— Je n’aime pas me battre aux côtés des Seanchaniens, souffla Gawyn en se plaçant à côté d’Egwene.
Elle détestait ça aussi, et son mari, elle le savait, le sentait à travers le lien. Mais qu’aurait-elle pu dire ? Impossible de renvoyer les Seanchaniens. Surtout depuis que les Ténèbres avaient enrôlé les Shariens. Dans une telle configuration, n’importe quels combattants étaient bons à prendre. Point stop.
L’estomac noué, Egwene traversa le site en direction du lieu de rendez-vous, à environ un quart de lieue à l’est du gué, en Arafel. Au sud de ce passage, des Aes Sedai étaient postées au sommet des collines, des compagnies d’archers et de piquiers occupant leurs versants.
Apparemment, les hommes se sentaient requinqués. Les quelques jours passés à se replier les avaient soulagés de la pression de la guerre – même si l’ennemi avait tenté de les entraîner dans des escarmouches.
Les chances d’Egwene reposaient sur les Seanchaniens. S’ils s’engageaient à fond et affrontaient les Shariens, tout pourrait bien se passer. La jeune dirigeante en eut un haut-le-cœur. Un jour, elle avait entendu dire que des sales types, à Caemlyn, jetaient des chiens affamés dans une fosse et pariaient sur celui qui survivrait au massacre. Eh bien, elle avait le sentiment de faire comme eux. Les damane n’étant pas des femmes libres, elles ne pouvaient pas choisir de se battre. Et d’après ce qu’elle avait vu, contrairement aux femmes, les mâles shariens capables de canaliser ne valaient guère mieux que des chiens.
Egwene aurait dû être en train de combattre les Seanchaniens, pas de s’allier avec eux. Plus elle approchait de l’endroit où ils l’attendaient et plus son instinct lui criait de fuir. La demande d’audience venait de la dirigeante des envahisseurs. Avec un peu de chance, l’entrevue serait courte.
Grâce à de multiples rapports, Egwene savait à quoi s’attendre au sujet de Fortuona.
Perchée sur une estrade, la petite Impératrice observait les préparatifs de ses troupes. Sa robe brillante était munie d’une traîne qui s’étendait à une distance grotesque dans son sillage – un accessoire porté par huit da’covale, ces domestiques vêtus contre toutes les règles de la pudeur. Des membres du Sang attendaient par petits groupes en prenant la pose, comme de juste. Autour de Fortuona, des Gardes de la Mort lui faisaient une haie de colosses en armure noire.
Egwene approcha, protégée par ses soldats et une bonne partie des représentantes. À l’origine, Fortuona voulait que la Chaire d’Amyrlin vienne la voir dans son camp. Bien entendu, Egwene avait refusé. Pour trouver un accord, il avait fallu des heures de négociations. Finalement, on s’était mis d’accord sur cet endroit, en Arafel, et sur l’essentiel du protocole : pour qu’aucune ne puisse donner l’impression de dominer l’autre, les deux dirigeantes resteraient debout tout au long de leur dialogue.
Egwene était quand même mécontente. Elle avait tout fait pour que sa rivale et elle arrivent en même temps, mais ça n’avait pas fonctionné.
Se détournant de ses troupes, Fortuona regarda Egwene. Aussitôt, celle-ci s’avisa que la majorité des rapports de Siuan ne valait rien. Oui, avec sa silhouette frêle et ses traits délicats, l’Impératrice ressemblait bien à une enfant. Mais les points communs s’arrêtaient là. Aucun enfant n’avait jamais eu des yeux si perçants et si calculateurs.
Egwene dut revoir ses attentes. En Fortuona, elle n’allait pas trouver une adolescente gâtée élevée dans du coton.
— Je me suis demandé, dit l’Impératrice, si je devais te parler directement, avec ma propre voix.
Plusieurs membres du Sang, avec les ongles peints et la tête en partie rasée, n’en crurent pas leurs oreilles. Egwene jugea bon de les ignorer, d’autant plus qu’ils se tenaient à côté de duos de sul’dam et de damane. Si elle les regardait trop, celles-là, son tempérament volcanique risquait de prendre le dessus.
— De mon côté, j’ai réfléchi afin de déterminer s’il serait approprié que je m’adresse à une femme comme toi, responsable de tant d’atrocités.
— Moi, j’ai décidé de te parler, reprit Fortuona, ignorant la provocation. Pour cette fois, j’ai conclu qu’il valait mieux que je ne te voie pas comme une marath’damane, mais comme une reine entourée de ses sujets.
— Non, lâcha Egwene. Tu me verras pour ce que je suis, femme ! Je l’exige.
Fortuona eut une moue agacée.
— Très bien, finit-elle par dire. J’ai déjà adressé la parole à des damane. Les former est même un de mes passe-temps. Te considérer en tant que telle, après réflexion, n’aura rien de déshonorant, puisque l’Impératrice a le droit de parler à ses animaux domestiques.
— Dans ce cas, fit Egwene, je serai aussi directe que toi. (Elle ne broncha pas, le visage de marbre.) Après tout, la Chaire d’Amyrlin a présidé beaucoup de procès. Elle doit pouvoir interroger les meurtriers et les violeurs, afin de rendre la justice en toute connaissance de cause. Entre nous, avec des criminels, tu serais à ta place. Mais je crains qu’ils te trouvent répugnante.
— Je vois que notre alliance ne sera pas une voie pavée de roses.
— Qu’attendais-tu d’autre ? Tu as emprisonné mes Aes Sedai. Ce que tu leur as infligé est un calvaire pire que la mort. Les torturant, tu as brisé leur volonté. Devant la Lumière, je le jure, j’aurais préféré que tu les exécutes.
— Je ne m’attendais pas à ce que tu comprennes la notion d’urgence, fit Fortuona en tournant la tête vers le champ de bataille. Tu es une marath’damane… Pour toi, il est tout naturel de poursuivre la quête de son propre intérêt…
— Naturel, oui, souffla Egwene. C’est dans cet ordre d’idées que j’insiste pour que tu me voies telle qu’en moi-même. Parce que je suis la preuve vivante que ta société et ton empire reposent sur une montagne de mensonges. Pour l’heure, me voilà devant toi – oui, toi qui as insisté pour que je porte un collier au nom du bien commun.
» Pourtant, je ne fais montre d’aucune tendance agressive ou dangereuse. Tu sais, celles que je devrais avoir, selon toi. Mais tant qu’un collier ne ceindra pas mon cou, je prouverai à tous les êtres humains vivants en ce monde que tu es une menteuse.
Les autres Seanchaniens murmurèrent entre eux. Fortuona, elle, ne broncha pas.
— Tu serais bien plus heureuse avec nous, dit-elle simplement.
— Sans blague ?
— Oui. Tu professes de la haine contre l’a’dam, mais si tu devais en porter un, tu verrais à quel point l’existence d’une damane est paisible. Nous ne les torturons pas. Au contraire, nous les cajolons et les autorisons à bénéficier d’une vie entière de privilèges.
— Tu ne sais pas, c’est ça ? demanda Egwene.
— Je suis l’Impératrice, répondit Fortuona. Ma domination s’étend sur toutes les mers, et j’accorde ma protection à tout ce que l’humanité pense ou connaît. S’il y a des choses que je ne sais pas, elles doivent être familières à mes sujets, parce que je suis l’Empire !
— Divertissant, railla Egwene. Alors, ton empire sait-il que j’ai porté naguère un de ses colliers ? Que j’ai été dressée par tes sul’dam ?
Fortuona se raidit, puis elle posa sur Egwene un regard stupéfié – avant de se ressaisir, bien entendu.
— J’étais à Falme, révéla Egwene. Une damane formée par Renna. Oui, j’ai eu un collier, femme ! Et ça ne m’a pas apporté la paix, bien au contraire. Car j’ai connu la douleur, l’humiliation et la terreur.
— Pourquoi n’étais-je pas informée de ça ? demanda vertement Fortuona. Pourquoi personne ne me l’a dit ?
Egwene jeta un coup d’œil aux nobles seanchaniens. Fortuona semblait s’adresser tout particulièrement à un type en tenue noir et or ornée de dentelle. Un bandeau noir sur un œil, il arborait sur ses deux mains des ongles laqués et colorés…
— Mat ? s’étrangla à demi Egwene.
L’air embarrassé, le jeune flambeur salua vaguement sa vieille amie.
Par la Lumière ! Dans quoi s’est-il encore fourré ?
Dans sa tête, Egwene passa en revue plusieurs esquisses de plan.
Mat faisait un numéro de noble seanchanien. Ces gens ne devaient pas savoir qui il était vraiment. Pour le sauver, Egwene pouvait-elle proposer quelque chose en échange de sa vie ?
— Approche, ordonna l’Impératrice.
— Cet homme n’est pas…, commença Egwene.
Mais Fortuona lui coupa la parole.
— Knotai, dit-elle, savais-tu que cette femme était une damane évadée ? Si j’ai bien compris, tu la connais depuis ta naissance.
— Tu sais qui il est ? s’étonna Egwene. Ou plutôt qui il était.
— Bien sûr que je le sais, lâcha Fortuona. Il s’appelle Knotai, mais on le nommait naguère Matrim Cauthon. Ne va pas croire, marath’damane, qu’il te soutiendra sous prétexte que vous avez grandi ensemble. Aujourd’hui, il est le Prince des Corbeaux, une position qu’il a atteinte en m’épousant. Sa loyauté va au Seanchan, au Trône de Cristal et à l’Impératrice.
— Puisse-t-elle vivre éternellement, fit Mat, presque nonchalant. Salut, Egwene. Content de voir que tu as échappé aux Shariens. Comment se porte la tour ? Toujours blanche, je suppose ?
Egwene regarda alternativement Mat et Fortuona – plusieurs fois, pour être honnête. Puis elle éclata de rire.
— Tu as épousé Matrim Cauthon ?
— Comme les augures l’annonçaient, précisa Fortuona.
— Tu t’es trop approchée d’un ta’veren et la Trame t’a liée à lui.
— Absurdes superstitions ! s’écria Fortuona.
Egwene jeta un coup d’œil à Mat.
— Être ta’veren ne m’a jamais rapporté grand-chose, grogna le jeune flambeur. Mais je devrais être reconnaissant que la Trame ne m’ait pas propulsé jusqu’au mont Shayol Ghul à coups de pied aux fesses. Une bénédiction, ça…
— Tu n’as pas répondu à ma question, Knotai, rappela Fortuona. Savais-tu que cette femme était une damane en fuite ? Si oui, pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ?
— Je n’y ai jamais vraiment réfléchi, marmonna Mat. Tuon, elle n’a pas été prisonnière longtemps.
— Nous reverrons ça en temps voulu, fit Fortuona, et ça ne sera pas agréable. Parler à une ancienne damane n’est pas la même chose que s’adresser à une femme récemment capturée ou qui a toujours été libre. Cette nouvelle se répandra, crois-moi. Tu m’as mise dans l’embarras.
Stupéfaite, Egwene regarda l’Impératrice. Par la Lumière, ces gens étaient fous à lier !
— Pourquoi avoir insisté pour me rencontrer ? Le Dragon Réincarné dit que tu te battras à nos côtés. Fais-le et n’en parlons plus !
— Il fallait que je te voie, dit Fortuona. Tu es mon… opposée. J’ai adhéré à la Paix du Dragon, mais il y a des conditions.
Rand, que leur as-tu promis ?
Egwene se prépara au pire.
— En plus de combattre, dit Fortuona, je dois reconnaître les frontières des nations telles qu’elles sont actuellement. Nous ne forcerons aucune marath’damane à obéir, sauf si elle a violé notre territoire.
— Et ces frontières sont ? demanda Egwene.
— Celles que nous connaissons actuellement, ainsi que…
— Sois plus précise, insista Egwene. Je veux entendre les mots sortir de ta bouche. Quelles frontières ?
Fortuona pinça les lèvres. À l’évidence, elle n’avait pas l’habitude qu’on l’interrompe.
— Nous contrôlons l’Altara, l’Amadicia, le Tarabon et la plaine d’Almoth.
— Tremalking, dit Egwene. Tu as renoncé aux îles du Peuple de la Mer ?
— Non, je ne les ai pas mentionnées parce qu’elles n’appartiennent pas à ton continent, mais à la mer. En d’autres termes, elles ne te regardent pas. De plus, elles ne figuraient pas dans mon accord avec le Dragon. Il n’en a jamais parlé…
— C’est qu’il a l’esprit très occupé… Avec moi, Tremalking fera partie du traité.
— Je n’avais pas compris les choses ainsi, dit Fortuona, très calme. Tu as demandé notre aide, et si j’en donne l’ordre, nous partirons dans l’heure. Sans nous, que feras-tu face à ces armées ? Sans l’assistance que tu m’as implorée de t’accorder ?
Implorée ? répéta mentalement Egwene.
— Sais-tu ce qui arrivera si nous perdons l’Ultime Bataille ? Le Ténébreux brisera la Roue et tuera le Grand Serpent. Alors, tout finira. Et ça, c’est si nous avons de la chance. Sinon, le Ténébreux refera le monde à son image. Tous, nous serons liés à lui pour une éternité de souffrance. Une soumission et des tourments infinis.
— Je le sais, fit l’Impératrice. À t’entendre, on croirait que l’issue de cette bataille, sur ce front, sera décisive.
— Si mon armée est détruite, tout l’effort de guerre sera mis en danger. De fait, l’issue peut dépendre de ce qui se passera ici.
— Je ne suis pas d’accord. Ton armée n’est pas vitale. De plus, elle est composée de violeurs de serments. Tu combats les Ténèbres, et pour ça, je t’estime honorable. Si tu devais perdre, je retournerais au Seanchan pour faire renaître de ses cendres sa glorieuse armée invincible, puis je reviendrais ici afin d’écraser cette… horreur. Nous gagnerions quand même l’Ultime Bataille. Sans toi, ce serait plus difficile, et je n’ai aucune envie de perdre des vies précieuses et des damane potentielles, mais je suis sûre que les Seanchaniens, seuls, écraseraient les Ténèbres.
L’Impératrice chercha le regard d’Egwene.
Cette femme est glaciale… Mais c’est de l’esbroufe, il ne peut pas en être autrement.
Selon les agents de Siuan, l’Empire, livré au chaos, traversait une crise de succession.
Cela dit, Fortuona croyait peut-être vraiment qu’il pourrait vaincre seul les Ténèbres. Eh bien, dans ce cas, elle se trompait.
— Tu te battras à nos côtés ! insista Egwene. Tu as signé le traité de Rand et donné ta parole.
— Tremalking est à nous.
— Vraiment ? Et tu as mis en place un dirigeant, là-bas ? Quelqu’un du cru, pour justifier ton règne ?
Fortuona ne répondit pas.
— Les autres pays que tu as conquis t’ont juré allégeance, reprit Egwene. Pour le meilleur et pour le pire, les Altariens et les Amadiciens te suivront. Les Tarabonais aussi, semble-t-il. Mais le Peuple de la Mer… Aucun rapport ne mentionne qu’il te soutient ou accepte de vivre sous ton joug.
— Les frontières…
— Les frontières, justement, montrent sur toutes les cartes que Tremalking est la patrie du Peuple de la Mer. Pas la tienne. Si le traité fige les nations dans l’état actuel, tu devras avoir là-bas un dirigeant qui reconnaît tes droits.
Egwene jugea son argument tiré par les cheveux. Étant des conquérants, les Seanchaniens se contrefichaient de la notion de légitimité. Pourtant, Fortuona semblait réfléchir aux propos de la Chaire d’Amyrlin.
— C’est… un bon argument, finit-elle par dire. Les Atha’an Miere ne nous ont pas acceptés. Rejeter notre proposition de paix était stupide, mais ils l’ont fait quand même. Très bien, nous renoncerons à Tremalking, mais j’ajouterai une condition à l’accord, comme tu viens de le faire.
— Laquelle ?
— À la Tour Blanche et dans tous tes pays, tu annonceras qu’une marath’damane désireuse de venir à Ebou Dar pour porter un collier sera libre de le faire.
— Tu crois que des femmes voudront être affublées d’un a’dam ?
Dingue ! Cette femme était dingue !
— Bien entendu que oui ! Chez nous, très rarement, une femme capable de canaliser échappe à nos recherches. Dès qu’elle découvre sa nature, elle vient à nous et exige de porter un collier, comme il convient. Tu ne forceras personne à rester loin de nous. Celles qui voudront nous rejoindre en auront le droit.
— Elles l’auront, c’est juré.
— Donc, cette proclamation ne devrait te poser aucun problème. Nous enverrons des émissaires pour éclairer tes peuples sur les bienfaits du statut de damane. Nos enseignantes viendront en paix, puisque nous respecterons le pacte. Je crois que tu seras surprise. Bien des femmes opteront pour ce qui est juste.
— Fais comme ça te chante, dit Egwene, amusée. Si tu ne violes aucune loi, tes émissaires seront bien reçues. Le plus souvent, car je ne peux pas parler pour tous les dirigeants.
— Et les terres que tu contrôles ? Tar Valon ? Tu accueilleras nos enseignantes ?
— Si elles respectent les lois, oui. Dans ce cas, je ne les ferai pas taire. Je laisserais venir des Fils de la Lumière, s’ils pouvaient exposer leur foi sans provoquer partout des émeutes. Mais quand même, tu ne peux pas croire sérieusement que…
Egwene s’interrompit et regarda l’Impératrice. Si, elle y croyait. Pour autant qu’on pouvait le dire, elle y croyait.
Au moins, elle est sincère… Folle, certes, mais sincère.
— Et les damane que tu détiens actuellement ? demanda Egwene. Si elles le veulent, les laisseras-tu partir ?
— Aucune femme bien formée ne désirerait ça.
— La règle doit être la même des deux côtés, insista Egwene. Quid d’une jeune fille dont tu découvrirais qu’elle est apte à canaliser ? Si elle ne veut pas devenir une damane, la laisseras-tu partir chez moi ?
— Ça reviendrait à lâcher un grolm enragé en liberté sur la grand-place d’une ville.
— Selon toi, les femmes verront la vérité. Si la façon de vivre des Seanchaniens est la bonne, et leurs idéaux sincères, les gens les prendront pour ce qu’ils sont. Dans le cas contraire, il ne faudra pas les forcer. Laisse partir les femmes qui le voudront, et j’autoriserai tes émissaires à prêcher la bonne parole à Tar Valon. Je leur fournirai le gîte et le couvert, et je ferai en sorte qu’il en soit de même dans toutes les villes.
Fortuona dévisagea Egwene.
— Beaucoup de nos sul’dam sont venues ici avec l’espoir de capturer de nouvelles damane parmi celles qui servent les Ténèbres. Ces Shariennes, par exemple… Tu voudrais qu’on les laisse libres de tuer et de détruire ? Même chose pour tes sœurs noires ?
— Non, celles-là, elles seront jugées et exécutées au nom de la Lumière.
— Pourquoi ne pas faire en sorte qu’elles soient utiles ? Gaspiller leurs vies est absurde.
— Ce que vous faites est abominable ! s’écria Egwene, son calme un peu… effrité. Même l’Ajah Noir ne mérite pas ça.
— On ne doit pas mettre au rebut de précieuses ressources.
— Tu crois vraiment ? Sais-tu que chacune de tes sul’dam, tes précieuses formatrices, est en réalité une marath’damane ?
Fortuona écarquilla les yeux de colère. Les piques d’Egwene, pourtant très rudes, l’avaient laissée de marbre, mais cette révélation semblait insupportable pour elle.
Du coup, la Chaire d’Amyrlin estima judicieux de retourner le couteau dans la plaie.
— Oui, procédons ainsi, et mettons à l’épreuve la puissance de ton engagement. Si tu te révèles capable de canaliser, feras-tu ce que les autres, selon toi, doivent faire ? Fortuona, te mettras-tu un collier autour du cou ? Obéiras-tu à tes propres règles ?
— Je leur ai obéi, dit Fortuona, très froide. Tu es très ignorante. Il est peut-être vrai que toute sul’dam peut apprendre à canaliser. Mais ce n’est pas la même chose qu’être une marath’damane. Tout comme un homme qui pourrait commettre un crime n’est pas nécessairement un assassin.
— Nous verrons ça quand la plupart de tes sujets sauront qu’on leur a menti.
— Je te briserai moi-même ! fit Fortuona d’un ton égal. Un jour, tes propres amis te livreront à moi. Ou ton arrogance te poussera à franchir nos frontières… Crois-moi, je serai là à t’attendre.
— J’entends vivre des siècles, riposta Egwene. Fortuona, je verrai ton empire tomber en miettes. Et je m’en réjouirai.
La Chaire d’Amyrlin tendit un index pour tapoter la joue de l’Impératrice. Rapide comme l’éclair, celle-ci saisit au vol le poignet de sa rivale.
Pour une quasi-naine, elle était sacrément vive.
D’instinct, Egwene s’unit à la Source.
Les damane présentes sursautèrent et l’aura du saidar les enveloppa.
Mat se plaça entre Egwene et Fortuona et les sépara, une main posée sur le torse de chacune. La Chaire d’Amyrlin tenta de canaliser pour se dégager. Bien entendu, son tissage fit long feu.
Par le sang et les cendres, quelle plaie, celui-là !
Elle avait oublié que cet enquiquineur était là.
— Soyons civils, mes dames, fit Mat en regardant alternativement les belligérantes. Ne me forcez pas à vous flanquer une bonne fessée à toutes les deux.
Egwene foudroya du regard l’importun, qui ne se laissa pas impressionner. En fait, il essayait de focaliser la colère de sa vieille amie sur lui et non sur Fortuona.
Egwene baissa les yeux sur la main de Mat, plaquée bien trop près de ses seins. Fortuona aussi fixait l’autre main du jeune flambeur.
Mat finit par baisser les deux – mais en prenant son temps, comme si rien ne clochait.
— En ce monde, dit-il, les gens ont besoin de vous deux, à condition que vous ayez la tête sur les épaules. Vous m’entendez ? Cette histoire nous dépasse tous. Battez-vous l’une contre l’autre, et le Ténébreux aura gagné. Alors, assez d’enfantillages !
— Knotai, dit Fortuona, nous aurons une très longue conversation, ce soir.
— J’aime parler, dit Mat. Il y a tant de mots si jolis. Comme « sourire ». Ce mot-là, je l’ai toujours adoré. Qu’en penses-tu ? À moins que tu préfères une longue tirade : « Moi, l’Impératrice – puissé-je vivre éternellement –, je jure de ne pas tuer Egwene parce qu’elle a essayé de me tapoter la joue. Parce que nous aurons vitalement besoin d’elle pendant les quelques semaines à venir. »
Mat regarda intensément sa femme.
— Tu l’as vraiment épousé ? demanda la Chaire d’Amyrlin à l’Impératrice. Ce n’est pas une blague ?
— Non, il s’est agi d’un événement… inhabituel. (Elle s’ébroua puis regarda Egwene.) Il est à moi et je n’ai pas l’intention de le lâcher.
— Tu n’as pas l’air d’être encline à lâcher quoi que ce soit, quand tu as refermé tes griffes dessus, siffla Egwene. Pour l’heure, Matrim ne m’intéresse pas. Ton armée, en revanche… Te battras-tu, oui ou non ?
— Je me battrai ! Mais pas question que tu diriges mes troupes. Que ton général nous fasse parvenir des suggestions. Nous y réfléchirons. Cela dit, je vois que tu auras du mal à défendre le gué, sans un large contingent de tes marath’damane. Pour te soutenir, je t’enverrai plusieurs de mes sul’dam avec leurs damane. Jusqu’à nouvel ordre, c’est tout ce que je ferai. Knotai, viens, retournons auprès des nôtres.
Au passage, Egwene apostropha Mat à voix basse.
— J’ignore comment tu t’es retrouvé dans cette position, et je ne veux pas le savoir. Mais quand nous en aurons terminé, je ferai mon possible pour te libérer.
— C’est très gentil à toi, Egwene, mais je m’en sortirai tout seul.
Sur ce mot, le jeune flambeur suivit son épouse.
Il disait toujours ça, après s’être fourré dans la mouise. Comme d’habitude, Egwene trouverait une astuce pour l’aider. Secouant la tête, elle retourna là où Gawyn l’attendait. Alors qu’on aurait pu croire qu’elle aimerait revoir ses compatriotes, Leilwin avait refusé de venir.
— Nous devons les tenir à distance, souffla Gawyn.
— Absolument d’accord avec toi.
— Tu combattras aux côtés des Seanchaniens, malgré ce qu’ils ont fait ?
— Tant qu’ils occupent les Shariennes, oui…
Egwene tourna la tête vers l’endroit où Rand devait livrer un combat de titan.
— Nos choix sont limités, Gawyn, et les alliés potentiels se font très rares. Jusqu’à nouvel ordre, toute personne qui veut massacrer des Trollocs est une amie. Rien à ajouter.
Les lignes andoriennes faiblissaient et les Trollocs, ces monstres à l’haleine putride qui se transformait en buée à cause du froid, les harcelaient. En battant en retraite, les hallebardiers d’Elayne avaient failli se faire tomber les uns les autres. Les dépassant, les premiers Trollocs les avaient ignorés, car ils désiraient surtout dégager le chemin pour que leurs frères puissent traverser la brèche tel le sang qui se déverse d’une artère tranchée.
La jeune reine tenta de mobiliser le peu d’énergie qui lui restait. Elle aurait juré que le saidar cesserait bientôt de lui obéir, mais les hommes qui continuaient à se battre ne devaient pas se sentir beaucoup mieux qu’elle après une journée entière à ferrailler.
Retrouvant un peu d’énergie, Elayne carbonisa les quelques Trollocs déjà en train de franchir la brèche béante dans les lignes andoriennes. Véritables traits d’argent, des flèches tirées par Birgitte fondirent aussi sur les monstres, dont bon nombre s’écroulèrent.
Accrochée d’une main à sa selle, Elayne décochait lance de flammes sur lance de flammes. Des monstres s’écroulèrent, formant un obstacle qui bloquerait un temps le chemin de leurs semblables.
Les renforts se mirent en mouvement, aidant leurs camarades à repousser la horde noire.
À court de souffle, Egwene oscilla sur sa monture. À croire qu’elle avait été forcée à courir autour de Caemlyn tout en portant des haltères. Ayant du mal à rester assise en selle, elle ne se sentait plus la force de canaliser le Pouvoir. Sa vision se brouilla. À ses oreilles, les sons moururent.
Alors, le néant la submergea.
Mais ça ne dura pas longtemps, et les bruits revinrent les premiers. Des cris distants… L’écho très étouffé des cors… De temps en temps, le vacarme des dragons…
Ils ne font pas assez souvent feu, pensa la jeune reine.
Aludra avait pris une sorte de rythme de tir. Quand Bashere retirait du front une ou deux compagnies pour qu’elles se reposent un peu, les Trollocs fondaient sur les défenseurs comme des charognards sur une carcasse. Alors, les dragons les réduisaient en bouillie.
Des salves assez courtes, mais dévastatrices…
Dès que des monstres parvenaient à passer, la cavalerie les chargeait et les poussait contre les flancs des collines où attendaient des fantassins.
Les Trollocs tombaient comme des mouches.
C’était la mission des défenseurs. Tuer le plus grand nombre de monstres.
Mais ils sont trop lents ! gémit mentalement la jeune reine.
Soudain, elle se retrouva allongée sur le sol, les yeux rivés sur les traits soucieux de Birgitte, qui se penchait vers elle.
— J’ai glissé de ma selle ? demanda-t-elle.
— Nous t’avons rattrapée à temps, grommela Birgitte. Tu nous es tombée dans les bras. Viens, il faut se replier.
— Je…
Birgitte leva un sourcil, résignée à un éclat.
Mais il n’était pas aisé de faire un esclandre lorsqu’on gisait sur le dos au milieu d’un champ de bataille. Elayne était coupée du saidar, et elle n’aurait pas pu canaliser, même avec sa vie pour enjeu.
— Oui, replions-nous, dit-elle. Je dois… consulter Bashere.
— Très judicieux, ça, souffla Birgitte.
Elle fit signe à une garde de venir l’aider à remettre la reine en selle. Puis elle hésita un peu.
— Tu t’en es bien tirée, Elayne. Tes hommes t’ont vue te battre, et ça leur a fait du bien.
Les deux femmes gagnèrent l’arrière, où il n’y avait plus grand monde, car tous les soldats étaient en première ligne. À tout prix, il fallait gagner avant l’arrivée de la seconde horde ennemie. Pour ça, l’armée jetait toutes ses forces dans la bataille.
Elayne fut pourtant surprise qu’il leur reste si peu de réserves. Si ça continuait ainsi, qui assurerait les prochaines rotations ?
Alors que le ciel était en général clair là où se trouvait la jeune reine, aujourd’hui, les nuages s’y pressaient les uns contre les autres. Un mauvais signe, sûrement.
— Maudits nuages, marmonna Elayne. Où en sommes-nous de la journée ?
— Deux heures avant le coucher du soleil, ou quelque chose comme ça, répondit Birgitte.
— Lumière ! Tu aurais dû me faire retourner au camp il y a des heures !
La Championne la foudroyant du regard, Elayne se souvint qu’elle avait tenté plusieurs fois de la convaincre. Bon, le moment n’était pas aux vaines querelles. Ses forces lui revenant, la jeune reine se redressa sur sa selle tandis que Birgitte la conduisait dans la petite vallée, près de Cairhien, où Bashere avait installé son poste de commandement sous un pavillon ouvert de tous les côtés.
Peu sûre d’être en état de marcher, Elayne resta en selle et, une fois arrivée, attendit que Bashere lève la tête pour lui parler.
— Je ne peux plus compter sur toi pour combattre, j’imagine, dit-il après un rapide coup d’œil à la jeune reine.
— Je suis trop faible pour canaliser. Désolée.
— Tu as tenu bien plus longtemps qu’il était raisonnable… (Bashere nota quelque chose sur une carte.) Au fond, c’est une bonne nouvelle. J’en étais venu à croire que le flanc est tenait uniquement grâce à toi. Il va falloir que j’y envoie des renforts.
— Comment se déroule le plan ?
— Va donc voir ça de tes yeux, dit Bashere en désignant le sommet de la colline.
Elayne serra les dents et talonna Ombre de Lune, qui avança jusqu’en haut de la butte. Avec des mains qui tremblaient bien plus qu’elle l’aurait voulu, la jeune reine leva sa longue-vue.
Les Trollocs avaient atteint la ligne de défenseurs disposée en arc de cercle. Résultat logique, la courbure de l’arc de cercle s’était inversée, puisque la poussée ennemie visait essentiellement le centre. Voyant leurs adversaires reculer, les monstres s’étaient crus vainqueurs et n’étaient pas allés chercher plus loin.
Alors qu’ils avançaient, l’arc de cercle était devenu un cercle, et ils s’étaient retrouvés dans un piège. Elayne avait raté le moment-clé, où Bashere avait ordonné aux Aiels d’attaquer. La manœuvre conçue pour leur permettre de prendre les monstres à revers avait admirablement bien fonctionné.
Totalement encerclés, les Trollocs résistaient, mais la pression adverse augmentait de minute en minute, les privant d’espace vital.
À présent, le cercle était un nœud coulant qui se refermait sur eux.
Oui, le plan fonctionnait ! Par la Lumière, c’était génial ! Les Aiels faisaient un carnage, et plus rien ne pourrait sauver les monstres.
Mais lesquels sonnaient donc du cor ? Car c’étaient des cors ennemis qu’Elayne entendait toujours.
Elle plissa les yeux, sonda la masse de Trollocs mais n’en vit aucun avec un cor à la bouche. En revanche, elle repéra plusieurs cadavres de Myrddraals là où étaient passés les Aiels.
Fixé à ses roues et tiré par deux chevaux, un dragon d’Aludra se déplaçait avec un des cavaliers de la Compagnie de la Main Rouge. Pour mieux bombarder les monstres, les servants changeaient sans cesse la position de ces armes.
— Elayne…, grogna Birgitte.
— Oui, navrée… (Elayne tendit la longue-vue à sa Championne.) Jette un coup d’œil. Ça se passe bien.
— Elayne !
Soudain, la jeune reine mesura à quel point Birgitte était inquiète. Se retournant, elle suivit son regard, rivé sur le sud, bien au-delà des murs de la ville.
Ces sonneries de cor, elles étaient étouffées… parce qu’elles venaient de loin, tout simplement.
— Non !
Elayne leva de nouveau sa longue-vue.
Comme un flot de vermine, à l’horizon, la seconde armée de Trollocs approchait.
— Bashere n’a-t-il pas dit que les renforts ennemis seraient là demain au plus tôt ? demanda Birgitte.
— Qu’importe ! Quoi qu’il en soit, ils sont là ! Il faut orienter les dragons dans l’autre sens. Transmets cet ordre à Talmanes, et trouve le seigneur Tam al’Thor. Les archers de Deux-Rivières doivent se préparer à combattre. Nos arbalétriers aussi. Coûte que coûte, nous devons ralentir cette seconde armée.
Bashere ! Il faut que j’aille avertir Bashere !
Elayne fit volter Ombre de Lune et galopa si vite qu’elle en eut le tournis. Tentant de s’unir à la Source, elle dut renoncer. Épuisée, il lui restait à peine la force de tenir ses rênes.
Par miracle, elle parvint à dévaler le versant sans tomber de selle. Birgitte la laissa, filant transmettre ses ordres, la brave femme.
Dans le camp, une dispute était en cours.
— Je n’écouterai pas ça ! cria Bashere. Pas question de me laisser insulter !
L’ire de Bashere visait Tam al’Thor. Avisant Elayne, il écarquilla les yeux, comme s’il ne s’attendait pas à la voir là.
— Majesté, fit-il, on m’a dit que vous étiez encore sur le champ de bataille…
Tam se tourna vers Bashere, qui s’empourpra de rage.
— Je t’interdis de lui raconter…
— Assez ! ordonna Elayne en plaçant sa monture entre les deux hommes.
Pourquoi Tam, entre tous, se disputait-il avec Bashere ?
— Bashere, la seconde armée est presque sur nous.
— Oui, je sais… Elayne, c’est un désastre. Nous devons nous replier via des portails.
— Les femmes de la Famille sont épuisées, Bashere. À peine capables de réchauffer de l’eau avec le Pouvoir. Alors, ouvrir des portails…
Et moi, je ne suis même plus en état de réchauffer de l’eau…
Elayne mobilisa toute sa volonté pour parler d’un ton ferme.
— C’était prévu dans le plan, rappela-t-elle.
— Je… Oui, c’est vrai. (Bashere étudia sa carte.) Voyons voir… La ville ! Nous allons nous replier en ville !
— Et donner aux Trollocs le temps de se reposer, de s’organiser et de nous attaquer ? C’est probablement ce qu’ils veulent nous pousser à faire.
— Je ne vois pas d’autre solution… Notre seul espoir, c’est la cité.
— La cité ? répéta Talmanes en déboulant, le souffle court. Tu ne parles pas sérieusement de nous réfugier dans Cairhien ?
— Et pourquoi non ? demanda Elayne.
— Majesté, nos fantassins viennent de réussir à encercler une armée entière ! Peu à peu, ils la taillent en pièces. Mais nous n’avons plus de réserves et nos cavaliers sont épuisés. Rompre un engagement dans ces conditions nous vaudra de lourdes pertes. Ensuite, les survivants seront coincés en ville, pris en étau par deux armées.
— C’est ce que nos ennemis ont prévu, je crois…, soupira Elayne.
— Je le pense aussi, intervint Tam.
— Ne recommence pas avec ça ! beugla Bashere.
Même si les gaillards du Saldaea étaient connus pour leur sang chaud, le maréchal ne semblait pas être lui-même, en ce jour. À dire vrai, on eût presque cru avoir affaire à un autre homme. Sa femme l’avait rejoint, les bras croisés, et ensemble ils défiaient le père de Rand.
— Je t’écoute, Tam, dit Elayne.
— Je…, commença Bashere.
D’une main levée, Elayne lui intima le silence.
— Il savait, Majesté, dit Tam, très serein. C’est la seule explication possible. Il n’a pas recouru aux éclaireurs aiels.
— Quoi ? s’écria la reine. Bien sûr que si ! J’ai lu leurs rapports.
— Ces rapports sont des faux, ou au moins, on les a « arrangés ». J’ai parlé à Bael. Aucun de ses guerriers, à l’en croire, n’est parti en éclaireur durant les quelques jours de notre marche. Il a cru que mes gars s’en chargeaient, mais ce n’était pas le cas. J’ai parlé à Arganda, qui était persuadé, lui, que les Capes Blanches s’en occupaient. Selon Galad, c’était la Compagnie de la Main Rouge…
— Non, fit Talmanes, pas nous… Aucun de mes hommes n’a quitté la colonne.
Tous les regards se tournèrent vers Bashere.
— Bashere, demanda Elayne, qui s’est occupé de surveiller nos arrières ?
— Je… Eh bien, j’ai les rapports quelque part ! Je te les ai montrés, et tu les as approuvés.
— C’est bien trop parfait, ça…, fit Elayne.
Un frisson glacé courut le long de sa colonne vertébrale. Ensuite, il sembla gagner tout son corps. Dans cette affaire, son armée avait été piégée. Une bataille pour fixer ses forces, plus d’aide à espérer du Pouvoir, une seconde armée libre d’approcher en secret et avec un jour d’avance sur ce qu’affirmaient les rapports…
Davram Bashere était un Suppôt des Ténèbres.
— Le Maréchal du Saldaea Bashere est relevé de son commandement, annonça la jeune reine.
— Quoi ? Mais… Mais…, bredouilla Bashere.
Son épouse lui posa une main sur le bras et défia Elayne du regard.
Bashere pointa un index sur Tam al’Thor.
— J’ai envoyé les hommes de Deux-Rivières ! Le traître, c’est Tam al’Thor ! Elayne, il essaie de détourner ton attention.
— Talmanes, dit la reine, toujours glacée jusqu’aux os, que cinq Bras Rouges mettent aux arrêts le seigneur Bashere et sa femme.
Bashere lâcha un torrent de jurons.
Étonnée par son propre calme, Elayne s’avisa qu’elle n’éprouvait plus l’ombre d’une émotion. Sans frémir, elle regarda Bashere s’éloigner sous bonne escorte.
Pour frémir, il faudrait attendre des jours meilleurs…
— Qu’on réunisse nos officiers supérieurs, ordonna Elayne. Galad, Arganda… Pour le moment, la priorité est d’en finir avec les Trollocs encerclés. Il faut faire passer le mot aux hommes. Jetons nos dernières forces dans ce combat. Si nous ne gagnons pas, nous mourrons tous ici.
» Talmanes, les dragons ne doivent plus être très utiles, depuis que les Trollocs sont coincés. En tirant, nous risquerions de toucher nos hommes. Dis à Aludra de déployer ces armes en batterie sur la plus haute colline qui fait face au sud. Autour de cette position, les Ogiers formeront un cordon défensif. Ces armes sont plus précieuses que la prunelle de nos yeux ! Tam, poste tes archers sur les collines environnantes. Que la Légion du Dragon forme la première ligne, les arbalétriers devant et la cavalerie lourde derrière. Si la Lumière le veut bien, ça nous laissera le temps d’écraser les Trollocs du Nord.
Ce serait très juste, si ça fonctionnait… En revanche, si la seconde armée encerclait les hommes d’Elayne…
La jeune reine prit une grande inspiration, puis elle s’unit au saidar. Même si elle n’aurait pas pu canaliser un filament, le Pouvoir déferla en elle. Pour les autres, elle pouvait faire mine de ne pas être épuisée, mais son corps connaissait la vérité.
Qu’importe ! Elle commanderait quand même ses forces.