Après le petit déjeuner, dans la quiétude de la bibliothèque, Jason Whitney s’assit devant son bureau et ouvrit l’un des journaux reliés qu’il avait pris parmi de nombreux autres sur l’étagère dans son dos. Il vit que ses dernières notes dataient de plus d’un mois. Non pas qu’il y ait eu alors une raison sérieuse d’écrire quoi que ce soit, pensa-t-il, la vie s’écoulait si paisiblement qu’il y avait peu d’incidents à rapporter. Peut-être vaudrait-il mieux replacer le livre sur l’étagère sans rien écrire, bien que, d’une certaine façon, écrire un paragraphe de temps en temps, à intervalles suffisamment rapprochés, soit, lui semblait-il, un acte de foi. Pendant le mois qui venait de s’écouler, rien d’important n’était arrivé. Personne n’était venu faire de visite, il n’y avait eu que des contacts de routine avec ceux qui voyageaient dans les étoiles, il n’y avait eu aucune information concernant les tribus indiennes, aucun robot ne s’était arrêté en passant, il n’y avait donc pas de nouvelles – encore que les robots apportassent plus souvent des rumeurs que de vraies nouvelles. Il y avait, bien sûr, des commérages. Martha était en conversation suivie avec les autres membres du clan, et quand ils s’asseyaient dans le patio pour écouter le concert nocturne, elle le mettait au courant de ce qui s’était dit dans la journée. Mais c’était surtout du bavardage féminin, rien qui vaille la peine d’être noté. Les lourdes draperies de l’une des hautes fenêtres se joignaient mal et laissaient filtrer un étroit rayon de soleil matinal qui tombait sur lui, éclairant ses cheveux gris et ses solides épaules carrées. Il était grand et mince, mais donnait une impression de force qui compensait sa minceur. Ses traits étaient rudes, plissés par quantité de rides minuscules. Sa moustache hérissée faisait pendant à des sourcils broussailleux qui surmontaient un regard d’acier profondément enfoncé dans ses orbites. Il restait assis sur la chaise, sans bouger, regardant la pièce et s’interrogeant sur la satisfaction sereine – et quelquefois même plus que de la satisfaction – qu’il éprouvait toujours ici, comme si la vaste et haute pièce tapissée de livres transmettait une bénédiction spéciale. Les réflexions de nombre d’êtres humains se trouvaient ici, se disait-il, celles de tous les grands penseurs de ce monde, bien en sécurité au sein des volumes reliés, alignés sur les étagères, sélectionnés et placés là par son grand-père, longtemps auparavant, afin que l’essence de la race humaine, l’héritage des pensées consignées par écrit soit toujours facilement accessible dans le futur. Il se souvint avoir toujours pensé que les caractéristiques essentielles de ces écrivains d’autrefois, leur présence impalpable, avaient au fil des ans imprégné cette pièce et, tard le soir, quand tout était tranquille, il s’était souvent surpris à converser avec ces hommes d’autrefois qui surgissaient du passé poussiéreux dans l’ombre du présent.
Il y avait des livres tout autour de la pièce. Leur alignement n’était interrompu que par deux portes et, côté fleuve, trois fenêtres. Là où s’arrêtait la première hauteur de livres se trouvait une galerie protégée par une rambarde métallique décorative, et sur cette galerie, une seconde hauteur de volumes couvrait tous les murs de la pièce. Une pendule était accrochée au mur, au-dessus de l’une des portes, et il se disait avec étonnement que cette pendule avait fonctionné pendant plus de cinq mille ans, indiquant chaque seconde, de siècle en siècle. Elle marquait 9 h 15, et il se demandait quel était le décalage par rapport à l’heure exacte établie autrefois par les hommes, il y avait si longtemps. Il se rendait compte qu’il n’y avait aucun moyen de le savoir, mais cela n’avait plus d’importance, maintenant, le monde se porterait tout aussi bien sans pendules.
Dans cette pièce ne parvenaient que des bruits étouffés, le meuglement triste d’une vache dans le lointain, l’aboiement d’un chien tout proche, le caquetage hystérique d’une poule. Les arbres à musique étaient encore silencieux, ils ne commenceraient à s’accorder qu’au cours de l’après-midi. Il se demanda s’ils allaient jouer l’une de leurs nouvelles compositions ce soir. Il y en avait eu beaucoup, récemment. Si tel était le cas, il espérait que ce ne serait pas l’une des compositions expérimentales qu’ils essayaient depuis quelque temps. Ils pouvaient en jouer tant d’autres, il y avait un tel choix de bons vieux airs, mais ce qu’ils faisaient maintenant n’avait pas de sens. Il avait l’impression que cela avait empiré ces quelques dernières années, depuis que deux des plus vieux arbres étaient en train de mourir. Ils avaient commencé par perdre quelques branches et avaient de moins en moins de feuilles à chaque printemps. Bien sûr, il y avait de jeunes arbres pour prendre leur place – et c’était peut-être là l’ennui. Il leva la main, caressa sa moustache d’un air soucieux, et souhaita pour la millième fois connaître l’art de soigner les arbres. Évidemment, il avait consulté quelques-uns des livres, mais il ne semblait rien y avoir qui puisse lui être utile. Et même s’il avait trouvé, rien ne prouvait que les arbres à musique répondraient au même traitement que les arbres terrestres.
Un bruit de pas lui fit tourner la tête. Thatcher, le robot, entrait par la porte.
— Oui, qu’y a-t-il, Thatcher ?
— C’est M. Horace Nuage Rouge, monsieur.
— Mais Horace est au Nord, au pays du riz sauvage !
— Il semble que la tribu se soit déplacée, monsieur. Ils campent au bord du fleuve, à l’emplacement de leurs campements d’autrefois. Ils projettent de remettre en état les anciens champs et de planter une récolte pour le printemps prochain.
— Tu lui as parlé ?
— C’est une vieille connaissance, monsieur, et nous avons naturellement échangé quelques mots, dit Thatcher. Il a apporté un sac de riz.
— J’espère que tu l’as remercié, Thatcher ?
— Oh ! bien sûr, monsieur, je n’y ai pas manqué.
— Tu aurais dû le conduire ici.
— Il a dit qu’il ne voulait pas vous déranger si vous étiez en train de travailler, monsieur.
— Je ne suis jamais vraiment occupé, tu le sais bien.
— Alors, je vais le prier d’entrer, dit Thatcher.
Jason se leva, fit le tour du bureau et attendit son ami debout. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas vu, se demandait-il ? Quatre ou cinq ans ? Cinq ans sûrement. Il était descendu jusqu’au camp dire au revoir à son vieil ami et, une fois que la tribu eut embarqué, il était longtemps resté au bord de l’eau, sur les galets, à regarder la longue file de canoës remonter rapidement le fleuve et le sillage étincelant que donnait chaque coup de pagaie avec le soleil.
Nuage Rouge avait le même âge que Jason mais paraissait plus jeune. Quand il pénétra dans la pièce recouverte de tapis, sa démarche était celle d’un jeune homme. Ses cheveux noirs, sans la moindre trace de gris, étaient séparés au milieu en deux lourdes tresses qui retombaient sur son torse. Son visage était hâlé mais n’avait aucune ride, en dehors de minuscules pattes d’oie au coin des yeux. Il portait une veste et des jambières de daim et avait des mocassins aux pieds. Il tendit à Jason une main large et calleuse aux doigts courts et carrés.
— Cela fait bien longtemps, Horace, dit Jason. Je suis heureux de te voir.
— Tu es le seul qui m’appelle encore Horace, répondit Nuage Rouge.
— Bon, dit Jason, veux-tu que je t’appelle chef ? Ou Nuage ? Ou peut-être Rouge ?
Nuage Rouge eut un large sourire.
— Quand c’est toi qui le dis, Horace va très bien, Jason. Nous avons été jeunes ensemble, tu t’en souviens bien. Et cela me rappelle le temps où nous courions les bois tous les deux. Nous nous sommes entaillé les poignets et nous avons collé les blessures l’une contre l’autre pour mêler nos sangs – en tout cas, nous pensions que nos sangs se mêleraient, mais j’en doute. D’ailleurs, cela n’a pas d’importance, c’est le symbole qui compte.
— Je me souviens, dit Jason. Je me souviens du premier jour quand ta tribu est arrivée par la rivière en pagayant et que vous avez aperçu la fumée qui sortait d’une de nos cheminées. Vous êtes tous venus voir ce que c’était, tous avec armes et bagages. Et c’est là que nous avons appris, ta tribu et nous, habitants de cette maison, que nous n’étions pas seuls, que d’autres existaient.
— Nous avons fait de grands feux dans le pré, dit Nuage Rouge. Nous avons tué un bœuf ou deux et nous avons fait un barbecue. Puis nous nous sommes mis en cercle et nous avons dansé autour des feux en chantant et en poussant des cris. Ton grand-père, d’heureuse mémoire, sortit un tonneau de whisky et nous nous sommes tous plus ou moins enivrés.
— C’est à ce moment que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, dit Jason. Deux adolescents prêts à épater le monde – sauf qu’il n’y avait pas de monde à épater. Il y a eu entre nous une sympathie presque immédiate. Nous avons chassé et péché ensemble, parcouru les collines et pourchassé les filles.
— Nous en avons même attrapé quelques-unes, si je me souviens bien, dit Nuage Rouge.
— Elles n’étaient pas bien difficiles à attraper, dit Jason.
Ils étaient debout l’un en face de l’autre et se regardaient en silence, puis Jason proposa :
— Asseyons-nous, nous avons beaucoup à nous dire.
Nuage Rouge prit place dans un fauteuil et Jason dans un autre qu’il tourna pour faire face à son ami.
— Cela fait combien de temps ? demanda-t-il.
— Six ans.
— Tu viens d’arriver ?
— Il y a une semaine, répondit Nuage Rouge. Nous avons quitté le Nord après la récolte de riz sauvage. Nous ne nous sommes pas pressés, nous nous sommes arrêtés chaque fois que nous avons trouvé un bon campement et nous avons chassé et flâné. Quelques-uns de nos jeunes ont fait descendre les chevaux à l’ouest du fleuve et ils les garderont là jusqu’à ce qu’il y ait de la glace pour les faire passer. Plus tard, quand il fera plus froid, nous traverserons et nous chasserons pour constituer nos réserves d’hiver. Du bison et du bétail sauvage. Un éclaireur est arrivé la nuit dernière et nous a dit qu’il y en avait beaucoup dans la prairie.
Jason fronça les sourcils :
— Une semaine, dis-tu ? Tu n’aurais pas dû attendre si longtemps. Si tu n’avais pas le temps, tu aurais pu envoyer un messager, je serais venu te rendre visite.
— Le temps a passé vite, il y avait beaucoup à faire. Nous sommes en train d’essayer de remettre en état les terres à maïs. Les champs sont envahis de buissons et d’herbes. Nous nous sommes trouvés à court de maïs et cela nous en a donné envie. Nous avons essayé d’en faire pousser, là-haut, au Nord, mais la saison a été trop courte, nous l’avons rentré trop tard et il a gelé. Nous n’avons récolté que quelques épis, rien de plus.
— Nous avons du maïs, dit Jason. Beaucoup de maïs, moulu et tout prêt. J’en enverrai au camp avant la fin du jour. Avez-vous besoin d’autres choses ? Du bacon, des œufs, de la farine ? Nous avons de la bonne farine de blé, bien plus que nous ne pouvons en utiliser. De l’étoffe de laine, aussi, si vous en avez besoin. La laine a été belle et les métiers à tisser ont eu du travail.
— Jason, je ne suis pas venu mendier…
— Je le sais. Nous avons partagé nos réserves pendant des années. J’ai honte de penser à la quantité de viande, de poisson, de baies et autres que ton peuple nous a apporté autrefois. Thatcher a dit que tu avais apporté du riz…
— D’accord, dit Nuage Rouge. Tu ne verras aucun inconvénient à recevoir une part de viande de bison après la chasse ?
— Absolument aucun, répondit Jason.
— Mieux encore, pourquoi ne pas venir avec nous pendant la chasse ?
— Rien ne me ferait plus plaisir.
— Parfait ! Ce sera comme au bon vieux temps. Nous laisserons le travail aux autres et nous nous assiérons devant le feu, toi et moi. Nous mangerons la chair de la bosse et nous parlerons.
— Vous avez une bonne vie, Horace.
— C’est ce que je pense. Nous aurions pu choisir tant d’autres voies. Nous aurions pu nous installer, reprendre des maisons saines et des champs fertiles, faire de la culture et de l’élevage. Nous aurions pu devenir de bons fermiers. Mais nous ne l’avons pas fait, nous avons repris nos anciennes habitudes. Je ne crois pas que nous nous en soyons jamais beaucoup éloignés. Chacun de nous en avait rêvé maintes et maintes fois dans son cœur, et l’appel et la vocation étaient là. Nos ancêtres avaient mené cette vie pendant des millénaires. Nous n’avons connu la civilisation de l’homme blanc que pendant quelques centaines d’années – qui ont été loin d’être de bonnes années. Nous ne nous sommes jamais intégrés, nous n’avions pas l’ombre d’une chance de le faire. Cela a été un soulagement de se débarrasser de tout cela, de revenir aux fleurs, aux arbres, aux nuages, au temps et aux saisons, à l’eau qui court, aux animaux des prairies et des bois – de refaire d’eux une partie de nous-même, comme avant, plus qu’avant même. Les Blancs nous ont appris des choses, nous ne pouvons pas le nier – nous aurions été stupides de ne rien apprendre. Et nous avons utilisé ce savoir qui nous provenait de l’homme blanc pour améliorer encore notre ancien mode de vie. Quelquefois, je me demande si nous avons bien choisi, puis je vois une feuille d’automne – une seule feuille, pas plusieurs – ou bien j’entends le son d’un ruisseau dans les bois, ou encore je sens une odeur de forêt, et je sais que nous ne nous sommes pas trompés. Nous sommes retournés à la terre, nous nous sommes liés aux collines et aux rivières, et c’est ainsi que cela doit être, c’est de cette façon que nous devons vivre. Nous ne sommes pas retournés au vieux concept tribal, mais à un mode de vie. Au départ, nous étions une tribu des bois, mais nous ne le sommes plus. Peut-être sommes-nous seulement indiens ? Nous avons adopté le tepee de peau des tribus des plaines et, pour une grande partie, leur façon de s’habiller et leur manière d’utiliser les chevaux. Mais nous avons conservé les canoës d’écorce de bouleau, la récolte de riz sauvage et le sucre d’érable. C’est une bonne vie. Toi et moi, mon vieil ami, nous avons senti l’essence de la vie – moi dans mon tepee, et toi dans cette maison de pierre. Tu n’es jamais allé dans les étoiles, et ce n’est peut-être pas plus mal. Je suppose qu’ils font de grandes découvertes, là-haut ?
— Quelques-unes, dit Jason. Beaucoup de choses intéressantes. Peut-être même quelques objets utiles, mais nous ne nous sommes pas servis de beaucoup. Nous les avons vus, observés, étudiés même, et dans certains cas nous avons compris leur fonctionnement. Mais nous ne sommes plus une race technologique. Nous avons perdu la technologie quand nous avons perdu la main-d’œuvre et le savoir, quand les machines se sont cassées, que personne n’a su les réparer et quand il n’y a plus eu d’énergie pour les faire fonctionner. Comme tu le sais, nous ne pleurons pas cette technologie perdue. Nous aurions pu le faire, à un certain moment, mais plus maintenant. Ce serait un ennui, à présent. Nous sommes devenus des observateurs compétents et nous éprouvons de la satisfaction à observer. Nous remportons des triomphes mineurs quand nous arrivons à une compréhension réelle. Le but est de savoir, non d’utiliser. Nous ne sommes plus des utilisateurs. D’une certaine manière, nous sommes au-dessus de cela. Voir des ressources inutilisées ne nous dérange pas. Peut-être même nous paraîtrait-il honteux d’essayer de nous en servir ou de les mettre en valeur. Et cela ne s’applique pas qu’aux ressources, mais aussi aux idées et…
— Jusqu’à quel point te souviens-tu, Jason ? Jusqu’à quel point te souviens-tu vraiment d’autrefois ? Non pas du moment où notre tribu vous a trouvés, mais de tout le reste ?
— J’en ai gardé un souvenir assez vif, dit Jason. Et tu devrais te le rappeler aussi. Nous étions des adolescents quand c’est arrivé, nous étions à l’âge où l’on est impressionnable, cela devrait nous avoir fortement frappés.
Nuage Rouge secoua la tête :
— Mes souvenirs sont confus, il y a trop d’autres choses. Je peux à peine me rappeler une vie autre que celle que nous menons aujourd’hui.
— Mes souvenirs se trouvent dans un livre – ou dans plusieurs livres, dit Jason, faisant un geste en direction de l’étagère derrière son bureau. Tout est écrit. Mon grand-père l’a commencé quelque cinquante ans après ce qui est arrivé, pour que nous ne puissions l’oublier, pour que cela ne devienne pas un mythe. Il a noté tout ce dont il a pu se rappeler sur ce qui est arrivé, et quand ce fut terminé, il a tenu un journal régulier. À sa mort, j’ai poursuivi le travail. Tout est écrit, depuis le jour où c’est arrivé.
— Et quand tu mourras, qui écrira ? demanda Nuage Rouge.
— Je ne sais pas, dit Jason.
— Il y a une chose sur laquelle je me suis souvent interrogé mais que je n’ai jamais demandée, Jason. Puis-je te poser la question maintenant ?
— Bien sûr, tout ce que tu veux.
— Pourquoi n’es-tu jamais allé dans les étoiles ?
— Peut-être parce que je ne peux pas.
— Mais tu n’as jamais essayé. Tu ne l’as jamais vraiment voulu.
— Tous les autres sont partis un à un et il n’est plus resté que Martha et moi, dit Jason. J’ai eu l’impression que quelqu’un devait rester, que nous ne devions pas tous quitter la Terre, qu’il fallait que quelqu’un reste. Une sorte d’ancre pour tous ceux qui étaient partis… Pour veiller sur les feux de la maison, pour accueillir les autres quand ils veulent rentrer, pour qu’ils aient un endroit où venir.
— Et ils reviennent, bien entendu. Et tu es là pour les accueillir ?
— Certains d’entre eux reviennent, dit Jason. Pas tous. Mon frère, John, a été l’un des premiers à partir. Il n’est jamais revenu. Nous n’avons pas eu de ses nouvelles. Je me demande souvent où il est, s’il est encore vivant.
— Tu sembles dire que tu es resté parce que tu t’es senti responsable, mais ce ne peut être l’unique raison, Jason ?
— Non, c’est l’une des raisons. Beaucoup plus importante à un certain moment qu’elle ne l’est maintenant. Nous étions les plus âgés, John et moi. Ma sœur Janice est plus jeune. Nous la voyons encore de temps à autre et Martha parle assez souvent avec elle. Si John était resté, Martha et moi aurions pu partir. J’ai dit que nous étions restés parce que nous ne pouvions pas partir, mais je ne le pense pas vraiment. Le pouvoir de partir semble nous être inhérent. L’homme le possédait sans doute longtemps avant de commencer à s’en servir. Pour qu’il se développe, il fallait du temps, et notre vie plus longue nous a donné ce temps. Peut-être se serait-il développé sans cette longévité accrue si nous n’avions pas été si absorbés, si engloutis par notre technologie. Peut-être avions-nous pris, quelque part, la mauvaise route, accepté de fausses valeurs et permis à notre passion de la technologie de nous masquer notre but réel. Cette passion pour la technologie peut nous avoir empêché de nous rendre compte de ce que nous possédions. Ces facultés que nous avons ne pouvaient pas franchir les épaisses couches de pensées consacrées aux machines, aux devis et à tout le reste, pour parvenir à notre conscience. Et quand je parle de facultés, je ne parle pas uniquement d’aller dans les étoiles, ton peuple ne va pas dans les étoiles. Il n’en a peut-être pas besoin. À la place, il est devenu partie de l’environnement, vivant dans son essence et la comprenant. C’est de cette façon que cela s’est passé pour vous…
— Mais, si tu pouvais y aller, pourquoi ne pas l’avoir fait ? Tu pouvais certainement t’absenter peu de temps, les robots auraient pris soin de tout, ils auraient gardé les feux allumés et auraient été prêts à accueillir ceux qui désiraient revenir.
Jason secoua la tête :
— C’est trop tard, maintenant. Au fur et à mesure que les années s’écoulent, je suis de plus en plus amoureux de cette maison et de ces acres de terre. Je sens que j’en fais partie. Je serais perdu sans la maison, sans le terrain – et sans la Terre. Je ne pourrais pas vivre sans eux. Un homme ne peut pas marcher sur le même sol, vivre dans la même maison, depuis cinq mille ans et…
— Je sais, dit Nuage Rouge. Au fur et à mesure que sa population s’est accrue, la tribu s’est fractionnée et éparpillée en de nombreuses autres. Certaines sont dans la prairie, d’autres plus à l’est dans les forêts, et moi je suis fidèle à ces deux fleuves…
— Mais, je me rends coupable de mauvaises manières, dit Jason. Comment va Mme Nuage Rouge ? C’est ce que j’aurais dû demander en premier lieu.
— Elle est heureuse. Elle a un nouveau camp à installer, alors c’est son heure de gloire.
— Et tes fils, tes petits-fils et ta descendance ?
— Nous n’avons plus que quelques petits-fils encore avec nous, répondit Nuage Rouge. Les fils et le reste des petits-fils sont avec les autres tribus. Nous en avons des nouvelles de temps à autre. Élan Rapide, mon petit-fils à la troisième génération, a été tué par un grizzli il y a à peu près un an. Un messager est venu nous le dire. En dehors de cela, tous se portent bien et sont heureux.
— J’ai de la peine pour toi, dit Jason. Élan Rapide était un petit-fils dont on pouvait être fier.
Nuage Rouge inclina la tête pour le remercier.
— Et, si j’ai bien compris, Madame Jason va bien ?
Jason hocha la tête :
— Elle passe beaucoup de temps à bavarder avec les nôtres. Elle est très douée pour cela. Beaucoup plus que moi. Pour elle, la télépathie semble être une seconde nature. Chaque soir, elle a quantité de nouvelles à me raconter. Nous sommes très nombreux, maintenant. Je n’ai aucune idée de combien nous sommes, Martha doit savoir cela mieux que moi. Elle a tout en tête, toutes les parentés, qui a épousé qui, etc., tout ce qui concerne les quelques milliers de personnes que nous sommes sûrement.
— Autrefois, il y a de nombreuses années, tu m’as dit que l’on a trouvé quelques espèces intelligentes dans l’espace, mais aucune semblable à la nôtre. Et depuis les années où nous sommes partis…
— Tu as raison, dit Jason. Aucune comme la nôtre. Il y a eu quelques contacts. Certaines espèces sont amicales, d’autres le sont moins, d’autres encore sont indifférentes à nous. Pour la plupart, elles nous sont si étrangères qu’elles nous donnent le frisson. Et il y a, bien sûr, les extra-terrestres errants qui visitent de temps en temps la Terre.
— Et c’est tout ? Pas de coopération…
— Non, ce n’est pas tout, dit Jason. Il s’est présenté un fait très troublant. Nous avons eu vent de quelque chose de très troublant – comme une mauvaise odeur apportée par le vent. Provenant de quelque part vers le centre.
— Vers le centre de quoi, Jason ?
— Le centre de la galaxie. Le cœur. Une sorte d’intelligence. Nous n’avons fait que subodorer sa présence, et c’est assez…
— Hostile ?
— Non, pas hostile. Froid. Intelligent, trop intelligent. Froid et intelligent. Analytique. Oh ! zut, je ne peux pas t’expliquer. Il n’y a aucun moyen de te l’expliquer. C’est comme si un ver de terre pouvait sentir l’intelligence d’un être humain. Et il y a même plus de différence entre lui et nous qu’entre le ver de terre et l’homme.
— Cela te fait peur ?
— Peur ? Oui, je crois. Je suis troublé, anxieux. Mon seul réconfort est de penser que nous sommes sans doute trop peu de chose pour attirer son attention.
— Alors, pourquoi t’en faire ?
— Je ne m’en fais pas trop, ce n’est pas cela. C’est seulement qu’on se sent malpropre de savoir qu’il y a quelque chose de ce genre avec soi dans la galaxie. Comme si on tombait sur une fosse de mal concentré.
— Mais ce n’est pas méchant ?
— Je ne pense pas. Je ne sais pas ce que c’est. Personne ne le sait. Nous avons tout juste flairé quelque chose…
— Ce n’est pas toi qui l’as détecté ?
— Non, d’autres l’ont fait. Deux de ceux qui sont dans les étoiles.
— Il n’y a sans doute pas de quoi se tracasser. Il faut simplement se faire tout petit. Mais quand même, je me demande si cette intelligence pouvait avoir un rapport quelconque avec le départ des Autres ? Mais cela semble peu probable. Tu n’as toujours aucune idée de la raison pour laquelle c’est arrivé, de la raison pour laquelle les Autres sont partis ?
— Aucune, dit Jason.
— Tu parlais d’extra-terrestres qui viennent sur Terre ?
— Oui, dit Jason. C’est bizarre comme ils viennent maintenant sur Terre. Ils ne sont pas nombreux, bien entendu. En tout cas, ceux dont nous connaissons la venue. Deux ou trois le siècle dernier, encore que, quand j’y réfléchis, je pense que cela fait quand même pas mal avec tout l’espace et toute la distance qu’il y a. Mais il semble qu’ils ne venaient jamais avant. Ils ne viennent que depuis le départ des Autres. Bien qu’il soit possible qu’ils soient venus avant et que personne ne les ait vus – ou en tout cas jamais reconnus pour ce qu’ils étaient. Peut-être ne les avons-nous pas vus parce que nous n’étions pas préparés à les reconnaître. Et même si nous les avions vus, nous aurions fermé les yeux. Nous aurions été gênés par la présence de quelque chose que nous ne pouvions pas comprendre, et nous les aurions donc balayés d’un geste large hors de notre vue. Nous aurions dit : « Ils ne peuvent pas être là. Ils ne sont pas là. Nous ne les avons jamais vus. », et l’histoire se serait arrêtée là.
— Il est possible que cela se soit passé ainsi, dit Nuage Rouge. Peut-être aussi que beaucoup moins d’entre eux sont venus. Nous étions une planète turbulente, bouillonnante d’intelligence – et même quelquefois d’une sorte d’intelligence plutôt terrifiante. Quelque chose qui ressemblait peut-être à ton intelligence du centre de la galaxie, à une échelle plus petite. Enfin, nous n’étions sûrement pas le genre d’endroit qu’un extra-terrestre errant aurait choisi pour venir se reposer, car il n’aurait pas trouvé le repos. En ce temps-là, il n’y avait de repos pour personne.
— Tu as raison, bien sûr, lui répondit Jason. Nous le savons maintenant. Je suppose qu’à l’époque il n’y avait aucun moyen de le savoir. Nous sommes allés de l’avant, nous avons progressé…
— Je crois que tu as parlé avec quelques-uns des extra-terrestres errants ? demanda Nuage Rouge.
— Avec deux ou trois. Une fois, j’ai fait 900 kilomètres pour parler avec l’un d’entre eux, mais il était parti lorsque je suis arrivé. Un robot avait transmis la nouvelle. Je ne suis pas aussi doué que Martha pour cette histoire de télépathie galaxique, mais je peux parler avec les extra-terrestres – c’est-à-dire avec certains d’entre eux. Il semble que j’aie un don pour cela. Mais, quelquefois, il n’y a pas moyen de parler. Certains n’ont aucune possibilité de reconnaître les ondes sonores comme un moyen de communication et, de son côté, l’être humain n’a peut-être même pas le sens nécessaire pour identifier les signaux et les ondes mentales qui leur servent à communiquer. Avec certains autres, même si le moyen de communication existe, on ne peut pas parler, il n’y a rien dont on puisse parler, pas de sujets communs.
— Cette question des extra-terrestres errants est en partie ce qui m’amène, dit Nuage Rouge. De toute façon, je serais venu dès que je l’aurais pu, bien sûr. Mais je voulais te dire que nous avons ici un extra-terrestre, à l’entrée du ravin de Cat Den. Petit Loup l’a trouvé. Il s’est dépêché de venir me prévenir et je suis allé jeter un coup d’œil.
C’était donc cela ! pensa Jason. Il aurait dû le savoir, toute cette conversation polie et prudente sur tout et rien à l’exception de la seule chose dont il était vraiment venu lui parler, pour en arriver enfin au sujet véritable. Ils étaient ainsi, on devait s’y attendre. Sans hâte, comme autrefois, le protocole tribal, la dignité, pas de surexcitation, pas de précipitation, prendre son temps et réfléchir, dans le respect des convenances.
— Tu as essayé de lui parler ? demanda-t-il.
— Non, dit Horace Nuage Rouge. Je peux parler aux fleurs, aux cours d’eau, et ils peuvent me répondre, mais avec un extra-terrestre, je ne saurais pas comment commencer.
— D’accord, dit Jason. J’irai là-bas voir ce qu’il a derrière la tête – s’il a quoi que ce soit derrière la tête. Enfin, si j’arrive à parler avec lui. Y avait-il quelque indication de la façon dont il est venu ?
— À mon avis, c’est un téléporteur, il n’y avait aucune trace de vaisseau spatial.
— C’est souvent le cas. Même chose que pour nous.
N’importe quel genre de machine est toujours un truc encombrant. Le pouvoir de voyager dans les étoiles n’est pas nouveau, bien entendu, bien que nous l’ayons d’abord pensé. Nous avions cru faire une découverte tellement merveilleuse quand les premiers d’entre nous ont commencé à développer et à employer des pouvoirs parapsychiques. Mais ce n’était pas si merveilleux, c’était simplement que nous avions été trop occupés, en tant que race technologique, pour considérer cela. Et même si quelqu’un y avait pensé et avait essayé d’en parler, on l’aurait ridiculisé.
— Aucun d’entre nous n’a jamais voyagé dans les étoiles, dit Nuage Rouge. Je ne suis même pas sûr qu’aucun de nous ait quelque pouvoir que ce soit. Le monde dans lequel nous vivons et ses secrets nous ont tellement absorbés que nous n’avons peut-être pas mis au jour nos ressources secrètes – si nous en avons. Mais…
— Je pense que vous avez des pouvoirs et que vous les utilisez au mieux, lui répondit Jason. Vous connaissez votre environnement et vous vous identifiez à lui plus que l’homme ne l’a jamais fait. Cela doit être une sorte d’instinct psychique. Ce n’est peut-être pas aussi romantique que de voyager dans les étoiles, mais cela demande sûrement une plus grande compréhension.
— Merci de ta gentillesse, dit Nuage Rouge. Il y a peut-être du vrai dans ce que tu dis. J’ai une petite-fille belle et insensée, distante de plusieurs générations, qui vient à peine de passer sa dix-neuvième année. Peut-être te souviens-tu d’elle, Étoile du Soir ?
— Mais bien sûr ! dit Jason, enchanté. Quand je venais te rendre visite et que tu n’étais pas au camp, ou quand tu avais à faire, elle prenait soin de moi. Nous allions nous promener dans la nature et elle me montrait les oiseaux, les fleurs et d’autres merveilles des bois. Elle babillait tout le temps, d’une manière absolument délicieuse.
— Elle babille encore délicieusement, mais je me fais un peu de souci à son sujet. Je crois qu’elle a peut-être un peu le genre de pouvoir psychique de votre clan…
— Tu veux dire qu’elle peut aller dans les étoiles ?
Le visage de Nuage Rouge se plissa.
— Je ne suis pas sûr. Non, je ne pense pas. C’est peut-être autre chose. Je détecte quelque chose de bizarre en elle. Je suppose que cela m’inquiète, même si je n’en ai pas le droit. Elle a une soif de savoir que je n’ai jamais vue chez personne de mon peuple. Pas soif de connaître son monde – bien qu’elle en ait aussi le désir – mais… soif de connaître ce qui se trouve à l’extérieur de son monde, soif de connaître tout ce qui est arrivé, tout ce que les hommes ont pensé. Elle a lu tous les livres que la tribu possède, mais il y en a très peu…
Jason tendit le bras et fit un geste circulaire, montrant la pièce :
— Il y a des livres ici, dit-il. Si elle veut venir les lire. Au sous-sol, il y a d’autres pièces, bourrées jusqu’au plafond d’autres livres. Elle peut lire tous ceux qu’elle veut, mais je répugne à laisser sortir quelque livre que ce soit de cette maison. Un volume perdu serait irremplaçable.
— J’allais te le demander, j’y arrivais, dit Nuage Rouge. Merci de l’offre.
— Il me plaît qu’il y ait quelqu’un qui souhaite les lire. C’est un privilège que de les partager avec elle, je t’assure.
— Je suppose que nous aurions dû consacrer du temps aux livres, dit Nuage Rouge. Mais maintenant, il est un peu tard pour faire quoi que ce soit. Il peut encore y avoir des livres, bien sûr, quoique le temps en ait sans doute détruit la plus grande partie, j’imagine. Les intempéries et les rongeurs en sont sans doute venus à bout, et notre peuple hésite à les chercher. Nous détestons les endroits d’autrefois. Ils sont vieux, moisis, et remplis de fantômes – fantômes du passé auxquels nous n’aimons pas penser, même maintenant. Nous avons quelques livres, bien entendu, que nous gardons précieusement comme héritage du passé. Et nous mettons notre point d’honneur à apprendre à lire à chaque enfant, comme un dû au passé. Mais, pour la plupart d’entre eux, c’est une déplaisante obligation. Jusqu’à Étoile du Soir, il y en a peu qui aient pris plaisir à lire.
— Étoile du Soir aimerait-elle venir avec nous ? demanda Jason. Pour aussi longtemps qu’elle voudra. Cela égayerait un peu la maison d’abriter une adolescente, et j’entreprendrais de la guider dans ses lectures.
— Je le lui demanderai, dit Nuage Rouge. Elle sera ravie. Bien sûr, tu sais qu’elle t’appelle Oncle Jason ?
— Non, je ne le savais pas, répondit Jason. Je suis très honoré.
Le silence s’installa entre les deux hommes et ils restèrent un moment assis dans la quiétude de la bibliothèque. La pendule murale égrenait bruyamment les secondes dans le silence.
Nuage Rouge remua.
— Tu as gardé le décompte du temps écoulé, Jason. Des années, je veux dire. Tu as même une pendule. Nous n’avons pas de pendules, et nous n’avons pas tenu de compte. Nous n’en avons pas pris la peine, nous avons pris chaque instant comme il se présentait et nous l’avons pleinement vécu. Nous ne vivons pas avec les jours, mais avec les saisons et nous n’avons pas tenu le compte des saisons.
— Nous avons peut-être manqué un jour ou deux par-ci par-là, ou ajouté un jour ou deux – je ne peux pas être sûr – mais nous avons tenu le compte. Cela fait cinq mille ans. Physiquement, je suis aussi vieux que mon grand-père quand il a commencé à écrire le journal. Et après cela, il a presque vécu trois mille ans. Si je suis la même échelle, je vivrai au moins huit mille ans. Bien sûr, cela semble impossible et un peu indécent qu’un homme vive huit mille ans.
— Un jour, nous saurons peut-être ce qui a amené tout cela, où sont partis les Autres et pourquoi nous vivons si longtemps, dit Nuage Rouge.
— Peut-être, répondit Jason. Mais j’ai peu d’espoir. Horace, j’ai pensé…
— Oui ?
— Je pourrais rassembler une troupe de robots et les envoyer nettoyer ces champs de maïs à votre place. Ils ne font rien d’autre que traîner. Bien sûr, je sais quel est ton sentiment à leur égard…
— Non. Merci beaucoup. Nous accepterons le maïs, la farine et tout le reste, mais nous ne pouvons pas accepter l’aide des robots.
— Qu’est-ce que vous avez contre eux, en fait ? Ne leur faites-vous pas confiance ? Ils ne traîneront pas, ils ne vous ennuieront pas, ils nettoieront les champs et s’en iront.
— Nous nous sentons mal à l’aise avec eux, dit Nuage Rouge. Ils ne cadrent pas avec nous. Ils nous rappellent ce qui est arrivé quand les Blancs sont venus. Quand nous avons rompu, nous avons rompu complètement. Nous n’avons gardé que quelques choses : de simples outils de métal, la charrue, un meilleur sens économique – nous ne faisons pas ripaille un jour pour mourir de faim le lendemain comme le faisaient les Indiens avant la venue de l’homme blanc. Nous sommes retournés à la vie des bois, à la vie des plaines, comme autrefois. Tout seuls. Et il faut que cela continue ainsi.
— Je crois que je comprends.
— Je ne suis pas non plus absolument sûr que nous leur fassions confiance, dit Nuage Rouge. Pas complètement. Peut-être ceux que vous avez ici, qui travaillent dans vos champs et font d’autres choses pour vous, peut-être ceux-là sont-ils bien ? Mais je fais des réserves quant à quelques-uns des « robots sauvages ». Je t’ai dit, n’est-ce pas, qu’un groupe d’entre eux se trouve en amont du fleuve, sur le site d’une ancienne ville ?
— Oui, je me souviens que tu m’en as parlé. Minneapolis et St Paul. Tu les as vus il y a de nombreuses années. Ils construisaient quelque chose.
— Ils continuent à le construire, dit Nuage Rouge. Nous nous sommes arrêtés en aval et nous avons regardé – de loin. Il y en a plus que jamais et ils construisent toujours. Un grand bâtiment. Bien que cela n’ait pas l’air d’un bâtiment. Les robots ne construiraient pas une maison, n’est-ce pas ?
— Je ne pense pas. Pas pour eux, ils se moquent du temps qu’il fait. Ils sont faits d’une espèce d’alliage pratiquement indestructible qui ne rouille pas, ne s’use pas, et qui résiste pratiquement à tout. Pour eux, les intempéries, les variations de température, la pluie, rien de tout cela n’a de sens.
— Nous n’avons pas traîné là longtemps, dit Nuage Rouge. Nous sommes restés à distance. Nous nous sommes servis de jumelles, mais malgré cela, nous n’avons quand même pas pu voir grand-chose. Nous étions effrayés, je crois. Mal à l’aise. Nous avons filé après avoir jeté un coup d’œil. Je ne pense pas qu’il y avait le moindre danger, mais nous n’avons pris aucun risque.