Chapitre VIII

M. Yamato, le cheveu de nouveau impeccable, l’oeil vif derrière les lunettes cerclées de fer, plongea dans une courbette au ras du sol. La Nissan noire était de nouveau là, arrachée aux griffes de la police par la puissante organisation de M. Kawashi. Un peu tard… Malko écouta d’une oreille distraite les excuses fleuries de Yamato qui avait dû se faire traîner dans la boue par le président du syndicat des racketteurs.

— Kawashi-san souhaite vivement que vous veniez le retrouver, annonça Yamato. Il est profondément affecté par la malchance qui nous a frappés…

Malko s’installa dans la Nissan où se tenait déjà un gigantesque Japonais au crâne rasé, bâti comme un lutteur, avec un visage plat aux traits durs, enveloppé dans un kimono noir. Il salua Malko d’une profonde inclinaison de tête. Celui-ci remarqua qu’il lui manquait les premières phalanges de l’index et du médius gauche. La voiture fila aussitôt vers le sud. Malko se demandait où ils allaient. Après leur échec de l’après-midi, il pensait que Kawashi allait mettre un certain temps avant d’avoir de nouveaux tuyaux.

Les télex angoissés de la C.I.A. s’entassaient chez Al Borzoï. Il fallait coûte que coûte retrouver Furuki. Savoir ce que le Sekigun préparait contre les U.S.A. Tom Otaku n’osait même plus téléphoner au chef de station de la C.I.A. Même les journaux parlaient moins de Hiroko. Un navire atomique frappé d’une avarie tournait en rond autour des ports japonais et cela mobilisait l’actualité. Malko rageait ; quand retrouverait-il une piste comme celle du Saoudien ?

De nouveau, il pleuvait à verse.


* * *

Hiroko frissonna sous son imperméable, courant vers sa voiture garée dans la petite rue qui longeait l’Imperial.

Au dernier moment, elle avait renoncé à attaquer Malko. Les deux hommes qui se trouvaient avec lui l’inquiétaient, surtout le plus grand. Cela sentait le Milieu. Or, Hiroko devait se garder pour sa mission.

D’ailleurs, pour avoir remonté aussi vite ses sources d’armes, il fallait qu’il ait trouvé des aides hors des services officiels. C’est ce qui lui faisait peur.

Brûlante de haine, elle s’engouffra dans sa petite Toyota beige. Dès qu’elle fut au volant, elle ôta ses lunettes et posa son Beretta sur le plancher, laissant les grenades dans les poches de l’imperméable. Il fallait tuer son adversaire avant la nuit. Sinon, elle perdait la face.

La Nissan, devant elle, ne roulait pas vite. Ils s’éloignaient du centre, vers l’aéroport, traversaient un quartier de plus en plus industriel.


* * *

La Nissan, après avoir tourné dans les rues sombres et étroites, stoppa devant une petite maison devant laquelle brillait une superbe lanterne en papier et une enseigne en anglais : Utamaro. Il n’y avait pas de trottoir, comme d’habitude. Une file de grosses voitures stationnait en face. Yamato et le géant en kimono noir précédèrent Malko dans un petit hall.

Aussitôt, les trois hommes furent entourés d’une nuée de jeunes Japonaises au maquillage outrancier, toutes vêtues du même kimono blanc s’arrêtant à mi-cuisses. Au milieu d’une profusion de courbettes, plusieurs ôtèrent le manteau de Malko, délacèrent ses chaussures, les remplaçant par des pantoufles et le poussèrent dans un escalier étroit au milieu de gazouillements joyeux. Yamato avait subi le même traitement. Il sourit à Malko.

— Kawashi-san dit toujours qu’un mauvais coup des dieux mérite une compensation, Malko-san. Utamaro est le meilleur Turoko Bath. Il appartient d’ailleurs à Kawashi-san.

Le premier étage était un bar douillet, avec télévision et musique japonaise. À peine Malko était-il assis qu’une ravissante aux yeux en amande vint s’agenouiller devant lui, les yeux baissés, offrant un plateau de thé.

Yamato, qui s’était éclipsé, revint, suivi de deux filles. L’une épanouie, avec un petit nez retroussé, une bouche charnue et rieuse, de longs cheveux noirs tombant sur les épaules et des cuisses fuselées découvertes par le kimono, l’autre, une fillette frêle, enveloppée, elle, dans un vrai kimono, chaussée de chaussettes blanches, avec une bouche trop grande pour ses traits fins, qui lui donnait l’air perverse.

Les deux filles s’agenouillèrent devant Malko.

— Malko-san, dit Yamato, Mademoiselle Paix Jaillissante serait heureuse de vous détendre après vos ennuis d’aujourd’hui. Kawashi-san lui a fait l’honneur de la désigner lui-même…

Refuser eût été de la dernière goujaterie.

— Et l’autre ? demanda Malko.

— C’est Mademoiselle Riz Précoce, expliqua le Japonais. Elle serait très heureuse si vous vouliez bien lui permettre de rester avec sa soeur.

C’eût été criminel de séparer une famille aussi unie. Malko n’eut pas le mauvais goût de s’enquérir de l’âge de Mademoiselle Riz Précoce. Pas plus de treize ans, en tout cas. Yamato transmit son acceptation. Les deux geishas eurent des petits rires gênés, à la japonaise, le visage caché dans leurs mains, puis, on passa aux choses sérieuses… Mademoiselle Paix Jaillissante l’entraîna le long d’un couloir étroit bordé de « salons » de massage. Quelques portes ouvertes, et Malko put apercevoir des saunas, des plantes vertes et des lits de repos. Toutes les cloisons étaient en papier huilé, ce qui nuisait fâcheusement à l’intimité.

Il se retrouva dans une petite pièce qui tenait du jardin japonais et de la salle de gymnastique avec des plantes vertes, un tub en bois, un sauna et une couche. Mademoiselle Paix Jaillissante commença par s’incliner profondément devant lui, le regard faussement pudique, tandis que Mademoiselle Riz Précoce s’agenouillait sur ses talons, en face de lui.

Avec grâce, Mademoiselle Paix Jaillissante se débarrassa de son kimono, et apparut entièrement nue. Elle avait des seins fermes, en poire, écartés, un mont de Vénus entièrement épilé.

Jugeant que Malko l’avait assez admirée, Mademoiselle Paix Jaillissante entreprit de le déshabiller, ponctuant ses gestes de petits « sumimasen »[15] gazouillés.

Mademoiselle Riz Précoce les recueillait ensuite pieusement et les pliait sur une chaise.

Mademoiselle Paix Jaillissante fit enfin glisser le slip avec une lenteur calculée, s’arrêtant pour pousser quelques petites exclamations admiratives d’une politesse raffinée. Mademoiselle Riz Précoce avait relevé la tête et s’instruisait.

Malko se retrouva nu, debout sur le carrelage, et Mademoiselle Paix Jaillissante se mit en devoir de le récurer comme une vieille casserole, frottant chaque centimètre de sa peau avec un gant de crin, l’air absent, comme un bijoutier polissant une bague. Lorsque Malko n’eut plus un atome de saleté, elle le fit asseoir sur un tabouret et lui brossa les dents à lui arracher les gencives. Pendant ce temps. Mademoiselle Riz Précoce faisait couler l’eau chaude dans le tub.

Malko se sentait l’âme d’un boeuf de Kobé avant l’abattoir… Mademoiselle Paix Jaillissante n’épargnait pas sa peine, explorant tous les orifices naturels avec une patience admirable. Lorsque sa caresse déclencha chez Malko une réaction virile, ses yeux se remplirent de joie. Du coup, Mademoiselle Riz Précoce faillit faire déborder le tub.

Savonné comme un nouveau-né, Malko fut entraîné par la main vers le tub. Au prix d’un effort de volonté fantastique, il parvint à ne pas rejaillir de l’eau brûlante immédiatement. C’était, à peu de chose près, la recette de la truite au bleu. Les genoux remontés sous le menton, à cause de la taille exiguë du baquet de bois, conçu pour des Japonais, Malko se laissa cuire stoïquement.

Ravies de son endurance, ses deux bourreaux déversaient allègrement des torrents d’eau chaude sur lui, lavant la mousse. Lorsque Mademoiselle Paix Jaillissante le tira enfin du tub, Malko avait la couleur d’un Comanche…

Il disparut aussitôt sous les serviettes chaudes, et on le remit sur son tabouret. Très vite, les serviettes tombèrent. Jusqu’ici, ce n’était pas d’un érotisme fabuleux… Cela tenait plutôt de la préparation aux Jeux Olympiques. Cette fois, les deux soeurs s’y mirent ensemble. Mademoiselle Paix Jaillissante entreprit de jouer des castagnettes sur son dos, avec le tranchant de ses deux mains, le massant avec une brutalité inouïe.

Il allait hurler lorsqu’il éprouva une sensation délicieuse dans le bas ventre. Baissant les yeux, il aperçut Mademoiselle Riz Précoce, le visage concentré, en train de lui chatouiller le dessous des testicules avec une paille de riz et une délicatesse extrême. Curieusement, cette caresse légère provoqua chez lui un effet fulgurant. Il crut que Mademoiselle Riz Précoce allait battre des mains. Mais elle était trop consciencieuse pour s’interrompre. Elle ne reposa sa paille de riz que lorsque Mademoiselle Paix Jaillissante prit Malko par la main et l’entraîna vers le lit recouvert d’un drap blanc. Cela avait un côté morgue mais Malko n’en était plus à un détail bizarre près. On le força à s’allonger sur le dos. Il sentit une odeur agréable de citron. Mademoiselle Paix Jaillissante était en train de s’enduire les mains d’une crème jaunâtre.

Puis elle commença à le masser. Mais d’une façon très différente. Avec une douceur incroyable. D’abord la poitrine et le ventre. Puis elle passa aux jambes et aux pieds, étirant chaque orteil avec un soin maniaque sous l’oeil critique de Mademoiselle Riz Précoce. Puis, peu à peu, sa caresse remonta, se transformant en un massage beaucoup plus localisé et précis. En profitant même pour le violer de son index, avec une onction impitoyable. Cette sensation inhabituelle ne fit qu’augmenter l’effet du massage.

Grâce à la crème jaune, qui facilitait le glissement des deux peaux l’une contre l’autre, Malko avait l’impression d’une bête chaude montant et descendant le long de lui, et non d’une main humaine. Sérieuse comme une caissière, Mademoiselle Paix Jaillissante dosait ses effets. Dès quelle sentait Malko au bord de l’explosion, elle transformait son va-et-vient en caresse circulaire, rafraîchissante. À force pourtant de jouer avec le feu, elle réalisa à des contractions imperceptibles qu’elle avait atteint le point de non-retour. Les doigts de Mademoiselle Paix jaillissante se refermèrent autour de lui, si fort qu’il faillit crier, puis ils semblèrent se multiplier par dix, ses ongles griffèrent sa chair la plus délicate et il eut l’impression qu’un geyser jaillissait de son ventre. Tendu en arc de cercle, il s’entendit crier.

Pendant plusieurs secondes, le monde n’exista plus pour lui. Lorsqu’il reprit conscience de la réalité, il croisa le regard plein d’une satisfaction perverse de Mademoiselle Riz Précoce.

Dépassé, Malko murmura un des rares mots japonais qu’il sache :

Itchibang ![16]

Flattée, Mademoiselle Paix Jaillissante se cassa en deux. Il comprenait maintenant le sens évident de son nom. Mademoiselle Riz Précoce y alla également de sa courbette : unies dans l’hommage comme dans la peine. Puis, fila vers le sauna. C’étaient des stakhanovistes de l’amour !

En voyant le parallélépipède de bois, avec un couvercle rabattant sur le dessus et un trou pour la tête, Malko se dit qu’il allait encore jouer au homard. Mais c’était apparemment la condition indispensable à d’autres voluptés. Les Japonais étaient des gens organisés. Tout semblait avoir été programmé sur ordinateur… Tandis que la vapeur chauffait. Mademoiselle Paix Jaillissante, à genoux sur la natte, entreprit de lui administrer une fellation extrêmement lente et profonde, comme si son gosier n’avait pas de fond. Mademoiselle Riz Précoce regardait cette performance, béate d’admiration : la fellation contrôlée ! Hélas, le sauna était prêt. Les jambes flageolantes, Malko se laissa installer entre les parois de bois comme dans une baignoire. Les deux Japonaises rabattirent le couvercle, ne laissant dépasser que la tête. Avec un soin tatillon, Mademoiselle Riz Précoce bloqua le loquet, en bas de la paroi. Comme si Malko allait essayer de s’échapper.

Instantanément, Malko sentit la sueur dégouliner sur sa peau. Mademoiselle Paix Jaillissante sourit.

— O.K. ?

Son anglais s’arrêtait là. Malko l’assura qu’il n’était pas encore cuit. Il se demandait quelle serait la prochaine volupté, offerte par le bon M. Kawashi. Au titre de la coopération C.I.A.-Racketteurs.


* * *

Hiroko tournait depuis une demi-heure autour de Utamaro, cherchant une idée. Impossible d’entrer en force. Trois hommes de Kawashi, dont le géant en kimono noir, surveillaient l’entrée. Ils n’étaient peut-être pas armés, mais sûrement experts au couteau et en karaté.

Il n’y avait presque pas de piétons dans les rues, le quartier ne comptant guère que des entrepôts. De temps en temps, une « masseuse » de l’Utamaro courait en kimono jusqu’au coin de la rue boire une bière dans un bar minuscule. C’était la seule animation.

Hiroko cracha dans l’obscurité. Révoltée. Elle mourait d’envie de jeter ses grenades dans le petit hall, pour faire griller ces putains et ces porcs.

Finalement, elle rentra précipitamment dans l’ombre. Trois hommes sortaient et montaient dans une Mercedes. Il fallait qu’elle agisse vite. Si son hyperthyroïdie ne l’avait pas protégée du froid, elle aurait été frigorifiée. La crosse du Beretta, au fond de sa poche, pesait agréablement. Comme le poids des deux grenades dans l’autre poche. Elle s’éloigna dans l’obscurité, cherchant à résoudre son problème. Il y avait sûrement une solution. Distraite, elle se heurta à une fille qui courait, enveloppée frileusement dans un kimono.

Une des masseuses de l’Utamaro. Elle s’excusa de plusieurs courbettes. Hiroko, figée, ne répondit pas à ses politesses. Elle venait d’avoir son idée.


* * *

Malko se sentait une âme de langouste. La vapeur montant des interstices du bois lui humectait le visage. Il en avait assez. Les Japonais avaient vraiment une curieuse idée de la sexualité.

— Stop ! proposa-t-il.

Gentiment, Mademoiselle Paix Jaillissante secoua négativement la tête. Le cérémonial était immuable. Pas de sauna, pas d’amour. Même pour les amis de Kawashi-san…

Dans un coin, Mademoiselle Riz Précoce, toujours à genoux, le regardait cuire. Attendant la suite avec une expression gourmande. Quelque part dans le Turoko Bath, le tout-puissant Kawashi devait cuire aussi dans son jus. À moins que son rang ne le dispense de ce genre de simagrées… Mais les Japonais étaient traditionalistes.

La veille, un commerçant de Ginza ruiné par la récession avait préféré se faire hara-kiri que d’affronter la honte du tribunal commercial…

La porte coulissa silencieusement derrière Malko sur quelqu’un qu’il ne pouvait voir.

Mademoiselle Paix Jaillissante leva la tête et jeta quelques mots incompréhensibles d’une voix furieuse. Malko tourna la tête et vit le kimono blanc, une autre « masseuse ». Puis la nouvelle venue s’avança, et il put voir ses traits.

Pendant quelques secondes, il douta. À cause des yeux dégonflés et de la situation. Ce fut l’expression de son visage, méprisante et haineuse, qui lui ôta ses derniers doutes.

Hiroko le contemplait, les mains dans les poches de son mini-kimono.

Interdite, Mademoiselle Paix Jaillissante interpella l’intruse d’une voix furieuse.

Sans un mot, Hiroko sortit son poing droit de sa poche et l’écrasa en plein visage de Mademoiselle Paix Jaillissante. Alourdi d’une grenade. Avec une force incroyable pour une femme. La masseuse dérapa sur le carrelage humide, tomba en arrière comme une masse, sa nuque portant sur le sol. Mademoiselle Riz Précoce se dressa, hurlant comme une sirène, et se jeta sur le corps inanimé. Hiroko s’était déjà retournée vers Malko.

Il photographia le rictus, la grenade dans la main, de toutes ses forces essaya de sortir de sa prison de bois, n’arrivant pas à décoincer le loquet verrouillant le couvercle.

Alors, il hurla :

— Yamato !

Tranquillement, Hiroko dégoupilla la grenade et la glissa par l’ouverture du sauna. Malko sentit la masse ronde rouler le long de son ventre et s’arrêter sous lui. Déchaîné, il secouait les parois de sa prison de bois. Il lui semblait entendre le chuintement du détonateur à retard de la grenade… Abruti par la chaleur, terrifié, il ne se rendit même pas compte qu’Hiroko avait disparu.

Au même moment, une des parois de papier et bois vola en éclats sous le poids de M. Yamato, nu comme un ver, en pleine érection ! Il atterrit à quatre pattes sur le dallage, à côté de Mademoiselle Riz Précoce en pleine crise d’hystérie.

She dropped a grenade inside[17], hurla Malko.

Yamato se rua sur le sauna dans une gerbe de moulinets féroces. Il frappa violemment le couvercle du tranchant de la main. Le bois vola en éclats comme sous la pression d’une explosion. L’eau gicla de tous les côtés. La grenade roula sur le carrelage, n’y resta pas plus d’un dixième de seconde. Avec un cri rauque, Yamato l’expédia dans le couloir d’un shoot précis, et se jeta sur Malko en train de s’extirper des débris de planches.

L’explosion secoua Utamaro jusqu’aux fondations. Ce qui restait de la cloison se désintégra sous le souffle. Mademoiselle Riz Précoce hurla encore plus fort. Des éclats mortels filèrent à travers les cloisons. Malko et Yamato se relevèrent ensemble et foncèrent le long du couloir dévasté.

Des hurlements de douleur commençaient à jaillir de partout. Une masseuse, au milieu du couloir, contemplait son moignon de bras avec une expression ahurie. Un homme, agenouillé dans une chambre, encore nu, essayait de retenir un jet de sang qui jaillissait, à l’horizontale, de sa carotide éclatée. Un autre client, le visage couvert de sang, gisait sur le dos, dans le couloir.

La grenade avait explosé à dix mètres de la pièce où se trouvait Malko.

Le hall était un tohu-bohu incroyable. Les gardes de corps couraient dans tous les sens, rassuraient les filles en pleine hystérie. Un des hommes de Kawashi agonisait, dans un réduit près de l’escalier. Hiroko lui avait tiré trois balles dans le ventre au passage. Il avait été mourir honorablement dans le coin du personnel.

On amena de la rue une fille décoiffée, nue, le visage en sang, tremblante, hagarde. Soutenue par deux autres masseuses qui l’avaient trouvée gisante dans la ruelle derrière Utamaro. Celle qui avait été assommée par Hiroko. Ensuite, la terroriste avait enfilé son kimono et les gardes de corps, accoutumés au va-et-vient, l’avaient prise pour une des masseuses.

Hiroko n’avait plus eu qu’à ouvrir les portes les unes après les autres, en s’excusant avec une politesse exquise. Jusqu’à ce qu’elle ait trouvé Malko.

Ce dernier réalisa tout à coup qu’il grelottait et qu’il était entièrement nu. Il n’était pas le seul d’ailleurs. Un Japonais au crâne en forme de cacahouète s’enfuit littéralement, ses affaires sur le bras et monta dans sa voiture… Le désordre était à son comble. Une masseuse, en larmes et confuse, enveloppa Malko dans un kimono. Deux Toyota blanches de la police stoppèrent devant Utamaro, crachant une meute de policiers.

Le silence se fit d’un coup.

Enveloppé dans un kimono bleu ciel, M. Kawashi apparut en haut de l’escalier étroit guidé par le géant en kimono noir car il n’avait pas eu le temps de recoller ses sparadraps.

Visiblement ivre de rage. Malko se dit que c’était la fin de son roman d’amour avec le racketteur… Puis Yamato vint vers lui et l’entraîna.

— Kawashi-san vous demande de l’attendre chez lui, Malko-san, dit-il. Le temps qu’il parle à la police.


* * *

Malko avait l’impression qu’un bulldozer se promenait sur sa nuque. Il s’efforça d’admirer le « Giacometti » voisinant avec une tapisserie birmane de toute beauté et un bouddha volé dans un temple de Pékin. Se demandant ce qui allait se passer.

Hiroko avait agi avec une audace stupéfiante… Ici, dans cet appartement somptueux, tout cela semblait irréel… Yamato entra, l’air soucieux, et dit d’une voix sifflante de colère :

— Il y a eu quatre morts, dont Mademoiselle Paix Jaillissante et deux clients, ce qui est extrêmement fâcheux. Six filles sont blessées, dont une qu’il faudra amputer. La maison est très abîmée. Kawashi-san va être obligé de dédommager les familles.

Malko en avait honte.

— Dites à M. Kawashi que je le prie d’accepter toutes mes excuses, dit-il. Jamais je n’aurais pensé que cette fille puisse s’attaquer à moi chez lui. Notre organisation paiera pour les dégâts. Et je le tiendrai désormais à l’écart de mes problèmes.

Yamato eut un haut-le-corps.

— Kawashi-san ne peut tolérer qu’on s’attaque à ses biens et à sa personne. Il me charge de vous dire que, désormais, il va consacrer tous ses moyens à l’élimination de votre ennemi commun.

Malko crut avoir mal entendu. Mais Yamato insista.

— C’est une perte de face terrible, Malko-san. Kawashi-san doit remporter une revanche éclatante. Il va mettre en jeu toute sa puissance.

Malko se dit tout à coup qu’Hiroko avait peut-être commis une erreur de trop.

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