ET MOI, SOMBRE CONNARD…

Et moi, sombre connard, qu’à peine il a engouffré son immeuble, je me dis que ça n’est pas somptueux, ma tête ! J’ai oublié de lui parler de la Maryse Turpousse, au gamin. Pourtant c’était capital, non ? J’étais venu pour ça, surtout. L’envie me biche de me rendre à son domicile cafardeux, mais l’idée de tomber sur son jobastre de père me fait changer d’avis. Après tout, je sais où le pêcher, Bruno. Et comme je préfère m’entretenir seul à seul avec lui, je peux remettre cette converse-là à une date intra-utérine (comme dit Béru).

Là-dessus, je regagne notre pavillon, tout mignard au milieu des immeubles qui le cernent. Y a pas si loin, on n’avait que d’autres maisonnettes semblables à la nôtre autour de nous, de la meulière en quantité, du jardinet à tonnelle, des villas « Myosotis », « Sam’ Suffit », « Mon Repos », « Port d’Attache » et autres, habitées par des rentiers paisibles, des cadres inférieurs, des veuvasses convenablement pensionnées. Et puis ce gentil monde est parti ou défunte et l’ogre immobilier s’est jeté sur le quartier, avec les grands deuils de ses bulldozers, ses grues géantes, ses incessants charrois de matériaux de construction. Ils nous ont bouffé la banlieue, bouffé le ciel mélanco de l’Ile-de-France, mis des ombres à plein temps. On est devenus des espèces de Robinson, m’man et moi, paumés dans une mer de « résidences » à quatre ou cinq étages, marmoréennes bidon, pacotille de « grand standinge ». Des maisons clapières, quoi ! Avec d’étranges jeannot lapins aux fenêtres, pour nous mater les faits et gestes.

On a eu envie de partir. On aurait pu vendre nos douze cents mètres carrés un bon prix et se tailler vers des contrées encore possibles. On a bien réfléchi, Félicie et moi, pesé le pour et surtout le contre son corollaire. On s’est rendu compte que pour en trouver, des coins « possibles », faut pas craindre d’aller à dache, y a plus que dans les Auvergnes, les Alpages, les fonds du Périgord que t’en trouves encore, et même, tu restes à la merci d’un barrage, d’une centrale nucléaire ou d’une autoroute dont la construction est décidée à ton insu. Avec mon boulot, je dois crécher dans les environs de Pantruche, c’est obligé.

On s’est dit que, tout compte fait, mieux valait oublier les grandes masures environnantes pour se pelotonner dans notre tanière. Depuis le temps qu’on l’habite, elle s’est faite à nous et nous à elle. C’est une robe de chambre, ce pavillon. On est bien dedans.

Bon, la Maserati devant cette bicoque, elle fait un peu anachronique, je conviens ; prétentiarde sur les bords. Mais je m’en bats l’œil. C’est pas pour frimer que je me suis offert cette tire mais par amour des caisses surchoix.

Je remonte l’allée cavalière du jardinet. Des piafs qui se goinfraient des bonnes choses entreposées par m’man à leur intention dans une cagette de bois blanc, s’envolent à mon approche. Le gros greffier noir et blanc qui les guignait depuis le mur en est tout marri et me file un coup de saveur pas content.

Deux enjambées pour escalader notre perron à unique révolution. La porte s’ouvre sur Maria, tout sourires, fardée à mort.

— Zé vous a vou arrivate ! elle explique.

De la trouver sur le pied de guerre me donne à penser qu’elle est seule et compte fermement que nous profitions de l’aubaine.

— Ma mère n’est pas là ?

— Les Bérurier l’ont téléphono per demander si elle pouvate aller chercher Apollone-Zoule, l’a pris aune taxi et Toinet l’est partite avec.

Ils me plument, les pachydermes. Non seulement ils cloquent leur chiare à Féloche pour des séjours inopinés et sans durée préétablie, mais maintenant faut que ce soit ma vieille qui aille chercher ce fils des gorets à domicile ! Alors là, ils balancent le bouchon à des distances vertigineuses !

Maria a passé sa robe noire qui me porte aux sens et ceint son tablier empesé de soubrette. Je sais qu’elle est nue en dessous. Elle connaît mes fantasmes, la mère ! Tu la verrais trémousser du fion, la señorita ! Un mobile de Calder !

Bon, mec, pas fainéant du braque, je lui biche la taille. J’ai misé juste : pas la moindre pelure sous l’étoffe, pas le plus petit élastique de slip ! C’est tout bon. Y a un truc qu’on trouve assez plaisant pour nos ébats, c’est la grosse table de cuisine. La troussée soudarde, je raffole depuis ce jour où j’avais tromboné une gentille mercière dont l’époux était de repos dans leur logement du dessus. Elle ne portait qu’une blouse blanche sur ses formes plantureuses et fermes. Une merveille ! Je l’avais ajustée silencieusement et, tandis qu’on limait comme des braves, une petite fille était venue acheter une gomme (ma partenaire faisait également papeterie). La brave commerçante avait dit à la môme éberluée de repasser un peu plus tard. Un chouette souvenir.

Maria, je la pousse vers l’office, qu’elle remplisse un peu le sien. Ah ! dis donc, elle ne se le fait pas répéter deux fois. La voilà qui se trousse en marchant. Côté de la botte de persil, c’est luxuriant chez mon ancillaire. Elle foisonne de la touffe, l’Ibérique. Faut lui faire la raie au milieu pour se frayer le passage. Bon, la voilà en batterie, les avant-bras sous la pliure des genoux, parée pour l’embroquage express. Dans le fond, ça me peine un peu, cette précipitation. Y a que les servantes qu’on carambole en catastrophe, sans préalable ni taquineries émoustilleuses.

De quel droit on les bâcle, ces mignonnes. Pourquoi réservons-nous nos prouesses aux pimbêches maniérées ? Le remords m’incite à la charité. Bon prince, au lieu de mettre flamberge au ventre, je m’agenouille pour lui pratiquer une tyrolienne de broussailles à déplacement giratoire. Je la jodle en opérant de nombreux changements de registre, passant de la voix de poitrine à la voix de tête de (nœud) et vice versa. Dès lors, elle sait plus bien ce qui lui arrive, Maria. Une telle félicité, c’est pas dans son bled andalou qu’elle a pu en entendre causer.

Là-bas, ils font des « Olé ! Olé » tant que tu voudras, mais la minette modulée, connaît pas ! C’est pas homologué sur les tablettes. Et même ce serait mal vu, malgré le socialisme.

La voilà qui se met à roucouler, puis à glouglouter avant de glapir pour tout de bon.

Depuis mon poste d’embuscade, je vous surgir Pinuche par-dessus le pubis échevelé de ma boniche.

Saboulé prince-de-galles gris foncé, avec lardeuss en vigogne, siouplaît, cravate tricotée noire sur une chemise blanche amidonnée comme un slip de collégien. Sa copine Adeline l’accompagne, dans un manteau bricolé par les prestigieux ateliers de la Maison Dior.

Homme d’expérience rompu aux choses de la vie, Pinuche me fait signe de ne pas interrompre ma royale performance.

Sa venue, ainsi que celle de son égérie, n’a pas troublé Maria qui, complètement envapée, pousse des glapissements, les yeux fermés, le bassin soubresautant. Moi, charitable avant tout, je continue de lui minoucher la case trésor en débridant toute la partie inervée de ma menteuse. Tu croirais un solo de balalaïka dans la période intense.

Que la porte est poussée une fois de plus et qu’entre le beau Jérémie, en pantalon chocolat, T-shirt bleu, blouson d’aviateur. Lui aussi se fige. Va pour dire, mais Pinaud le réfrène d’un index judicieusement perpendiculé devant sa bouche jaunie par la nicotine.

J’ai le sentiment gênant d’être M. Ambroise Paré expliquant la ligature des artères à ses élèves. Je n’ai rien d’un exhibitionniste, tu le sais, aussi fais-je contre mauvaise fortune bonne minette à cette charmante soubrette qui, moyennant un salaire convenable certes, mais néanmoins modeste, trouve le moyen de faire l’amour en supplément du ménage. Gloire à cette humble, à cette sans-grade, qui met ses fesses et ses bras au service d’un patron dévergondé. Le Seigneur puisse-t-Il la protéger, cette belle âme velue ! Combler de grâces infinies ce cœur simple et pur et préparer une vie éternelle à chier partout à cette vaillante fille d’Espagne. Amen.

Comme elle tortille et hurle carrément, la môme Adeline ne se sent plus et, parant au plus pressé, palpe l’entresol Renaissance de M. Blanc où s’avance un balcon qui n’était pas là deux minutes plus tôt.

Jérémie, tu penses, sa génératrice est sur le point de sauter. Il ouvre large la porte à l’alezan fougueux. Adeline, devant cette superbe manifestation de l’étalon, tombe comme moi à genoux afin de mettre en marche la pompe d’éviction.

Pinuche, attendri, bénit les foules en rut. A son âge, même si votre ticket est encore valable, il n’est pas désagréable d’en prendre un supplémentaire.

Je monte la fréquence. Maria perd tout contrôle et crie en espago, plus fort qu’à la corrida, kif lorsque le torero embroche son bestiau d’un seul coup d’un seul.

Elle est arrivée au terminus de l’extase, là que la dure réalité te réempare. Une clarté trop intense rejoint les ténèbres.

Après l’éblouissement, le schwartz ! Elle demeure un moment inerte, juste ses roploplos qui se soulèvent. Puis elle ouvre les châsses et aperçoit, à la renverse, l’honorable société qui l’entoure.

Les Espingotes, tu les sais ? Ardentes mais pudiques. Voire pudibondes ! Elle pousse un grand cri de mouette chahutée par le vent du large, bondit de la table et se sauve, bousculant M. Blanc pile qu’il partait à dame, le chéri. Adeline paume la cargaison qu’elle se promettait tant de plaisir.

Je vais à l’évier me refaire un palais convenable. N’ensuite de quoi, je salue mes visiteurs. Qu’entrez donc, vous allez bien prendre quelque chose ? Maria, affolée d’avoir montré son moule à gaufre à l’assistance, reste barricadée sur ses terres et c’est bibi qui dois aller à la cave (une fois de plus), chercher du vin blanc digne du palais pinulcien, ainsi qu’un porto de cinquante ans d’âge pour sa belle, laquelle a la mâchoire un peu écarquillée par la féroce chibrance de Jérémie.

Les uns les autres, on oublie cette sotte période de débordement sexuel, tellement inopinée que personne n’a pipé, d’ailleurs.

Je mets un peu de musique afin de détendre l’atmosphère. Ça joue justement la dernière chanson de Patricia Kass, une mouflette que je révère parce qu’elle possède plus de talent que tout ce qu’on a joué sur Europun depuis le début de la semaine dernière.

— Je viens d’apprendre que tu as été victime d’un attentat ? demande Pinaud en humant son Pouilly fumé.

— J’en ai été l’objet, non la victime, rectifié-je.

— Heureusement ! exclame Adeline. Un homme qui broute aussi formidablement que vous, c’eût été une perte irréparable !

César sourit.

— Ecoute-la ! Ah ! ta prestation n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde !

Il nous sermonne d’un index indulgent, elle et moi :

— Je sais bien qu’Adeline n’aura de cesse que tu lui eusses accordé cette petite faveur, Antoine. Note que, sans vouloir me vanter, la minette est un exercice auquel j’ai toujours excellé ; mais, hélas, je deviens moins performant depuis que je suis trahi par mon asthme, car elle nécessite une grande autonomie respiratoire. Je suis convaincu que des hommes rompus à la plongée sous-marine, tel le commandant Cousteau, devaient accomplir des prouesses en la matière. C’est d’autant plus probant, pour l’excellent commandant Cousteau, qu’il dispose d’un long nez, lequel peut jouer un rôle d’appoint intéressant, en l’occurrence.

Il se tait pour boire.

Moi, pendant sa déconne, j’ai gambergé, selon ma belle habitude.

— Voyez-vous, dis-je, dans cette affaire, tout est inversé. L’homme dont je pensais qu’il me mentait disait vrai et celui que je croyais m’emmenait en bateau.

— De qui parles-tu, Antoine ? demande César en pourléchant sa moustache emperlée de vin blanc.

— De l’avocat marron et du clochard philosophe, mon biquet. Maître Krackzyblum (en définitive je lui restitue son blaze de départ, au diable les mauvais esprits !) m’annonce qu’on veut m’abattre. Ça me fait hausser les épaules mais, effectivement, on défouraille sur moi. Par contre, le bon clodo gentil et pittoresque qui m’a prévenu que le petit devin avait crevé mon boudin me berlurait. J’ai la conviction que le gosse n’était pour rien dans cette déprédation.

— Qu’est-ce qui te le donne à penser ?

— Une converse que je viens d’avoir avec le môme. Je commence à cerner un peu cet étrange petit bonhomme. Mais trêve d’appréciations, où en êtes-vous de vos activités, Blanc et toi ? Je suppose que c’est pour me fournir un rapport que vous êtes arrivés presque de conserve et inopinément ?

Les deux se considèrent mutuellement, avec sympathie. Contrairement au sieur Bérurier, Pinaud n’est point jaloux de l’affection que je porte à M. Blanc et ne fait montre d’aucun racisme primaire à son endroit (pas plus qu’à son envers). Il lui témoigne même une amitié de bel aloi et ne prend pas ombrage, bien au contraire, de la superbe pipe en écume de mer qu’Adeline lui a confectionnée dans la chaleur de l’instant, au débotté des passions.

— Veux-tu parler le premier, cher Jérémie ? s’enquiert la ci-devant Vieillasse avec force civilité.

— Je n’en ferai rien, à vous, monsieur Pinaud, retourne du même ton mon bronzé congénital.

— Fort bien, accepte César. De ma petite enquête, il appert…

— De burnes, placé-je, car tu connais mon incorrigibilité.

Le cher homme a la bonté de sourire d’une boutade qui ne ferait même pas marrer un garde champêtre, et poursuit :

— Il appert que la tante de Toinet, la femme Turpousse Maryse est à la colle avec un brocanteur du nom de Justin Verbois, lequel habite le même immeuble que les Malvut. Le bonhomme aurait connu des tracasseries judiciaires pour recel à différentes reprises de sa vie. Quand la Turpousse a eu purgé sa détention, c’est chez Verbois qu’elle a couru se réfugier, ce qui indiquerait qu’ils se connaissaient de longue date. J’ignore si elle entretient des relations avec Bruno Malvut ou ses parents, mais on peut le supposer. Voilà, c’est tout.

— Félicitations, Pinuche. Je vois que la fortune n’a pas émoussé tes proverbiales qualités d’enquêteur.

Il bat des ramasse-miettes afin de notifier sa modestie.

— Le métier c’est le métier, Antoine. Il en va des qualités professionnelles comme de l’amour : tu t’y montres brillant ou nul. Si mes étreintes de feu font crier Adeline de bonheur, c’est parce que le don de l’œuvre de chair m’a été accordé au berceau par des fées bienveillantes.

— Bienveillantes et salopes ! appuyé-je.

— Heureusement, se réjouit César. Bon, à toi, cher Jérémie, de nous livrer ta provende.

M. Blanc rêvassait, sa dextre négligemment passée dans le décolleté d’Adeline dont il titille les boutons moletés comme pour essayer de capter sur la modulation de fréquence un émetteur confidentiel.

— Moi, commence-son-récit-il, je me suis donc occupé de ton avocat de mauvais augure. Ce triste maître demeure boulevard Saint-Marcel, dans un vieil immeuble en piteux état. Son cabinet et son appartement s’y confondent, de même que sa concubine lui tient lieu de secrétaire, à moins que ce ne soit le contraire. Cette personne est une virago de la pire espèce qui n’ajoute rien à son standing.

« Assez jolie mais d’une vulgarité sédimentaire qui fait froid dans le dos d’un nègre. Elle ne peut prononcer une seule phrase sans y inclure une grossièreté ou un terme argotique de basse inspiration. Quand je me suis présenté à l’étude, elle était dans tous ses états et n’a fait aucune difficulté pour me donner la raison de sa surexcitation. Maître Krackzyblum venait de partir en voyage sans l’en avertir autrement que par un mot laconique laissé en évidence sur sa machine à écrire, et sans lui fournir la plus petite explication quant à sa destination ni à l’objet de son déplacement. Elle hurlait que ce rasta de merde la doublait, qu’il était toujours partant pour suivre le premier cul malodorant de passage, et autres choses qui eussent dû rester confidentielles mais qu’elle lançait à tous les échos.

« Lorsque la tempête s’est quelque peu calmée, j’ai tenté de lui tirer les vers du nez à propos de la visite qu’aurait rendue un malfrat à Krackzyblum récemment. Elle s’est marrée férocement en glapissant que si elle devait tenir un répertoire de tous les truands vrais ou faux qui défilaient dans cette officine, il lui faudrait un ordinateur. Après quoi, elle m’a demandé s’il était exact que les Noirs ont une grosse queue ; comprenant alors que les choses risquaient de dévier et peu soucieux de me laisser violer par une houri pareille, j’ai battu en retraite. »

Il passe sa belle langue violine sur la paire de charentaises pourpres qui lui tient lieu de lèvres et ajoute :

— C’est tout ce dont je dispose pour l’instant. J’ajouterai toutefois que maître Krackzyblum est parti en laissant sa voiture et qu’il a emporté un appareil enregistreur dont il se servait parfois pour préparer ses plaidoiries.

— Ce n’est pas si mal. As-tu relevé l’identité de la concubine-secrétaire ?

Si Jérémie était pigmenté différemment, il est probable qu’il rougirait. Là, il chocolate seulement.

— Je vais te faire un aveu, San-Antonio…

— Tu n’y as pas pensé ? lui allé-je au-devant.

— C’était une telle furie ! On ne demande pas son nom à un typhon !

— Et pourtant il en porte un, fais-je : ridicule la plupart du temps.


Qu’à propos de typhon, il s’en opère un dans mon modeste pavillon en cours de surpeuplance. Des portes claquent ! Des courants d’air intempestifs secouent les rideaux heureusement dépoussiérés par Félicie. Un pas précipité qu’accompagne un ronflement rauque, puis un flamboiement et voilà Mathias, le surrouquin campé dans l’encadrement de la lourde.

Rutilant de rouquinerie et de rage. Le regard fou, la bouche convulsée et marquée de bave mousseuse aux commissures. Tu sais qu’on ne se cause pratiquement plus depuis qu’il a été nommé directeur du laboratoire (grâce à mon intervention) et qu’il s’est mis à me traiter dès lors comme étron de trottoir, m’interdisant désormais de le tutoyer et encore moins de l’appeler « le Rouquemoute ». Un pauvre et triste sire gonflé de vanité, comme tant d’autres ! Faits pour être d’admirables subalternes et qu’une promotion transforme illico en sales cons.

— Môssieur le directeur du laboratoire de police technique de mes couilles ! m’exclamé-je. Mais que nous vaut l’honneur de cette visite aussi auguste qu’improvisée et nauséabonde ?

— Nous irons sur le pré, monsieur le commissaire ! rétorque cette affreuse crème de gland.

— Sur le pré ! Monsieur le directeur voudrait se mettre au foute-balle ?

Il frappe du talon, comme jadis les tragédiens au moment de déballer leur tirade.

— Assez, monsieur ! Nous nous battrons en duel ! Et comme je suis l’offensé, je choisirai les armes. Vous sachant imbattable au revolver, je prendrai le sabre d’abordage ; ma rancœur et mon courage me permettront de pourfendre votre misérable faciès de séducteur au rabais ! Je ne vous tuerai point, monsieur le commissaire, du moins vous défigurerai-je afin de mettre fin aux immondes copulations qui vous font détruire des foyers, briser des amours et sortir d’honnêtes mères de famille du droit chemin !

L’effarement, tu sais ce que c’est ? Non ? Ben regarde ma frite ! Je tombe des nues. Et sur les fesses encore ! Je ne trouve rien à dire. Je mate Pinuche, tout aussi interloqué que moi ; Jérémie qui a mis ses trente-deux dominos pleins phares. Peut-être que je branle du chef ? Je branle du chef, hein ? J’en étais sûr !

— Je vous enverrai mes témoins ! annonce M. Van Gogh. Vous pouvez d’ores et déjà choisir les vôtres.

M. Blanc, nègre mais plus prompt à la récupération, demande :

— Vous pouvez nous dire ce qui motive votre colère, monsieur le directeur ?

Mathias écoute comme quand Von Karajan a remis sa baguette au fourreau et que les mélimélomanes sous le charme continuent de prêter l’oreille au silence qui suit Bach.

— Hmmm ? finit-il par nasiller.

— Vous nous devez une explication, je vous l’assure ! renforce mon black pote.

Alors le rouquin met la main à sa poche intérieure et en ressort une enveloppe. Il déclare :

— Le commissaire San-Antonio a remis son veston à mes services afin que nous analysions le sang qui le maculait. Pendant l’opération, une lettre est tombée du vêtement : celle-ci. Elle était adressée à Mme Charlotte Mathias, poste restante, bureau 494 (mon quartier). Je vous en donne lecture :

Lolotte, ma folie folle.

Il abaisse le poulet.

— Style de garçon coiffeur, commente-t-il, puis reprend :

Je vis encore sous le charme de notre dernière étreinte. Tu fus lascive au-delà de tout ! Perverse à m’en faire damner ! Je sens encore frétiller le bout agile de ta langue sous mes énormes testicules ! Comment, mon cher démon, as-tu pu les prendre entièrement dans ta bouche mutine ? L’un après l’autre, certes, mais si complètement ? Et comme tu m’emportais dans d’indicibles délices, ma sorcière fabuleuse quand, au plus fort de mes assauts, tu lacérais mon dos de tes ongles en criant : « Oh ! oui, fais-le-moi, mon dix-huitième enfant » je me suis abandonné dans un cri qui semblait être l’écho du tien, sublime salope. Je compte les heures qui me séparent de notre prochaine rencontre. Ton San-Antonio rien qu’à toi. Post-scriptum : Ah ! qu’il est doux d’encorner ton cocu incandescent ; comme cela ajoute à la volupté que de baiser la femme d’un aussi grotesque dindon.

Mathias laisse tomber son bras, accablé par cette relecture.

— Le bout de l’ignominie ! balbutie-t-il. Un ménage comme le mien. Dix-sept enfants dont ceux qui sont scolarisés sont les premiers de leurs classes. L’aîné bientôt vétérinaire. Une fille secrétaire au Front National ! Messe en famille chaque dimanche. Pour en arriver à cette honteuse faillite dégradante. Une épouse irréprochable qui, soudain, la quarantaine passée, se roule dans le stupre et la fange. Devient la truie lubrique d’un effroyable pourceau ! Ah ! que le Seigneur me rappelle à Lui lorsque j’aurai saccagé la gueule du bellâtre.

Des larmes dégoulinent sur son visage. La douleur d’un homme, même celle d’un sale con, reste émouvante.

— Mathias, fais-je, reviens deux minutes sur terre avec nous. Tu te rends bien compte que cette lettre est une farce !

Il bondit, s’arrête à quatre-vingt-six centimètres de moi, comprenant que s’il me touche, je le toucherai également et que ce sera au menton et qu’il faudra lui faire respirer beaucoup d’ammoniaque pour qu’il reprenne ses esprits.

— Taisez-vous, horreur vivante ! Ayez au moins le courage de votre vilenie. Vous ne vous en tirerez pas par le mensonge et la poudre aux yeux. Vos dénégations sont non seulement inutiles, mais scabreuses, car, à la lecture de cette lettre, Charlotte, ma chère épouse, s’est effondrée et m’a tout avoué !

Des frissons me plissent soleil autour du nombril ! Là, Sana, ton valeureux, Sana ta chère grande gueule, Sana le vaillant, trouve opportunément une chaise à laquelle confier son derrière anéanti.

— Elle a avoué quoi ? je susurre, comme le rossignol frileux à l’oreille de la fauvette blottie à son côté dans un buisson que dénuda l’hiver.

— Qu’elle est votre maîtresse, monsieur le commissaire.

Il se signe. En un exemplaire, mais bien.

Je dois compter mentalement et en chiffres romains jusqu’à douze avant de retrouver ma respiration.

La mégère de Mathias avouant qu’elle est ma maîtresse ! Mais dans quel cauchemar sans fond m’enfoncé-je ? Pince-moi ! Il faut que je me tire de cette infernalerie ! Ma raison va y sombrer.

— Ecoute, Rouillé, finis-je par déclarer à voix de tribun. Ecoute, Fleur de tournesol, je n’ai jamais couché avec ta femme, n’ai jamais envisagé de le faire, même dans mes cauchemars consécutifs à des beurrées cosaques, ne le ferai jamais et ce pour cent raisons au moins dont la principale est qu’elle me fout la gerbe. La pensée d’introduire mon membre dans l’ébréchure mal poilée qui lui tient lieu de sexe, me couvre d’eczéma, de bubons jaunâtres et d’urticaire purulent. Je n’ai jamais baisé cette machine à pondre, Rouquin. J’ai baisé ma bonne actuelle et celle qui promenait notre aspirateur en laisse avant elle ; j’ai baisé la petite manucure du salon qui me coiffe ; j’ai baisé dix femmes de notaire, six pharmaciennes, quatorze doctoresses, deux conductrices de tramway (en province), cinq contractuelles, vingt-quatre hôtesses de l’air, mille entraîneuses de nuit, une femme cocher (à Vienne, Autriche) ; notre ancienne bouchère, treize patronnes de bistrots, dix-huit tenancières d’auberges internationales, la cousine de la reine Fabiola (bien qu’elle lui ressemblât), cent onze secrétaires ou standardistes de maisons de commerce, trente-quatre comédiennes dont certaines très célèbres. J’ai baisé l’épouse d’un pasteur anglican, sa fille aînée, sa fille cadette, sa belle-sœur et la mère de celle-ci.

« J’ai baisé Sonia, Angélique, Hélène, Martine, Valérie, Sarah, Augusta, Marcelle, Marcelline, Barbara, Alberte, Gisèle, Myriam, Flavia, Hildegarde, Gertrude, Marie, Marie-Thérèse, Marie-Ange, Marie-George, Marie-Anne, Marianne, Judith, Marguerite, Maud, Mariette, Gilberte, Antonnella, Francine, Françoise, Antinéa, Aglaé, Josepha, Sidonie, Elisabeth, Marika, Nathalie, Philomène, Julie, Julia, Emilie, Frédérique, Jeannine, Elvire, Solange, Josette, Antoinette, Maryse, Adélaïde, Odette, Amélie, Rose, Jocelyne, Pierrette, Thérèse, Nicole, Noémie, Marthe, Williamine, Cynthia, Joan, Anne, Prune, Andrée, Emmanuelle, Violette, Marie-Laure, Georgette, Patricia, Maureen, Jacinthe, Anémone, Marinette, Anne-Marie, Marie-Rose, Rose-Marie, Raymonde, Alice, Michelle, Claire, et environ douze mille cinq cent cinquante autres dames dont, à cet instant, les prénoms se dérobent à leur tour pour moi.

« J’ai baisé quarante-sept ouvreuses de cinéma, une de théâtre (elles sont moches en général). J’ai baisé trois avocates, non : cinq ! J’ai baisé un commissaire-priseur femelle, six épicières (produits de luxe), seize teinturières-repasseuses (j’adore l’odeur de la naphtaline et celle du linge chaud), deux charcutières, deux boulangères, huit pâtissières, la fille d’une dame-pipi (qui remplaçait sa mère), cinquante-cinq postières, trois employées des contributions, treize shampouineuses, neuf dames patronnesses, trente-trois femmes de lettres (elles écrivaient mal mais Dieu qu’elles limaient bien !), une garde-barrière, une pompiste belge, cent seize libraires, une herboriste, une égyptologue, une sociologue, une réparatrice d’imparfait du subjonctif, une laborantine, trois tantes à héritage, mille huit cent neuf veuves pas encore sur le retour, six directrices d’agences immobilières, quatre-vingts professeurs ou institutrices, trois bijoutières, une spéléologue et quatre mille deux cent onze auto-stoppeuses.

« J’ai baisé des Américaines du Nord, du centre et du Sud, des Asiatiques et des Arabes (ce qui n’est pas aisé : les secondes parce qu’elles sont farouches et les premières parce qu’elles sont étroites), des Africaines, des Océaniennes, des Russes, des Allemandes (en quantité ! toujours ça que les boches ne tireront pas !), des Anglaises (ma folie), des Italiennes, des Espagnoles (le feu occulte), des Scandinaves (on the rocks), des Roumaines, des Hongroises, des Polonaises, des Bulgares, des Turques, des Grecques, des Irlandaises (attendrissantes), des Tchèques, des Chypriotes, des Monégasques (c’est pas un rocher, c’est un trou !), des Suissesses, des Portugaises, des Lapones.

« J’en ai baisé des jeunes, des vieilles, des grandes, des petites, des grosses, des mafflues, des locdues, des imberbes, des velues comme l’astrakan, des superbes, des blondes, des brunes, des rouquines comme toi, des dévergondées, des pétasses, des innocentes, des très religieuses, des aveugles, des sourdes, des culs-de-jatte, des manchotes, des siamoises, des juives, des calvinistes, des catholiques, des bouddhistes, des confucianistes, des agnostiques, des musulmanes, des clitoridiennes, des fellatrices, des lesbiennes, des connes, des riches, des pauvres, des princesses et même une qui était intelligente.

« Oui, Rouillé, j’ai baisé ce que je viens de t’énumérer et qui ne représente que le dixième de la moitié du quart des femelles que j’ai fourrées. J’ai niqué tout ce joli monde et mille fois davantage, mais je n’ai pas sauté ta rombière ! Fais-toi une raison, valeureux lauréat du prix Cognacq, jamais mon membre épanoui n’a connu ni ne connaîtra la babasse exténuée de ta malheureuse épouse. Si elle a prétendu le contraire, elle a menti, et on la comprend de céder au péché quand on est soupçonnée d’un aussi glorieux coït ! Cette lettre est un faux et je vais te le prouver. »

Je saute sur le bloc qui nous sert à marquer nos points quand on joue au scrabble, m’man et moi, dégaine mon stylo.

— Je vais sous tes yeux de lapin russe hépatique te fournir un exemplaire de mon écriture, figure de fifre. Tu iras le comparer avec ta missive à la gomme.

J’écris :

Mathias est un sale con à la raie duquel je pisserai tant qu’il me sera octroyé de pouvoir remplir puis vider ma vessie.

San Antonio

Je glisse ce rare document entre les doigts du Rouquemoute.

— Et maintenant, taille-toi, déjection ! Quand on voit ta gueule, on rêve de devenir Ray Charles.

Mon discours virulent l’a déconcerté. Il se retire d’un pas d’automate dont les piles commencent à être nases.

Nous demeurons quelques instants sans parler, puis un rire profond, intense, violent, un rire en forme de bourrasque nous secoue. On se dit rien. On se regarde et on rigole ! On se claque les jambons ! S’étouffe ! Pouffe ! Pleure ! Se courbe en deux, en trois ! S’enroule !

On risque de se marrer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Oui : l’asphyxie nous guette. On va éclater de trop éclater de rire. Quelque chose nous disloque le zygomatique, la rate, les soufflets. On s’exténue de se tordre pareillement.

La survenance de Maria-la-bellement-bouffée, accroît encore cette rigolâtrie éperdue. Elle parle. Comme on n’entend pas, elle crie. Et ça dit :

— TÉLÉPHONE !!!!

Bon, la réaction s’opère. Le ronfleur, ça veut dire que la vie continue et qu’elle n’est, après tout, pas si marrante qu’on le rit.

Je décroche.

C’est m’man. Sa voix blanche ! M’man en désespoir. M’man en perdition.

— Antoine ! s’écrie-t-elle, la vilaine femme de l’autre soir vient d’enlever Toinet !

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