SI « QUEUE-D'ÂNE » M'ÉTAIT CONTÉ ou la vie sexuelle de Bérurier
Roman

Je tiens à déclarer ceci :

Seuls, les imbéciles sont « choquables ». Riche de cette certitude, j'appelle un chat une chatte.

Et Bérurier « Queue-d'âne » !

San-Antonio.

PREMIÈRE BOBINE

— FACE 1 —

Cinq, trois, deux, quatre, zéro… On va voir si ça fonctionne, ce fourbi. Je crois que c'est ce bitougno qui renroule. On va toujours ess…


Ben ça m'a l'air corrèque.

Allez : faut qu'j'usine…


Allô ! C'est tonton Béru qui t'cause, Marie-Marie. Juste avant de clamser. J'eusse pas trouvé ce mégalophone à portée qu'on se quittait sec, en silence, vu qu'écrire, en ce dont il me concerne, c'est pas mon fort. S'agit pas d'un manque d'instruction de ma part, note bien, c'serait malheureux, mais j'fatigue vite du poignet si tu te rappelles ? Des doigts, aussi. Ça m'a toujours gêné dans le rédigement de mes rapports ; et de ce fait nui à mon avancement. Moi, garder les salsifis serrés autour d'un manche de plume, en moins d'deux j'ai la pogne glacée et les idées qui coagulent, esplique comme tu pourras. Or, on vit une époque basée sur les grands mots. Personne n'lit plus, mais le monde continue d'appartiendre à ceux qui scribouillent et causent comme des livres chiants. La culture, ça s'appelle. Avec un « Q » majuscule. Moi, y'a lulure que j'ai pigé ce qu'elle rime, leur culture, mouflette. La culture, vois-tu, c'est de connaître seulement cent mots de plus que les autres. Cent mots, et rien de mieux, parole !


J'te cause, en c'moment, pour deux raisons.

Primo, parce qu'on va me buter dans pas longtemps ; deuxio, parce que ça me ferait chier d'aller aux charançons sans t'avoir passé le flambeau. Je dis flambeau, faute de trouver mieux. Le flambeau de ma vie, somme toute, avant qu'y s'éteinde. Mettons que je te jacte une sorte d'espèce de testament. Oh, pas un testament espirituel, que non ! L'espirituel, c'est bon dans les banquets, quand t'as fait ton plein de super croque et que tu sais plus quoi branler en attendant de filtrer. Non, ce que je voudrais, c'est te parler honnêtement. Surtout t'hâte pas de me traiter de vieux nœud devant ce langage que j't'ai pas habituée. Pour mézigue, être honnête, c'est pas av'c les autres, mais av'c soi-même personnellement. Car, si tu seras honnête visse à visse de toi, tomatiquement y'aura des retombées sur les frometons qui nous entourent. De mon avis, honnêteté égale bon sens. Le drame des temps actuellement présents, c'est qu'les gens ont t'honte de leur bon sens et lui ferment la gueule d'autor. Ils ont décidé qu'y f'sait vieillot, comme si on mettrait une redingote de nos arrière-grands-vieux pour sortir en ville. Alors, ces pommes, ils essaient de faire sans. Et du coup, ils avancent à cloche-patte. A l'estrême rigoriste, on peut s'passer de la morale, assez chiante certains jours, je disconviens pas, mais on n'peut pas se passer de bon sens. Un julot sans son bon sens, c'est une boussole sans son nord, est-ce que j'me fais bien piger ?


J'te disais qu'on va me buter d'un instant l'autre.

C'est toute une histoire.

Te la raconter, j'me demande si ça serait pas une perte de temps dans ma situation, d'autant qu'tu la liras dans les baveux d'un d'ces jours. Seulement, dans les journaux, fillette, tu trouves de tout sauf la vraie vérité vraie. Leur vérité, aux canards, elle poisse toujours un peu les doigts, tout comme l'encre qu'ils sont imprimés. Ça provient, tu sais quoi ? De c'qu'on les achète, tout culment. Du fait qu'ils doivent être vendus, ils ne peuvent pas garder la liberté de leurs arbitres, les pauvres ! Y'a toujours Pierre, Paul, Jacques qu'ils doivent penser, ménager, tenir compte. La chierie humaine, c'est qu'il te faut, à peine sorti de la coquille, songer à te rendre achetable. A ce compte-là, tu tournes pute, doucettement, que t'aies ou non la convocation pour l'être. Tu sais, Marie-Marie, le monde n'est qu'un grand bordel où naissent des enfants. La perspective que t'es au seuil de ce boxon, ma gentille, me cisaille le moral et risque, j'sens bien, de me gâcher ma mort. Et qu'est-ce y'a de plus con qu'une mort gâchée pour un bon vivant tel que moi ?

La mort, parole de Bérurier, elle n'me file pas le traczir comme à d'aucuns-d'aucunes. Je l'en veux pas d'exister. C'est pas de sa faute, la mort, si p'pa n'a pas su éternuer dans son mouchoir. J'sus sur terre sans l'avoir voulu, j'me taille sans l'avoir voulu, c'est logique, non ? Harmonieux, comme dirait l'Antonio de mes chères deux qui se met toujours le cigare en torche pour esprimer avec des mots que, souvent, on se demande pourquoi. J'étais rien, j'redeviens rien, banco baronne, et bonne continuation ! Finir, selon moi, c'est rejoindre son début, revenir à l'heureux temps que je bringuebalais dans les burnes à mon dabe. On trouverait quoi t'est-ce d'effrayant dans tout ça ? La seule chose qui m'tarabuste, petite, pour t'en revenir, c'est d'me casser avant d't'avoir terminé l'éducation ; de t'prendre congé sans t'avoir finie, quoi.

D'ou c'te bobine de mégalophone qu'enroule mon amour de toi, comme un ruban d'adieu, fifille. Comme un ruban. Et je peux pas m'empêcher de penser à çui qu'tu t'filais dans les tifs, parfois : le bleu. Et ça me fait dans les yeux comme quand j'obstine à bouffer un piment rouge.

Merde !


Oui : merde ! Je m'en dédis pas. Du fait que je vais crever, j'entrevois les choses comme jamais encore : sérieusement. Si je m'aurais douté que j'pouvais devenir sérieux un jour ! Elle est raide, celle-là, non ? Tu le connais pourtant, Bon Dieu de bois, l'tonton Béru ? Lui, c'était la fiesta permanente, souviens-toi : rigolade, choucroute garnie, pinard surchoix, cuisses dodues. En somme, j'ai toujours comporté comme un homme, et j'en sus fier. Qu'est-ce j'eusse pu maquiller d'autre, de toi z'à moi ? J'avais des crocs pour jaffer, un gosier pour écluser, un zob pour fourrer (tu vois, je te cause sans tricher, comme si tu serais adulte, mais chez toi l'intelligence remplace l'adultère) et je m'ai donc servi de mes biens naturels. Brèfle : j'ai fonctionné. Juste ça : fonctionné. Le Bon Dieu attendait quoi de plus, sinon ? S'il joue les guette-au-trou, d'là-haut, il a pu qu'applaudir l'artiste ; je m'ai inscrit dans la logique des choses après tout. De ses choses à Lui et des miennes. J'ai pas peur de l'dire : je Lui ai fait honneur, parfaitement. A'v'c mon estomac, mes poings et mes couilles. Du moment qu'y m'les avait donnés…


Donc, ma jolie, l'idée de mourir me pousse au retour sur moi-même. Note qu'j'm'étais jamais trop éloigné de mécolle, en fait. Simplement j'ai passé plus de temps à vivre qu'à réfléchir. Et pourtant, des espèces de questions moisissent gentiment dans ma boîte à conneries.

Y n'm'reste pas chouchouille de temps pour y répondre.

Et après tout, oui : le plus simple est que j'te raconte c'qui m'a introduit à testamenter de la sorte.


Tout ça a commencé v'là trois jours, comme n'importe quelle enquête dont j'ai eu à procéder.

M'semble vous l'avoir dit, à tante Berthe et toi : le San-A. se trouve en vacances a'v'c maâme sa mozeur. Un bon bout de temps qu'il projetait de la driver dans les mimosas de la Côte, sa Félicie.

Pinuche étant malade, de suroît, je restais seulâbre à l'Agence pour espédier les affaires coulantes. Façon de causer. A part Claudette, not' escrétaire, j'avais rien à foutre. Seulement, quoi, même une gerce très salope comme cette gonzière, tu peux pas loncher toute la sainte journée, tempérament ou pas.

Quand t'as procédé à la petite pipe du matin, qui éclaircit le cérébral, puis à la belle bouillave digestive du tantôt, ça débouche où, la tringlette ? Je parle de la frottaille sans amour, quand t'est-ce le cul n'est qu'une question de peau. Puisque j'sus t'obligé de d't'causer maintenant comme je t'eusse causé plus tard, je dois te confier une chose familiale historique, môme : j'sus chibré comme pas grand monde d'autre. Rougis pas en m'entendant ces mots, tu comprendras un jour leur importance. Quand tu plongeras dans la paferie, tu sauras vite que la zézette est une baguette magique qui permet de baths réalisations sur l'plan humain. Tout jeune, dans la petite classe de Saint-Locdu-le-Vieux, je sortais ma queue en échange de rouleaux de réglisse. Y voulaient tous la voir, mes disciples à la con ; certains payaient plus cher pour la toucher, un peu comme s'ils y auraient pas cru. Et à présent encore, j'm'demande à quoi ça correspondait c'besoin qu'ils ressentaient de me visionner Coquette. Dans le fond, ça devait plutôt leur faire de la peine de me voir ainsi chibré féroce, avec un goumi de légionnaire, alors qu'y s'trimbalaient des virgules dans leurs petits bénouzes. Pourtant, y z'étaient fascinés comme qui dirait. Ils regardaient sans causer, en riant un peu de gêne, et y respiraient mal, comme quand l'inspecteur déboulait à l'improvisation dans not' école et se mettait à nous poser des questions qu'on se demandait si c'était seulement en français tellement qu'on y entravait ballepeau. Franchement, ma poule, je voudrais pas m'vanter à l'heure de passer l'arme à gauche, mais si tu serais un jour d'aller à Saint-Locdu, en voyage de noces par exemple, cause un peu de la bite à tonton aux melons de ma dégénération, et tu t'sentiras remplie d'orgueil.


Bon, je m'écarte. Mais c'est tant mieux. Les zigs qu'ont un vif du sujet et qui restent à cheval dessus ne vont jamais bien loin. Moi j'me laisse aller devant c'te petite grille noire du mégalophone en regardant tourniquer le ruban. Dans le fond, lui il s'enroule, et c'est moi que je me déroule. On se transvase, quoi. Je te livre tout en vrac, t'auras le temps de trier ; moi j'lai pas.


Pour t'en revenir, le cul…

Eh ben le cul, c'est la grande messe de l'amour quand tu aimes. Sinon c'est juste un moment de plaisir. Entre une bouteille de Juliénas et une pipe, tu la vois, la différence ? Sinon que la boutanche te fait plus de profit ? Pointer pour seulement régaler la viande, je vais te dire : c'est pas très malin. A preuve qu'ensuite d'après tu te sens tout pomme av'c ton panoche fané. Ainsi, pour ce qui est de ma part, gamine, sache que bouillaver Berthy ou bouillaver un aut' brancard ça fait deux. Quand c'est ma Berthe que je passe à la casserole, y'm'vient la sensation, en calçant, que j'fais des sortes d'éconocroques. Un peu comme j'gérerais ma fortune, tu saisis bien l'mordant d'là chose ? Je capitalise. Quoi ? Mystère et bullgum. Sont-ce des sentiments ? Probab', parce que du foutre je verrais mal ce dont ça correspond ; à moins de monter une suc-cure-sale de la banque du sperm ; mais j'serais pas capab' de la gestionner. Donc, applique-toi à toujours baiser av'c amour quand ton moment viendra. Paye-toi juste de menus estras temps à autre, manière de constater la différence, en t'gaffant de pas en prendre l'habitude.

A ce propos, y'a un truc que j'insiste énergétiquement, ma loute : sèche tes cours d'éducance sexuelle. J'sus pas bachelier, ni même brevetier, en tout cas, sur la tête de la mémoire à ma mère — et j'plaisante jamais sur ce sujet — je peux te dire que rien de l'amour n'saurait s'apprendre ailleurs que sur l'tas. Personne, aussi viceloque soye-t-il, n'a jamais biché son panard au tableau noir, en f'sant des graffiti.

Enseigner l'amour aux mômes est une pure dégueulasserie. Le moment de tremper v'nu, il leur reste quoi, aux jeunes gens et filles ? Y z'ont l'impression de faire une composition.

Plus loin, j'te raconterai mes espériences privées personnelles ; en admettant que j'eusse le temps d'aller plus loin.


Cette dérive juste parce que j'te disais que j'restais seul à l'agence av'c la Claudette et qu'après y avoir pratiqué les bonnes manières zusuelles je me tartais comme un croûton de pain derrière une malle.

Un matin, v'là le bignou qui carillonne. Je décroche : c'était le Vieux. Tu m'as souvent entendu au sujet de son propos à ce catafalque ambulant. Je vous l'ai dit répété cent mille fois et mieux l'à quel point il est grincheux, rouscailleur et pédant, ce sale corbaque déplumé. Jamais content, toujours à te reprendre pour ceci-cela et autre. L'œil comme un cube de glace en train de fondre dans un vouisky, la voix à te guérir l'hoquet le plus tenace, et des rebufferies à n'en pas finir. Le nombre de fois qu'il a failli m'faire étrangler en me surprenant en plein casse-graine dans mon burlingue lorsqu'il me surgissait à l'improvisation sur le pal tôt ! Charogne, va ! Tu vois : c't'une des personnes que j'regretterai le moins en dessoudant. M'a trop humilié, des années durant. « Bérurier, ça vous ennuierait de changer de cravate, la vôtre n'est qu'une cascade de jaune d'œuf. » Ou bien : « Je sais que vous affectionnez les liaisons, Bérurier, hélas, les vôtres sont par trop dangereuses. » Et tout à lavement av'c ce Clemenceau de poulailler. Un accidenté d'là culture, quoi ! Les mecs qui font leur vie avec la grammaire et les belles manières sont tous des sales cons, la vie m'a appris. J'ai jamais compris qu'l'Antonio aye un faible pour lui dans l'intérieur de son fort ; qu'y s'laisse impressionner par le théâtre de ce vieux guignol mal luné. Depuis qu'on a monté c'te combine d'Agence faussement privée, note qu'on était à peu près peinards. Y's'contentait de surviser de loin, le teigneux ; de nous bafouer par téléphone, or faut si peu de chose pour couper une communication.

Et v'là sa voix façon pôle nord qui me dégouline dans la trompette d'Eustache.

Et ça fournit à peu près ceci :

— Quoi de nouveau, Bérurier ?

— Heu… pas grand-chose pour le moment, m'sieur le directeur.

— Effectivement, vous avez le ton d'un oisif, mon cher. C'est mauvais pour la forme. Un policier doit sans cesse faire des gammes, tout comme un pianiste. J'ai présentement sur les bras une affaire très grave et très préoccupante sur laquelle mes bonshommes piétinent : j'aimerais que vous vous en occupiez officieusement, vous qui êtes un marginal.

Un marginal !

C'est quoi, au juste, un marginal, Marie-Marie ? Ça me plairait que tu mates sur le dico. A ce propos je te signale que, depuis qu't'as abandonné le piano, j'ai prêté le gros Larousse que tu t'assoyais dessus à Mme Frusque, notre voisine de palier, qui s'est lancée dans l'mot croisé conséquemment à son veuvage.


Non, marginal, j'vois pas, mais tel qu'il me l'a balancé, j'ai pigé qu'ça n'devait pas être spécialement gentil. Je passe l'outre, n'voulant pas faire des vagues inutiles.

— De quoi s'agite-t-il, m'sieur le directeur ?

— L'affaire Martin Martin…

— Le député assassiné ?

— Exaguete, Bérurier. Il a été abattu en sortant du théâtre, un soir de la semaine dernière. Quatre balles dans le dos au moment où il s'apprêtait à monter en voiture, vous avez dû lire la chose dans votre journal.

Son ton, en m'disant « vôôôtre » journal. On sentait bien qu'on n'lisait pas le même, moi et lui.

— J'l'ai pas lu, mais j'en ai entendu causer à la tévé, m'sieur le directeur.

— Alors, étudiez-moi ce dossier.

— Où que j'dois le prendre ?

— Quoi donc, Bérurier ?

— L'dossier ?

— Nulle part, c'est une image. Vous démarrez à zéro ; tout neuf, comprenez-vous ? Et discrètement. Je vous veux occulte.

S'il m'veut occulte, y m'aurait !


J'envoye la Claudette acheter les torchifs où qu'ça racontait en détails le meurtre du député, et j'm' sers un wouisky pour mieux davantage m'recueillir, bien préalabler avant de plonger sur cet os.

J'sus pas fana du wouisky, t'auras observé, gosse. Pour moi, c'est quasiment un remède. Juste c'que j'lu reconnais, c'est d'éclaircir les idées, le wouisky. J'comprendrais qu'on le vendasse sur ordonnance et qu'y soye remboursé par la Sécurité. La seule vraie boisson, cherche pas, c'est le picrate. Le vin, Marie-Marie, le cher vin. Voilà pourquoi j'ai du respect pour tous les pays qu'en produisent.

La flotte, c'est fait pour naviguer et s'laver le fion, deux points, c'est tout ! Alors, j'te recommande : bois du rouquin, ma chérie, et t'apercevras qu'y 'a pas meilleure façon de faire sa prière.


Ainsi donc, la Claudette revient av'c les baveux dont il me fallait pour capituler l'affaire. Ce Martin Martin, il n'eusse point été scrafé qu'on n'aurait causé de lui qu'dans le Vermot à la liste des députés. Député de Paris, pour comble. Un anonyme, comme qui dirait. Ancien radical relégué à la Majorité. Y fut trois heures ministre de la Marine Marchande sous la Quatrième. Il a un grand fils marié, et médecin. Une fillette d'un second mariage av'c sa escrétaire, car tu peux pas savoir l'à quel point que ça s'épouse en secondes noces, une escrétaire. Si t'aurais le vouloir de marier un riche chmol, mets-toi escrétaire, ma mignonne ; loque-toi de feurst couality et joue les bêcheuses pudiques. T'restera plus que d'attendre que ça biche. La présence continuelle d'un jupon, à moins qu'il s'agirait de la pire tarderie, je défie un mironton d'résister longtemps. Ça lui énerve le sensoriel, tu comprends ? Au début, il essaie de s'permett' des primautés, des charres, des gaudrioles, c'est le moment que la moukère doit chiquer à la fille-sérieuse-qui-crèche-chez-sa-vieille-et qu'a — un — n'idéal — trop — élevé — pour — s'laisser — calcer — sur — un — burlingue. Pour lors, le patron grimpe en mayonnaise. Il décarre dans les cadeaux princiers, les invitations chez Maxim's, les bisous au bout des jolis doigts fuselages. T'reste plus qu'à le ferrer des miches, un soir d'après champ', de première, sans chialer ta peine. T'y vas à l'envapage, momaque. L'abandon de l'instant, bicot les violons et les vaperies de l'alcool. Sors-lui le grand jeu aux brèmes biseautées. Tu te le gloutonnes dans le style égarement de mes sens qui font relâche de trop d'excitation. Le grand don de mon corps z'en folie ! La lyre, le big soleil ! Feu au cul à volonté ! Que ça lui court-jute le mental et la glandaille, pareillement. File-le sur les rotules, vides-y les rognons, démantibule-z'y la fougue plumardière. Que ça devinsse une carpette, t'entends, fifille ? Un vrai paillasson mouillé. Et alors, dès l'lendemain, tu t'reprends, comme disent les bouquins de grand-mère. La démission, très sèche : « Vous, z'un homme marié, m'embraser la cressonnière pour ensuite profiter de ma faiblesse ! Adieu, j'me retire de c'monde de perdisance, je m'engage nonne au Caramel, je vais en Alaska soigner les lépreux, fourbir les paturons aux vieillards dans les hostos d'Afrique, tout ça… » Si tu sais bien piloter ton kroumir, j'lu laisse pas six mois qu'il introduise une insistance en divorce pour te driver, tout chaud tout bouillant, à la mairie de son arrondissement. Plus ils sont riches, plus ils sont faibles du palpitant, ces loquedus, ma grande. Un gonzier qui se croit fort est toujours faible. Sa force ne lui vient que de sa prémonition sociable, c'est dire qu'elle équivale à zéro virgule zéro. Basée sur le bazar habituel des truqueries à la bouffe-moi-le-zob. L'homme qui se promeut s'en va de la vie véridique. Suffit de tortiller un peu des meules devant lui pour que pète son disjoncteur et qu'il surchauffe.


Pour ce Martin Martin, ç'a été ça : l'escrétaire zélée, ensorceleuse, à jupe fendue sur le côté. La collaborateuse indispensable que t'installes d'autor dans tes meubles. Une fois devenue maâme Martin, changement de décor. Bagouze au doigt, la v'là patronne ! C'est elle qui fait chier le cheptel, pour lors. Y'a pas pire engeance que les troufions promotionnés générais. Et comme, au surplus, cette vache à pédale connaît tous les p'tits secrets du gus : ses anciennes gerces, ses pots-de-vins, ses chetouilles, ses mauvaises r'lations, il est coincé définitif, le malheureux. Peut plus remuer un poil sans qu'elle monte à l'essai, la gourgande ; te le drive d'une main ferme. N'a seulement plus besoin de loncher avec. Lui pond un chiare pour se postuler la dynastrie, juste. Qu'alors, cette crêpe Martin adulée du peuple se réfuge entre d'aut' cuissots compatissants. Dans l'eau-cul-rance celles d'une actrice un peu tapée, la Betty Rosier, que tu lis son blaze en province perdue, sur les affiches des tournées Dupaf pour qui elle interprêtre « Poil de Betterave », de Jules Corbeau, ou « La Biche en Voyage », de Monsieur Perrichon. Y achète fourrures, bagnoles, robes et bijoux, payés par la caisse du parti à son fourreau d's'cours. Bonne guerre. Toujours été et sera toujours, tant que le monde sera con, donc monde. La vie…


Curieux que j't'esplique Martin Martin en ce moment. Attends, y'm'semb' qu'on vient…


Non, c'était le vent.

J'ai z'eu chaud de ne pas pouvoir finir.

Mais en fait, finir quoi-ce ? Et à quel quoi bon-ce ? Est-ce que tu seras-t-il plus avancée une fois que j't'aurai bien vidé mon cœur à la louche, et ratissé le fond de mes âmes pour crépir la tienne, mon enfant ? J'voudrais tant et tellement ! A cette minute, tu sais, ma musaraigne bleue, je revois tes petites taches de rousseur qui brillent au soleil, autour de ton nez, et je me sens tout chaviré, ma gosse, tout chaviré par ce bonheur qu'on a z'eu et que j'te laisse finir seule av'c ta tante Berthe. J'le vivais sans savoir, comme si ce serait été naturel qu'on s'aimasse et qu'tu fusses gentille. C'est à présent que j'comprends. Alors, la seule chose que je peuve faire, c'est de bien t'esprimer, escrupuleusement tout ce qui me passe par la tronche. Tout, comme ça se présente. D'ailleurs, j'ai jamais eu d'ordre.


Et puis, Martin Martin, bon. Son bigntz de député. Ses présidences. Ses r'lations publiques et privées. Les banquets, la chasse, le golf pour les journaleux. C'est huppé, comme sport, le golf. Le mironton qui quinquage, fissa il s'inscrit à Saint-Nom-la-Breloque, s'harnache pied et cape et se met à n'causer que de trous comme les fabricants de gruyère. Faut une panoplie pour tous les âges. Il accumuloncelle les cartes de membre, les décorations, les résidences s'condaires ou tertiaires. La fin des fins, c't'un vieux château branlé au fond des campagnes que tu fais rafistoler par les Beaux-z'Arts de l'Hôtel de Ville comme monument hystérique, avec moquette, chauffage au mazout, serrurerie de Bricard. A la santé du contribuable !

Martin Martin possédait son p'tit Versailles comme tout un chacun. Je crois qu'y devait t'être à peu près heureux. A sa gueule, on le voit Si t'as l'occasion, mate une photo de lui. Il crevait de contentement, m'sieur le ministre. Parce que tu sais : trois heures d'un ministère inabouti suffit qu'on t'appelle m'sieur le ministre jusqu'au Père-Lachaise. Sa deuxième épouse vanneuse pour les mondanités, sa comédienne pour le grand t'écart et la gloire pour tous les autres moments. Il était paré. N'importait que maâme Martin-bis soye une adjudante, non plus que la Betty Rosier figurasse au palmarès des vieilles tarderies parisiennes, de celles qui restent les dernières dans les raoutes histoire de sucer les r'tardataires. Les pipeuses-balais, somme toute. Que tchi, pour cézigue-pâte. Il croyait avoir réussi sa vie en pleine pothéose, messire Martin. S'prenait pour un grand duc républicain. L'avait du pouvoir et de l'artiche. Quand t'est-ce il inaugurançait un nouveau groupe scolaire, une petite bougresse le galochait en lui refilant un bouquet. C'est quoi, la gloire, sinon qu'on t'off des fleurs devant des caméras ?

Un ruban tricolore, c't'un bon bouclier, t'sais, Marie-Marie.

A propos de ruban, va falloir que j'retourne çui du mégalophone qu'arrive à dame.

Tu m'escuseras ?

— FACE 2 —

Ça y est.


Je viens de regarder dans le tiroir : c'est bourré de bobines vierges. Si on me laisserait le temps, je pourrais te tartiner jusqu'à la saint Trou. Tu voyes pas qu'je finis orateur, mine de rien, à force ? Y'a qu'la première bave qui coûte. C't'en causant qu'on devient blablateur : un mot tire l'autre et tu dévides ton moulinet sans seulement prendre garde aux pensées qui en sortent. Tous les n'orateurs sont des espèces de plongeurs. Ils piquent une tronche dans le flot des mots : plouf ! Et puis y nagent. C'sont des papillons qui font la brasse. Et on leur crie bravo.


Moi, de c'moment, personne me crie bravo, sauf ma conscience, gamine. J'démène, j'démène à blanc. J'entends pas d'applaudissements, rien qu'ma voix. Et, te dire si c'est con : elle m'intimide, comme si j'la reconnaîtrais plus, que j'ne l'eusse jamais entendue pour d'bon. Not'voix, à soi, j'la compare à l'œil qui matait Caïn une fois qu'il a eu sulfaté son frelot.


Tandis que je tripatouillais ce mégalophone pour mett' la bobine à cuire sur sa face cachée, un truc carabiné m'est apparu, consécutivement à mon déblocage de la première, un truc que p't'être bien tout en dépend. J'vais te dire sans plus attendre Y nous est arrivé quéque chose de pas ordinaire, à toi, moi, Santonio, le Vieux, Berthe et nos potes, la famille, la crémière, le clodo du square, la concierge, toutim et tant d'autres que la liste est impossible. Quéque chose, ma petite miette, qu'est inarrivable à un Allemand, un Angliche, un Russe, un Arabe, un Jap ou un Ricain ; à peine ça serait envisageable pour un Rital, un Belge ou un Suisse, sauf cas sceptionnels.

Quéque chose de réellement médusant si t'y songes. Quéque chose qu'on est tellement habitué qu'on n'y fait plus attention. Et pourtant !

C'qui nous est arrivé, Marie-Marie, à toi, moi, nos potes et compatriotes, c'est qu'on est français.

C'est con à dire, tellement que c'est simple et évident. Mais n'empêche que, quoi qu'on fisse jamais, on restera français. Français…

Je me répète… J'écoute ma voix que j'reconnais pas… Français. Oui : français. C'est plus confortable pour crever. On canne en ayant mieux ses aises. Et pourtant, nom d'Dieu, y'a pas de quoi se fout' la queue en trompette quand on y songe. Oh là là, ce pacsif de défauts, mon n'veu. Ces avaries ! Ces sacs de nœuds ! C'te couennerie monumentale ! Vanneur, hâbleur, sale con, rouscailleur, cul étroit, gueule-en-pente, bousculeur, cocu ! T'as qu'à laisser la vanne ouverte pour que te dégoulinent les espressions propriées. Cocu, surtout. Le Français, c'est sa principale étiquette. Cocu ostiné. Cocu sur tous les plans. En politique, en sport, en affaire Claustre, en mornifle internationale, en gaullisme, en long, en large, en merde ! Co-cu ! Et fier d'y être ! Sa force, c'est ça : satisfait de son cocufiage. L'espression « cocu content », elle est françouze, ma puce, cherche pas z'ailleurs. Ailleurs, elle resterait incompris. Qu'un paquet d'embrouilles surgit quéqu'part, et tu vas le voir monter à l'assaut, le Franchemane, plonger dans la mêlée et en ressortir triomphant, avec la balayette merdeuse dans les pognes. Quand, dans le monde, un coup foireux se prépare, vite il joue des coudes pour en être absolument, ce tordu. Il marque contr' son camp chaque fois qu'y peut. Il agite son mouchoir d'là côte lorsqu'on lui chourave ses vedettes de guerre à son nez et barbe. Dans le cul, toujours ! Pas pédoque de nature, mais il raffole l'avoir in tze babe véri profondeli. N'importe qui, tout le monde : entrez v's'êtes chez vous. Dans le cul, pléase ! Gênez-vous pas ! Il a le fion en forme d'hangar. Son recteur est un centre d'accueil. Un gland qui traîne ? Vite, vite, vite : au chaud ! Jamais rater une occase de se faire miser. D'I'avoir dans l'oigne. Au plus qu'il prend de la bite, au plus il est sûr-certain d'être le mec le plus intelligent de la planète. Il croye avoir un cerveau monumental, l'Français, alors qu'il n'a qu'un énorme cul. Son prose, c'est le vrai fourre-tout. Il y colle pas seulement les pafs en dérive, mais ‘galement ses idées, son avenir et son passé. Tout, quoi. J'ai dit hangar ? Vaudrait mieux silo ! Le tout grand magasin, son cul. Siège de son intelligence, d'sa culture. T'as tout dans son fion : l'invention de la rage par Pasteur, le Palais de Versailles, les z'halles de Rungis, le pétrole algérien, les zœuvres complètes de Victor Hugo, la rente Pinay, le Marché Commun. En vrac ! Hop ! Bourrez, bourrez, c'est pas la place qui manque ! Le roi des cons, j'te dis.

Y'a qu'une chose qui l'repêche un brin, le Français : il est français.


Comment t'espliquer, petite ?

Attends…

T'es née en plein gaullisse, mon brin d'amour. Ce qui revient z'à dire qu'quand t'as ouvert les châsses, le Grand drivait le barlu France. Le vrai (l'autre, il l'inaugurençait, lui fracassait une quille de champ sur la coque, on pensait pas le fout' si vite au remblai). T'as donc pas connu, aut'ment qu'dans tes emmanuels escolaires, la France d'autrefois jadis. Tu t'pensais que ça baignait dans l'huile d'amande douce, l'État, les affaires, l'argent. La mano dans la mano, olé ! Y'avait Monseigneur Charly, av'c son pique-bise arodynamite, son coup de menton galocheux et sa belle voix mouillante qu'on comprenait plus ou moins, mais qui t'filait son jus. Il gérait la cabane, Mon Général. On savait qu'il chourraverait pas la caisse, que l'artiche c'était pas son blaud, à cézigue. Il gardait la tronche dans les étoiles, Messire Charles Onze, alors on s'en remettait à son vouloir. Y f'sait sérieux. Traitait les Français de veaux, mais prenait pas la France pour une vache. Dans le fond, y voyait juste, je m'aperçois av'c du retard, en bon Françouze que je. Sa force, c'est qu'y savait que la France est formidable, mais que les Français sont des lavedus, des moudus, des troudus. Alors y'n's'occupait qu'de la France. Depuis lui, les successeurs essaient de s'occuper des Français, ce qu'est peine perdue. Et c'est la France qu'en pâtit !


Faut que je te raconte la manière que je lui ai fait la connaissance, à de Gaulle.

C'était quéque temps après la Libération. Déjà, gouverneur provisoire, il avait la marotte des voyages, le Grand Françaises, Français, ça lui démangeait les brandillons.

Ses potes généraux, je cause des vrais, se contentent d'faire la tournanche des popotes, lui, c'était des préfectures. Il venait te je-vous-ai-comprendre à domicile. Balcon de l'Hôtel de Ville. Vive la France ! Tous en chœur ! Haut les cœurs ! Et ça rassemblait vilain sur les places. Marées z'humaines. Z'humides. Vive de Gaulle ! le libérationneur !

Moi, j'étais gamin à l'époque. Mais costaud, f'sant beaucoup plus qu'mon âge, vu que mes vieux c'étaient déjà des gabarits du genre et qu'ils m'ont pas élevé au jus d'endive, espère.

Pendant l'occupation, le soir, je cicognais not'vieux poste afin de choper London. Les Français causent z'aux Français ! Pour capter, fallait pas avoir les portugaises cachetées. Ça nous excitait, le brouillis. Si ç'aurait t'été auditif, je parie qu'aurait pas eu trois pelés pour esgourder les messages de Londres. Le Grand, moi je lui louais un vrai culte de gosse, tu peux pas savoir. Mes Vieux, ça les f'sait chier. M'man, parce qu'elle redoutait qu'on fusse délationné aux Allemands et p'pa, parce qu'il aimait bien le père Pétain que sa moustache blanche et son front calvitié l'inspiraient confiance. Son Vieux, à mon Vieux, avait t'été un n'héros de Verdun, gazé, médaillé, blessé et tout, le vrai Français, quoi, pur jus de pomme ! Pour lui, le Ch'min des Dames, y n'passait pas à Pigalle, croye-le bien. Il chialait, pépé, en racontant ses batailles, les soirs d'onze novemb', quand y rentrait, cointché à bloc, après avoir numéré les blazes à ses potes sur le monument, entre deux conneries de clairon. Y s'étranglait en annonçant çui de son frangin : « Germain Bérurier ! » Et nous, les enfants des écoles, on glapissait en se poilant : « Mort pour la France ! » Tout ça… Loin, non ? Mort pour la France ! Aujourd'hui, j'me demande si c'était vraiment pour la France. Mais quoi, après tout… Hein ? Que ça soye pour la France ou pour le frifri d'Adèle, mort il était le Germain Bérurier : un éclat d'obus dans le cigare, tu parles d'un pense-bête ! Il en a produit des pissenlits, depuis lors, avec sa grande gueule de con tellement conne qu'on n'voyait qu'elle sur nos photos d'famille. Faut dire qu'il louchait sec, le gueux !


Dedieu, c'que je fais le grand t'écart av'c mon récit ! Des parenthèses à l'intérieur des parenthèses. Une histoire cigogne, quoi. Qu'emboîte les unes dans l'autre comme les poupées russes, qui n'ont que ça à vendre à l'esportation, les pauvres !

Mais quand on va claboter, mon bijou, on n'peut pas se permett' une conférence bien agencée, av'c des mots trillés sur l'volet, des verbes qui concordancent et des plus que composés du subjonctif à tiroire, non ? Faut laisser viendre. Aller. Les déchets, qu'est-ce ça peut fout' ? Toutes les rivières charrient du bois mort et des chiens crevés. C'est leurs z'eaux qui comptent. Alors, bois mon eau, même si elle serait trouble.


Je te reprends de Gaulle, avant d'en r'venir à l'affaire Martin Martin dont j'te perds pas d'vue, soye-z'en persuasive.

Lorsqu'il s'est pointé, le Grandu, à not'ville voisine, j'y suis bondi comme un seul homme. Ma vieille n'a pas objectionné, vu qu'on n'craignait plus rien des chleus ; et mon dabe non plus, pisque Pétain passait en procès, le pauv' vieux que non content de s'êt'fait le don à la France lui fallait t'encore douiller les pots cassés.

La place du marka, que s'élève l'Hôtel de Ville, était noire de peuple. Y'avait des drapeaux partout. Des croix d'Alsace-Lorraine à gogo. On frémissait vilain dans l'assistance. Pressés les uns les autres, j'en bandais d'excitation. La foule, c'est tout blanc ou tout rouge : elle te file les jetons ou le tricotin, selon. Enfin, l'est apparitionné au balcon, de Gaulle. Ce « Vrouhahahahaaaaa », ma puce ! Pire que quand, plus tard, Anquetil a gagné Bordeaux-Paris, au Parc, après avoir remporté les Six Provinces, la veille. Des milliers de poitrines : « vrouhahahahaaaaa ». Le panard ! Mourir d'estase, de « c'est — trop — bon — je — jouis — dans — mon — froc ». Lui, là-haut, avec son kibour deux étoiles, pareil à un n'i grec. Bien plus grand qu'tous les pékins tricolorés qui l'escortaient. Lui, le grand sauveteur. Jean d'Arc. La France ! Merde ! Quel moment !

Et puis y s'est mis à causer.

Et dès sa deuxième phrase, j'avais perdu le fil de sa jactance. La France, ça oui, bon, bien, je me rappelle. Mais le blabla d'autour, j'entravais plus. Le devenir, le nani-nana, chiasse ! En quèques minutes il m'a positivement écœuré, cézigue. J'lu trouvais l'aspecte glandu, sur son balcon. L'air d'un moulin à vent av'c ses grandes ailes voltigeuses. J'pouvais pas m'empêcher de songer : « Dieu de merde, c'est donc rien qu'ça ? Un moulin à vent à paroles ! Du blabla ! Des effets de gorge ! Et j'm'ai mis à lui en vouloir de j'sais pas quoi. Probab' de n'pas correspondre à cette idée que je m'étais fignolée d'lui, tu comprends ? Il causait, il me f'sait chier, j'avais envie de m'tailler, d'plus croire en rien. Je regardais ces lavedus, à mon alentour, la gueule ouverte, les gobilles comme mes poings, flousant dans leurs calbutes d'émotion intense. Je leur avais pitié. Eux aussi me désupportaient. Alors j'm'ai retiré de la populace, en trémoussance des z'hanches. Je voulais gagner une rue agaçante pour aller récupérer mon vélo sur le parkinge d'là gare. C't'alors que, levant les châsses, machinalement, j'ai avisé un spectac' que je me rappellerai jusqu'à… J'allais dire : mon lit de mort. J'aurai pas d'lit de mort, mettons jusqu'à mon dernier moment d'instant. Sur la place, deux fenêtres grandes t'ouvertes. Deux fenêtres qui n'l'avaient pas t'été depuis des temps immémorables : celles du bordel. À ton âge, Marie-Marie, même dessalée comme j'te sais, t'ignores pourquoi que les boxifs on les appelle des « maisons closes ». Eh ben c'est parce que, justement, le règlement leur interditionne d'ouvrir leurs fenêtres. Or, le claque de not'préfecture venait de faire un dérogement en honneur du Grand. Pour lui, pour sa faveur, Mme Camille, la taulière, avait permis à son cheptel de se fout' à la fenêtre afin d'esgourder et applaudir de Gaulle. Et elles étaient là, en grappe, sur la barre d'appui, les putes : des brunes, des rousses, des blondes, une négresse plus Mme Camille av'c son nœud de celluloïd bleu dans le chignon. Mon sang n'a fait qu'un tour. Moi, étant donné mon âge, j'avais encore jamais porté mes roupettes chez ces dames. Mais des plus grands m'avaient rancardé à mort sur les suces et costumes de la maison. Je les connaissais par leurs portraits parlés, les pécores. Bella, la noirpiote, qui se marrait en lonchant parce que ça la chatouillait, et Mélodie, la blonde alsacienne, qui crispait de la bagouze sur ton gland au moment que tu partais en fade, à t'en faire rugir. Tout, j'te dis ! Tout ! La vraie gazette des chaumières ! A quoi qu'on peut s'intéresser sinon, à mon âge d'alors, quand on se trimbale un mandrin plus mastar que le bâton de maréchal au père Pétain ? J'te fais juge…

Tu sais, ma guenille rose, le diable, ça existe.

Et c'est pas désagréabe, à vrai dire.

Il est soudain, v'là son charme. Pof, y't'cloque un désir comme on plante une fléchette.

En visionnant ces dames, à leurs fenêtres, j'me dis : « C'est pour aujord'hui, Sandre » (car de c'temps-là, on me disait Sandre, à la ferme, au lieu d'Alexandre-Benoît qui fait trop mondain).

Et je grimpe.

J'avais déjà grimpé jusqu'à c'te lourde vernie rouge dont au-dessus de quoi brillait une loupiote gaiement rouge. J'étais pythonisé par l'œilleton de verre percé dans le panneau. J'osais pas sonner : mon âge, toujours. Or, ce jour mémorial, elle était ouverte, la porte du boxon, figure-toi, cocotte. Rapport que quéqu'un s'était précipité dehors pour aller mater le Grand de plus près.

J'ai entré. Pas même impressionné. Un couloir rouge. Et puis au bout un espèce de grand salon av'c un coin bar. Au fond, les fenêtres pleines de gonzesses en essaim de guêpes. De dehors, la voix du Charlot m'arrivait par pleins n'hauts parleurs. « Rien ne se décidera, que le peuple souverain ne l'eût décidé », je me rappelle comme si c'serait d'hier. Textuel, môme. Et les Françouzes s'étranglaient à meugler « vrouhahahahaaa ».

Moi, tout ce que je me sentais concerné, c'était le cul nu d'une mousmé. C't'armoire double porte, mon lapin ! La décence de ma pudeur m'interdit de t'en dire plus, petitout, mais sache qu'y marchait au radar, tonton. L'antenne braquée. Dégainé jusqu'à l'affût, son canon de 105 ! J'avais déjà embroqué ma cousine Lucia, faut convenir, donc j'connaissais les rudimentaires du maniement d'armes. Te lui ai posé mes deux paluches sur les meules, à la grande vache. Mon braque à tête chercheuse avait pas b'soin d'rampe de lancement, que non ! Dardé féroce, nom de Dieu ! Un mât de miseur, j'avançais. J'admets que cette personne avait la babasse pas contrariante, un peu goitreuse de la moule, elle était. A faux-plis, c'qu'est fréquent chez les personnes embonpointes. D'un côté, ça facilite les recherches. Av'c un n'estuaire pareil, t'as pas besoin de bateau-pilote pour entrer dans la rade.

Elle, elle égosillait « vrouhahahaaa », comme les copines. De Gaulle, tu penses ! C'est tout juste, à un moment donné, si elle a remarqué distraitement « Tiens, Fernand qui m'met ! » Comme ça, sans seulement s'retourner. J'ai jamais su qui c'était, c'Fernand, mais je conclus qu'on était un peu jumeaux du chibre, lui z'et moi. Tandis que je m'escrimais à lui défroisser l'frifri, sur la place, Charly achevait de son côté de prende son propre panard.

« Et maintenant, tous ensemble, nous allons chanter l'hymne national : La Marseillaise », qu'il écriait, le Générai. Exaguetement ainsi, j'change rien, mot pour mot.

Il a entonné le premier, pas feignant de la glotte. J'ai rien cont' sa chère mémoire, mais c'tait pas Caruso, le Gaulle. Je mordais son astuce de faire chanter les autres : ça permettait de couvrir ses fausses notes. La foule y a été av'c les zenfants d'la patriiiiii-i-e. Tout le populo, sans excession. Y compris les putes, à leurs fenêtres, y compris toujours la celle que je fourrais à la langoureuse.

« Aux armes, citoiliens ! »

Embroquer une polka qu'est en train de mugir les féroces soldats de la Marseillaise, crois-moi, mauviette, pour un tendeur comme tonton, c'est d'là sensation surchoix.


Tu vois : de Gaulle…

Il aura passé sa vie à être immortel.

Et puis il est mort.

Et maintenant, à tête reposée, j'me demande s'il a de beaux restes. C'est ça, français : à poser des questions. Toujours, sur n'importe qui…


Je m'ai enterrompu pour écluser. La jacte, ça t'affûte la pépie. Je me serais bien cogné une boutanche de picrate, mais le pinard, ici, est inconnu au bataillon.

J'ai dégauchi qu'une sorte de limonade trop sucrée. Pouhâ ! A présent j'ai encore plus soif. Tiens, ça, ça me fait tarter, la perspective de mourir en ayant soif.

Salaud de Vieux ! C't'à cause de lui que je vas agonir av'c une menteuse comme un os de seiche. Y'a des mecs que leur conscience ressemble à un mur de chiottes publiques.


Note, je dis : les chiottes publiques, mais y'a qu'en France et dans les pays sud qu'elles sont détéroriées pareillement. Oui, que chez des peuples comme nous, ou pire que nous, qu'on saccage le bien public : les taxiphones, les gogues, les parcotaumètres, les esquares, tout ce qu'est gratissement à la portée des vandaux. Il est destructif, le Français, ayons pas crainte d'affirmer. Il enrogne de tout ce qu'est pas à lui. Et ce qu'est pas à lui commence à partir de ce qui appartient aussi aux autres. Lui suffit pas de l'usurfruit des choses. Il s'les veut pour lui tout seul, l'apôtre.

Mais enfin, c'est pas à l'instant de crever que j'te vas ratiochiner sur des chiottes esquintées, alors que j'te causais politique. Tout de même, reconnais, ma souris, que chier en Suisse ou en Allemagne, c'est un vrai bonheur. Quoi d'mieux qu'd'se soulager dans des cagoinsses proprets, que la chasse fonctionne, que l'abattant n'est point arraché, le siphon pas ostrué et qu'tu disposes même de vrai faf à train satiné pour t'torchonner l'oigne. Dans un coinceteau où qu'les usagers usagent rien, ni n'dépaquettent à côté de la gagne. Moi, j'serais suisse, suédois, n'importe, je chierais la tête haute. En France, tu n'peux pas, t'as trop besoin d'r'garder où qu'tu fous les pieds !


Martin Martin, je m'ai mis à enquêter en loucedé sur son propos. Sa mort, y'avait j'sais pas quoi d'bizarre. Tu l'imagines, sortant du théâtre des Champs-Élysées en compagnie d'sa dame grincheuse, tu sais : l'ancienne escrétaire d'venue rombière guindée ? Il serre des louches au vestiaire : des artisses, d'aut' politicards, des industriels, le gratin parisien. Et puis il suit à pincebroque l'avenue Montaigne jusqu'à la rue Jean-Goujon où qu'il a garé sa chignole. Il est seul, sa bergère ayant monté dans la tire d'un couple d'aminches dont y doivent tous se r'trouver pour une jafouille de nuit au Coupe-Chou, rue de Lanneau.

Il arrive à l'hauteur de sa grosse Jag noire à cocarde. Cherche ses clés dans sa vague pour délourder. A c't'instant, les témoins racontent, une D.S. noire s'est avancée, tous feux éteints. Elle devait poireauter d'vant t'une porte cachère. Un type à chapeau rabattu la drivait. Un aut' est descendu en souplesse, une rapière de fort calibre à la main. Y s'est présenté dans l'dossard à Martin, et, presque à bout de portant, te l'a seringué de première, calmement. Quatre dragées, dont deux dans le guignol : une épée ! L'est regrimpé dans sa charrette et y z'ont enfui, ces gribouilles. Martin Martin gésissait sur le trottoir, en raidissant d'urgence, comme mon zizi, lorsqu'au Service militaire, j'y accrochais un seau de moutarde de deux kilos pour montrer aux copains c'que c'est qu'de vraiment bander authentiquement, sauf le respect que j'te dois pas vu qu'après tout, tant que j'vis z'encore, je reste ton oncle et tuteur.

C'est tricstement ça, l'affaire Martin Martin. Sa bergère et le couple ami ont resté des heures à bouffer des amuse-gueules au Coupe-Chou en l'attendant. Le couple, s'agissait d'une fabrique de meubles de l'arrondissement que Martin était député. Devait y avoir de l'enveloppe rebondissante en vadrouille sous les tables quand ces gens croquaient ensemble. Du pas déclaré, espère. D'nos jours, c'qui se vend le mieux, et le plus cher, c'est le coup de tampon, ou bien le solo de piston. Une belle aubade en haut lieu ça n'a pas de prix. Ou plutôt si, et il est élevé !


T'es une fille, donc tu deviendras une femme, Marie-Marie. Et comme les nanas s'affranchissent sans cesse davantage, tu pourrais être tentée un jour par la politique. Je vais te donner mon avis absolu : garde-toi-z'en bien, mon rat.

La politique, parole de Bérurier, ça n'existe pas. C'est une illuse, un piège à cons, l'idée que s'en font les électeurs. La politique, telle qu'elle se pratique en tout cas chez nous, c'est pas la peine. Tu m'entends, mignonne ? Pas la peine. Ça l'a p't'ête été, ça ne l'est plus. Doré de l'avant, y'a plus qu'des nécessités ; des problos à résolver et pas trente-six moiliens pour y arriver. Écoute un gauchard et un droitier : y sont forcés de t'parler le même langage, parce que c'est plus possible de comporter autrement. Le monde tourne de plus en plus vite à cause qu'a dessus de plus en plus de pégreleux. Faut faire face. Alors, tomatiquement, on va vers l'unisson des opinions car les opinions c'est un luxe qu'on pourra bientôt plus s'offrir. Un rejoindrement général est obligé pour le salut public ; est-ce qu'tu m'entraves corréquement, tellement que c'est subtilisé comme argument ? Quand un barlu prend l'eau, on pompe la flotte, t'es bien d'accord ? Car on a beau se met' la cervelle en tire-bouchon, ma loute, il est pas question d'agir différentiellement. Eh ben, c'est ce qui nous arrive : l'univers fait de l'eau et on doit se remuer le cul à pomper, tout le monde. Que t'aies une faucille-marteau au revers ou une fleur de lys, tu dois acharner à vacuer la tisane qui risque d'nous entraîner dans les fins fonds. Seulement ils veulent pas admett', les uns les autres. Se barricadent dans leurs châteaux de sable. Y s'entre-engueulent hargneusement : « Mais non, faut pas pomper commak ! Regardez-le comme y pompe, lui, là-bas, ce sale Contre ! Tandis qu'nous aut', les gentils Pour, on a une techenique infaillib'. Au lieu d'pomper de bas z'en haut, on pompe de haut t'en bas, nuance ! ».


Tu veux mon n'aveu, Marie-Marie ? Si j'aurais pas eu le bonheur d'amour et çui de manger, j'en eusse crevé d'honte à la vue de ces simagrées qui continuent pis qu'toujours. Qu'enflent et déglinguent tout. Qui nous feront couler à pic bientôt, c'est certain, écrit, admis. Heureusement que pour moi, aimer est une fête, bouffer aussi…


En étudiant l'affaire Martin Martin, j'ai été introduit à étudier le problème politique. A confimer c'que je me doutais bien, et depuis toujours… A savoir que l'homme politique, son métier, son seul métier, c'est de faire semblant. Même quand il lu arrive d'êt' sincère, il fait semblant. C't'obligatoire. Il fait semblant de faire semblant, pour avoir l'air véridique, s'aligner sur le modèle breveté, passe-partout, le seul en vigueur, qu'autrement les zélecteurs n's'y retrouveraient plus et te l'enverraient chez Plumeau, le perruquier des zouaves, aux Législatives suivantes.

En France, on a ça aussi, c't'exigence envers les autruis, afin qu'y ressemblent vraiment à l'idée qu'on a d'eux. Pas se ressembler, c't'impardonnab' ; inconvenant, comme si tu te moucherais av'c le coin de la nappe ailleurs qu'dans un banquet de cinq cents personnes pendant les discours. Une fois qu'un zig a eu droit à sa caricature dans le « Canard Enchaîné », il doit se copier dessus une fois pour toutes. Faire semblant d'être lui-même, en somme. T'entends, poupée ? Faire semblant. Faire semblant de penser ce qu'il prétend penser, d'être heureux de serrer des louches ; faire semblant de rendre service, faire semblant d'êt' patriotard, plus français qu'les aut' ; faire semblant d'être honnête, faire semblant d'être un des quat' tordus en corvée de sommeil à la Chambre. Et à force d'faire semblant, y s'prennent t'au sérieux, ces pommades. La faute à la presse, je déclare. Que les journalisses sont toujours à leur brandir un micro, une caméra, un stylo devant le nez. Pour leur demander ce qu'y pensent de ceci, et pis de cela, et encore de ceci-cela, tout bien, n'importe sur quoi : la pluie, l'beau temps, le macaroni, les furoncles, l'beaujolais nouveau. Et tu les vois z'ocher du menton, papiller des stores, ces glandus. Prendre l'air d'avoir l'air, fissa, jamais dépourvus, toujours en brèche, la jacasse huilée. Qu'j'te voudrais les emplâtrer, bordel ! Leur filer de la merde ou leurs prop' photos sur le museau, qu'enfin y ressemblent à ce vent de chiottes qui les a apportés et les remportera, un jour ou l'autre, au nul part d'où ils viennent.

Allez, je m'emballe.


S'emballer tout seul, ça fait drôle. Sincère en tout cas. Mais y'a de quoi, ma gosseline. Y'a tant tellement de quoi, si tu saurais. Ah, non, n'fais jamais d'politique. Déshonore-toi pas, môme. Même quand t'auras largué ton berlingue, reste vierge, ma chouchoute, reste vierge de ta pensée, de ta croyance. Va jamais hurler avec personne, hurle pour toi toute seule, dans ta Ford intérieure. Garde-toi à toi, qu'les autres t'abîmeraient trop. Les idées, vois-tu, au plus qu'elles sont belles et méritantes, au plus il faut s'les accommoder au gré de sa personne. Une seule idée peut pas suffire à beaucoup de monde, car chacun a une idée d'son idée et alors on finit par s'chicorner pour l'idée du plus marle qu'aura imposé la sienne, en douce, comme le joueur de bonneteau t'impose sa brème.

Je m'ai aperçu, au cours du long de ma carrière, que des gusmanes genre esprit fort me prenaient pour un con. Ils me croivaient inintelligent du fait que j'cause tel qu'je pense et que j'pense rudement, en solide péquenot que j'ai resté. Quand tu passes pour un con, tu l'as belle pour juger la connerie des autres, Marie-Marie. Y'ne s'gaffent pas de toi et comportent comme quand tu te grattes les miches devant l'armoire d'ta piaule lorsque tu t'croyes seule. Pour t'espliquer que j'ai z'été comme à l'affût pour suiv' l'envole superbe de leur connerie aux politiqueux. Je peux t'affirmer sur la tête à Maman — et j'plaisante jamais sur le sujet —, qu'en a pas un pour racheter l'autre. Tous, ils ont un point commun : ils récitent. Même s'ils improvisionnent, ils récitent. Des perroquets ! Sont bouclardés dans leurs glandes endoctrines. Et y débitent comme des gens qu'on va interromp' d'un moment l'autre, leur cisailler le sifflet. Sitôt que tu respires, ils enfoncent l'accélérateur, crainte que tu la ramènes. La moind' des choses, ils la gueulent, l'affirment que ça soye bien prérentoire. Ils se causent en dedans, sans seulement s'écouter. Car y'n's'écoutent même pas, ces pafs à salive. Non, eux, c'est la bobine de mon mégalophone ci-joint. Ils s'contentent de tourner le bitougnot du son afin qu'ça z'hurle à l'instant propice.


Malgré qu't'ayes la chance d'êt' jeunette, faut pas que j't'escamote l'aventure dont il m'est arrivé à Saint-Locdu, à l'époque qu'j'préparais ce certificat d'études que les circonstances dépendantes de ma volonté m'ont jamais fait passer.

C'eut lieu l'année qu'on a auguré le groupe escolaire, près de la nouvelle poste, dans l'bas du pays. Le député de l'arrondissement s'est pointé. Un grand maigre à tifs grisonnants ; l'air d'un constipé que les pilules Miraton lui réussissent pas davantage mieux qu'les pruneaux. J'te passe la cérémonie : le maire enceinte d'son écharpe en brandoulière, nous autres saboulés en p'tits lordes, le Conseil, les anciens combattants av'c pépé Bérurier en tête, le béret plus basque qu'jamais et sa batterie d'cuisine en vitrine, les pompelards, la Jeune France loquée de blanc, l'inspecteur d'agadémie ; tout bien, lingé, rasé, poudré, souriant. Et j'te joue Chambre et Gueuse, Le Père de Victoire, le Champ du Guépard, tout le cheni par la clique de la Saint-Locducienne. Drapeaux, guirlandes, vin à volonté. L'esplendide fiesta, quoi ! Bon, l'député s'pointe, serre les mains, coupe des rubans, visite des salles puantes de peinture fraîche, assure que c'est beau, prononce un chié discours sur la France d'demain qu'attendait plus qu'not' groupe pour décarrer. Et après, le v'là qu'incline contre le maire et y dégoise un chuchotis dans les feuilles. M'sieur le maire, qu'était précisément Ambroise Magnin, à c't'époque, s'opine la tête, mate autour de lui, m'avise et m'fait signe de lui approcher. J'y vais.

— Sandre, y'm'dit, tu veux bien montrer les cabinets à môssieur le député ? Ceux-là des maîtres, hein ! Attention !

Moi, rengorgé à bloc, de c'te mission de confiance, j'embarque le député, fier comme bar-tabac, à travers les bâtiments. Cézigue, l'v'là qui me met la main sur l'épaule en cours de la route. Et pis qui me caresse le cou en m'disant comme quoi j'étais gentil, serviable et tout, très mignon. Je mouillais de plaisir d'lu faire si bon effet à ce mec. J'me disais qu'il allait p't'être bien me filer une p'tite pièce sur son budget de député, que ces gens-là ont des crédits espéciaux pour y aller au pourliche. Arrivés aux chiches, j'lu désigne les gogues aux maîtres. Ça différençait des autres que la porte fermait tout du haut, alors qu'nous aut', nos chiottes, la lourde s'arrêtait à niveau de menton de grande personne.

— T'as pas envie, toi z'aussi, mon mignon ? qu'y m'demande.

Je fais non d'la tronche.

— Mais si, on a toujours envie plus ou moinsss, assure l'député. Et l'v'là qui débraguette d'vant moi et déballe son panoche comme si j'serais pas z'été présent. Il s'le f'sait sautiller dans la main, l'élu du peup', pour le flatter, l'rendre dodu ; mais franchement, c'tait de la quéquette rabougrise, toute plissée, un peu tordue et pas plus grosse qu'mon pouce (j'parle pas d'mon pouce d'à présent, naturliche). Mais y semblait en être fiérot pis que d'sa Légion d'honneur, cet ex-bitioniste. Un zob que j'eusse pas osé déballer d'nuit, dans un tunnel à une naine aveugle et manchote ! Franchement, môme, c'tait le genre de paf que tu gardes pour toi, en secret. A n'sortir que sous un drap noir d'photographe ! Et y'm'lorgnait en cantiminette, le salingue. Croyant que son nœud d'adulte m'en mettait plein la vue. M'intimidait véry vouel. Dedieu, le fichtre m'a pris ! J'ai dégainé à mon tour, y ai démontré ma rapière féroce, à lulu-berlue. J'lu rendais trois longueurs, quant en ce qui concernait l'volume, escusez du peu, Monseigneur ! On avait la différence d'un Davidoff numbère ouane av'c un mégot à Pinuche ! T'aurais maté sa physionomie : un masque d'cire ! Frank Einstein !

— Mais tu es membré comme un âne, mon garçon ! il blablabutiait, pire qu'un âne ! Tu es un phénomène ! Un… Un…

Il en r'venait pas. L'a voulu palper le joyau. Alors j'y ai pissé contre son beau futal à rayures comme si j'inadvertais. Après de quoi-ce j'sus revenu sans lui, l'laissant s'arranger mes dégâts aux lavabos. Quand il a rejoint le cortège, tout le monte s'est fendu l'pébroque de le voir av'c son falzif détrempé qu'enroulait autour d'ses cannes comme un drapeau mouillé à son n'hampe.


Cet âne est docte juste en passant. Tire-z'en pas de conclusions et croye pas qu'les politiciens soyent de la rondelle. Au contraire plutôt, je leur r'connais de bouillaver à tout va. Ils lonchent volontiers. J'te prends l'exemple à Félix Faure, par exemple, qu'a dessoudé en s'faisant tétiner Popaul par une dame. Moi, j'préfère sa mort à celle de Jehanne d'Arc.


On est éloigné de Martin Martin, pas vrai, ma bichette ? Inquiète-toi pas : ça va viendre.


Ayant étudié le topo dans les baveux, je m'ai pointé à son domicile. Les Martin habitent un solide immeub' en pierre détaillée, boulevard Jacques-Martin, dont leur blaze est stylomine.

Bon, j'm'annonce, sans m'être annoncé. Un soubret vient m'oponer la porte. C'est rare, les jeunes valets de chambre, tu noteras. La profession s'perd. Elle réveille pas les convocations. Tu trouves plus qu'des birbes dans ce turf, chenus, décatis, branlants. M'est z'arrivé d'en rencontrer un qu'avait la maladie de Remington : y sucrait follement, note que ça l'aidait pour la manœuvre du plumeau, mais quand y t'servait le caoua, t'avais l'impression d'un coureur cycliste qui pisse depuis son vélo. J't'en reviens à ce jeunot, loqué valeton : gilet rayé, futal noir, qui m'délourde. La vingtaine, tout juste. L'air dégourdoche. Le poil latin. L'œil plutôt velouté. Un accent macar qu'appelait le parmesan et la sauce tomate. J'lu demande après sa maîtresse. Y s'informe ce dont j'suis. J'y exhibitionne ma brêmouze. Police ! Capito. Des roycos, y z'en rec'vaient des fagots chez les Martin, depuis le sulfatage à Monsieur. Le larbinet m'introduit dans un salon grand bourgeois, avec des tissus rayés et des pendules marbre-et-bronze. Et la dame se pointe, toute de noir fringuée, en vraie p'tite veuve courageuse. Pas jojo, mais un certain charme malgré son air ronchon. Ce qu'j'aimais pas, c'tait son menton fuyant. J'déteste les tiroirs enfoncés trop profond.

Elle m'invite pas de m'asseoir, vu que je prélassais déjà dans un fauteuil, mais elle reste debout pour m'exciter à êt' brêfle.

— Qu'y a-t-il encore ? elle me fait. Je n'en puis plus, monsieur. Ce va-et-vient, ces questions z'incessantes et z'insinueuses, toujours les mêmes, à propos de nos relations, de nos ennemis possibles, de notre passé, de nos voisins, de…

J'la laisse se vider, en profitant de c'qu'elle est debout pour y mater les fuseaux. Pas mal ficelée, la pécore. J'comprends qu'il aye t'eu envie de lu dicter un jour le courrier en la prenant sur ses genoux et en y fourrageant l'allée cavalière, Martin.

Les gonzesses, elles ont pas b'soin d'être choucardes pour plaire. N'oublille pas non plus, ça, Marie-Marie, des fois qu't'aurais des doutes su' ton minois. J'en ai trouvé des rutilantes qui me laissaient la poche kangourou pénarde comme un cim'tière sous la neige. Et d'autres, des chiées, loctues à faire grincer les girouettes que, rien qu'à les voir, le besoin m'bichait de les escalader comme si elles auraient z'été la face Nord des Grandes Jocrisses. Dans ces cas-là, t'arrives pas à déterminer si c'est la peau d'leur épidermique qui t'ravage le sensoriel, ou bien les influx qu'elles dégagent. Tu les mates et tu t'en ressens. Tu leur flanques ton regard au fond d'elles-mêmes, comme déjà que ça s'rait ta bitoune et t'es obligé de t'faire un nœud aux doigts pour éviter d'leur envoyer la menotte au fion, d'autor, avant même d'avoir balancé les vannes zuzuelles, la flopée d'enchanté -comment -que -ça -va -pas -mal -et -vous -de -même -merci -y -fait -beau -pour -la saison indispensable si tu veux pas passer pétezouille. Toujours ces salamalèques à la con pour sembler éduqué, alors que déjà tu la décarpilles par la pensée et y glisses ton majeur d'homme dans la mouloche façon d'y démarrer un doigt de cour côté jardin. Les hommes qu'efforcent de gagner du temps dans tous les secteurs, ils continuent la piétinerie sur l'plan fleurte. Jamais, même le pire butor, tu l'verras pointer une mère qui le courjute sans la tartine palabreuse d'usage. Y compris av'c les prostiputes, faut qu'y fleurit la converse avant de tomber le bénoche, l'homme. Qu'y lu esplique le temps, sa bagnole mal garée, sa bonne femme qui l'attend chez des aminches, tout ça, bien en détail, pendant qu'elle lui fourbit le chmilblick au lavabo. Y s'rait déshonoré de pas y aller de sa bavasse avant la bouillave expresse. Son blabla dure plus longtemps qu'son essorage. Le quartier, les impôts, les vacances, y trouve l'moyen d'lu placer tout un topo avant son braque, l'homme. Pour faire l'mondain coûte que coûte. Les convenances, que veux-tu. Moi, j'ai toujours rêvé de dégainer Prosper en butant blanc, sans un mot, et qu'la personne remonte son rideau de scène sans chiquer. La tringle silencieuse, tu mords l'papelard ? Diréqu'ment du producteur au consommateur. Pas de flafla, la chique impétueuse. Je gode, t'humectes, en avant toute ! Ça seraye ça, la vraie façon de comporter, s'Ion mézigue. Ça, la vie textuelle. J'sais pas les avenirs, la manière qu'y s'bricoleront, mais si t'as l'occase un jour, d'un gars qui te botte et qu'tu t'en ressentes à bloc pour sa gueule, tu lui causes pas, tu te désappes. Ta tante Berthe le fait, quèquefois, quand on rentre d'une soirée et que la picole nous porte au radaduche. Elle virgule déjà sa culotte dans l'escadrin, se trousse pendant t'est-ce que j'ouvre la porte, et hardi p'tit, se fait embroquer dans l'vestibule ; avant que j'éclaire. Tu sais, la glace à grumeaux qui fait patère près de l'entrée ? T'auras observancé que son porte-pébroque de bambou est positivement disolqué. Le moment m'est venu de l'avouer : c't'avec ses miches, Marie-Marie. Le cul de tatan qui prend appui contre lorsque j'y interprêtre Les Trois Lanciers du Bangladesch et qu'nos transports peuvent pas être transportés jusqu'à not' plumard.


Cette dégression pour t'en revenir qu'la veuvasse à Martin, bien que guindée, pas hyperbelle et renfrogneuse, elle a ce p'tit rien pourtant essentiel qui te flèche la bidoche.

Ses carreaux gris clair contenaient rien de joyce pour moi. Je m'avisais gros commak qu'j'étais pas souhaité espressément à son at home. Qu'elle en avait rasibus de la Rousse et des roussins, des journaleux, des radios-reporteurs et des bafouilles de condolances. Même les lideurs de l'opposance y écrivaient des trucs chagrinés, comme quoi il était irréparab' de sa perte, Martin Martin, si tragique qu'une indignation nationale s'couait le pays.

Parce que les hommes politiques de pignons différents, s'ils se causent pas d'leur vivant c'est par peur de s'entendre, uniquement. Une fois l'un d'eux canné, ils sortent les grands tire-gommes pour s'éponger le chagrin. Rappel-toi la mort à De Gaulle, la façon unanime qu'ils ont précipité sur les micros, tous, ses adversaires surtout, pour venir chougner leur immense chagrin devant ce veuvage de la France. Ceux qui le combattaient, et ceux qui lu f'saient des croche-pieds, qui mettaient son lit d'trois mètres en portefeuille et criaient « poil au… » à ses discours.

Donc elle montait en renaud, la Martin. Se laissait mousser les rancunes. Qu'y lui suffisait pas d'être veuve, mais qu'elle devait subir les tracasseries policières et l'hypocrisie des foules, l'indécessance de la presse, les « gens » de son premier lit, etc…

En point final elle m'esclame :

— On m'a tout demandé, monsieur. Tout, tout, tout ! Alors que voudriez-vous que je vous dise, à vous ?

Et moi, tu sais pas, Marie-Marie ? Moi, perturbable, froid comme un paf d'esquimau, de lui répondre en la biglant comme le Valéry mate la France, au fond des carreaux ;

— Mais… le reste, chère maâme. Le reste !

Du coup, elle s'interloque, c'te femme.

— Qu'appelez-vous le reste, monsieur ?

T'aurais vu Tonton, ma fille, c'te mastroïani qu'il a fait preuve, comme on dit puis. Espère, j'm'étais pas présenté à la pêche aux fraises sans mon sucre en poudre. Pourtant, j'sus pas du genre paperasses. Seulement là, comprenant que j'aventurais dans un monde délicat, car chez les politicouilles, le tam-tam d'esbrouffe fonctionne cinq sur cinq et un coup de grelot à Untel est vite passé, j'avais préparé mon dossier. J'estirpe un rouleau de papier chiotte de la valise à casse-graine qui m'sert d'attaché-caisse dans les grandes occases. Il était tout écrit d'notes et renroulé dans le contraire du sens de torchage.

Ça r'présentait le résumé d'ses dépositions : la liste des amis, ennemis, fournisseurs, parents, p'tites amies ; des clubes dont il appartenait, que sais-je ?

Elle m'écoutait numérer en n'hochant son chef de garce. Ricanant. L'côté : « Et alors, gros malin ? ».

Quand j'ai eu tout déroulé, ça f'sait un fameux kilométrage de papier-cul sur la moquette.

Elle l'a remué du bout de sa mule et a dit :

— Vous voyez bien qu'on ne m'a rien épargné. Vos confrères ont tout voulu savoir, tout ! Jusqu'à la fréquence de nos rapports sexuels, quelle inquisition !

— Vos rapports ! V's'appelez ça des rapports ! Une fois par mois, j'ai grommelé, y n'vous chouchoutait pas, Martin. Faut que vous eussiez eu une âme d'élitre pour pas vous embourber le facteur des recommandés ou l'livreur d'chez Fauchon. C'ci dit, on vous a d'mandé une quantité de trucs, sauf un.

— Lequel, par exemple ?

— Le pourquoi v's'avez pas accompagné vot' bonhomme jusqu'à sa tire, en sortant du théâtre.

La v'là qui ravale sa salive, qui tournique les châsses comme les p'tits sujets d'un appareil à sous, et finit par répondre :

— Nous nous y trouvions en compagnie d'un couple d'amis, les Lauzinche. Nous devions souper avec eux. Comme leur voiture se trouvait plus près du théâtre que la nôtre et que je bavardais avec Mauricette Lauzinche… Vous trouvez la chose anormale ?

— Voui, maâme…

— Et pour quelle raison, s'il vous plaît ?

— Pour deux raisons, maâme.

— On peut savoir ?

Elle traczait, Poupette. J'la voyais crisper du naseau, un tantisoit ; pas heureuse, tu comprends, gosse ? J'y filais tout soudain les miches sur l'gril, à c'te veuvasse. J'y incommodais sa dignité par mon air d'en avoir deux (et just'ment : j'en ai deux) !

— Les raisons que j'vous cause, chère maâme, sont les suivantes ci-dessous : numbère oigne, la voiture à m'sieur Lauzinche s'trouvait garée au parkinge George-Cinq, ce qu'est beaucoup plus loin du théâtre des Champs-Zé qu'la rue Jean-Goujon, si v'z'auriez t'un plan de Paname je vous y démontre ; numbère deux, il avait comme pompe un cabri-au-lait Mercédès à deux places. Ce qui v's'a t'obligée d'entasser à trois dans c'te charrette. Il eût z'été plus fastoche que ça soye t'au contraire la mère Lauzinche qui vous suivate jusqu'à vot' guindé à vous, laquelle était plus proximiteuse et plus espacieuse. Un monde qu'mes chosefrères ayent pas tordu le pif sur c't'anomalie !

Là-dessus, je m'ai levé pour mater des photos de léadères politiques encadrés autour d'là cheminée, la laisser rechoper ses esprits.


Merde, v'là la bobine qui déc…

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