Il descendit la crête qui dominait le fleuve, marchant à grands pas dans la fraîche nuit automnale éclairée par la lune. Il arriva au bord d’un champ de maïs dans lequel se dressaient des gerbes, wigwams fantomatiques. La créature piaillante le suivait, se hâtant pour rester à sa hauteur, ne le lâchant pas d’une semelle. Le cri solitaire d’un raton-laveur provenait de quelque part dans le champ.
David revenait vers la grande maison qui surplombait les fleuves. Il pouvait maintenant revenir car il connaissait la réponse – ou, en tout cas, un début de réponse. Étoile du Soir devait l’attendre – du moins, il l’espérait. Il se rendait compte qu’il aurait dû la prévenir de son départ et lui en donner la raison. Mais, pour une cause qui lui échappait, il n’avait pas réussi à trouver les mots qu’il aurait fallu, et même s’il avait su quoi dire, il aurait été gêné de parler.
Il avait toujours son arc et son carquois pendait à son épaule, bien qu’il sût qu’il les transportait par habitude. Il n’en avait plus besoin. Tout en avançant, il se demanda depuis combien de temps il les transportait sans en avoir besoin.
Il apercevait les étages supérieurs et le toit garni de cheminées de la grande maison qui dépassaient au-dessus des arbres – taches sombres sur le ciel nocturne. En contournant un petit morceau de bois planté dans le sol, il vit l’objet métallique brillant qui était posé là.
Cette vue l’arrêta et il s’accroupit à moitié, comme si l’objet brillant pouvait être un danger inconnu. Mais, au moment où il se baissait, il savait ce que c’était – une machine qui avait amené des hommes des étoiles. Étoile du Soir lui avait parlé de la menace que représentait ce vaisseau pour la Terre. Et il était là, il était arrivé pendant sa brève absence. Mais, bien qu’il sût ce que c’était, un frisson de peur le parcourut et, ébranlé par cette crainte, il lui sembla distinguer les contours indistincts d’une silhouette tapie derrière l’engin.
Il recula d’un pas et à cet instant, la silhouette sortit de derrière le navire. Il était étrange que ce dernier ait pu la dissimuler car elle était plus grande que lui. Elle était énorme, et même dans l’ombre, on se rendait compte de sa brutalité. Tandis qu’elle s’avançait vers lui en titubant, il sut que malgré tout le chemin qu’il avait parcouru, il ne lui avait pas échappé. Il n’y avait pas moyen d’y échapper, il le savait bien, il n’aurait jamais dû essayer.
Lourdement, le Marcheur Noir fit un pas de plus en avant et David fit demi-tour pour s’enfuir, puis il se retourna de nouveau pour faire face à l’ombre qui s’approchait. Il savait que s’il s’enfuyait maintenant, il ne cesserait jamais de fuir, il passerait sa vie prêt à fuir – comme les siens avaient passé leur temps à le faire.
Il n’était peut-être plus nécessaire de fuir.
L’ombre était plus proche maintenant, et il la voyait mieux, bien qu’elle fût encore indistincte. Il avait maintenant l’impression de distinguer des jambes larges comme des troncs d’arbres, un torse massif, une tête minuscule et des mains griffues qui se tendaient vers lui.
À cet instant, l’ombre cessa d’être le Marcheur Noir pour devenir l’ours grizzli qui avait surgi devant lui et qui s’était dressé, trop près pour qu’il puisse tirer, beaucoup trop près pour qu’il puisse tirer. Sans même y penser, sa main se tendit vers ses flèches. Il leva son arc et son esprit – ou ce qui se tenait dans son esprit – s’élança.
L’ombre ne tomba pas comme était tombé le grizzli. Elle vacilla, se pencha en avant, tentant de l’atteindre. La corde de l’arc se tendit, presque à toucher l’oreille de David, la flèche bien droite. Le Marcheur disparut. La flèche siffla et frappa le vaisseau brillant avec un bruit métallique. Le Marcheur s’était évanoui.
David baissa son arc en tremblant. Il s’affaissa sur les genoux, se recroquevilla, tous ses muscles agités de tressautements nerveux, les nerfs tendus comme un arc. Le tas de vers se rapprocha de lui, se serra fortement contre lui, sortit un tentacule et le maintint fermement, lui envoyant des messages de réconfort qu’il n’entendait pas.