transparence.» (Sic!)
— Il a été un grand soutien dans son deuil. Il a réussi là où nous avons tous échoué, il l'a guérie, Ben! C'est avec lui qu'elle parlait en cachette. Il lui avait donné une de ces petites machines…
«... grand soutien, dans mon deuil… »
Le fait est qu'il faut l'entendre au moins deux fois pour le croire. A peine ressuscitée, maman s'envole avec Barnabé! Après le Zèbre et les colonnes de Buren, Barnabooth a escamoté notre mère!
— Et elle ne l'a jamais vu, tu te rends compte! Elle ne sait même pas à quoi il ressemble! N'est-ce pas magnifique?
Thérèse… ô Thérèse… triste fleur bleue séchée sur pied… comme je t'aime et comme je me retiens de t'étrangler…
— Ils ont pour projet de reconstruire la maison du Vercors, d'en faire un temple de la transparence… une maison invisible… comme dans un conte de fées… Ce sera le chef-d'œuvre de Barnabooth!
Et si je l'étranglais, après tout?
J'en suis là de mes projets quand la porte s'ouvre sur un Jérémy tout beuglant:
— C'est vrai que maman s'est fait la malle avec le Barnabooth?
Je refile le petit magnéto à Jérémy et fonce décrocher le téléphone, là-haut, dans notre chambre.
Julius, qui s'est réveillé en sursaut à mon arrivée, s'assied sur son cul de chien et attend le résultat avec la même impatience que moi.
Occupé.
Le téléphone de Gervaise est occupé.
Bon signe.
Ce que Julius confirme en claquant des mâchoires.
La police ne tenant guère à la vie de ses fonctionnaires, j'ai décidé de rapter votre sainte. C'est une meilleure monnaie d'échange. Si vous voulez la revoir vivante, il faudra libérer ma menteuse dans les plus brefs délais. Au cas où vous douteriez de mes dires, descendez dans le hall et ouvrez la boîte aux lettres, vous y trouverez la preuve que sœur Gervaise est en ma compagnie.
Quand j'arrive chez Gervaise, Julie, Coudrier, les inspecteurs Titus et Silistri, le commissaire divisionnaire Legendre et deux techniciens écoutent le répondeur automatique pour la énième fois. La preuve découverte dans la boîte aux lettres gît devant eux. C'est la première phalange du petit doigt de Gervaise. Le petit doigt à la pulpe tatouée.
Il est emmailloté dans un message qui justifie le silence.
Dans deux jours, le bras suivra. Si le bras ne suffit pas, je vous enverrai le bébé. Je me sens des appétits de sage-femme, ces temps-ci.
Un petit mot que Sainclair a signé de son nom.
Elle lut de la tristesse dans le regard de l'inspecteur Titus quand il entra dans sa cellule, ce soir-là.
— C'est la dernière fois que je viens vous voir, Marie-Ange.
Il portait son panier d'osier, comme les fois précédentes. Elle aperçut le goulot doré d'une bouteille de champagne sur laquelle était jeté un torchon de sommelier.
— Caviar, dit-il.
Elle l'aida à dresser le couvert. Argenterie, limoges et deux coupes de cristal.
— Sottise, d'enfermer le champagne dans des flûtes. Le champagne est un vin d'espace.
Le patronyme, sur la boîte de caviar, convenait à Marie-Ange.
L'inspecteur Titus intercepta son regard.
— A chaque fois, je vois votre œil filer en biais pour vérifier sur les étiquettes si je ne me suis pas fichu de vous, dit-il doucement. Pour qui me prenez-vous? Les flics ne sont pas tous des fonctionnaires de police. Certains savent vivre…
Elle ne put retenir un sourire.
Il déboucha le champagne sans explosion.
La chanson du vin s'épanouit dans la coupe. Bulles fines et notes ténues.
— Je vous ai rapporté ça.
C'était son tailleur rose d'origine. Sa deuxième peau. D'une toute fraîche propreté. Et, avec lui, la culotte et le souden-gorge qu'elle portait le jour de son arrestation. Elle ne put résister, se retrouva debout, nue devant lui, les vêtements qu'elle portait, éparpillés dans la cellule. Elle tendait les mains.
Il la regarda, souffle coupé. Il dut rappeler à la rescousse toute l'affection de Tanita pour ne pas sortir du cadre professionnel. Il resta tout de même quelques secondes, le tailleur propre dans les mains, à la contempler. Il dit, une fois de plus:
— Décidément, je hais la prison.
Il remarqua comme une ombre blanche sur cette peau de lumière. Il en suivit doucement le contour avec son index. Cela s'évasait au-dessus des seins, couvrait l'épaule gauche, se rétrécissait dans la gorge et s'épanouissait de nouveau sur le ventre, en direction de la hanche droite. Cette fille promenait sur elle le fantôme d'une image.
— Laissez-moi deviner de quel tatouage il s'agissait…
Elle ne bronchait pas sous le parcours de son doigt. Lui, sentait la vie en fusion dans la densité de ce corps.
— La Mélancolie, dit-il enfin. Pas celle de Dürer, celle de Cranach.
Il hochait la tête.
— Les pieds de l'ange à la naissance de votre hanche, ici, et sa tête, là, juste sous votre clavicule.
Il lui tendit ses vêtements.
— Pourquoi vous êtes-vous fait ôter ce tatouage? lui demanda-t-il pendant qu'elle s'habillait.
Toujours émouvante, cette torsion des hanches pour faire glisser le fourreau des tailleurs.
— Laissez-moi deviner…
Le soutien-gorge était de ceux qui épanouissent plus qu'ils ne soutiennent.
— Ça y est. J'y suis. Vous l'avez vendu au vieux Florentis, c'est ça?
La veste rose s'échancrait à partir de la taille et s'épanouissait jusqu'aux épaules, comme jaillie du col d'un vase rebondi.
— Evidemment! Vous l'avez vendu au vieux Florentis, pour financer le lancement d'Affection.
Il ouvrit la boîte de caviar.
— C'est comme ça que tout a commencé, n'est-ce pas?
Elle était assise à sa place, maintenant, devant une petite montagne de perles grises presque vivantes. Il déplia le papier d'argent où Tanita avait glissé la chaleur des blinis.
Ce faisant, il expliquait. Et ses mots étaient aussi précis que ses gestes:
— Voici comment les choses se sont passées, Marie-Ange. A l'époque, vous travailliez pour les Productions de Florentis. Votre Sainclair vous a chargée de chercher un financement de ce côté-là, et vous avez décidé d'y investir votre capital naturel, si je puis dire. Florentis n'est pas tombé amoureux de vous, mais du Cranach, sur votre peau. Le vieux Ronald est devenu fou de votre Mélancolie. Il vous a montré sa collection de tatouages et l'idée vous est venue de la compléter. Vous avez fait monter les prix. Quand ils sont devenus respectables, vous lui avez apporté votre Mélancolie sur un plateau, c'est ça?
C'était ça. Il lisait dans ses yeux que c'était ça. Et c'était, mot pour mot, le récit que leur avait fait le vieux Florentis.
— Ça a dû être douloureux, ce détatouage… Un peu de crème?
«S'infliger un pareil supplice pour financer une merde comme Affection, pensait-il, faut-il qu'elle l'ait dans la peau, ce maquereau de Sainclair!» Elle tendit son assiette. La crème dessina d'éphémères entrelacs sur les blinis et disparut dans l'épaisseur du sarrasin, comme la neige dans un champ.
— C'est là que l'idée vous est venue de lui vendre d'autres tatouages, hein? Vous avez présenté les filles de Gervaise à Sainclair. Certaines ont accepté de troquer des bouts de peau contre un bon paquet de fric. De l'autre côté, vous faisiez croire à Ronald qu'en rachetant le tatouage de ces putes repenties il aidait à leur réinsertion. Le pauvre vieux envoyait donc à la mort des filles qu'il croyait sauver du tapin.
Soudain, il lui demanda:
— C'était amusant?
Il lui avait posé la question en la regardant par-dessus une cuiller pleine, et il lui reconnut une certaine difficulté à avaler. Il reposa sa propre cuiller sans y toucher.
— Mais vous ne saviez peut-être pas que Sainclair tuait purement et simplement vos anciennes copines.
Il cessait de répéter le texte du vieux Ronald. Il commençait à réfléchir par lui-même.
— Elles disparaissaient et vous ne vous posiez pas de question. Vous n'étiez que la rabatteuse, en somme. Une intermédiaire, pas plus.
Cette idée lui était venue d'un coup. Il en fut stupéfait lui-même.
— Et vous ne saviez pas non plus qu'il les suppliciait en tournant des films de snuffers.
Elle avait, elle aussi, reposé sa cuiller.
Il y eut un long silence.
Il demanda:
— Quand l'avez-vous appris, Marie-Ange?
Elle ne répondit pas.
— Après votre arrestation?
Elle se taisait.
— Vous le saviez, quand vous avez enlevé le corps du père Beaujeu?
Elle se taisait.
— Vous ne vouliez pas y croire? C'est ça?
Il s'accrochait à cette idée. Ce n'était peut-être pas une idée fausse.
— Qu'est-ce qu'il vous racontait, Sainclair? Que les filles changeaient de vie? Que c'est fréquent, la disparition volontaire, chez des radeuses qui décrochent? Qu'elles suivaient votre exemple, en fait.
Puis, tout à coup:
— Avez-vous déjà flingué quelqu'un, Marie-Ange? Tué, je veux dire. Volontairement. De sang-froid. Avez-vous déjà joui de l'agonie de quelqu'un?
Elle semblait fatiguée.
— Bon, dit-il.
Ils étaient tous deux enfermés dans le même cul-de-basse-fosse. Il décida que le moment était venu d'en sortir.
— Sainclair est un bien plus grand menteur que vous, Marie-Ange.
«C'est le moment, pensait-il, c'est le moment», et pourtant il hésitait encore.
— Et autrement fou!
Il la regarda. Il constata les ravages du doute. «Allons-y.»
— C'est lui, le père, dit-il.
Elle leva un regard incrédule.
— Le gosse de Gervaise, c'est lui, confirma-t-il.
Il bafouilla:
— Je suis désolé.
Il savait qu'elle ne le lâcherait plus des yeux, que même s'il quittait à l'instant la cellule, il sentirait jusqu'à la fin de ses jours le regard de cette femme collé à sa conscience. Il se mit à parler:
— Une vieille histoire. Une passion qui vous précède de plusieurs années, Marie-Ange. Absolument dingue. A la mesure de leur folie à tous les deux. Le Diable et le bon Dieu. Quand Gervaise a failli arrêter Sainclair dans cette cave où Mondine servait de chèvre, elle était déjà enceinte. Elle le lui avait dit. Et quand Sainclair a essayé de la faire tuer, c'était autant pour éliminer le flic que pour supprimer la mère. Elle ne l'a pas reconnu sous son masque de chirurgien, et elle n'a pas pensé une seconde que la voiture, c'était lui. Et puis, on vous a arrêtée. Et puis les choses ont commencé à se décanter. On a cravaté Lehmann, Cazo et la fille Dutilleul (aujourd'hui, je ne suis même plus sûr que vous les connaissiez) et Cazo s'est mis à table. Mon copain Silistri l'a un peu aidé. Quand Gervaise a su que tout partait de Sainclair et arrivait à lui, elle a accusé le coup sans moufter. Mais voilà qu'hier, elle est partie le retrouver.
Il ne vit plus la moindre trace de couleur sur le visage de Marie- Ange.
— Aujourd'hui, elle sait pourtant qu'il a essayé de la tuer, une fois dans cette cave et une fois au volant de cette voiture. Elle est partie tout de même. Vous connaissez Gervaise, Marie-Ange. Elle a dû se mettre en tête qu'elle ferait son salut… quelque chose de ce genre… elle nous a juste laissé un message sur son répondeur, sans nous donner d'adresse, évidemment. Voilà. Ça fait des semaines que je me bagarre contre cette idée. J'ai essayé de vous en parler plusieurs fois. J'ai pas pu. Pas osé.
Bon.
C'était fait.
Ils ne finiraient ni le caviar ni le champagne, Titus le savait. Il ne lui restait plus qu'à espérer que le reste se passerait comme il l'avait prévu.
Ce ne fut pas exactement le cas.
Marie-Ange se jeta purement et simplement sur lui.
— On sort d'ici. Vous et moi. On sort!
Elle avait une voix de garçonnet.
Mais le garçonnet avait fauché son arme de service à l'inspecteur Titus, l'avait forcé à se retourner d'une torsion du bras et tenait le canon du revolver contre sa tempe de flic.
— On sort!
Non, ce n'était pas exactement ce qu'ils avaient prévu. Une tentative d'évasion, certes, mais plutôt par l'infirmerie de la prison. Simulation d'un malaise, prise d'otage mais pas de l'otage Titus! évasion dans la nuit, quelque chose de ce genre… c'était à cela qu'ils s'étaient préparés, dans ce but qu'ils avaient placé leurs femmes flics à la place des gardiennes habituelles. Pour faciliter l'évasion de la dingue au tailleur rose. Faire circuler des voitures banalisées devant la maison d'arrêt, dans l'espoir que la fille braque un des chauffeurs. Et la suivre de loin, grâce à l'émetteur caché dans le véhicule, jusqu'à la planque de Sainclair. Incertain et dangereux, mais pas d'autre solution. Se laisser agresser, se laisser maîtriser, servir de bouclier humain jusqu'à la fin, sans jamais être sûr que cette cinglée n'achève l'otage une fois tirée d'affaire.
— Ce n'est pas une tueuse, insistait Titus.
— Bien entendu, c'est une enfant de chœur, avait ironisé le divisionnaire Legendre, il suffit d'interroger la grand-mère et le gosse à qui elle a tenu compagnie.
— Elle jouait un rôle, insistait l'inspecteur Titus. Elle s'amusait. Elle est un peu spéciale.
— Tueuse ou non, la question n'est pas là.
Ils s'étaient tous rangés à l'avis de Coudrier.
— Elle est la seule à connaître la planque de Sainclair, point final.
Il fallait donc qu'elle sortît, et qu'elle les y conduisît, avant que l'inspecteur Gervaise Van Thian ne fût débitée en morceaux d'arc-en-ciel et que l'enfant Malaussène ne fût expulsé une deuxième fois.
Tout le monde y tenait furieusement, à ce gosse. Mais le plus furieux était ce professeur Berthold, que le divisionnaire Legendre avait eu au bout du fil, en décrochant imprudemment le téléphone de Gervaise.
— Vous savez qui vous avez laissé kidnapper, commissaire de mes deux? Je ne parle pas du contenant, mais du contenu! Sauvez ce moutard, mon vieux, rendez-le-moi en bon état, ou alors ne tombez jamais malade, sinon je veillerai personnellement à m'occuper de vous! Je ne fais pas faire des pas de géant à la médecine pour que des flics nains la renvoient à l'âge de pierre!
Le commissaire Legendre n'avait encore jamais dialogué avec le professeur Berthold.
— C'est son style, expliqua Coudrier, ne vous frappez pas, mon gendre. Et revenons à nos moutons. Il faut faire sortir cette fille.
Elle était sortie plus vite que prévu.
Et c'était l'inspecteur Titus qu'elle tenait au bout de son flingue.
Titus dont la voiture n'était pas équipée pour être suivie.
Titus, qui se trouvait menotté à l'arrière de sa propre bagnole — même pas une voiture de service! — , la chaîne des menottes glissée dans la poignée fixe de la portière, les pieds liés à l'autre poignée. Titus enchaîné à son char: incarnation de la connerie prise au piège. Il ne décolérait pas. Il se sentait foncer sur une autoroute et tentait de se remémorer ce qui avait cloché. Il s'était laissé émouvoir par la femme, voilà ce qui avait cloché, il avait perdu le félin des yeux. Il connaissait sa puissance et sa rapidité, pourtant. Elle avait brisé les os de ses codétenues avant d'être placée à l'isolement. Il y avait le témoignage de ce vieil homme aussi, à qui elle avait murmuré des horreurs avant de le rejeter dans le hall de l'immeuble, le soir de l'enlèvement du père Baujeu. «Jamais senti une poigne pareille! Et vous me dites que c'est pas un gars déguisé en fille?» Non, c'était une fille, et cela avait ému Titus. Il avait éprouvé la puissance de ses muscles en suivant du doigt la cicatrice de son tatouage, mais la grâce l'avait emporté, la grâce et le fantôme de la Mélancolie.
Elle se mit à lui parler:
— Il ne faut pas vous en vouloir, inspecteur…
Pas de doute, elle lui parlait.
— Je vous ai surveillé dès votre première visite. Il y a longtemps que je prépare notre fugue.
Elle poursuivait leur conversation, en somme.
— Vous avez fait beaucoup de gestes depuis que nous nous connaissons. Mettre la table, la défaire, vous pencher, vous redresser, vous retourner… je vous connais comme si je vous habillais tous les matins. Vous êtes très gracieux. D'où ça vous vient, ce petit air tatar?
A lui la partition du silence, à présent.
— Aujourd'hui, vous portez des chaussettes Loridge, fil d'Ecosse, mi-mollets, vert wagon, douces sur la peau. Vous appréciez le beau linge.
Elle ajouta incidemment:
— Et vous ne portez pas d'arme contre votre mollet.
Et encore:
— Une chemise Kenzo mais pas de holster pectoral. Une ceinture en peau d'autruche et une arme de service sur la fesse gauche, à côté des menottes et du chapelet de Gervaise. A propos, je vous l'ai placé entre les doigts, le chapelet, vous le sentez?
Bon Dieu, oui, elle l'avait enchapelé en le menottant.
— Et je vous ai emprunté votre blouson… Il est très doux… Et puis, j'ai votre arme, là, sur le cœur, ça réconforte…
Elle conduisait à fond de train. Elle fonçait vers Sainclair à tombeau ouvert. Une bonne occasion de s'offrir tous les Ave et les Pater disponibles sur le chapelet de Gervaise, oui. Elle conduisait en se tenant des propos rassurants.
— Je ne vous crois pas, vous savez, à propos de Sainclair et de Gervaise… Nous allons être fixés très vite, mais je ne vous crois pas. Je ne vous ai pas cru une seconde.
Elle eut son rire de garçonnet.
— Vous aurez vraiment tout essayé pour me faire parler! C'était touchant. J'aime votre voix, d'ailleurs. Vous avez une voix souriante, on vous l'a déjà dit? Un peu traînante. Et un petit rire métallique, perché juste sous vos arcades sourcilières.
Apparemment, elle l'avait bien écouté.
— Vous êtes mignon, quoi. C'est inappréciable, pour une femme, en cellule.
Elle l'avait bien regardé, aussi.
— Vous m'avez donné beaucoup de plaisir… après vos départs.
Elle éclata de rire.
— Je ne le dirai pas à Sainclair!
Elle se tut un long moment. Puis elle répéta:
— Je ne vous crois pas, à propos de Gervaise et de Sainclair. Vous avez dit beaucoup de choses justes, sur le vieux Florentis, par exemple, c'était très vrai tout ce que vous avez deviné, je confirme, mais pour ce qui est de Sainclair et de Gervaise, je ne vous crois pas.
Elle hésita:
— Enfin… non… je ne vous crois pas.
C'était cela, aussi, qui avait ému Titus. Cette aptitude au doute, malgré tout. Ce lent voyage vers le doute, pendant toutes ces semaines. Il avait été son professeur de doute.
— Au fond, tout le monde ment…
Un temps.
Elle ajouta:
— C'est pour ça que tout est si passionnant!
Elle ne se retournait pas, en lui parlant, elle ne le cherchait pas dans son rétroviseur. Arrimé comme il l'était à ses deux portières, il ne pouvait absolument rien faire. Juste suivre la route entre l'appui-tête du siège et la carrosserie.
— Mais avoir essayé de me faire croire qu'il était le père du gosse, c'était une bonne idée.
Fameuse, oui…
— C'est ce qui m'a donné la force de vous sauter dessus.
Il aperçut le péage en même temps qu'elle. Et la camionnette bleue, stationnée sur le bas-côté.
— Tiens, vos amis de la gendarmerie sont au péage. Vous allez pouvoir vérifier si je suis une vraie tueuse ou pas. Jouez au con, pour voir.
Elle glissa sa main dans le blouson et déposa l'arme de Titus sur le siège voisin.
Titus ne joua pas au con.
Les gendarmes non plus.
Le péage passé, Titus soupira et prit enfin conscience de la douceur de cette nuit. Une lumineuse nuit de printemps. La première depuis longtemps. Il imagina Hélène et Tanita, trompant leur inquiétude à la terrasse de Nadine, devant un petit porto.
Ils avaient quitté l'autoroute.
— Voilà, on est presque arrivés.
Ils traversaient un de ces petits villages sans lumière qui sont les satellites défunts de la capitale.
— On tourne à droite…
La voiture tourna sur la droite.
— Maintenant, un petit coup à gauche…
Elle était si tendue qu'elle commentait le moindre mouvement de la voiture sur le ton faussement enjoué d'un ordinateur de bord.
— Voilà le portail…
La voiture s'engagea sur une allée de gravier. Des marronniers de chaque côté. Peut-être des platanes. Et l'épaisseur noire d'une forêt tout autour. Un perron, au bout de l'allée. Une demeure de notaire. Les fenêtres du rez-de-chaussée allumées. Une autre à l'étage. Titus pensa vaguement à un tableau connu de Magritte.
La voiture s'immobilisa, à quelques mètres du perron.
Marie-Ange laissa les phares allumés.
Elle coupa le moteur.
Elle replaça l'arme de Titus dans la poche ventrale du blouson.
Enfin, elle klaxonna, selon un code qui devait leur être propre: deux brèves, une longue, une brève.
Titus l'entendit à peine grogner:
— On verra bien.
Quelques secondes passèrent. La porte du perron s'ouvrit et Sainclair apparut. Titus n'en revint pas. Il portait un peignoir et se séchait les cheveux dans une serviette de bain. On aurait dit le fils du notaire surpris sous sa douche, mais si impatient de cette visite que s'il avait fallu se précipiter dehors à poil, c'est à poil qu'il serait sorti. Il ne pouvait pas voir Marie-Ange mais il ne fit rien pour se protéger de l'éblouissement des phares. Il jeta la serviette au loin et descendit les marches du perron avec un grand geste qui embrassait la voiture. Son peignoir s'ouvrit en même temps que ses bras. Non seulement il n'était pas armé, mais il était nu comme un clair de lune et bandait avec certitude. Un type censé se planquer, recherché par toute la police de l'Hexagone!
— Denis!
Elle se rua hors de la voiture.
— Denis!
C'était moins un prénom que l'explosion du désir qui mitonnait depuis des mois dans la touffeur d'un cachot. Elle fut à lui en trois bonds, et si précisément empalée que Titus ne jugea pas la chose possible sans un long entraînement. Le blouson de Titus, le peignoir de Sainclair, le tailleur rose, la culotte et le soutien-gorge gisaient à leurs pieds. La lumière des phares enchâssait le couple dans la nuit. Le dos de Marie-Ange se creusait et s'épanouissait comme une houle océane. Titus imagina l'œil rond des sangliers, à la lisière de la forêt, et crut entendre bramer les cerfs. «Mon salaud, pensa-t-il, quand je t'aurai cravaté, il faudra me remercier pour ce dernier coup! Des semaines que je te le peaufine!» Puis il se souvint qu'il n'était pas en position de coffrer qui que ce fût. Il tira de toutes ses forces sur les menottes. Rien ne vint. La poignée de la portière résistait. «Ne concluez pas tout de suite, économisez-vous, murmura-t-il éperdument, laissez-moi le temps de trouver une solution!» Comme s'ils avaient entendu cette prière ils se posèrent doucement en lotus au milieu de leurs vêtements. Amples caresses, à présent, et chuchotis rieurs. Elle parlait dans son cou. Elle l'appelait. Ils échangeaient leurs prénoms. Il enfouit son visage entre ses seins. Elle caressa cette nuque offerte. Attachés à l'autre portière, les pieds de Titus ne valaient pas mieux que ses mains. Où donc cette fille avait-elle appris à faire des nœuds pareils? L'inspecteur Titus était un inspecteur sans pieds ni mains. Et sans arme de service. Une espérance de vie limitée. La fin d'une courte mais brillante carrière. Par une nuit de printemps où la sève faisait frémir les arbres. Il cherchait de la force dans l'évocation de la Nature, mais la mécanique résistait. «Si je m'en sors, j'achète une bagnole en carton.» Il tirait sur ses menottes comme un renard pris au piège. Il songea à se ronger les poignets. «Nom de Dieu de nom de Dieu!» Il pensa encore: «Tout va s'illuminer d'un coup, et les copains seront là, Silistri, Caregga, le patron, dans les fourrés, à se rincer l'œil avec les sangliers et les hérissons», mais il savait bien que personne n'avait pu les suivre. Une dernière secousse, et il retomba épuisé sur la banquette, menotté et ligoté. Rien à faire. Il jeta un regard morne sur le couple et vit avec horreur leur plaisir grimper aussi nettement qu'une colonne de mercure. Sainclair explosa le premier. L'onde de choc parcourut le corps de Marie-Ange et Titus entendit son hurlement à travers la carrosserie et les quatre portes closes de la voiture. «Il a joui jusque dans son cerveau!» Des oiseaux s'envolèrent. La tête de Marie-Ange retomba sur l'épaule de Sainclair. Et Gervaise apparut au sommet du perron.
«Non», pensa Titus.
Gervaise, on ne peut plus sphérique, dans la lumière des phares.
«Oh, non!» répéta Titus.
Gervaise, paisiblement, sur ce perron de notaire, le reste de son petit doigt dans un gros pansement.
— Planque-toi, Gervaise! Fous le camp! hurla-t-il.
Sans autre effet que d'éveiller l'attention de Marie-Ange.
Les deux femmes se regardaient, à présent. Marie-Ange maintenait le front de Sainclair dans le creux de son épaule. L'autre main s'était glissée dans la poche intérieure du blouson.
— Nooon! hurla Titus.
La poignée de la porte céda.
Il se rua vers ses pieds mais se brisa les ongles sur les nœuds de ses liens. Il réussit à ouvrir la portière et se jeta hors de la voiture.
— Arrêtez, Marie-Ange, ce n'est pas ce que…
Il y eut deux détonations sourdes.
Là-haut, Gervaise ne s'effondra pas.
Mais le corps de Sainclair s'affaissa imperceptiblement. Marie-Ange le maintenait toujours contre sa poitrine.
Elle se retourna, son arme à la main, et sourit à l'inspecteur Titus.
Il gisait sur le gravier, les pieds en l'air, toujours attachés à la portière.
— Vous aviez raison, Titus, un pareil amour n'était pas fait pour vieillir en cellule.
Avant que Titus n'ait pu répondre, elle s'était refermée sur le cadavre de Sainclair, avait retourné l'arme contre elle, et une troisième détonation retentit, plus étouffée encore que les deux précédentes.
C'est là que tu as décidé de naître. Tu as frappé de furieux coups à la porte et Gervaise s'est effondrée. Titus a d'abord cru qu'elle avait été touchée par un des projectiles. Il s'est mis à brailler comme un âne, mais elle s'est relevée, le souffle coupé, en lui faisant signe que ce n'était rien, que c'était toi. Elle est allée le libérer en récupérant la clef des menottes dans son blouson. Au passage, elle a couvert les corps de Sainclair et de Marie-Ange, moins pour la pudeur que pour la fraîcheur de la nuit. Ils se tenaient embrassés comme une allégorie de l'amour. Un liseré de sang les soudait l'un à l'autre. Titus a appelé Silistri au téléphone pour qu'il s'amène avec une ambulance et qu'il prévienne la tribu Malaussène que tu étais à point. Il allait transporter Gervaise dare-dare à l'hôpital Saint-Louis.
— Non, s'est écriée Gervaise, chez Postel-Wagner!
S'en est suivie une brève controverse:
— A la morgue? Mais bon Dieu, Gervaise, on n'accouche pas dans une morgue!
— Chez Postel! insista Gervaise.
— Bon, dit Titus dans le téléphone, pas à Saint-Louis, alors, à la morgue!
— A la morgue? demanda Silistri.
— Chez Postel-Wagner, insista Titus, elle veut accoucher entre les mains de Postel.
C'est là que nous sommes tous venus t'accueillir. Quand je dis tous, c'est tous, tu peux faire confiance à l'instinct de la tribu. Il y a les Malaussène et les Ben Tayeb, bien entendu, mais il y a Loussa de Casamance, aussi, et Théo, la reine Zabo, l'inspecteur Caregga et le divisionnaire Coudrier, Hélène et Tanita, les femmes des inspecteurs Titus et Silistri, Marty, Berthold et Mondine, il y a les vivants et il y a les morts, les nôtres: Thian, Stojil, Clément, Pastor, Matthias et Cissou, mais aussi, tout autour de nous, les morts de Postel-Wagner, les morts inconnus dressés sur les gradins de leur éternité, très curieux de savoir ce qui va surgir là, entre les cuisses de Gervaise, à quoi va ressembler ce petit nouveau dont l'apparition justifiera leur existence et apaisera leur départ, et les vivants accompagnant Gervaise du geste et de la voix, la reine Zabo, toujours épatante dans ces circonstances: «Respirez! Poussez! Respirez! Poussez!», entraînant tous les autres comme un vrai maître de chorale tout en se demandant à part soi: «Mais qu'est-ce que je raconte, moi: respirez-poussez… qu'est-ce que je raconte?», Berthold assistant de très près à la manœuvre: «Fais gaffe, Postel, ne me l'abîme pas surtout, tu ne veux pas me laisser faire?», et Marty, veillant comme toujours aux justes proportions de Berthold: «La paix, Berthold, ce n'est pas votre gosse, c'est celui de Malaussène…», Mondine confirmant la chose avec une voix de ventre: «T'inquiète, professeur, je vais te le faire, le tien, j'ai mis l'usine en branle…», Jérémy prenant tout ça en note sur le petit calepin du réalisme romanesque, et moi, bien sûr, moi, la main de Julie broyée dans la mienne, l'autre main torturant les oreilles de Julius, moi tellement anxieux de la tête que tu vas nous faire après ces neuf mois d'odyssée… c'est qu'elle pourrait être légitimement courroucée, cette tête, ou blasée affreusement, ou terrifiée à l'extrême, ou mysticoïde, aspirant à l'assomption immédiate, ou capricieuse au-delà du raisonnable: «Encore, encore l'aventure! encore, les coups de pétards! encore, les snuffeurs! encore les baiseurs au clair de lune! et oncle Titus attaché par les pieds à la portière de la voiture, encore!» (parce que la banalité de ce qui va suivre risque d'être un peu déprimante, forcément… il va falloir que tu entres dans leur vraisemblance, à présent… et que tu «participes», surtout, ils prétendent que c'est l'essentiel, «participer»), très inquiet, donc, je suis, de toutes tes têtes possibles — les têtes auxquelles tu as échappé — lorsque tout à coup, là, maintenant, à quatre heures quarante du matin, à cinq heures moins vingt, si tu préfères, flash de Clara: ta tête à toi! éternisée à la seconde pile où tu franchis la ligne d'arrivée!
Allez Louïa! Hourras! Liesse générale. Envol joyeux des morts de Postel-Wagner dans le ciel de la ville… libres, enfin, filant à grand bruit d'ailes avec les pigeons du petit matin.
Et Postel présentant le champion à l'adoration des foules.
Et la retombée du silence sous le parachute du ravissement.
Ta tête à toi, mon petit être…
Oh! le beau silence.
Pas cabossée du tout, ta tête, pas une tête de rescapé.
Ni une tête furibarde.
Pas peur, non plus.
Et pas blasé pour deux ronds.
Pas le moindre regret, pas une tête de nostalgie.
Et pas tournée vers le haut, pas une tête d'affidé au Grand Parano.
Aucune idée préconçue, aucune motion préalable, pas une tête de contentieux.
Pas disposé à trouver le monde si logique que ça, pas enclin à le trouver absurde, non plus.
Mais mystérieux, plutôt, intéressant, quoi.
La tête même de la curiosité!
— C'est tout à fait vous deux, dit Gervaise, en nous embrassant Julie et moi.
— Avec un petit quelque chose de toi, Gervaise…
Et Postel-Wagner de nous montrer à tous ta main gauche, grande ouverte. Le joli éventail de tes doigts potelés. Cinq doigts, oui, mais cinq doigts moins une phalange: la phalange manquante du petit doigt gauche de Gervaise.
— Un petit Monsieur Malaussène, pas de doute possible, commente le divisionnaire Coudrier.
— Et c'est comme ça qu'on va l'appeler, déclare Jérémy.
— Malaussène? demande Thérèse.
— Monsieur Malaussène, dit Jérémy.
— Monsieur Malaussène? insiste Thérèse.
— Avec deux majuscules, oui, Monsieur Malaussène.
— Tu l'imagines, à l'école? Monsieur Malaussène Malaussène…
— L'école en a vu d'autres.
— Non, Monsieur Malaussène, non, c'est pas possible!
— C'est pourtant devant toi. Et en plus, ça fera un joli titre. Pas vrai, Majesté?
— Monsieur Malaussène? demande la reine Zabo.
— Monsieur Malaussène, confirme Jérémy.
— Faut voir, dit la reine Zabo.
— C'est tout vu, Majesté.
— Monsieur Malaussène, alors?
— Monsieur Malaussène.