VIII

Le roi vint se placer au bas du perron, au centre du cercle de lumière formé par les torches des archers roides, comme à la parade, et d’un air mécontent demanda:


– Eh bien, que se passe-t-il donc, Neuvy?


Le grand prévôt était assez embarrassé. Il commençait à craindre d’avoir fait un pas de clerc. Le roi n’aimait guère qu’on vînt le déranger et l’importuner – même sous prétexte de veiller sur sa personne – lorsqu’il s’en allait en équipée galante. Son air renfrogné ne disait rien de bon au grand prévôt. Heureusement, il se souvint à propos que les rapports de ses subordonnés, notamment du chevalier du guet, lui avaient signalé Jehan le Brave comme un redoutable chef de truands. Il résolut donc de passer momentanément sous silence l’attentat qu’on lui avait dénoncé et de justifier sa présence par une opération de police ordinaire et fortuite. Désignant le jeune homme, il répondit:


– Il se passe, sire, que j’ai voulu arrêter cet homme et qu’il a fait rébellion… Ainsi que Votre Majesté a pu le voir.


Le sourcil froncé, Henri se tourna vers Jehan et gronda:


– Jarnidieu, monsieur, répondez à cela.


Jehan s’avança jusqu’à l’extrême bord du perron, s’inclina avec une grâce altière et avec une assurance déconcertante:


– Cet homme ne sait ce qu’il dit. Je prétends que c’est lui qui a fait rébellion aux ordres du roi et non moi.


Le ton de suprême impertinence avec lequel il avait dit: cet homme, le geste dédaigneux avec lequel il le désignait, firent pâlir de fureur le grand prévôt.


Il allait lancer quelque cinglante riposte. Le roi le retint d’un geste et:


– Qu’est-ce à dire? Expliquez-vous, jeune homme.


– C’est très simple, fit Jehan de sa voix mordante, le roi m’avait donné l’ordre de l’attendre ici, à cette porte, pour de là le reconduire jusqu’au Louvre… ou ailleurs.


– Hum! murmura le roi entre haut et bas, je crois bien que ce n’est pas moi qui ai donné cet ordre!


Si bas qu’il eût parlé, Jehan, qui avait l’oreille très fine, l’entendit.


– C’est vrai, dit-il. Mais le roi a approuvé, donc c’est comme s’il avait donné l’ordre. Cet homme est arrivé. Sans rime ni raison, de sa propre autorité, il a voulu me faire saisir par ses sbires. Il a voulu m’arracher de ce lieu où j’avais ordre d’attendre le roi. M. de Pardaillan, ici présent, a pris la peine de lui expliquer ce qu’il en était. Il n’a rien voulu entendre. Il s’est obstiné à vouloir m’empêcher d’exécuter l’ordre du roi. Ce faisant, il s’est mis en révolte ouverte contre l’autorité du roi qu’il a le devoir de respecter plus que quiconque et de ce fait il devrait être pendu haut et court.


– Sire! s’écria de Neuvy, qui étranglait de fureur, permettez-vous…


– Silence, monsieur! interrompit Henri. Et réprimant un sourire:


– Jarnidieu! voilà une explication à laquelle j’étais loin de m’attendre.


Et se tournant vers Pardaillan qui attendait d’un air très détaché:


– Et vous, monsieur, reprit-il, aviez-vous aussi l’ordre de m’attendre céans? Est-ce pour exécuter cet ordre que vous avez tiré l’épée contre les hommes de police?


– Sans doute, Sire.


– Voici qui est particulier, par exemple!


– Comment! s’écria Pardaillan d’un air étonné. Votre Majesté n’a cependant pas oublié qu’elle m’a ordonné de garder ce jeune homme. De le garder précieusement, a-t-elle même ajouté.


– Eh bien?


– Eh bien! je le gardais, fit Pardaillan avec un flegme admirable. Cette fois, le roi sourit franchement, et se tournant vers le grand prévôt qui écumait, il lui dit gravement:


– Ces deux gentilshommes disent vrai. Ils étaient ici par mon ordre.


– Sire! balbutia de Neuvy.


– Allez, Neuvy, fit doucement Henri, vous êtes un bon serviteur, je ne l’oublie pas.


Remonté par cette bonne parole, le grand prévôt se hâta de dire:


– J’ai l’honneur de solliciter de Votre Majesté une audience particulière et très urgente.


– Demain, Neuvy, demain. Allez!


– Sire, dit vivement Neuvy en baissant la voix, il s’agit de ce jeune homme… qui n’est pas un gentilhomme comme Votre Majesté lui fait le grand honneur de le dire.


Henri eut une imperceptible hésitation. Instinctivement, son regard alla chercher le volet clos derrière lequel il devinait Bertille aux écoutes et avec un commencement d’impatience, il répéta:


– Demain, vous dis-je. Allez.


Il n’y avait plus qu’à obéir. La rage au cœur, le grand prévôt dut s’incliner. Il rassembla ses hommes et, après avoir jeté un regard chargé de menaces sur Jehan qui souriait dédaigneusement, il s’éloigna lentement, comme à regret.


Henri se tourna alors vers le capitaine de Praslin qui attendait, impassible.


– Comment se fait-il que vous ayez quitté le Louvre, où vous étiez de garde? fit-il.


– Sire, c’est M. de La Varenne qui est venu me chercher et m’a raconté je ne sais quelle histoire d’attaque nocturne dirigée contre la personne du roi.


Le roi se souvint alors de son confident.


– Au fait, dit-il avec la plus parfaite indifférence, où est-il donc, La Varenne?


Une voix lamentable gémit à son côté.


– Ici, Sire!


Et Henri, à la lueur blafarde d’une torche laissée par le grand prévôt, put voir l’estafilade sanglante qui barrait la joue de son confident. Henri IV n’aimait guère son confident et ne l’estimait pas du tout. C’était un instrument nécessaire à un tempérament passionné comme le sien. Il s’en servait, sans scrupule ni ménagement, il le récompensait magnifiquement. C’était tout. Lorsque, il n’y avait guère que quelques années de cela, il avait voulu lui donner des lettres de noblesse, le Parlement, chargé d’enregistrer ces lettres, se permit des remontrances respectueuses au sujet de cet anoblissement. Le roi répondit que «cela ne pouvait tirer à conséquence». Le Parlement s’inclina. Le nouveau marquis étala fièrement ses armoiries, que le roi lui avait fait l’insigne honneur de composer lui-même. Or, ces armoiries consistaient en un chien avec un collier semé de fleurs de lis. Il n’y avait vraiment pas de quoi en être fier.


Henri ne fut donc nullement ému à la vue de la déshonorante balafre. Seulement, il crut devoir prendre un air de compassion plutôt féroce et s’exclama:


– Oh! diable! mon pauvre La Varenne, mais c’est un coup de cravache que tu as reçu là!


– Un coup de revers, Sire, grinça La Varenne, blême de confusion plus que de douleur.


– Cravache ou revers, le coup est bien mal placé. Te voilà défiguré, pour quelque temps tout au moins. Celui qui t’a si mal accommodé n’a pas la main légère.


La Varenne remarqua que le roi ne demandait pas d’où venait le coup.


Preuve qu’il savait, mais qu’il voulait, pour le moment, paraître ignorer. Il se garda bien de nommer le coupable, seulement son œil indemne se fixa menaçant, chargé d’une haine implacable sur Jehan le Brave, qui le considérait avec un sourire narquois, et il gronda:


– Soyez tranquille, Sire; je vous réponds qu’un jour ou l’autre je rencontrerai celui qui m’a fait cela, et je vous jure que, moi aussi, j’aurai la main lourde. Tellement lourde qu’il ne s’en relèvera pas.


Jehan se tourna vers Pardaillan et avec un calme souverainement méprisant, il dit:


– Le drôle se vante!…


– Va te faire soigner, La Varenne, fit Henri de son air faussement apitoyé. Va trouver mon médecin Héroard et dis-lui que je lui ordonne de te rendre promptement présentable.


Et s’adressant aussitôt à Praslin, il ordonna:


– Retournez au Louvre, Praslin.


Praslin était soldat, dressé à la discipline militaire. Cependant, il eut une seconde d’hésitation, et respectueusement il remarqua:


– Et le roi!…


– Allez sans crainte, mon ami. Ces deux braves gentilshommes veulent bien m’escorter.


– En ce cas, je m’en vais tranquillement, Sire… À eux deux, ils valent toute une compagnie.


– Dites qu’ils valent une armée, Praslin, dites-le et vous serez encore au-dessous de la vérité, jarnidieu de jarnidieu!


Praslin s’inclina devant le roi, salua profondément les deux hommes qui avaient accepté sans sourciller le compliment fabuleux tombé des lèvres royales, et commanda:


– En route, vous autres!


Le roi attendit en silence que le bruit cadencé des pas se fût perdu dans le lointain. Les fenêtres des bourgeois effarés par le bruit s’étaient refermées les unes après les autres; la rue, éclairée faiblement par les pâles rayons de la lune, avait repris son aspect paisible et silencieux.


– À notre tour, en route! commanda gaiement Henri. Jarnidieu! Je veux profiter de l’escorte vraiment royale que ma bonne fortune me donne ce soir pour faire un tour dans ma bonne ville.


– Sire, dit gravement Pardaillan, Votre Majesté sait que nous sommes tout à ses ordres, mon compagnon et moi.


– Hum! remarqua malicieusement le roi, à la condition toutefois que ces ordres vous conviennent!


Pardaillan profita de l’obscurité pour laisser épanouir un sourire sur ses lèvres.


– Vous êtes de rudes compagnons, savez-vous bien, jarnidieu! insista le roi.


Et tout à coup, avec un air de désolation comique:


– Jarnidieu! jarnidieu! encore, toujours ce jurement sur mes lèvres. Misère de moi! je ne parviendrai donc pas à me corriger? Si mon digne confesseur, le docte père Coton, m’entendait, quel sermon il m’infligerait!


– Eh! Sire, en quoi le père Coton peut-il être si scandalisé? Jarnidieu n’est pas, que je sache, un si abominable blasphème.


– Voilà ce qui vous trompe. Pardaillan, dit gravement Henri. Coton prétend que jarnidieu signifie: je renie Dieu. Vous comprenez la gravité d’un tel juron dans ma bouche.


– Votre Majesté ne peut pas se contraindre et refouler ce jarnidieu damnable? fit Jehan qui s’était tu jusque-là.


Étourdiment, le roi s’écria:


– Affaire d’habitude… Coton ne veut pas le comprendre et il m’assomme de sermons à ce sujet.


– Il est cependant facile d’arranger les choses.


– Comment?


– Pardieu! Sire, puisque votre confesseur prétend que jarnidieu signifie: je renie Dieu; puisque vous prétendez que Coton vous assomme, reniez-le, dites: jarnicoton! Vous vous soulagerez à votre aise, et vous vous vengerez du même coup de votre confesseur qui ne pourra plus rien dire.


Le roi éclata de rire.


– Par ma foi, vous êtes un joyeux compagnon, jeune homme!… Jarnicoton me plaît! J’adopte jarnicoton et suis impatient de voir la mine que fera le digne père jésuite!


Henri avait pris le bras de Pardaillan. C’était encore une de ses habitudes: il fallait toujours, en marchant, qu’il s’appuyât ainsi sur quelqu’un. Il entraînait doucement ses deux compagnons dans la direction du Louvre. Il paraissait admirablement à son aise et tout joyeux de sa promenade nocturne.


Pas une fois il ne fit allusion à l’équipée du jeune homme qui marchait à sa gauche. Pas davantage il ne rappela le refus d’obéissance de Pardaillan et les paroles violentes qui avaient accompagné ce refus. Enfin, il ne souffla mot de la lutte soutenue contre les archers. On eût dit que tout cela était effacé de sa mémoire, n’avait jamais existé. Constamment il maintint la conversation sur ce ton de liberté familière qu’il affectionnait, riant de tout, plaisantant sur tout, mais ne faisant rien deviner de ses intentions et n’abordant que des sujets futiles ou insignifiants.


Lorsqu’ils furent arrivés au bas de la rue, le roi, sans y prendre garde, fit demi-tour et reprit en sens inverse le chemin qu’ils venaient de parcourir. Ils repassèrent devant la maison de Bertille et se dirigèrent, toujours riant et plaisantant, parlant haut, vers la rue Saint-Honoré.


Au beau milieu de la rue de l’Arbre-Sec se dressait la fontaine du Trahoir, construite sous le règne de François Ier, il y avait près d’un siècle. Ainsi placée, au milieu de la chaussée, dans une voie assez étroite, on comprend que cette fontaine gênait la circulation. Les habitants faisaient entendre des plaintes fréquentes à ce sujet, mais l’administration, qui de tout temps a toujours été la même, jugea opportun de les faire attendre environ un siècle encore avant de se décider à la transporter à l’angle des rues Saint-Honoré et de l’Arbre-Sec, ou elle subsiste encore, rebâtie sur de nouveaux plans, bien entendu.


Autour de cette fontaine, ombres tapies dans l’ombre, ils étaient trois qui, silencieux, la dague au poing, ramassés sur eux-mêmes, prêts à bondir, guettaient l’approche des trois promeneurs nocturnes. Ces trois-là étaient Escargasse, Gringaille et Carcagne, les trois braves que nous avons entrevus le matin même à la porte du logis de Jehan le Brave.


Le roi, nous l’avons dit, s’appuyait sur le bras de Pardaillan, qu’il avait à sa droite, Jehan le Brave se tenait à sa gauche. En approchant de la fontaine, le groupe appuya à droite, en sorte que le jeune homme se trouva dans la nécessité de frôler le monument.


Le roi et Pardaillan passèrent sans rien remarquer et sans que les trois malandrins aux aguets eussent bougé.


Jehan le Brave laissa passer ses deux compagnons, s’arrêta, posa son pied sur le bord de la fontaine et feignit d’arranger son éperon. En même temps, du bout des lèvres, dans un souffle, il laissa tomber quelques paroles brèves, recueillies par les oreilles attentives des trois braves. Et tout aussitôt, l’air indifférent, il s’éloigna, rejoignit Henri IV et Pardaillan, qui ne parurent pas avoir remarqué cet arrêt bref, et tous trois, tournant à gauche, s’engagèrent dans la rue Saint-Honoré.


Dès qu’il se fut éloigné, les trois braves sortirent de leur coin. Ils avaient des mines piteuses et déconfites et ils étaient pâles comme s’ils venaient d’échapper à un grand danger.


– Eh bé! murmura le provençal Escargasse, nous l’avons échappé belle!


– Un peu plus et nous attaquions le chef, expliqua Carcagne.


– Quelle grêle de coups se serait abattue sur nos crânes et nos échines! confessa sans fausse honte le Parisien Gringaille.


– Tais-toi, Gringaille, rien que d’y penser je me sens tout meurtri!


– Mais aussi, comment s’imaginer que c’était lui!


– Je me tuais de vous dire que j’avais reconnu sa voix!


– Lui, il nous a vus et reconnus sans nous avoir entendus!


– Et pourtant nous étions bien cachés!


– Cornedieu! il y voit la nuit comme un chat!


Ils étaient navrés d’avoir manqué une bonne aubaine et cependant ils exultaient. Ils roulaient des yeux terribles et se donnaient d’énormes bourrades. C’était leur manière d’exprimer leur joie d’avoir rencontré celui qu’ils appelaient «le chef» et pour lequel ils professaient une amitié et une admiration qui n’avaient d’égale que la crainte qu’il leur inspirait.


– Eh zou! reprit Escargasse, décampons vivement! Vous avez entendu l’ordre: le suivre de loin, sans attirer l’attention des deux autres, ne pas le perdre de vue et nous tenir prêts à intervenir à son signal. Ouvrons l’œil.


– M’est avis qu’il va falloir en découdre!


– Oui, mais l’expédition sera fructueuse. Il ne se met pas en train pour une affaire de piètre importance.


Tout en parlant, ils s’étaient déjà élancés, rasant les murailles, avec des allures souples de félins, sans que le moindre bruit trahît leur présence, et ils suivaient, l’œil au guet, l’oreille tendue, la main à la garde de la rapière, invisibles dans la nuit et ne perdant pas un mouvement des trois promeneurs.


Le roi avait tourné encore une fois à gauche et s’était engagé dans la rue de l’Échelle qui aboutissait aux Tuileries, sur les derrières du Louvre. L’évêque de Paris avait son échelle dans cette rue, et c’est probablement de cet instrument de supplice qu’elle tirait son nom.


Henri s’arrêta devant l’échelle et très naturellement, comme un simple guide qui renseigne le visiteur, il dit:


– En l’an 1344, Henri de Malestroit fut hissé, dûment enchaîné, sur une échelle semblable à celle-ci. On lui jeta de la boue, des pierres aussi. À la troisième exposition, il mourut.


Le roi prit un temps, et négligemment ajouta:


– Henri de Malestroit était coupable de crime de rébellion envers le roi.


Ses deux compagnons tressaillirent. L’allusion trop transparente était grosse de menaces.


Tranquillement, avec un air pour le moins aussi détaché, Pardaillan dit:


– Aujourd’hui, heureusement, on n’emploie plus guère ce supplice barbare et révoltant.


– Même pour les scélérats coupables du crime de lèse-majesté, ajouta Jehan.


– C’est vrai!… On les roue, dit froidement le roi qui se remit en marche.


Les trois braves s’étaient arrêtés aussi et surveillaient de loin.


– Que diable font-ils donc devant l’échelle? fit Escargasse. Non sans mélancolie, Gringaille observa:


– Comment d’honnêtes chrétiens peuvent-ils s’attarder ainsi devant ces inventions d’enfer qu’on appelle: gibets, estrapades, échelles, piloris!… Qu’y trouvent-ils donc de si attrayant? Pour moi, les mauvais bougres qui viennent bayer devant ces machines devraient tous être condamnés à y passer quelques heures. Vous verriez si après ce temps ils ne sentiraient pas la colique les saisir au ventre à la simple vue d’une de ces choses.


– C’est vrai, opina Carcagne. Pour moi, je confesse humblement que depuis le séjour forcé que je fis à l’une de ces machines – un pilori, je crois – je ne peux plus en voir sans éprouver une furieuse envie de détaler du côté opposé!


Et les deux autres, ensemble:


– C’est comme moi!


Et ils reprirent leur poursuite en gens habitués à ces sortes d’expéditions, profitant habilement des moindres accidents de terrain, se maintenant toujours assez près pour ne pas perdre de vue ceux qu’ils pistaient, sans leur avoir donné l’éveil.


Tout à coup, Carcagne s’écria d’une voix étouffée:


– Cornes d’enfer! Et le seigneur Concini qui nous attend!


– Outre! je l’avais oublié!


– Il attendra, fit péremptoirement Gringaille. Notre vrai chef n’est pas le Concini!


– C’est notre Jehan, zou! le brave des braves, le fort des forts! Le Concini sera encore bien aise de nous prendre quand nous arriverons.


– Je ne dis pas non, Escargasse… Cependant le Concini a du bon… C’est lui qui nous donne la pâtée… Tout en obéissant à notre maître, on pourrait le ménager.


– C’est très juste ce que tu dis là, Carcagne. Aussi on lui donnera une explication satisfaisante, au Concini.


– Attention, ils s’arrêtent!


– À la porte du Louvre! Oh!…


– Est-ce qu’il va nous faire entrer?…


– Ouvrons l’œil, mes pigeons, c’est le bon moment!… Henri IV, en effet, venait de s’arrêter devant une porte dérobée du palais. Un instant, il contempla d’un œil malicieux ses deux gardes du corps occasionnels qui d’ailleurs attendaient impassibles, figés dans une attitude militaire que le roi apprécia à sa valeur.


Brusquement Henri introduisit la clé dans la serrure et poussa la porte qu’il laissa un moment grande ouverte comme s’il avait voulu leur montrer qu’il n’y avait là ni gardes ni gentilshommes prêts à intervenir et, très aimablement:


– Messieurs, dit-il, je vous remercie d’avoir bien voulu m’accompagner jusque-là.


Puis se tournant vers Pardaillan, avec une gravité soudaine:


– Je vous dois beaucoup, mon ami; je veux ne me souvenir que de cela. Le reste est effacé de ma mémoire.


Pardaillan s’inclina en réprimant un sourire, et de sa voix mordante:


– Puisque Votre Majesté prêche d’exemple, je ferai comme elle, moi aussi, j’efface, Sire!


Tête de fer! songea le roi.! Mais il se garda bien de relever la réplique du chevalier, et, comme s’il n’avait pas entendu, il s’adressa à Jehan:


– Quant à vous, jeune homme, je ne vous connais pas. Mais j’ai promis de pardonner. Passe donc pour cette fois-ci. Mais croyez-moi, suivez mon conseil, allez faire un tour en province… l’air de Paris ne vous vaut rien.


Très pâle, se contraignant visiblement pour paraître calme, le jeune homme s’inclina à son tour et se redressant comme s’il n’avait pas compris l’ordre qu’on lui donnait:


– Je remercie humblement le roi de son conseil… Mais c’est précisément à Paris que j’ai affaire pour l’instant.


Henri fronça légèrement le sourcil et sèchement:


– Soit, dit-il. En ce cas, faites en sorte que je n’entende jamais parler de vous.


Et adressant un geste amical à Pardaillan, il entra vivement et repoussa la porte sans laisser au jeune homme le temps de placer une réponse.

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