— Qui est cette personne ? demanda Reynolds à Jason.
— Il s’appelle Stanley, lui répondit Jason. C’est l’un des robots du Projet. Nous vous avons parlé du Projet, si vous voulez bien vous en souvenir ?
— Oh oui ! dit Harrison. Un super-robot bâti par tous ses petits camarades.
— Je dois protester contre votre ton, dit Ézéchiel d’une voix coupante. Vous n’avez aucune raison d’être hautain. Ce que font ce robot et ses camarades est dans la grande tradition de votre technologie : construire mieux et plus grand, avec une imagination plus vive…
— Excusez-moi, dit Harrison, mais il fait irruption ici…
— Il était invité, dit froidement Jason. Il avait un long chemin à faire, il vient seulement d’arriver.
— Avec un message ?
— C’est un message du Projet, dit Stanley.
— Que dit-il ? demanda Harrison.
— Il faut d’abord que je l’explique, dit Stanley. Cela fait maintenant quelques années que le Projet est en communication avec une intelligence qui se trouve quelque part au centre de la galaxie.
— Oui, dit Reynolds, on nous en a parlé.
— Le message que j’apporte émane de cette intelligence, dit Stanley.
— Et il concerne ce qui se passe ici ? demanda Reynolds. Je trouve cela ridicule.
— Il vous concerne, dit Stanley.
— Mais comment peut-elle savoir ? Que peut-elle savoir de ce qui se passe ici ? Une grande intelligence extra-terrestre ne s’intéresserait sûrement pas…
— Le message qui vous est adressé ainsi qu’au reste de votre groupe est le suivant : Ne vous occupez pas de la Terre. Aucune ingérence n’est permise. Cela fait aussi partie de l’expérience.
— Mais, je ne comprends pas, dit Harrison avec colère. Quelle expérience ? De quoi parle-t-il ? Cela n’a aucun sens. Nous avons sûrement le droit de savoir…
Stanley sortit un papier plié d’un petit sac. Il le jeta à Reynolds par-dessus la table :
— Voici une copie du message sorti de l’imprimante.
Reynolds le ramassa et y jeta un coup d’œil :
— C’est bien ce qu’il dit, mais je ne comprends pas. Si vous essayez encore de bluffer…
— C’est le Principe, dit tranquillement Jason. Cela explique tout. Nous nous demandions, et maintenant nous savons. Le Projet communique avec le Principe.
— Un Principe ? hurla Harrison. Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous ne connaissons aucun Principe, cela ne signifie rien pour nous.
John soupira :
— C’est sans doute vrai. Nous aurions dû vous en parler, mais il y avait tant à dire. Si vous vouliez rester tranquilles, je vous parlerais du Principe.
— Sûrement un autre conte de fées, dit Harrison avec colère. Un message bidon, et maintenant un conte de fées ! Vous devez vraiment nous prendre pour des idiots…
— Cela n’a plus d’importance, dit Jason. Ce que vous pensez n’a plus aucune importance. Nous ne contrôlons plus la situation, ni vous non plus.
La supposition de John était donc juste, se dit Jason. Les habitants de la Terre avaient servi à une expérience, dans le même esprit et peut-être à peu près de la même manière qu’une colonie de bactéries ou de virus aurait servi aux expériences d’un bactériologiste ou d’un virologiste humain. Et, il s’en rendit compte avec un certain saisissement, les habitants de cette maison, la petite bande d’indiens et l’autre petit groupe de la côte ouest n’avaient pas été oubliés. Ils avaient été délibérément laissés et faisaient partie de l’expérience, servant peut-être de cas témoins.
John avait dit que le Principe devait maintenant savoir que les traits caractéristiques de l’humanité étaient vérifiés. Mais, avec cette nouvelle révélation, il devait aussi savoir que si l’humanité dans son ensemble n’avait pas changé, des fragments séparés avaient subi une mutation. Car il y avait sur Terre trois tendances humaines : les habitants de cette maison, les Indiens et les gens de la côte ouest. De ces trois tendances, deux avaient réussi leur mutation, tandis que la troisième était montée en graine. Une minute pourtant, se dit-il. Cette dernière conclusion était fausse car il y avait David Hunt. En pensant à lui, il se souvint de la manière dont, un soir, une ou deux semaines auparavant, les arbres à musique avaient soudainement retrouvé leur équilibre et leur délicatesse, et de l’incroyable bruit que lui avait rapporté Thatcher cet après-midi même. Il se demanda comment il se faisait que les robots aient toujours vent des rumeurs avant qui que ce soit d’autre.
Et les robots. Non pas trois tendances divergentes, mais quatre. Un mauvais point pour le Principe, songea avec jubilation Jason. Il parierait n’importe quoi (avec la certitude de gagner) que le Principe n’avait pas pris les robots en considération. Mais, si on y réfléchissait, les robots étaient un peu effrayants. Quel était donc ce dispositif qui arrivait à dialoguer avec le Principe et qui transmettait ses messages ? Et pourquoi le Principe l’avait-il choisi comme porte-parole ? Uniquement parce qu’il était là et que c’était commode ? Ou bien existait-il entre eux une affinité, une compréhension, qui ne pourrait pas exister entre le Principe et un être humain ou n’importe quelle autre forme de vie biologique ? Cette pensée le fit frissonner.
— Vous vous souvenez que vous nous avez d’abord dit que vous ne pouviez nous apporter aucune aide ? dit-il à Stanley.
— Je m’en souviens, dit le robot.
— Mais vous nous avez finalement aidés.
— Je suis très heureux que nous ayons pu vous aider, en fin de compte, dit Stanley. Je pense que vous et nous, nous avons beaucoup en commun.
— Je l’espère sincèrement, dit Jason, et je vous remercie du fond du cœur.