11.

(Extrait du journal du 19 avril 6135)… Aujourd’hui, nous avons planté les arbres que Robert a rapportés d’une des étoiles situées bien au-delà de la Bordure. Nous les avons très soigneusement plantés sur le petit tertre, à mi-chemin entre la maison et le monastère. Bien entendu, ce sont les robots qui les ont plantés, mais nous étions présents, apportant une surveillance inutile, faisant en fait une petite cérémonie tranquille de l’événement. Il y avait Martha, moi-même et Robert. Il s’est trouvé que Andrew, Margaret et leurs enfants nous ont fait une petite visite à ce moment-là, et Thatcher nous les a envoyés. Nous étions donc tout un groupe.

Ce soir, assis ici, je me demande comment les arbres vont se développer. Ce n’est pas la première fois que nous tentons d’introduire une plante étrangère sur le sol terrestre. Il y a eu, par exemple, la poignée de graines de céréales que Justin a rapportée d’au-delà de Polaris, et les tubercules que Célia a ramassés dans un des autres systèmes de la Bordure. Tous deux auraient fourni des plantes nourricières bienvenues à ajouter à celles que nous avons déjà. Mais, nous les avons perdues dans l’un et l’autre cas. Le grain a maigrement produit pendant quelques saisons, donnant de moins en moins, et la dernière année, quand nous avons planté le peu que nous avions, il n’a pas du tout germé. Je soupçonne notre sol de manquer de quelque facteur vital, peut-être de certains minéraux, d’une bactérie étrangère, ou de formes microscopiques de vie animale nécessaire au développement des plantes étrangères.

Bien entendu, nous prodiguerons tous nos soins aux arbres et nous les surveillerons attentivement, car ce serait merveilleux de pouvoir les garder en vie et d’arriver à les faire pousser. Robert les appelle « arbres à musique » et dit qu’ils poussent par gros bosquets sur leur planète natale. Ils donnent leurs concerts le soir – mais il est très difficile de dire pourquoi ils jouent car aucune autre forme de vie capable d’apprécier la bonne musique n’existe sur cette planète. Peut-être jouent-ils pour eux-mêmes, ou les uns pour les autres, chaque groupe écoutant et appréciant à son tour le jeu de son voisin.

Je soupçonne que leur jeu a peut-être d’autres causes, que Robert, satisfait d’être assis à écouter et peu disposé à beaucoup s’interroger sur la raison d’être de la musique, n’a pas saisies. Mais, quand j’essaie de penser à ces causes possibles, pas une seule ne me vient à l’esprit. Évidemment, notre expérience et notre histoire sont bien trop limitées pour que nous essayions de comprendre les motivations des autres formes de vie de la galaxie.

Robert n’a pu rapporter qu’une demi-douzaine de jeunes arbres d’environ un mètre de haut. Il les avait soigneusement déterrés et il avait utilisé ses vêtements pour envelopper les racines, ce qui fait qu’il est arrivé complètement nu sur Terre. Mes vêtements sont un peu trop grands pour lui, mais étant donné le genre d’homme qu’il est, toujours prêt à rire de lui-même, cela ne semble guère l’affecter. Les robots s’activent à lui fournir une garde-robe et il quittera la Terre beaucoup mieux équipé en matière de vêtements qu’il ne l’était avant de se dépouiller pour envelopper les arbres.

Bien sûr, nous ne nous attendons raisonnablement pas à ce que les arbres survivent, mais il est agréable de l’espérer. En y repensant, il y a si longtemps que je n’ai entendu aucune sorte de musique qu’il m’est difficile de me rappeler ce que cela peut être. Ni Martha, ni moi-même, n’avons de don musical. Dans notre groupe d’origine, un seul couple avait le sens de la musique, et il y a bien longtemps qu’il a quitté la Terre. Il y a des années, saisi par une idée de génie, j’ai lu suffisamment au sujet de la musique pour en comprendre les principes de base et j’ai essayé de faire construire des instruments par les robots – ce qui ne s’est pas très bien passé – puis, j’ai essayé de les faire jouer de ces instruments – ce qui a été encore pire. Apparemment, les robots – en tout cas, ceux qui vivent dans cette ferme – n’ont pas plus de don musical que moi-même. Dans notre jeunesse, la plus grande partie de la musique était enregistrée électroniquement, et depuis la Disparition il n’y a eu aucun moyen de la reproduire. En fait, tout en ayant conscience de cela, mon grand-père n’a pas pris la peine de rassembler des bandes quand il a amassé des livres et des objets d’art. Mais, je crois qu’il y a quand même dans l’une des salles du sous-sol un nombre respectable de partitions musicales. Le vieux gentleman espérait peut-être que, dans les années à venir, ceux qui avaient des aptitudes musicales leur trouveraient une utilisation…

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