Chapitre II

Malko observa le petit Japonais qui dormait la bouche ouverte dans le fauteuil voisin. Il ne paraissait pas ses vingt-trois ans, avec son visage plat, ses dents gâtées et ses cheveux en brosse, il ressemblait à un étudiant sage. Et pourtant Shunishi Furuki avait candidement avoué au F.B.I. qu’il se préparait à faire sauter tout le complexe pétrolier de Long Beach…

La drogue qu’on lui avait administrée avant son départ de Los Angeles était en tout cas puissante. Il n’avait même pas ouvert l’oeil lorsque le « 747 » s’était posé à Hawaii. Maintenant, ils venaient de passer l’île de Guam et le Pacifique scintillait trente mille pieds plus bas.

Un véritable convoi militaire l’avait amené du pénitencier « Cal State » à l’aéroport international de Los Angeles.

Des « gardes nationaux » armés jusqu’aux dents, des agents du F.B.I., des motards encadraient l’ambulance qui transportait le petit Japonais. Il avait paru étrangement chétif à Malko lorsqu’on l’avait installé sur le siège de la première rangée du compartiment des « First » du « 747 » en partance pour Tokyo. Incroyable de penser qu’à des milliers de kilomètres de là ses camarades avaient monté une opération audacieuse pour le libérer. Malko avait appris qu’il avait d’abord refusé totalement de parler pendant vingt-quatre heures. Puis, il avait craqué brusquement, deux jours plus tôt, révélant les « objectifs » que le groupuscule de l’Armée Rouge s’apprêtait à détruire. Comme si le fait d’être coupé de ses camarades et de la responsable du groupe, Hiroko, l’avait brisé psychologiquement.

Le F.B.I. n’avait pas eu le temps d’en apprendre plus… les interrogatoires se déroulaient en japonais, car Furuki semblait ne pas parler anglais.

Malko reporta son regard sur les flots bleus du Pacifique. Sa mission ne s’arrêterait, hélas, pas avec l’échange des otages, si tout se passait bien. Il avait somnolé plusieurs heures, bercé par le ronronnement des réacteurs. À Hawaii le compartiment des « First » avait été mis en état de siège, le « 747 » entouré d’une haie de policiers. Malko et Furuki occupaient les sièges 1 et 2, face à la cloison avant. Chris Jones et Milton Brabeck, les gorilles de la « Special Operation Division » de la C.I.A., spécialement entraînés au Camp Perry, en Virginie, veillaient dans les sièges 3 et 4. Armés à leur habitude. C’est-à-dire puissamment. Derrière eux, quatre agents du Secret Service occupaient quatre fauteuils séparés, surveillant l’arrière. Personne, en classe touriste, n’était censé connaître l’identité du Japonais.

Le ciel était immaculément bleu, mais il allait faire froid à Tokyo. Abruti par le Jet-lag, Malko avait du mal à garder les yeux ouverts. Seule compensation à sa position de chef de mission, il n’était pas obligé d’être armé. Afin que le prisonnier ne risque pas de s’emparer de son arme. Mais il appréhendait l’échange des otages. C’était toujours une opération délicate et il n’avait aucune expérience dans ce genre de négociation. Tout ce qu’il savait c’était que ses adversaires étaient des gens extrêmement dangereux.

Il maudit la mauvaise idée qu’il avait eue de dire à David Wise qu’il séjournerait au Beverly Hills Hotel… Une semaine plus tôt, il avait été convié à déjeuner par le chef de la C.I.A. dans la salle à manger de l’ « Executive Suite », de Langley, le saint des saints, réservé aux supergrades de la C.I.A. Honneur insigne, dû plus à son titre d’Altesse Sérénissime qu’à son rang de carcer-agent, un des six mille membres de la « Clandestine Division ». Ils avaient dégusté un somptueux chevreuil, arrosé de Château-Margaux 1967, servi par des Noirs en livrées. Espèce rarissime à la Company qui ne comptait pas plus de vingt Noirs sur un effectif de douze mille personnes… Après cela, Malko aurait eu mauvaise grâce à refuser de partir pour Tokyo. D’autant que son séjour en Californie lui avait donné une idée folle. Et onéreuse : remplacer le vieux chauffage central de son chateau de Liezen par un système de climatisation moderne…

En attendant, il baguenaudait au-dessus du Pacifique…

Une des hôtesses des « First » s’approcha de lui, une grande fille brune, aux jambes interminables et pleines, qui couvait Malko des yeux depuis Hawaii, autant à cause de ses yeux d’or que du danger qu’il représentait.

— Vous n’avez besoin de rien, Sir ? demanda-t-elle d’une voix veloutée.

Le regard de ses yeux pers disait qu’elle était prête à faire de gros efforts pour la satisfaction de ce passager-là. Malko soupira :

— Si. Que vous changiez de place avec mon voisin.

Elle eut un rire de gorge et fixa le Japonais comme si c’était une araignée venimeuse… Tout l’équipage était au courant. Le regard de l’hôtesse revint se poser sur Malko, s’adoucissant aussitôt.

— Vous devriez monter au bar du haut, cela vous changerait un peu.

— Excellente idée dit Malko.

Il restait six personnes pour surveiller Furuki. Il suivit l’hôtesse, traversant la cabine pour rejoindre le bar situé au-dessus, derrière le cockpit. Il admira les hanches en amphore, le corps puissant et sensuel de la jeune femme. Son déhanchement pour monter l’escalier en colimaçon le troubla.

Malko resta debout près du bar, tandis que l’hôtesse lui préparait un Bloody Mary. Elle contourna ensuite le bar et s’arrêta si près de lui qu’il pouvait sentir son parfum.

— Bonne chance, murmura-t-elle, j’espère que tout se passera bien à Tokyo.

Malko fit tourner ses glaçons dans le verre, les yeux fixés sur le sage corsage blanc gonflé par une poitrine somptueuse.

— Je le souhaite.

L’hôtesse demanda d’un ton dégagé :

— Où descendez-vous à Tokyo ?

— À l’Imperial, dit Malko.

L’hôtesse sourit.

— J’ai quatre jours de repos et je m’ennuie toujours à Tokyo.

Malko se dit qu’il pourrait difficilement trouver un meilleur guide, si tout se passait bien pour les otages.

— Appelez-moi, dit-il. Mon nom est Malko Linge. Prince Malko Linge.

Le Bloody Mary était fort et glacé.

— Je m’appelle Nancy, dit l’hôtesse. Nancy Younglove.

Un nom qui était tout un programme.

L’hôtesse s’excusa d’un sourire et redescendit. Malko la suivit de près. Un voyant venait de s’allumer, rappelant les passagers à leurs fauteuils. La voix veloutée de Nancy Younglove annonça dans le haut-parleur :

— Nous venons de commencer notre descente sur Tokyo, veuillez attacher vos ceintures et ne plus fumer…

Chris Jones se leva, en dépit de l’interdiction, pour rejoindre Malko. Le gorille avait les yeux rouges de fatigue. Les traits tirés, il paraissait encore plus impressionnant avec ses 1 m 92 de muscles et d’os. L’étui de son .44 Magnum reposait sur la boucle de sa ceinture.

— Ça va ? demanda-t-il.

— Ça va, affirma Malko.

Ils n’auraient pas beaucoup de temps pour s’adapter en arrivant.

À son tour, Milton Brabeck se leva avec une grimace et les rejoignit. Sa blessure reçue en Angola[8] n’était même pas cicatrisée… Lui se contentait de deux Smith et Wesson Magnum au canon de six pouces. Il avait déjà été à Tokyo, du temps où il était Marine.

— On va se faire masser, annonça-t-il d’un ton égrillard.

Incorrigible. Malko se pencha et attacha la ceinture de sécurité du Japonais toujours endormi.

Le « 747 », pris dans le gros cumulus, commença à vibrer. Le ciel bleu avait fait place à la nuit. Brutalement, Malko se sentit étreint par une angoisse diffuse. Il vivait peut-être ses dernières heures. À côté de lui, le Japonais sursauta sur son siège. Il ouvrit les yeux, se redressa, l’air brusquement affolé.

Where are we ?

Malko le regarda, stupéfait : le F.B.I. lui avait bien dit qu’il ne parlait pas anglais !

— Nous allons arriver à Tokyo, dit-il.

Furuki sembla brusquement se souvenir. Une lueur affolée passa dans ses yeux noirs.

— Vous allez me remettre à Hiroko ? demanda le Japonais.

— C’est elle qui a exigé votre libération, souligna Malko, intrigué par la connaissance parfaite de l’anglais de son interlocuteur.

Celui-ci dit tout à coup :

— Je ne veux pas qu’on me livre à Hiroko.

Malko crut avoir mal entendu. Cet enlèvement était providentiel pour Furuki. Avec ce qu’on avait saisi sur lui, il risquait un minimum de cinq ans de prison… le « 747 » vibrait de plus en plus.

— C’est Hiroko qui vous a envoyé à Los Angeles, dit Malko.

Furuki s’accrocha des deux mains aux accoudoirs de son fauteuil et répéta :

— Je ne veux pas. Elle va me tuer… Vous ne la connaissez pas.

Ses pupilles s’étaient dilatées sous l’effet de la terreur.

Le « 747 » continuait sa descente, secoué par des rafales. Le temps semblait effroyable. Nancy Younglove vint se pencher vers Malko et murmura à son oreille.

— Le commandant essaie d’atterrir. Normalement, nous devrions aller nous poser à Osaka ou à Séoul. Tokyo est très mauvais.

Elle s’éloigna, plus attirante que jamais. Une belle plante.

Malko se mit à penser à Hiroko Okada, la responsable du commando de l’ambassade. La belle Japonaise dont tous les journaux avaient publié la photo, qui ressemblait à une étudiante rieuse.

Complètement réveillés, les agents du « Secret Service » avaient posé leurs mitraillettes sur les genoux… À travers une trouée de nuages, Malko aperçut brièvement des navires illuminés. La baie de Tokyo. Ils avaient décollé le matin à dix heures trente de Los Angeles. Le samedi. Mais en franchissant la « date-line » au milieu du Pacifique, ils avaient « perdu » un jour. À Tokyo, c’était déjà le dimanche soir.

Les nuages firent place à une masse cotonneuse et blanchâtre : le brouillard. Volets baissés, train sorti, le « 747 » n’était plus qu’à quelques centaines de pieds d’altitude. Brusquement, Furuki éclata en sanglots, secoué de spasmes nerveux. Puis, les roues du jet touchèrent la piste, et le hurlement des réacteurs inversés couvrit tous les autres bruits. Malko se dit que tout allait se jouer dans les deux heures qui suivaient.

Il essaya de distinguer quelque chose à travers le hublot. L’aéroport de Haneda était noyé dans le brouillard, percé de quelques lueurs. Le « 747 » s’engagea sur une bretelle, se dirigeant vers l’aérogare. Les passagers « normaux » préparaient déjà leurs affaires. Malko aperçut les phares de plusieurs véhicules, un feu clignotant au-dessus d’un toit. La police. Furuki s’était tassé dans son fauteuil. Nancy Younglove s’approcha de Malko :

— Vous allez descendre avant l’aérogare.

Le « 747 » stoppa. La police japonaise ne prenait aucun risque… Malko aperçut des hommes en uniforme courir autour de l’avion. Ils étaient encore loin des bâtiments. Un tracteur apparut, tirant une échelle de coupée. Le chef de cabine annonça aux passagers qu’on débarquait un malade et qu’ils devaient patienter encore quelques minutes…

La porte avant du « 747 » fut ouverte, laissant entrer une vague d’air glacial. Malko se leva et dit à Furuki.

— Venez.

Le Japonais se recroquevilla dans son fauteuil.

— Non, fit-il d’un ton farouche, je ne veux pas sortir.

Chris Jones s’approcha :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Il ne veut pas descendre, dit Malko.

Son of a bitch[9], grommela le gorille.

Se penchant, il attrapa le Japonais et l’arracha de son siège sans même défaire sa ceinture de sécurité… Furuki se mit à hurler comme une sirène. En japonais et en anglais, ameutant les passagers, s’accrochant au fauteuil. Malko ne savait plus où se mettre… Les autres passagers des « First » regardaient avec horreur le groupe en train de lutter. Ce n’était pas fameux pour le renom de la compagnie… La porte ouverte laissa passer un groupe de civils, Blancs et Japonais, qui se précipitèrent vers Furuki et son escorte. Un Blanc chauve à la moustache noire agrippa Malko.

— Je suis William Loward, Second conseiller de l’ambassade. Qu’est-ce qui se passe, bon sang ?

— Il ne veut pas quitter l’avion, expliqua Malko. Il prétend que ses amis vont le tuer.

L’Américain haussa les épaules, furieux.

Nonsense ! Il nous reste une heure pour arriver à l’ambassade. Emmenons-le de force !

Porté, tiré, à moitié assommé, Furuki traversa la cabine, fut traîné jusqu’à la porte ouverte. Malko croisa le regard horrifié de Nancy Younglove. D’autres passagers détournèrent la tête, gênés… Il se faisait vraiment l’effet d’être un agent de la Gestapo, pendant la guerre. Furuki criait toujours.

Deux Américains empoignèrent le Japonais chacun par un bras et le forcèrent à descendre l’échelle de coupée. Le ciment grouillait de policiers, de voitures, s’agitant dans un halo de brouillard irréel. Malko boutonna son manteau de cachemire et se dirigea vers une longue Cadillac noire arborant le drapeau américain. Il faisait un froid pénétrant, l’air sentait le kérosène. Des lumières clignotaient dans le lointain ; l’aérogare. Les policiers étaient nerveux, tendus, cherchant à percer le brouillard. Au moment où on allait pousser Furuki dans la Cadillac, le Japonais effectua tout à coup un véritable saut périlleux, échappant à ses deux gardiens. Plusieurs policiers se précipitèrent, croyant qu’il cherchait à fuir. Mais, au lieu de s’éloigner, Furuki se précipita, la tête la première, contre la pare-chocs d’un car de police !

Comme un bélier.

Le bruit du choc de son crâne contre l’acier fut étouffé par le hurlement des policiers.

Furuki fit quelques gestes désordonnés et glissa à terre. Ses anges gardiens affolés se précipitèrent et le relévèrent, le front inondé de sang !

Le Second conseiller de l’ambassade U.S. se rua vers le Japonais blessé, commençant à éponger le sang avec son propre mouchoir, tremblant d’énervement.

— Soignez-le, bon Dieu ! glapit-il.

Il fallut cinq minutes de cris et de confusion pour panser la tête du Japonais, qui recommençait à se débattre. Cette fois, les deux gorilles qui le tenaient l’enchaînèrent à eux par des menottes. Enfin, on parvint à l’enfourner à l’arrière de la Cadillac. Chris Jones et Milton Brabeck s’assirent sur les strapontins, face aux sièges arrière. Malko et le Second conseiller prirent place à l’avant, à côté du chauffeur. La Cadillac démarra aussitôt, précédée et suivie de plusieurs voitures de police, encadrées de motards. Évitant l’aérogare. Le convoi coupa à travers l’aéroport, rejoignant l’Expressway n° 1, qui filait vers le centre de Tokyo le long du port. Ils passèrent en trombe un poste de péage. Malko aperçut des taxis minuscules, des signes lumineux et incompréhensibles.

William Loward, le Second conseiller, regardait défiler les entrepôts et les usines d’un air absent. Il avait des valises sous les yeux et un tic à la paupière droite. Furuki, subitement résigné, ne bougeait plus. D’ailleurs, au premier battement de cils, ses anges gardiens étaient fermement décidés à l’assommer.

— Bon Dieu, quelle histoire, soupira le Second conseiller. Je n’ai pas dormi depuis deux jours…

La Cadillac roulait maintenant sur une autoroute urbaine en surélévation comme un métro aérien, filant vers le nord. S’il n’y avait pas eu des publicités en caractères japonais, de temps à autre, perçant le brouillard, Malko aurait pu se croire à Kansas City. Tokyo ressemblait au cauchemar d’un urbaniste : un enchevêtrement de ciment, d’autoroutes urbaines, de vieilles maisons de bois et de gratte-ciel grisâtres. Le convoi roulait à plus de 80, doublant des taxis multicolores.

— Nous arriverons dans cinq minutes à l’ambassade, annonça William Loward en regardant sa Seiko.

Il était 8 h 15. La nuit était tombée à quatre heures. La pollution et le brouillard.

— Comment comptent-ils partir ? demanda Malko.

L’Américain secoua la tête.

— On ne sait pas. Ils n’ont rien voulu dire.

Furuki grogna. Malko se retourna. Le jeune terroriste avait le visage crispé de terreur, maculé de traînées de sang séché. Ses prunelles bougeaient sans arrêt, comme s’il cherchait une issue. Le frottement des pneus de la grosse limousine contre le ciment du freeway causait un ronflement sourd, abrutissant.

Le diplomate jeta un regard en coin à Malko et dit :

— Le « Department » nous a averti que vous aviez la responsabilité de l’échange des otages. Je vais vous présenter à Tom Otaku, le responsable de la lutte antiterroriste. C’est avec lui que vous organiserez la suite des opérations. (Il eut un rire nerveux.) Il ne doit plus y avoir un seul flic dans Tokyo. Ils sont tous autour de l’ambassade…

Il se pencha soudain vers la droite du freeway.

— Tenez, les voilà là-bas.

Malko essaya de distinguer ce qui émergeait du brouillard. L’Expressway décrivait une courbe, surplombant des maisons de bois et quelques bâtiments modernes en plein centre de Tokyo. Soudain, le convoi plongea presque sans ralentir dans une rampe de sortie et fila à travers les rues étroites et encombrées, à grands coups de sirène.

Malko aperçut des vitrines, des passants, une rue qui montait bordée d’une palissade de bois. À sa gauche se dressait un énorme hôtel, surmonté d’une enseigne lumineuse de cinq lettres : OKURA.

Le convoi ralentit, roulant entre deux haies de policiers. Malko distingua des policiers en bleu engoncés dans des gilets pare-balles, des cars grillagés, des projecteurs, des hommes qui couraient.

La Cadillac stoppa, immédiatement cernée d’uniformes. Malko descendit avec le diplomate, laissant Furuki à l’intérieur sous la garde des gorilles. Plusieurs civils japonais lui furent présentés aussitôt. Il fut noyé de noms en « i » en « ko ». Il y avait tout l’état-major de la police de Tokyo, et un bon paquet de barbouzes japonaises et américaines.

— Quoi de neuf ? demanda William Loward à Tom Otaku.

— Rien, fit le Japonais. Ils ne bougent pas. Nous leur avons annoncé que l’avion s’était posé.

— Pas de nouvelles des otages ?

— Aucune.

Malko regarda le petit immeuble blanc cerné de projecteurs qui déchiraient le brouillard. Seule la fenêtre au coin du premier étage était faiblement éclairée. Le bureau de l’ambassadeur. Il pensa aux otages enfermés là depuis trois jours !

Saisi soudain par l’énormité de sa mission, il se demandait comment il allait s’en sortir. Tom Otaku s’approcha de lui, ses petits yeux vifs noyés dans la graisse l’observaient derrière ses grosses lunettes. Il avait visiblement hâte que l’échange se fasse. Il arborait une épingle mauve au revers de son veston. Comme tous les autres policiers. Afin d’éviter les fâcheux malentendus…

Malko était en train de demander comment les terroristes pensaient fuir. C’était un quartier dense, avec des rues étroites. Un policier japonais surgit en courant de l’ambassade et dit quelques mots à voix basse à Tom Otaku.

— Il les a prévenus que vous êtes arrivé avec Furuki, dit le Japonais à Malko. Nous attendons leurs instructions…

Malko se sentit horriblement humilié. Tout ce déploiement de forces pour être à la merci de quelques desperados… Les fenêtres de l’Okura étaient presque toutes éclairées. Des gens avaient loué des chambres uniquement pour être aux premières loges. Le seul moyen, puisque la zone était interdite aux badauds. Un second policier rejoignit le premier, débita une longue tirade en japonais. De nouveau Tom Otaku fit l’interprète :

— Ils veulent que vous montiez avec Furuki jusqu’au palier du premier, qu’ils puissent le reconnaître.

— Allons-y, dit Malko.


* * *

Six gorilles, dont Chris Jones et Milton Brabeck, encadraient Furuki, menottes aux poignets. Ils s’engagèrent dans l’escalier, après cinq minutes de pourparlers menés en hurlant, par un policier japonais.

Malko emboîta le pas aux gorilles. Furuki était livide, mais ne se débattait plus. Son hémorragie avait cessé, on avait essuyé le sang de son visage mais le pansement de la tête était tout maculé.

Le groupe arriva sur le palier. La porte du bureau de l’ambassadeur était entrouverte, un rai de lumière en filtrait. Ils s’arrêtèrent, face à la porte, et le policier japonais cria une longue phrase.

La tension était presque palpable.

La porte s’ouvrit lentement sur Hiroko, mitraillette au poing. Ses longs cheveux réunis en chignon. Malko fut frappé par les yeux globuleux, jurant avec le visage harmonieux. Elle ne regarda que Furuki. Celui-ci se redressa, sourit, cria quelque chose. La fille referma aussitôt la porte, après avoir jeté quelques mots.

L’interprète reflua précipitamment vers l’escalier.

— Ils veulent que nous redescendions tout de suite, sinon, ils tireront.

Ils regagnèrent le hall. Furuki semblait très calme. Plus trace de la peur qu’il avait montrée dans l’avion…

— Qu’a dit Furuki ? demanda Malko, intrigué.

— Qu’il les remerciait, fit l’interprète. Qu’il était fier de combattre pour le Sekigun.

Dans le hall, on apporta du thé chaud pour tout le monde. Malko le but avec joie. La tension commençait à l’envahir lui aussi. Tout le monde était nerveux, irritable. Un Américain et un Japonais commencèrent à échanger des propos dépourvus de toute aménité. Personne ne savait ce qui allait se passer…

— On ne peut vraiment pas aller les chercher ? soupira Milton Brabeck.

— Sauf si vous étiez l’Homme Invisible, dit Malko. Et encore…

Il y eut un remue-ménage dans le parking et, deux minutes plus tard, le préfet de Police de Tokyo surgit, un morceau de papier à la main :

— Ils veulent qu’un hélicoptère se pose sur le toit de l’ambassade d’ici une demi-heure, annonça-t-il. Avec seulement l’équipage à bord.

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