CHAPITRE

Nous sommes en grande conversation, elle et moi, lorsque Sa Majesté lance une clameur inestinguible (Pourquoi inestinguible, te demandes-tu ? Au fait, oui : pourquoi ?) :

— Gaffe, Sana, gaffe !

Et effectivement.

L’ambulance s’est mise à rouler toute seule et s’avance droit sur moi. Ce, pour deux raisons. La première c’est que le terrain est en pente douce, la seconde que Béru a débloqué le frein à pogne en farfouillant sous le siège pour cramponner la trousse à pansements.

Je n’ai que le temps de plonger de côté. La voiture qui a pris de l’élan est déjà là. Elle télescope le garde-fou. Un instant, je crois que celui-ci va interrompre sa trajectoire, mais voilà qu’il cède sous l’impact et que le véhicule plonge dans le vide. Le cri d’Emily retentit longuement dans la nuit espagnole. Il va en décroissant au sein des profondeurs, happé par cette formidable bouche d’ombre. Le temps paraît long. Et puis un choc énorme. Un flamboiement. Le bruit est repris par les échos, mais sans grande conviction, et le silence revient, à peine coupé par les faibles crépitements de l’ambulance en flammes.

Bérurier s’avance, sa valoche de métal frappée d’une croix rouge à la main, étrange voyageur des ténèbres. Beau et sanglant.

— C’est ma faute, dit-il, l’frein à main tenait pas bien. Su’ l’coup, j’m’ai pas aperçu qu’la tire roulait, t’aurais dû laisser une vitesse enclenchée, mec. C’est en claquant la portière qu’ça l’a foutue en branle. J’ai tenté d’la retiendre, mais j’avais pas d’prise valab’. La môme est foutue, œuf corse ?

— Tu m’étonnes, soupiré-je en montrant les abysses au fond desquelles brillent les lumières de l’incendie.

— Ell’ a eu l’temps d’causer ?

— Heureus’ment.

— C’tait intéressant ?

— Plus que ça. Seul’ment, il va falloir nous rapatrier vers des contrées civilisées, mon Gros, car un sacré patacaisse se prépare pour très vite.

Avisant le sang qui coule en abondance de sa blessure, je biche sa trousse.

— Assieds-toi, mec. On va avoir un turbin maison à accomplir.

Je le panse. Donc, je suis.

— Quel genre de turbin, Milord ? se préoccupe le Pachyderme.

— Nous disposons d’environ douze heures pour empêcher que la planète soit à feu et à sang.

— D’après selon c’qu’ j’sais de nous deux, ça devrait êt’ suffisant, assure le Flambard.

Comme quoi, tu vois : blessé ou non, perdu ou pas dans la sierra, chez Béru, la confiance n’en finit pas de régner.


Il est vingt heures quatre au beffroi de ma montre digitale et la route lacette, vide, blafarde, sans fin, sous le clair de lune. Depuis vingt minutes que nous cheminons en direction de Marbella, onc bagnole n’est passée. Les kilbus sont encore nombreux. De nos jours, l’homme est devenu tronc ; ses guibolles ne lui servent plus qu’à actionner les trois (ou deux si elle est automatique) pédales d’une bagnole ; pour lui, désormais, marcher c’est changer de pièce. Jusqu’à la téloche qu’il contrôle à distance, passant d’une pression de pouce d’une chaîne à l’autre, l’éteignant, la rallumant au gré des programmes et de son humeur. Les rois fainéants font figure de marathoniens, comparés à nous autres d’à présent.

On y va d’un pas qui se veut gaillard, mais l’impatience nous tenaille. Le temps qui nous a atrophiés, voilà la vérité. Nous sommes tellement pressés que nos déplacements ne peuvent en aucun cas s’accommoder des moyens naturels. A preuve : marcher a cessé d’être une fonction pour devenir un sport. Jogging ! On va marcher, comme on va faire du tennis ou du foute : tel jour, de telle heure à telle heure !

— Pourquoi qu’é sauterait, la planète ? murmure le Maître-Etalon, pas impressionné le moindre, mais simplement encuriosé.

— Je ne t’ai pas dit qu’elle sauterait, mais qu’elle allait être à feu et à sang.

— Comme d’habitude, philosophe mon pote. Ça crame toujours, de ci et là, et y a un peu partout des endroits où les mecs se trouent la paillasse.

— Cette fois, ça risque de devenir apocalyptique.

Trop essoufflé par la marche, et handicapé par sa blessure, il s’abstient de questionner davantage. Je devrais prendre les devants et l’affranchir, bien sûr, mais mon caberlot est trop mobilisé par l’affaire.

Comme nous abordons un virage en épingle à cheveux, une pétarade retentit, loin derrière nous. Je sonde le défilé et découvre la lumière louvoyante d’un phare.

— Une péteuse, hein ? jubile Béru.

— On dirait.

Qu’aussitôt nous nous disposons en travers de la route, bras écartés, afin d’intercepter le motocycliste. Ce dernier surgit bientôt, tassé sur une machine qui ne doit pas sortir de l’usine si j’en juge à son bruit et au noir nuage qui lui tire-bouchonne au fion.

Nos deux silhouettes blanches le perplexent. Il ralentit un peu, mais ne s’arrête pas, prêt à mettre les gaz en cas de danger.

— Hep ! señor ! lui crié-je, nous sommes en panne, pouvez-vous nous envoyer un garagiste ?

Rassuré, il stoppe.

— Où est votre voiture ? demande-t-il.

— Dans le virage.

— Et que faut-il faire ?

— Rien, dis-je en lui balançant un crochet à la pointe extrême du menton.

Bérurier qui sait tout, comprend tout, prévoit tout, retenait déjà la vieille moto. Le conducteur, un génaire du genre manar, avec une espèce de boîte à outils sur le porte-bagages, s’écroule sur son guidon. Je l’arrache à sa monture et vais le déposer de l’autre côté du talus. Après quoi, je tire de mes vagues une liasse de pesetas, fais une rapide surestimation de son bolide de merde et lui fourre la comptée entre ses doigts aussi ibériques que calleux. De toute façon, il la retrouvera, sa fougueuse.

— Il va falloir grimper à deux là-dessus, Gros.

Je me débarrasse de la blouse blanche et coiffe la gapette de velours marron du gonzier.

Cet engin à la noix dégage une telle fumaga que même s’il était piloté par la reine d’Angleterre en tenue de couronnement, on ne la reconnaîtrait pas.

Sa Majesté s’est juchée à la place de la boîte à outils.

— Fais gaffe aux ornières, me prie-t-il, c’te garcerie d’blessure me fait un mal de chien !

La péteuse fait quelques manières avant de consentir. Et puis repétarade.

On décarre mollo.


Nous retraversons Marbella sans encombre. Des flics patrouillent, mais ne nous accordent pas la moindre attention. Le tronçon de route menant au Fuente connaît sa circulation habituelle. Parvenu près du complexe hôtelier, je coupe les gaz et pousse notre véhicule en direction d’un chantier proche où je l’abandonne.

— On va profiter de ce que c’est l’heure du dîner pour regagner notre base, dis-je au Gros. Chacun prend un chemin différent, rancard chez la môme Véra, car nos propres appartements doivent renifler le roussi.

— Banco !

Je choisis l’itinéraire qui passe par la piscine, cependant que mon Triomphal opte pour une venelle ombreuse, bourrée d’escaliers de briques. Je siffle une très jolie chanson de Julot Iglésioche, que je me rappelle plus son titre, mais dedans ça parle, quoi : « Je t’aime, et je deviens dingue quand tu vas limer avec un autre », en gros, c’est le topo.

Je m’annonce peinardos chez ma mignonnette. Justement, y a du feu à l’intérieur, j’y vois par l’imposture du couloir. Alors je grattouille la lourde. Surtout pas sonner, au cas où. Simplement je fais des « tagada tsoin tsoin » avec deux doigts mutins. Au bout de très peu, la porte s’écarte et un grand type brun comme mon stylo Mont-Blanc me défrime en sourcillant épais comme le pauvre président Pompidou.

Moi, dans un laps de temps d’une étroitesse folle, j’ai le temps d’entrevoir l’essentiel, c’est-à-dire le cadavre de Véra, salement égorgée dans le couloir, avec une tripotée de flics, dont plusieurs en uniforme, autour. Alors là ! Alors là ! Mais tonnerre de Lorient (toujours de Brest, faut renouveler, non ?) c’est donc des baquets de scoumoune qu’on déverse à plaisir sur cette putain d’affaire ! Ça va s’arrêter quand t’est-ce, cette méchante malédiction inca, hmm ? Je te parie un scramasaxe bien affûté contre un couteau de cuisine ébréché que j’en aurai pour toute la journée. C’est un day pas comme les autres, glaireux, quoi ! T’as beau dire, faire, essayer, prier, tout foire. Tu crois échapper d’un piège, mais c’est pour tomber dans un autre encore plus merdique. Tu te laisses happer, tu te laisses happer !

Donc, je réalise l’atrocité de la scène, l’inconfort de ma nouvelle situation et je dis :

— C’est le garage Renault, je viens dire que l’auto est réparée.

Pas génial, mais si tu veux faire mieux, prends ma place, faut justement que j’aille chez le dentiste pour ma gingivite.

Le grand noircicot grogne :

— Oui, ça va, elle en a plus besoin de voiture !

Puis me reclaque la porte au nase. Je dévale l’escadrin.

Qu’à peine ai-je dévalé six marches, non, sept, j’entends la porte se rouvrir et il écrie :

— Hep, l’homme !

En espago, tu ne l’ignores pas puisque tout un chacun le sait, homme, ça se dit « ombré ». Alors, là, l’ombré, je m’en fais une tisane, crois-moi.

Je fonce dans la nuit. Que voici Messire le Grand Ecuyer de frais qui se la radinait en pavanant comme pour l’infante défunte.

— Taille-toi, grand con ! lui lancé-je.

Ça me galope aux chausses, trousses, fion.

Je biche la venelle déjà empruntée le matin.

— Vous savez que je vous attends toujours ! me roucoule une voix enchanteuse.

La gonzesse aux yeux verts qui prenait un bain de soleil sur son muret. A présent, elle s’offre un bain de lune.

Moi, tu verrais : hop ! Le grand steeple de James Hadley Chase ! Par-dessus le muret sans élan. Je m’allonge sur sa terrasse.

— Chut ! dis-je sans rentrer dans les détails.

Et advienne que pourra.

La horde débouche.

Une voix interpelle la môme pour si elle a aperçu un homme.

— Il courait comme un fou, assure-t-elle ; il a pris à gauche.

Mutcho merci, señorita ! Les pas se dispersent. Je mets mes mains derrière ma coiffe. La fille se penche. Elle porte une robe collée à elle comme une peau de dauphin à un dauphin. Noire, également, et aussi brillante. Mais par contre, fendue.

— Vous êtes un curieux personnage, déclare-t-elle d’une voix suave, exactement comme les héroïnes des films « B » quand elles ont une séance de vampage. Vous courez toujours, ou bien vous vous cachez ; seriez-vous un gangster ?

— Pas le moins du monde, rétorqué-je avec un sourire qu’éclaire majestueusement la lumière en provenance du salon.

— Dommage, c’eût été plus excitant.

— On peut faire sans, je lui affirme.

— Vous croyez ? elle insiste en s’accroupissant près de moi, de telle manière qu’il m’est loisible de constater qu’elle ne porte pas de slip.

Je retire une main de ma nuque, me contentant d’un demi-oreiller, et expédie ladite jusqu’au plus intime de cette étrange terlocutrice, manière de lui présenter mes civilités les plus sincères. L’attouchement la pousse à un acte, non pas désespéré, mais d’une osance extrême. Elle s’agenouille de part et d’autre de mon visage et s’accroupit.

Il serait mal venu d’en dire davantage, surtout dans un ouvrage de cette qualité, positivement primé par l’Académie, et destiné à la Pléiade (on est presque d’accord avec Gallimard à ce propos, ne reste plus que des points de détail à régler concernant l’avance sur les droits : il manque un zéro à sa proposition, ce qui n’est pas grave).

Cette nana, toujours est-il malgré ma discrétion, est, tu peux m’en croire, une altière salope, mouilleuse de bonne aventure, chevaucheuse émérite qui a dû trouver nombre de bridges mal assurés dans son triangle des Bermudes, le soir, à la chandelle, quand l’instant du renoncement venu, il ne reste plus que de se fourbir la salle des fêtes en vue des prochaines prestations.

Je la pratique bien à fond. Lui fais mon « h » inspiré, ma hache aspirée, mon taste-moule, mon ovale fantasque, ma psalmodie in blue, Nefertitille, mon lape suce linguae, mon solo de piston et le losange céleste.

Elle participe en s’exerçant à divers mouvements en apparence contradictoires mais qui sont en fesses complémentaires ; à savoir qu’elle opère simultanément un déplacement ascensionnel et descensionnel, et un autre longitudinal comme celui, par exemple, du fer à repasser domestique sur une jeannette (nom fort aimable, contrairement à celui de marie-salope en usage dans la batellerie).

Ces amusements, jeux et ris, pour stimulants qu’ils soient, ne durent qu’un temps, car ils sont échauffeurs de sang, fouetteurs de sens et incitent aux fortes bandaisons.

Sentant que mon antenne télescopique se transforme en mât de cocagne à la vitesse grand zob, je crie à mon amazone de gueule (car ma voix est étouffée par l’environnement où elle émet) qu’il serait judicieux d’aller poursuivre en un lieu plus propice, et avec méthode, ce que nous avons entrepris dans la fougue de l’instant.

Elle se relève en produisant un son marrant, je l’imite. Elle m’entraîne dans son salon. Moi, j’ai de la peine à la suivre, car mon regard est merveilleusement obscurci et ma démarche fabuleusement entravée.

— Tu veux bien baisser le rideau de fer ? dit-elle.

Mais comment donc.

Tout en actionnant la manivelle, je pense que cette fille est providentielle. Et un remords me point à l’idée que je vais la verger comme une grande alors que Véra gît égorgée dans la grappe voisine, et qu’un danger terrible menace une partie de l’humanité. Peut-être aurais-je mieux fait de jouer franco (si je puis ainsi dire dans l’Espagne nouvelle) avec les flics. Ce qui m’a retenu, c’est l’idée qu’avec tout ce chambardement, tous ces meurtres et corridas, il aurait fallu des heures, des jours, peut-être, avant qu’ils ne me croient, alors que le temps urge.

— Pressez-vous, grand tendeur ! elle supplie, la friponne ; je n’y tiens plus !

— Je vous demanderai cinq minutes de temps mort pour téléphoner, lui réponds-je.

Je pousse la sollicitude, une fois le store baissé, jusqu’à fermer les doubles rideaux crème.

Je me retourne enfin, soulagé d’être bien calfeutré chez cette dévergondée ; mais je me récite la blague du parachutiste que je t’ai peut-être racontée dans un autre chef-d’œuvre, ce qui est sans importance, tu n’auras qu’à donner celle-ci à un copain si elle te fait doublon. C’est le parachutiste dont malheureusement le parachute se met en torche, heureusement, il s’aperçoit qu’il va tomber sur une meule de paille ; malheureusement, une fourche est plantée, les dents en l’air, au sommet de la meule, heureusement, le parachutiste est tombé à côté du tas de paille.

Pour ma pomme, c’est du kif : malheureusement, on n’avait plus de véhicule pour quitter la sierra, heureusement on a trouvé le gars à la moto ; malheureusement la police se trouvait chez Véra, morte, heureusement j’ai pu me planquer chez la belle énervée du frifri ; malheureusement y a trois vilains qui me braquent avec des fusils-mitrailleurs.

Quand je te dis des vilains, j’ai bien pesé le mot, fait la tare (du feu) et envisagé ses prolongements.

T’as remarqué que les très très bruns ont toujours l’air plus méchants que les autres ? Eux trois, le sont, bruns. Putain d’elle ! ils ont du poil noir de partout, jusque dans les manettes d’où ça jaillit par grosses touffes capitonneuses ; idem dans les trous de nez, sur les mains, par-dessus la chemise. Leurs zigues-pâtes, c’est pas la toison d’or, mais la toison noire ! « Gare au gorille », qu’il chantait, le vieux Georges !

La fille s’est installée dans un fauteuil, en biais, les jambes pendantes sur l’accoudoir. Elle s’allume une cigarette.

— Vous avez été dur à ferrer, fait-elle en soufflant sur la flamme de l’allumette, monsieur Cours-y-vite ! Mais enfin, vous voilà.

Je lui souris tendre.

— Vous auriez pu différer d’une demi-heure la cérémonie, objecté-je, cela vous aurait permis d’emmagasiner dans votre délicate mémoire, l’un des plus beaux souvenirs d’amour de votre vie.

— Et la modestie, commissaire ?

— J’en tiens compte, sinon j’aurais usé de termes beaucoup plus adaptés ; si vous voulez considérer mon hémisphère austral, chérie, vous constaterez que mon émoi court encore sur son aire malgré le dramatique de la situation. Avez-vous rencontré déjà beaucoup de gars qui restent en état d’érection alors qu’on pointe sur eux des bricoles de ce calibre ?

Elle hoche la tête.

— Ces messieurs se trouvaient déjà là, je n’avais guère le choix.

— Puis-je savoir pour le compte de quel établissement vous usez de votre charme, ma beauté ?

— La chose vous sera dite postérieurement.

— A propos de postérieur, je conserverai du vôtre un souvenir ému.

On en est laguche des madrigaux lorsqu’un coup de sonnette retentit, plus exactement six légers coups de sonnette, sur le rythme fameux de « J’ai les godasses qui pompent l’eau ».

— Allons, bon ! fait-elle en s’arrachant pour aller déponner, ce qui me permet, fugacement, d’apercevoir son irrésistible chattoune si aimable, appétissante et délectable.

Les trois malabars continuent de me coucher en joue, comme on disait puis dans les fascicules bourrés d’action de jadis. Pas un qui bronche. Tu croirais trois statues. Ou un poster grandeur nature.

— Vous ne fatiguez pas, les gars ? je leur demande d’un ton intentionnellement claironnant.

Motus !

— Je sais bien que Hitler était capable de rester plusieurs heures de suite le bras tendu, mais il ne brandissait pas quatre kilos de ferraille.

Silence complet des archers.

— Tout cela pour aboutir à quelle finalité ? m’obstiné-je (d’antan).

Peut-être qu’ils ne comprennent pas mon espagnol, après tout, hein ? Mais peut-on être aussi brun sans être espago ?

L’ensorceleuse avait soigneusement refermé la porte du salon en sortant. Celle-ci se rouvre, mais doucettement, et une grosse paluche entre dans la pièce pour actionner l’interrupteur général. L’obscurité se fait.

Illico, je plonge derrière le canapé. Trois salves étouffées par trois silencieux perforent le beau velours frappé, si luxueux. Quel gâchis. J’entends une effervescence (de térébenthine) plutôt sauvage. Ça grogne, ça cogne, ça hurie, ça geint, ça vagit, ça vaginal.

La lumière revient, comme l’aurore aux doigts d’or après la nuit la plus épaisse.

Béru mate le résultat de son intervention d’un air jubilateur. Il a un grand bon rire franc et massif.

— ’reus’ment qu’ j’t’ai vu sauter l’mur de la gonzesse. J’ai voulu v’nir m’ placarder chez elle. J’sonne d’un ton fripon. Ell’ vient délourder et m’chique qu’a personne. Moi, j’entends ta voix. Je pige. Je lu cloque une manchette bulgare. Je rerécoute. J’éteins. Je…

Il a un geste circulaire pour me désigner les trois mitrailleurs qu’il vient d’estourbir à coups de chaise (celle-ci étant en cuivre ouvragé).

— Tu es le porc du salut, Gros, le félicité-je. Tu fais toujours dans mes bouquins une intervention exemplaire dans une phase critique.

C’est devenu une habitude dont il va bien falloir priver mes lecteurs un jour ou l’autre si je veux éviter qu’ils finissent par écrire nos aventures à ma place.

— Ce qu’il y a de chouette, ici, c’est que les rideaux abondent, Alexandre-Benoît. Qui dit rideaux, dit cordelière (des Andes). On va pouvoir ligoter ces messieurs et la dame.

— Gi ! répond l’Enveloppé.

Quinze minutes plus tard…

La chambre de ma ravissante tombeuse.

Je ne lui ai entravé que les poignets après lui avoir fait lever les bras.

On ne peut ligoter les chevilles d’une dame à laquelle on se propose de faire l’amour, ce serait absurde.

Or, je le lui fais, car j’appartiens à ce genre de mâle qui ne supporte pas les coups rentrés. C’est une simple question de principe. Et t’auras beau dire, l’artiste, mais sans principes, on a vite fait de déjanter. Moi, le soi-disant anar, je te le déclare bien carrément, histoire d’accroître ta perplexité.

La besogne donc, avec panache, mais sobrement, le temps m’étant compté, et ayant la vie de milliers de gens à préserver, ce qui justifie un coït écourté (je ne dis pas bâclé, je ne saurais pas faire).

Ses jambes restant à libre disposition, elle prend son pied. Bravo ! Merci. Tandis que, dans la pièce voisine, Bérurier fait le ménage. Ma mission cupidone accomplie, je l’embrasse, lui explique que tarabusté par les faits, je suis contraint de réserver mon grand jeu pour une date ultérieure et intra-utérine.

Tu viens ? J’ai deux mots à dire et trois à demander à nos beaux bruns.

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