Il est payant, Riri, avec sa limace fantoche et son futal rouge. On dirait un zouave pontifical en vacances. La chemise porte un motif bizarroïde. Le truc représente confusément une course de traîneaux dans le Grand Nord (en anglais the Big North). Il s’est cloqué un serre-tronche, histoire de faire plus martial. Et le serre-bol comporte lui aussi un motif : des feuilles de lierre. On dirait que le gars Riri vient d’enlever le premier prix de tir au poulet à la Faculté de défouraillage de Bidanlair.
Comme je me marre, il s’inquiète :
— Quoi t’est-ce qu’il y a, m’sieur le commissaire ?
— Tu ressembles à Néron enfant, lui dis-je. T’aurais une plume dans le prose, la ressemblance serait hallucinante !
Il ronge son frein en gardant les bas morceaux pour plus tard.
— Vous vouliez me causer ?
— Oui, mon lapin. J’ai pris mes dispositions concernant l’attentat.
— Alors ?
— T’as le feu vert.
— Comment ça, le feu vert ? bée Belloise.
— Tu peux trucider Lormont tout est O.K.
On lui mettrait des fourmis rouges dans son calbard qu’il ne serait pas plus surexcité.
— Vous vous foutez de moi, commissaire ?
— Pas du tout !
— C’est complètement insensé !
— Justement : j’adore les histoires de dingue.
Mais exciter trop longtemps la curiosité d’un type comme Riri n’a rien de plaisant. Son cervelet n’a pas le format Magnum, ce serait plutôt la bouteille échantillon. Je me décide à l’affranchir :
— Demain matin, Lormont viendra ici. Il sera fringué d’une manière un peu tapageuse, tu me suis ?
Avec peine. C’est un cul-de-jatte de la matière grise. Avec cécoinces, il faut adopter la vitesse croisière et ne pas oublier de mettre ses clignotants dans les carrefours.
— Oui, mais…
— Une fois dans ma carrée il se dépoilera. Pas parce que j’ai des mœurs contre nature, mais parce qu’il refilera ses fringues à un homme à moi. Lorsque mon gars aura mis les vêtements de Lormont il ira faire un peu de ski et tu le suivras, tu me files toujours le train, baby ?
— Oui, mais…
— Lorsque vous serez un peu à l’écart, lui et toi, tu le flingueras comme un lapin. C’est pas plus dif, Riri.
— Pourquoi t’est-ce que je buterais un de vos archers, m’sieur le commissaire ?
Si je le laisse se poser des problèmes, il va chauffer et péter un joint de culasse, mon Belloise. Déjà que ses culbuteurs font un drôle de bruit !
Je ne sais pas si c’est un effet d’optique, mais de la fumée commence à lui sortir des orifices.
— Tu tireras mon collègue avec le joujou que voici.
Et je sors de ma valoche un pétard qui stopperait le hoquet d’un pic pneumatique.
— Chouette mécanique, apprécie Riri.
— C’est un Beretta, l’arme de l’homme sportif. Deux dragées de ce machin-là dans la poitrine et te voilà plein de courants d’air !
— Enfin, quoi, bon Dieu, vous ne voulez pas que je mette en l’air un poulet pour sauver les os de Lormont ! C’est pas que je soye communisse, m’sieur le commissaire, mais je trouve que c’est pas normal.
— Il est chargé à blanc, gros malin !
Le visage de Belloise devient radieux comme un coucher de soleil sur la Méditerranée.
— Compris ! affirme-t-il avec une grande sobriété d’expression.
— Bravo. Je savais que tu étais un garçon extrêmement intelligent.
Je lui remets le Beretta.
— Voilà l’objet, Riri. Mets-le au frais en attendant demain.
Dans l’après-midi, je réceptionne l’envoyé du Vioque. C’est en le défrimant que je mesure la sagacité du Tondu. Il a l’american’s eye, le Dabe. Laurent, son messager, a exactement la silhouette de Lormont. Même corpulence, même calvitie, même forme de visage. On pourrait croire que les deux hommes sont du même maire, mais pas de la même paire !
J’affranchis Laurent sur le pourquoi du comment du chose et il se gondole comme un Vénitien. Je l’emmène sur la piste blanche où il s’avère excellent dégringoleur. Bref, il est pile l’homme qu’il me fallait. On passe un après-midi ultra-sportif et une nuit épique dans différents établissements tous plus sélects les uns que les autres. Whiskies à gogo !
Laurent est ravi par ce turbin en forme de vacances. Lorsque nous regagnons le Sapin Bleu, à une heure très avancée pour son âge, il me gazouille dans les manches à air que c’est un job idéal que le nôtre, vu qu’il vous permet de vivre des instants de qualité aux frais de la mère Marianne.
Le lendemain, d’assez bonne heure, la jeune vierge de la réception m’annonce qu’un monsieur me demande. C’est Lormont qui me rend ma politesse. Il radine, loqué d’une manière plutôt marrante. Il porte un fendard presque blanc, coupé d’une bande noire verticale. Il a un anorak agrémenté d’un aigle dans le dos. Il a sur la tronche une toque d’astrakan (Béru appelle ça de l’estragon) et ses lunettes sont en virgule.
Sarcastique, il virevolte dans la pièce.
— Ça vous va comme ça, San-Antonio ?
— C’est inespéré, monsieur Lormont, j’espère que vous me donnerez une photo en souvenir.
— Et maintenant que dois-je faire ?
— Vous dévêtir ! Je vous ai préparé une robe de chambre, des pantoufles et de quoi lire. De plus, vous pourrez demander ce que vous voudrez à la réception, la police française sera heureuse de vous offrir les boissons de votre choix !
Il ouvre de grands châsses.
— Expliquez-vous !
Je tambourine contre la cloison et Laurent fait une entrée rapide.
— Voici l’inspecteur Laurent qui va enfiler vos effets et prendre votre place !
— Et alors ?
— Il partira faire du ski. Le tueur à gages le suivra et l’abattra de plusieurs balles dans le dos !
Je lui vaporise mon clin d’yeux numéro 68 ter celui qui a fait perdre la tête à une rosière et ses boutons de jarretelles à la sœur aînée de ladite rosière.
— Balles à blanc, dans la neige, c’est de circonstance. Mon homme culbutera et fera le mort.
— Mais où voulez-vous en venir ?
— À ceci : pendant plusieurs heures vous serez officiellement mort !
Lormont blêmit, rougit, jaunit, verdit, violit, marronnit (comme Saint-Laurent du), orangit, arc-en-ciélit, puis reprend tant bien que mal sa couleur initiale.
— Pensez-vous un instant, mon bon ami, aux conséquences qu’aurait une telle nouvelle ? Le remue-ménage qu’en toute modestie elle causerait dans l’industrie ! L’effervescence qui régnerait dans mes usines ! L’affolement de ma famille ! Le…
Je le stoppe d’un geste péremptoire.
— Attendez : la nouvelle ne dépassera pas Courchevel.
— Mais la presse est représentée ici !
— Il se trouve que je suis un ami de Jean Laurent-Lefébure, le Lazareff de Courchevel ! Si je lui dis d’écraser, il écrasera, c’est un gentleman.
— Et ça vous donnera quoi, que la population de Courchevel me croie mort ?
— La possibilité de démasquer ceux qui en veulent à vos jours, monsieur Lormont !
— Comprends pas !
— Ils sont là, dans l’ombre, qui surveillent les agissements de leur tueur. Sitôt son forfait accompli, ils se manifesteront. C’est à ce moment-là que j’aurai ma chance de leur mettre la main au collet !
Il réfléchit.
— Je vois, mais supposons que la nouvelle transpire tout de même. Supposons que quelqu’un d’ici téléphone à un ami de Paris et que la nouvelle gagne la capitale, malgré toutes vos précautions ?
— En ce cas je ferais démentir immédiatement. Nous dirions que l’homme abattu était un voleur à la tire qui vous avait dérobé votre portefeuille avant de se faire descendre.
— Je n’aime pas beaucoup ce genre de publicité.
Il va pas remettre le couvert, Lormont ! Je suis sur le point de lui dire qu’il aille se faire empailler où bon lui semblera lorsqu’il réalise ma rogne et fait amende honorable.
— Mais peu importe ! ajoute-t-il. Marchons dans votre plan, après tout c’est votre métier. Vous êtes le policier et moi la victime !
En riant il se désape. Laurent met ses fringues. Tout est O.K. Je file un coup de grelot à Belloise qui attend d’entrer en piste dans sa chambre, en faisant probablement une fleur à sa souris. Vu l’altitude, cette fleur serait un edelweiss que ça ne m’étonnerait pas !
Dix minutes plus mieux tard, une gentille colonne se dirige vers le tire-miches de la Loze. Il y a là : le faux Lormont (qui a l’air plus vrai que l’authentique) ; puis le dear Belloise avec son Beretta dans la ceinture, et enfin le superbe commissaire San-Antonio sur qui se détournent toutes les dadames de la station.
Il fait un temps comme sur les affiches de propagande. Le ciel est bleu comme les yeux de la môme Lydia et les montagnes aussi drues que sa ravissante poitrine.
Les cannes de remontée cliquettent dans l’air salubre. Nous nous sommes élancés à la queue leu leu dans la formation décrite plus haut. La neige siffle sous nos planches la marche du général Hiver. Votre San-Antonio, mes petites loutes si chéries, ouvre grand son œil givré. Mon plan sera-t-il payant, ou bien me ramasserai-je lamentablement ? J’opte pour l’optimisme. Les zigs qui en veulent à Lormont ne doivent pas avoir une confiance aveugle en Belloise et ils le font surveiller discrètement pour s’assurer que le pote Riri ne les pigeonne pas.
Nous arrivons en haut de la Loze. Laurent largue sa canne et pique vers la vallée après avoir assuré la bride de ses bâtons dans ses pognes. Mon petit camarade Riri en fait autant. Je mate un bout de moment leurs gracieuses arabesques avant de plonger à mon tour. Mais au lieu de les suivre, je descends en biais, de manière à conserver de la hauteur par rapport à eux.
À cette heure de la matinoche, il y a encore peu de trèpe sur les pistes. Néanmoins quelques skieurs radinent et foncent, dans la position de l’œuf (celle mise à la mode par Yul Brynner). Maintenant, Belloise et Laurent se trouvent très au-dessous de moi. Ils bombent en direction de la piste bleue, suivant l’itinéraire que j’ai établi.
C’est un coinceteau tout ce qu’il y a de peinard en ce moment et où il fait bon revolvériser son prochain. Laurent s’arrête dans un nuage de neige provoqué par son savant dérapage. Il plante ses bois de part et d’autre de son académie, comme un type qui a décidé de se gargariser à l’oxygène en matant un merveilleux paysage.
Mon pote Belloise le rattrape. Je distingue confusément son geste. Ça fait BOUM-BOUM ! en majuscules, et un petit nuage de fumaga s’étire dans l’air vivifiant. Belloise repart, bille en hure, tandis que mon collègue s’écroule dans un style qui rendrait jalmince un type du Français interprétant Shakespeare.
Je ne me presse pas d’intervenir car je tiens à voir ce qui va suivre. Trois bonnes minutes s’écoulent, et mon pote Laurent gît toujours dans la neige. Il doit trouver le temps long, le pauvre biquet. Enfin un petit groupe de trois skieurs fait un crochet et s’approche de lui. J’aimerais bien voir à quoi ressemblent ces quidams.
Voilà donc le San-A. sur lattes qui pique schuss. Mes Allais 60 miaulent comme un chaton enfermé dans un frigidaire. Je suis déçu. Les trois skieurs en question se composent d’un moniteur de la station que je connais bien et de deux jeunes Anglaises auxquelles il donnait un cours. Le moniteur est agenouillé auprès de Laurent.
Il me regarde et murmure :
— Je ne sais pas ce qu’il a pu se faire, regardez !
San-Antonio regarde, mes lapins. Et ses dragées présidentielles se convulsent sous l’effet de la stupeur. Mon camarade Laurent est mort. Il a morflé deux bastos dans le buffet. Une immense tache rouge s’étend dans la neige. Je palpe son pouls : nobody ! Je regarde sa bouche : pas la moindre buée ne s’en échappe. C’est fini. FINI !
— C’est un crime ! m’annonce le moniteur en ramassant le Beretta tout chaud qui s’enfonce lentement dans la neige durcie.
— Ça m’en a tout l’air, bredouille cette nave de San-Antonio.
Je hurlerais de rage si, biscotte la neige, je ne craignais de passer pour un loup.
M’est avis que cet enviandé de Riri m’a repassé de première. Il a changé les fausses valdas du Beretta contre des vraies. D’accord, Laurent n’a pas dû souffrir. Mais sa stupeur, à ce pauvre gars, lorsqu’il a réalisé qu’il prenait de la vraie purée dans les éponges !
— Je vais prévenir les secouristes et la gendarmerie ! fais-je au moniteur.
J’ai hâte de remettre la pogne sur Belloise. Quand j’aurai fini de lui raconter ma vie, il ne lui restera plus assez d’oreille pour écouter le dernier disque de Frank Sinatra. Si toutefois il est assez patate pour m’avoir attendu !
Eh bien ! croyez-moi ou allez vous faire tatouer le numéro de téléphone de M. Jean Mineur sur l’omoplate gauche avec un cure-dent à fourche télescopique, mais la première personne que j’avise en radinant au Sapin Bleu, c’est mon Riri, aussi radieux qu’un documentaire en couleurs sur les îles Hawaii. Il est au bar de notre hôtel et sirote un between the sheets en écoutant la radio. Il me vote un sourire en 140 de large lorsqu’il m’aperçoit.
— Alors, m’sieur le commissaire, ça va comme vous voulez !
— À merveille, Al Capone !
Il rit et profitant de ce que le barman fourbit son perco, il murmure :
— Vous avez vu ce carton ! Votre zig est un comédien de première. Ma parole, j’ai vraiment cru qu’il morflait le potage !
Il s’avise de ma mine lugubre et demande :
— Mais qu’est-ce qui se passe ? Vous semblez tout chose ?
— C’est pas moi qui suis tout chose, Riri, mais le gars que tu viens de dessouder !
— Comment ça ? bredouille l’enfoiré.
— Pas étonnant qu’il ait bien joué la comédie ; il y avait de vraies prunes dans le pétard !
Les ratiches de Belloise se mettent à jouer le grand air de Carmen.
— Dites, charriez pas, implore-t-il, j’ai horreur des histoires macabres !
Je sors de ma poche le Beretta que j’ai pris la précaution de conserver et je dégage le chargeur.
— Regarde les pralines qui restent, Baby. Tu ne vas pas me dire que ce sont des haricots verts ?
Oh ! la bouille du gentleman, mes aïeux ! Un vrai portrait robot !
— Mais, m’sieur le coco… Vous m’aviez dit que c’était chargé à blanc… Et puis j’avais moi-même vérifié par mesure de sécurité !
Sa mine effondrée n’est pas feinte ! Il n’est pas capable d’interpréter un rôle pareil, le Riri. Lui, la subtilité, c’est pas sa longueur d’onde !
— Je vous jure, m’sieur le coco… mis-saire, j’y suis pour rien. Nom de Dieu ! Je serais pas allé flinguer un flic sous vos yeux, surtout après vous avoir affranchi de ce qui se passait !
— Alors si tu es blanc, dis-je, c’est que quelqu’un d’autre a remplacé les fausses balles par des vraies !
— Mais, c’est impossible !
— Qu’as-tu fait de ce feu, depuis que je te l’ai donné, hier soir ?
— Il n’a pas quitté ma poche, je le jure, m’sieur le commissaire.
— Mais toi, espèce de lavedu, tu l’as quittée, ta poche, pour dormir, non ?
— D’accord, mais mes fringues étaient à côté de mon lit. Et elles n’en ont pas bougé, Lydia vous le dira.
— D’accord, Lydia va me le dire ! Où est-elle ?
— Elle est allée faire des courses.
— Viens !
— Où ça ?
— Dans ta chambre.
— Pour quoi faire ?
— Tu le verras, mais si c’est pour ta vertu que t’as des inquiétudes, ne te court-circuite pas le bulbe, le jour où je virerai ma cuti je choisirai des partenaires plus sexy que toi !
Nous montons chez lui. Vous me connaissez, mes amis, et vous savez qu’entre une fillette au cœur tendre et moi, il y a autant de différence qu’entre une violette blanche et un rouleur de fil de fer barbelé, mais franchement, je commence à prendre des vapeurs. Après un pareil coup fourré, la Terre ne sera plus assez grande pour que je puisse planquer mon humiliation !
Nous pénétrons dans la chambre 22. La pièce est vide. Sur la table, bien en évidence, j’aperçois une enveloppe portant comme libellé :
« À cette crêpe de Riri Belloise. »
Je décachette et je lis cette simple phrase :
« Tu as bonne mine, tueur de flic ! »
C’est tout. Mais ça veut en dire long. Le message signifie que les correspondants de Belloise n’ont pas été dupes de ma ruse et qu’ils ont su, avant même que le meurtre soit commis, que Riri les doublait.
— Tiens, dis-je, lis, c’est pour toi !
Il lit et devient jaune comme un grain de courge.
— Vous m’avez foutu dans une belle m… ! dit-il. D’ici que ces gens-là m’envoient dans l’espace, il n’y a pas loin !
— Dis-moi, Riri, ta môme était au courant de notre petit cinéma ?
Il hausse les épaules.
— Mais non, voyons !
Je le cramponne par les endosses, le forçant à me regarder.
— Tu as l’air aussi franc qu’un marchand de fonds qui essaierait de vous vendre une usine à gaz désaffectée en vous faisant croire que c’est le château de Chambord ! Tu crois vraiment que c’est encore le moment de me berlurer, Riri ?
Il baisse la tête.
— Oh ! bon, d’accord, la gosse sait. Mais elle est régulière, vous savez !
— Régulière comme les rayures d’un zèbre. Félicie, ma brave femme de mère, m’a toujours dit que la plus noble conquête de l’homme c’était le cheval et que la moins noble c’était la femme.
— Vous faites erreur, m’sieur le commissaire !
— J’adore ça, Baby. Si j’étais riche je ne ferais que ça. Seulement, voilà : mes moyens ne me le permettent pas.
Je le plaque pour aller rejoindre Lormont dans ma chambre. Le moment est venu de subir les premiers sarcasmes !
Ma piaule est aussi vide que celle de Riri. Je me dis que l’industriel est peut-être allé aux toilettes et je décide de patienter un moment lorsque je fais une double constatation : mon couvre-lit a disparu et on a sectionné les cordes à rideaux de ma fenêtre.
Qu’en pensez-vous, tas de nécrophages ? Bizarre, hein ?