Il avait tué ce dernier ours quand celui-ci était trop près pour qu’il puisse tirer correctement. Il avait aussi tué tous les autres – un ours pour chaque griffe du collier qu’il portait autour du cou. Certains de ces autres ours, peut-être tous, avaient été tués par les flèches qu’il avait tirées – des flèches solides, droites, bien empennées, tirées par un arc puissant. Mais il ne pouvait plus en être sûr maintenant, pas absolument sûr.
Il ne s’agissait pas que de tuer, mais aussi de guérir.
Il avait tué les ours et il avait guéri les arbres. C’est ce qu’il avait pensé sur le moment, et maintenant il en était sûr. Il avait senti en eux quelque chose qui n’allait pas et il l’avait rectifié, sans jamais vraiment savoir ce que c’était.
L’extra-terrestre s’approcha en clopinant entre les arbres éclairés par la lune et s’accroupit à côté de lui. Cela fit s’enrouler et se dérouler tous les vers qui se mirent à gigoter. Cela faisait des jours qu’il le suivait, et David en avait assez.
— Pars d’ici ! cria-t-il. Va-t-en !
L’extra-terrestre n’en tint aucun compte. Il resta là, à faire bouger ses vers. David était parfois tenté de lui faire ce qu’il avait fait aux ours – quoi que ce fût. Mais il s’était dit que ce ne serait pas juste de le faire à l’extra-terrestre. Celui-ci n’était pas une menace réelle – en tout cas, il ne le pensait pas. Il était tout simplement assommant.
L’extra-terrestre se tortilla plus près.
— Je t’ai donné ce que tu voulais, lui cria David Hunt. J’ai réparé ce qui n’allait pas, j’ai enlevé la douleur. Maintenant, laisse-moi tranquille.
L’extra-terrestre recula.
David s’accroupit au pied du puissant érable et tenta de tirer les choses au clair – mais il n’y avait vraiment pas grand-chose à quoi penser. Ce qui s’était passé était très clair : il avait guéri les arbres, il avait guéri cette étrange créature qui n’arrêtait pas d’essayer de se rapprocher de lui, il avait guéri l’aile cassée de l’oiseau et la dent malade du vieil ours noir, et il avait débarrassé un parterre d’asters d’une chose mortelle qui en suçait la vie (mais il n’avait pas tout à fait bonne conscience en ce qui concernait les asters car, en les aidant, il semblait avoir détruit quelque autre forme de vie – une forme de vie humble, peut-être, mais quand même une vie). C’était comme si une grande compassion, se déversant de lui, le poussait à guérir, à rendre toutes choses complètes. Et pourtant, bizarrement, il ne sentait nulle grande compassion. Il sentait plutôt une gêne qui le prenait dès qu’il avait conscience d’une chose souffrante ou malade et qui l’obligeait à guérir. Peut-être pour ne plus s’en inquiéter. Était-il condamné à vivre en ayant conscience de tout ce qui n’allait pas dans le monde ? se demanda-t-il. Tout s’était bien passé jusqu’à la nuit pendant laquelle il avait écouté les arbres – jusqu’à ce qu’il ait conscience de ce qui n’allait pas en eux. Auparavant, il n’avait pas prêté attention à ce qui n’allait pas, il n’en avait pas eu conscience et il avait été insouciant parce qu’il avait été ignorant. Y avait-il eu quelque chose dans la musique ? se demanda-t-il. Quelque chose dans le robot à ses côtés ? Et qu’est-ce que cela voulait dire ? Qu’il devait passer sa vie à avoir conscience du moindre petit ennui, du moindre petit mal, et qu’il ne pourrait avoir ni paix, ni repos, avant de les guérir ?
Du coin de l’œil, David Hunt vit l’extra-terrestre se rapprocher. Il agita les mains en faisant le geste de le repousser.
— Va-t’en ! hurla-t-il.