Chapitre IV

Les bajoues de Tom Otaku, le chef de la lutte antiterroriste, pendaient tristement, affalées sur le col de sa chemise. Engoncé frileusement dans son gros pardessus bleu, il contemplait l’hélicoptère violemment éclairé par les phares mobiles des voitures de police. Une ambulance venait d’emporter les deux pilotes. L’un respirait encore et il y avait une minuscule chance de le sauver. Le hululement de la sirène s’éloignait. Malko réprima un frisson. Le froid et la fatigue… Alors que la Cadillac allait pénétrer sous l’auvent de l’hôtel Imperial, la radio de bord, branchée sur la fréquence de la police, avait annoncé la chute de l’hélicoptère. L’appareil avait été repéré par un policier du petit poste, au coeur de Hibaya Park et Hibaya Dori.

— Nous avons mis des barrages en place, annonça Tom Otaku à Malko.

Effectivement, tous les policiers de Tokyo étaient sur les dents. À travers le brouillard, on devinait les cinq étages de briques rouges de l’immeuble de la direction générale de la police. Les terroristes ne manquaient pas d’audace. Mais Tokyo était une ville immense. La police ignorait même comment ils avaient fui Hibaya Park. Il y avait une entrée de métro, à trois cents mètres de l’endroit où l’hélicoptère s’était posé sur Hibaya Dori. Malko préféra ne pas extérioriser ses doutes. Hiroko était recherchée depuis plus de deux ans. En vain. Cela signifiait qu’elle s’était parfaitement organisée dans la clandestinité…

Il décida qu’il était temps de décrocher. Il serra la main grassouillette du chef du Kohan. Le Japonais plongea dans une superbe courbette, prolongée tant que Malko ne se fut pas engouffré dans la longue Cadillac. Il n’y avait pas plus de trois cents mètres jusqu’à l’Imperial, mais il avait l’impression d’avoir du plomb collé à ses semelles. Son cerveau se grippait. Demain serait un autre jour. Il savait que sa mission à Tokyo ne faisait que commencer, mais n’en avait cure.

Il lutta pour ne pas s’endormir pendant le court trajet.

Le hall immense de l’Imperial était vide. Les Japonais étaient des « couche tôt ». Malko découvrit que, par miracle, ses bagages avaient suivi. Il regrettait l’ancien Imperial, celui qu’on avait démoli, qui avait plus de charme que cet énorme caravansérail. Une hôtesse, en mini et gants blancs, lui ouvrit la porte de l’ascenseur. Malko grimpa d’un trait au quatorzième. À part le kimono bleu étalé sur le lit, on aurait pu se croire n’importe où dans le monde… Il appela la standardiste de l’hôtel :

— Qu’on ne me réveille sous aucun prétexte. Même s’il y a un tremblement de terre !

En s’endormant, il repensa aux yeux pleins de terreur de Furuki. Où se trouvait-il maintenant ?


* * *

Malko se réveilla en sursaut. Son lit bougeait, tremblait, se soulevait. D’abord, il crut à un cauchemar. Il se redressa et se regarda dans la glace en face du lit. Alors qu’il était rigoureusement immobile, son reflet bougea. Ainsi d’ailleurs que le mur… La penderie et la cloison émirent un craquement sinistre. Le lit de Malko fut secoué comme par une main invisible. Cela devenait inquiétant. Il se rua sur le téléphone, appela le standard :

— Il se passe des choses étranges, annonça-t-il, mon…

— C’est un tremblement de terre, Sir, fit la voix placide de la standardiste. Force 4.

Aussi calme que si elle lui avait donné l’heure. Le lit trembla encore un peu, et les vibrations cessèrent. Malko, complètement réveillé, se souvint de l’ordre qu’il avait donné en s’endormant. La standardiste, totalement dépourvue d’humour comme la plupart des Japonais, l’avait pris au mot.

— À quelle force l’hôtel était-il réduit en poussière ? demanda-t-il poliment.

— À la force 7, répondit la standardiste sans le moindre trouble.

À sa décharge, Malko ignorait qu’à Tokyo il y avait à peu près un tremblement de terre par mois. Détruite à 90% en 1945, la ville avait été reconstruite à l’épreuve des tremblements de terre. Les fondations des immeubles s’enfonçaient à cinq étages sous terre, ce qui transformait Tokyo en une gigantesque termitière. Et arrangeait tout le monde, étant donné le prix du mètre carré.

On frappa des coups redoublés à la porte. Malko alla ouvrir et vit la tête hagarde de Chris Jones.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda l’Américain. Tout bouge.

— C’est un tremblement de terre, dit paisiblement Malko. Force 4.

Il crut que le « gorille » allait se désintégrer sur place. Il fit demi-tour en marmonnant des paroles indistinctes sur ces bougnoules, qui n’étaient même pas foutus de faire tenir leur pays en place…

Malko se recoucha et se rendormit immédiatement. Le tremblement de terre avait dû aussi réveiller Hiroko et sa bande. Il caressa une seconde l’idée qu’on lui apprendrait leur arrestation à son réveil. Sans trop y croire.


* * *

Le bureau d’Al Borzoï était net comme une chambre d’hôpital. Pas un papier, pas un tableau. Rien de personnel. L’Américain avait la hantise des « fuites ».

Cinq ans dans le building de Langley, où on brûlait jusqu’aux rubans de machine à écrire usagés, l’avaient marqué irrémédiablement. D’ailleurs la C.I.A. avait le culte du secret. Tous les agents étaient toujours répertoriés par des noms de code, même dans les documents Top-Secret. Celui de Malko était Warlord. À cause de ses origines.

Mais Albert Borzoï laissait à ses case officers la manipulation des agents ou informateurs. Son dada, c’était la synthèse. Analyste de formation, il avait toujours manifesté une méfiance profonde envers les gens de la Division des Plans, devenue, en 73, celle des Opérations.

Dont Malko faisait partie…

Mais, dans le cas présent, la reconnaissance prenait le pas sur la méfiance… Il avait même demandé une cafetière et deux tasses.

Le café japonais était pire que l’américain… Malko avait vidé la cafetière et devait encore faire un effort pour suivre la conversation… La vie avait repris dans la petite ambassade. On avait même changé le tapis taché de sang de l’escalier. Mais le chef de station de la C.I.A. à Tokyo, après ces trois jours de kidnapping, pouvait à peine ouvrir les yeux, tant il était épuisé. Il avait néanmoins tenu à reprendre ses fonctions aussitôt.

— Les Japonais vont avoir du mal à les retrouver, dit-il. Mais je pense qu’ils y arriveront. Ils ont mis un ordinateur sur le problème. Pour faire la synthèse de tous les éléments en leur possession.

Dès qu’il parlait d’ordinateur. Al Borzoï prenait l’air gourmand d’un obsédé sexuel devant Raquel Welsh… Avec ses traits placides, il avait l’air d’un bon gros bouledogue, parlant les yeux au plafond, ou ailleurs, avec de brusques coups d’oeil à son interlocuteur. Des lueurs vite éteintes dans le regard. Donnant l’impression fausse de s’ennuyer perpétuellement… Mais Malko savait qu’il s’agissait d’un excellent professionnel. Et qu’après son stage japonais il aurait un poste élevé à la Company.

— Même si les Japonais ne les retrouvent pas, remarqua Malko, moi, je dois le faire.

Al Borzoï se frotta la joue d’un air endormi et embarrassé. Faisant cliqueter sa gourmette.

— Oui, bien sûr, fit-il.

Sans enthousiasme.

Il était parfaitement au courant de la mission de Malko à Tokyo. Sans l’approuver.

— J’ai abordé le sujet ce matin, au téléphone, avec Tom Otaku, lâcha-t-il. Les Japonais sont très concernés par votre présence à Tokyo. Vous savez comme ils sont susceptibles sur la légalité. Bien entendu, ils collaborent totalement avec vous, mais n’aiment pas voir des étrangers se promener ici, armés, pour des missions, disons, parallèles…

— Je peux reprendre l’avion si vous voulez, proposa Malko.

Borzoï le fixa, la tête légèrement de côté, puis tapota sa cigarette pour en faire tomber la cendre.

— Non, non, bien sûr, fit-il. Il faut retrouver ce Furuki. Mais en agissant avec tact. J’ai dû promettre à Otaku que les six agents venus accompagner Furuki repartiraient dès demain.

— Merci, dit Malko, pince-sans-rire.

L’absence de Chris Jones et Milton Brabeck pouvait se faire fâcheusement ressentir, le cas échéant… Heureusement, il lui restait son pistolet extra-plat. Et toute la police japonaise. Qui n’avait pas l’air d’apprécier les honorables barbouzes de la C.I.A. Même si elles étaient d’aussi haute extraction qu’un authentique samouraï…

— Le Kohan doit quand même avoir des informations à me communiquer, remarqua Malko. Cela fait trois ans que le Sekigun sévit au Japon.

L’Américain secoua la tête.

— Pas grand-chose. Ils ne sont jamais parvenus à pénétrer ces réseaux d’extrême gauche. Leurs membres se connaissent entre eux depuis l’Université, sont peu nombreux et extrêmement méfiants. Ils se haïssent entre eux, en plus. Il y a les « Fang », les « Wu », le « Sekigun ». Tous rivaux. Tous fanatiques.

« Pour ce coup-ci, ils ne savent même pas où ils ont trouvé leurs mitraillettes. La contrebande d armes est quasi inexistante à Tokyo. Même le milieu n’en a pas. Je suis resté trois jours avec eux, j’ai vu leurs armes : des P.M. israéliens, des Uzi, des grenades soviétiques.

Malko bâilla à se décrocher la mâchoire. Tout cela était hautement encourageant. Il espérait trouver auprès de la C.I.A. de Tokyo un peu plus d’aide.

— Et vous, demanda-t-il, vous vous êtes occupé du Sekigun ?

Al Borzoï sembla s’endormir un peu plus.

— Pratiquement pas. J’ai des coupures de presse et les rapports de la police japonaise. Où il n’y a rien. Sauf sur les types qui ont déjà été arrêtés… Les Japonais me donnent tout ce qu’ils ont. Ce qui ne mène pas loin.

— En tout cas, j’ai ordre de retrouver Furuki. Vivant. Et de toute urgence, dit Malko. Son dossier complet va vous parvenir demain, avec les photocopies des documents saisis sur lui… Un plan de destructions industrielles. Il avait sur lui une lettre de Hiroko adressée à des membres du Sekigun aux États-Unis. Annonçant son arrivée prochaine. Le F.B.I. n’a pas eu le temps de faire parler Furuki. D’identifier son réseau de soutien américain. Furuki avait peur. Hiroko a peut-être voulu le récupérer simplement pour qu’il ne parle pas. Pour le liquider…

Al Borzoï jouait avec sa lèvre supérieure déformée.

— Ouais, fit-il. Avec elle, c’est possible. Si vous aviez vu ce qu’elle a fait à cette pauvre fille dans le bureau… Une boucherie. Je sentais qu’elle mourait d’envie de nous flinguer. Comme ça, pour le plaisir. Une dingue. Avec ses yeux de crapaud. Il paraît que c’est sa maladie qui lui donne tout le temps chaud. Nous, on a failli crever de froid…

— Écoutez, dit Malko, Hiroko et ses complices ont besoin d’armes, de passeports, de soutien. Il doit bien y avoir un moyen de remonter à eux.

— Le Kohan n’y est pas arrivé, remarqua tristement Borzoï. Pourtant, ils sont très bien organisés…

Malko regarda la façade blanche de l’Okura, de l’autre côté de la rue. Cherchant comment faire éclater la placidité de Borzoï…

— Il y a peut-être des moyens autres que le Kohan, suggéra-t-il. Vous n’avez pas d’informateurs ?

L’Américain, une jambe par-dessus le bras de son fauteuil, semblait réfléchir profondément. Ou s’endormir. C’était difficile de faire la différence… Finalement, il souleva une lourde paupière.

— Il y a bien quelqu’un qui pourrait nous aider. Un garçon qui a rendu beaucoup de services à la Company.

— Qui ?

— Max Sharon, un journaliste. Il travaillait dans un tout petit canard, dans le Delaware. Nous lui avons payé plusieurs séjours en Corée, pendant la guerre. Pour qu’il écrive des histoires qui nous intéressaient. Finalement, il est resté à Tokyo et a beaucoup de relations. Il continue à nous rendre pas mal de services. Et nous, à l’aider. Je pense que lui… Il a toujours renvoyé l’ascenseur…

C’est ce que la C.I.A. appelait un « désinformateur ». Un journaliste, apparemment indépendant, s’arrangeant pour faire passer certaines histoires fabriquées ou « orientées ». Les Russes en avaient autant que les Américains.

— Où puis-je trouver ce Max Sharon ? demanda Malko.

Borzoï se leva pesamment.

— Son bureau est à la limite de Ginza, tout près de votre hôtel. Je vais lui téléphoner. Allez le voir cet après-midi.

— À propos, précisa Malko, je ne parle pas japonais…

— Tom Otaku va…

— Vous n’avez pas quelqu’un de moins voyant ? suggéra Malko.

Al Borzoï se replongea dans une profonde réflexion pour relever la tête quelques secondes plus tard. Avec une lueur coquine dans son oeil marron :

— Si. Une fille qui m’a rendu aussi des services. Une taxi-girl… Je l’ai employée pour « réchauffer » certains clients…

Devant l’expression de Malko, il sourit :

— Attention ! Kuniko se fait payer cinquante mille yens pour deux heures de sa compagnie. Elle travaille dans le bar le plus cher de Tokyo, le Hawa. Fréquenté exclusivement par des P.-D.G. Qui appartient d’ailleurs à une des plus grosses boîtes du Japon… Et ne croyez pas qu’ici ce soit un métier déshonorant : une taxi-girl, ça ne veut pas dire une putain. Bien sûr, elles se laissent tenter parfois, mais dans le cas de Kinuko, cela risque de vous coûter son poids en or.

À Tokyo, on recensait, grosso modo, dix-neuf mille bars. Dès qu’un Japonais avait un peu de vague à l’âme et quelques yens, il fonçait dans un des minuscules et innombrables bars de Ginza ou de Shinjuku pour passer une heure ou deux en compagnie d’un micro-whisky et d’une taxi-girl…

— En somme, votre Kuniko est une geisha, dit Malko.

Borzoï secoua sa gourmette, ravi :

— Tout juste. Une geisha en or massif. Appartement à un million de yens par mois, Mercedes 450 SL décapotable. Vous irez vous faire tenir la main ce soir, pour faire connaissance. Mais la main seulement. Pour le reste, vos notes de frais n’y suffiraient pas.

— Vous croyez qu’elle collaborera ?

Cette fois, Al Borzoï rit de bon coeur.

— Vous savez comment on la surnomme ? « Bukki ».

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— « Argent »… en japonais. Je vais vous donner un mot pour elle. Vous verrez ensuite ce qu’elle demande.

Il alla s’asseoir à son bureau, tira une carte et commença à griffonner des caractères japonais. Il le parlait et l’écrivait parfaitement. Six ans de travail. Malko empocha la carte, bâillant à se décrocher la mâchoire. Le jet-lag le rattrapait. Albert Borzoï le raccompagna jusqu’au rez-de-chaussée de l’ambassade. Milton Brabeck et Chris Jones somnolaient dans des fauteuils et eurent du mal à se lever.

Albert Borzoï s’attarda quelques instants avec Malko. Visiblement préoccupé.

— Je comprends les soucis de la Division des Opérations, dit-il, mais il ne faudrait pas créer un incident avec les Japonais. Si vous apprenez quelque chose sur Furuki par l’intermédiaire de Max Sharon, transmettez l’information immédiatement à Tom Otaku. Vous avez le numéro de sa ligne directe. Il est très efficace.

Malko lui affirma qu’il ne tuerait pas une mouche sans en référer au chef du Kohan… Les deux « gorilles » le rejoignirent :

— On rentre à la maison ? demanda Milton Brabeck, plein d’espoir.

Il n’aimait pas les tremblements de terre.

— Vous rentrez, dit Malko. Moi, je reste.

— À vous les geishas et les massages ! ricana Milton, toujours irrespectueux.

— Je ne pense qu’à ça, affirma Malko, sans sourire.


* * *

Quand le téléphone sonna, Malko eut l’impression qu’il était sept heures du matin. Il était rentré à l’Imperial et s’était écroulé immédiatement. Une voix de femme demanda :

— Prince Malko Linge ?

C’était une voix douce, timide… Malko la reconnut immédiatement avec un petit choc agréable au coeur.

— Nancy ! Comment allez-vous ?

Le souvenir des courbes somptueuses de l’hôtesse de l’air, Nancy Younglove, le réveilla immédiatement. Il regarda sa montre : sept heures du soir.

— Comment avez-vous reconnu ma voix ? demanda-t-elle.

— J’ai une assez bonne oreille, dit modestement Malko. Et j’ai également une faim de loup… Puis-je vous emmener dîner ?

— Avec plaisir, dit-elle. J’ai tout suivi… l’échange. À la radio. C’était terrifiant. Je… Je pensais à vous. Vous me raconterez ?

— Juré, affirma Malko. Où êtes-vous ?

— Au Dai-Ichi. C’est tout près d’ici.

Il raccrocha après avoir pris rendez-vous pour huit heures. Impossible d’aller voir la pulpeuse Kuniko avant dix heures du soir. Quant à Max Sharon, il était absent de Tokyo jusqu’au lendemain.


* * *

Furuki serra de toutes ses forces ses dents pour qu’elles ne claquent pas. Le froid était mordant, et il était nu, attaché à un poteau de la véranda de la petite maison de bois, face à un jardin zen impeccablement ratissé, semé de cailloux blancs. L’humidité glaciale le pénétrait jusqu’aux os.

La maison était entourée de hauts murs, sans voisins. Elle appartenait à des gens absents pour trois ans, qui l’avaient louée à un prête-nom, agissant pour le compte du Sekigun. C’était une vieille demeure typiquement japonaise, avec des cloisons coulissantes de bois et de papier huilé, sans chauffage, presque sans meubles, un petit jardin intérieur, cachée dans une très étroite rue sans trottoir du quartier de Ueno.

Hiroko et ses proches n’en sortaient jamais, sauf raison impérieuse. Le ravitaillement était assuré par des membres du Sekigun, inconnus de la police. Hiroko contrôlait une vingtaine d’activistes fanatiques, la plupart très jeunes.

— Ko ! appela Furuki.

C’était le seul qui avait osé lui manifester un peu de sympathie. Le Japonais moustachu qui avait participé à l’attaque de l’ambassade U.S.

Hiroko l’avait battu pendant plus d’une heure dès l’aube après lui avoir enfoncé dans la bouche une serviette à thé. Avec une longue et mince badine de bambou, s’attardant au sexe, aux testicules. Le regard trouble, comme si elle y prenait un plaisir sexuel. À chaque coup, Furuki se mordait les lèvres pour ne pas crier. Au suivant, la douleur était encore plus forte… Il avait uriné involontairement sous la douleur, et Hiroko, dont le blue-jeans avait été éclaboussé, avait menacé de le châtrer s’il recommençait…

Ko n’avait pas entendu. Ou pas voulu l’entendre. Les panneaux restaient obstinément clos. Furuki pensa à la chaleur relative qui régnait à l’intérieur… Sa peau était violette de froid, son sexe recroquevillé comme une crevette morte.

Tout avait commencé la veille par une conversation amicale, avec les trois membres du commando. Puis, peu à peu, le ton avait changé : Hiroko était devenue plus incisive, puis méchante, hargneuse, soupçonneuse. Demandant à Furuki de confesser ses fautes, d’un air entendu. Le malheureux avait eu beau répéter que sa capture était le fruit du hasard, qu’il n’avait pas parlé, Hiroko ne l’avait pas cru. Et pourtant, le F.B.I. n’avait donné aucune publicité à ses aveux partiels.

— Si tu es innocent, avait finalement proclamé Hiroko, tu dois te plier aux règles de l’interrogatoire révolutionnaire.

Sous le regard neutre, méfiant, de Ko et de Jinzo, Furuki avait accepté de se déshabiller et de se laisser lier à un des poteaux de la véranda. Croyant encore à une des simagrées symboliques dont Hiroko était friande. Mais, maintenant, il avait peur. Le jeu allait trop loin. La journée, attaché au poteau, avait été effroyable. Furuki s’était retenu pour ne pas hurler et déchaîner la colère de Hiroko. Les cordes lui entraient dans la chair, ses poignets avaient enflé. Le bout de ses doigts était bleu. Il mourait de faim.

La paroi de papier huilé glissa silencieusement. Hiroko s’avança vers Furuki. Celui-ci faillit crier de soulagement. Il était un peu plus de quatre heures et il faisait déjà presque nuit. Elle venait le libérer.

Vêtue d’un blue-jeans et d’une chemise de toile, insensible au froid, la Japonaise vint se planter en face de Furuki, le regard de ses gros yeux globuleux totalement impénétrable.

— Tu as appelé ? demanda-t-elle.

— Oui, dit-il humblement. Je voudrais que tu me détaches.

Une lueur de cruauté joyeuse éclaira les yeux de crapaud :

— Il faut d’abord que tu me dises ce que tu as avoué aux Américains.

— Je n’ai rien avoué, répéta Furuki. Je te le jure.

Brutalement, elle le gifla. Deux fois, de toute sa force. Les yeux lui sortaient encore plus de la tête.

— Salaud, lui dit-elle d’une voix contenue. Je sais que tu mens. L’homme qui t’a amené ici est toujours à Tokyo. Je suis sûre qu’il me cherche, tu m’as trahie…

Reculant, elle entreprit de le rouer de coups de pied. Impuissant à se protéger, Furuki se mit à pousser des cris de douleur. Hiroko s’arrêta enfin de frapper, essoufflée. Mais Furuki sentait que ce n’était qu’un répit. Il voulut la calmer, lui jeter quelque chose en pâture.

— Ce n’est pas toi qu’il cherche, cria-t-il. C’est moi !

— Comment le sais-tu ? demanda froidement la Japonaise.

Furuki renifla, tremblant, malade de peur et de douleur :

— Je les ai entendus, expliqua-t-il, ils croyaient que je ne comprenais pas l’anglais. Ils disaient qu’il fallait me reprendre à tout prix… Dans l’avion. Ne pas me laisser au Japon. Ils ont peur de toi, Hiroko.

La Japonaise lui jeta un regard terrible.

— Ils ont raison, dit-elle, gonflée d’orgueil. Mais s’ils veulent tellement te reprendre, c’est parce que tu as commencé déjà à trahir. Ils espèrent que tu continueras… N’est-ce pas, Furuki-san ?

— Non, c’est faux ! hurla le jeune Japonais. C’est faux !

Hiroko secoua la tête.

— Tu finiras par avouer… Maintenant, je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. Mais je te ferai parler…

Elle fit demi-tour et rentra dans la maison, en dépit des supplications de Furuki. Certaine de deux choses. Que Furuki avait trahi et que l’homme blond qui avait dirigé l’échange des otages la cherchait.

Il fallait frapper la première.

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