Et Pomponnette est laguche, sémillante, mistifrisée, rieuse, son cador de chiasse sur son bras potelé pavoisé par Van Cleef (sous le paillasson), Cartier, Machinchouette, tous les vaillants marchands de jonc de la 5e Avenue.
Sa frime est pochée comme des œufs en meurette, biscotte les effets retard de la drogue. Elle s’en est morflé pour un paquet d’heures, la mère, sans escale pipi.
Elle est very surprise de m’asperger icigo.
— Oh ! si je m’attendais ! Je venais juste donner un petit bonjour à Walti. Figurez-vous que je me suis endormie dans mon fauteuil, hier, en regardant la télévision, pour me réveiller il y a une heure à peine.
— Entrez, entrez ! lui dis-je, plus on est de fous, plus on rit.
Elle me précède jusqu’au livinge, salue la compagnie. Bérurier se met à loucher d’autor sur les bras de la dadame dont certaines crevardes se feraient de belles cuisses appétissantes.
— Ce toutou est amour, il dit, en avançant la main vers Azor qui, crouic, lui gloupe la paluche.
Une rangée de perles rouges frange la délicate menotte à Messire qui se rembrunit.
— Pas très social, vot’ vermine, chère maâme. Faudrait pas qu’il viendrait me chercher, autrement sinon, j’en fais une grosse tache su’ l’mur, c’qui serait dommage vu qu’il est blanc, c’mur.
La survenue inopinée de la vieille pineuse nous découd l’ambiance. Pile au moment qu’on allait se bricoler un nouveau petit Yalta, les trois, vite fait sur le gaz. Les intempestifs, c’est une pure diarrhée, moi je prétends. Les non-souhaités qui te choient sur le râble au moment où tu as école, on devrait les flanquer par la fenêtre, à condition d’habiter au moins le deuxième étage.
Mme Kaufmann se met à glousser, pire que la duchesse de Gloucester, comme quoi un valet, en lui apportant son breakfast lui a raconté elle ne sait quelle histoire de corne-diable à propos d’un météore jailli de la mer. Elle voulait savoir ce qu’en pensait Walti.
Le Noir répond en souriant qu’il va se renseigner et décroche son bavard. Il compose un numéro à toute volée. Le chien-chien continue de mater Béru à travers ses poils, d’un œil qu’on pressent salement hostile.
— Oh ! Seigneur, j’ai oublié de ranger mes bijoux ! exclame la rombiasse. Vous me gardez mon petit chéri, je reviens de suite.
Elle pose le trésor hirsute sur un fauteuil en lui recommandant d’être sage et se trisse précipitamment.
Le gars Equal jacte à présent vigoureusement dans une langue que je ne connais pas, ce qui est rare, et qui doit être un dialecte hispano-lacté, plus ou moins créole avec des racines carrées portugo-azotées.
Je visionne Béru d’un œil anxieux.
— Il me vient une angoisse, lui dis-je.
— C’est p’t’être d’ordre digestif ? soumet le Boulimique.
Au lieu de répondre, j’enquille le canon du pétard dans mon futal, gardant la main sur la crosse gaufrée, prêt à tout et principalement au reste.
Il est de ces instants d’alerte intense où votre chair grince comme l’essieu rouillé d’une vieille charrette surchargée, comme l’écrivait pas plus tard qu’au siècle dernier Mme Oursenoire de l’Académie française. J’en traverse un. Quel surprenant signal d’alarme retentit soudain en moi ? Déclenché par quoi ? Par qui ? Impossible de répondre à cette question. Je ne perds pas le Noir des yeux.
Bérurier se baisse pour ramasser une pièce de monnaie. Ses entrailles momentanément comprimées par le mouvement, le contraignent à s’affranchir d’un gaz en instance. Je demande grand pardon d’un tel détail auprès de mon public élégant et précieux, composé de vieilles seringues bêcheuses qui me bouquinent aux gogues, non sans m’avoir muni du préservatif d’un couvre-livre de cuir, afin de donner à ma couvrante un sérieux que mon texte n’a pas. Donc, je le précise pour ces gentes dames de haut lignage et de plafond bas, qu’Alexandre-Benoît Bérurier loufe, ou pète, ou encore en lâche un, mais un chouette, un terrible, un galvanisant, un qui affirme sa présence, qui montre ses prétentions, qui exprime la vigueur et l’infinie portée du canon qui le tira. Un énorme ! Long, avec des résonances qui n’en finissent pas, des échos rouleurs.
Et si je précise ainsi, alors que tant de beaux sentiments sont encore à dire, et que je saurais dire, c’est parce que ce vent fait marée, et qui fait marrer, a son mot à dire dans cette histoire peu commune, dont tu voudras bien taire à tes amis la fin que j’ignore encore. Oh ! que certes oui, il importe, le pet de Sa Majesté majestante et tonitruante du fondement. A preuve qu’en l’entendant, le mignard cador à chère Daisy se met dans une rogne inouïse. Le v’là qui saute de son fauteuil, court au Gros, se jette sur ses mollets qu’il attaque de ses quenottes aiguës. Ce travail, matelot ! Quelle minuscule et virulente fureur ! Un comprimé de férocité !
Surpris par cette attaque, messire l’Hénorme est un court instant déconcerté. Il agite sa jambe, mais le toutou ne parvient pas à décramponner, ses mignards crocs étant pris dans l’étoffe du futal. Bérurier tire des penalties imaginaires pour se défaire de l’agresseur. En vain. L’autre ronfle comme un rasoir électrique, tout petit chien mais gros frelon. Qu’en désespoir de cause, mon pote le biche par les pattes arrière, tire sec, arrachant des lambeaux de grimpant. Emporté par son élan, sa fureur et sa force, il propulse le yorkshire au loin. La boule de poils enrubannée valdingue dans les azurs en tournoyant, traverse la petite terrasse, passe par-dessus une énorme touffe de vétiliers opiacés à fleurs roses, franchit le ruisseau enchanteur, déboule sur la piscine au moment où un obèse se livre à des effets de graisse sur le plongeoir, sous lequel le clébard s’abat pile.
Et alors, ce qui succède fournirait la matière à douze romans chez un auteur constipé de la glande inventive. Non, mais écoute ça, Bazu. C’est formide, si tellement pas croyable que je te rends ta liberté de lecteur et que, libre à toi de m’ajouter foi ou non. Le chien-chien à Daisy se transforme en typhon. Il explose, se volatilise, engendre un geyser, anéantit le plongeoir, sectionne en deux ou trois quartiers qui ne sont pas de noblesse l’obèse plongeur. Un crash fantastique. Les vitres ruissellent sur les façades, comme les larmes sur celle d’une veuve du jour. Nous en avons les tympans commotionnés. On se visionne sans se voir. On hébète, on a l’air bête, l’herbette. Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Hein ? Allô ! Ne coupez pas ! L’heure qu’il est ? Je ne sais pas, j’ai pas de chaussette. Et vous disiez, monsieur le curé ?
Comme toujours, ça hurle alentour. On fuit d’abord, pour rappliquer ensuite ; car les hommes se comportent comme leurs ancêtres les poissons.
Le premier, le Noir résume la situation.
— Je ne me doutais pas qu’un jour, un pet me sauverait la vie, dit-il.
— Le cador était piégé, hein ? grumeloche l’Enflure.
— Si on allait discuter avec la mère Kaufmann ? suggéré-je.
Ainsi, en trois répliques, avons-nous fait le tour de la situation et arrêté les mesures qui s’imposent.
Elle dévale son escadrin fleuri de plantes escaladantes lorsque nous nous pointons, surexcitée en diablesse.
— Vous avez entendu, elle effare, ce terrible bruit ?
Je note que notre présence ne paraît pas la surprendre. Et pourtant nous devrions être archimorts, pour répondre à ses desseins.
— Oui, lui dis-je, nous avons entendu, chère madame. Je pense que toute la population d’un hôpital bourré de sourds-muets aurait entendu aussi. Remontons chez vous, si vous le voulez bien.
— Et mon petit bébé, où est-il ? a-t-elle le front de demander.
— S’il existe un paradis des chiens, il se trouve assis à la droite du Grand Maître, promets-je.
— Vous voulez dire qu’il est… qu’il est…
— Pas de crise de nerfs dans l’escalier, c’est trop inconfortable, je déclare en lui bichant un bayonne pour la refouler en direction de son étage.
Elle est anéantie, blafarde sous ses peintures d’apparat. Ne pipe pas une broque.
— Vous êtes une fameuse petite farceuse, la mère, je soupire. Nous confier un toutou piégé, voilà qui n’est pas charitable. Si la Providence n’avait pas fait jouer la clause « Protection in extremis » prévue à l’article 12, nous serions transformés en hamburger-sauce Ketchup.
Elle secoue ses frisettes.
— Je ne comprends rien à ce que vous dites. Mon petit bébé ! Oh !.. Oh ! mon petit bébé…
Et ses larmes redoublent de coulance, s’épaississant dans les frais labours de son maquillage.
Pleure, pleure ! maîtresse infortunée !
Bérurier qui s’en ressent toujours pour les gravosses sur le retour, me glisse à l’oreille :
— Et si qu’aurait gourance, mec ?
Mondain, il s’informe :
— Excusez-moi si j’vous demande pardon, petite maâme, auriez-vous-t-il confié vot’ clébard à quéqu’un avant d’viendre nous voir ?
Dame Kaufmann démêle tant bien que mal le questionnaire et déclare :
— Je l’ai mis out un moment pour qu’il aille faire ses besoins, yes, pourquoâ ?
Le Rutilant exulte :
— Cherchez pas plus loin l’esplicance : un farceur lu a bricolé le collier.
— Bien sûr, fais-je, un type d’une grande malignité qui prévoyait la sortie du toutou, possédait une charge explosive miniaturisée, et se doutait que mémère allait nous rendre visite !
— Qui t’dit que c’est nous qu’on visait, l’artiss ?
— La vioque se pointe et nous laisse son Médor sous un prétexte tire-bouchonneux un instant avant qu’il saute ! Non mais t’as trop lu de B.D. infantiles, Gros, t’arrives à saturation !
Il renaude :
— Moi, j’lu donnerais l’Bon Dieu sans confection, c’est au pif qu’ j’juge les gens.
— Le tien est trop gros, des petits fripons peuvent s’y glisser en resquille.
Tandis que nous jactons et que pleurache l’Américaine, le gars Equal bricole le bigophone. Je pige qu’il s’occupe de relever le compteur, ce qui est un aveu implicite de ses basses œuvres. Il y a un moment, il m’affirmait avec impudence ne rien savoir de la chose dont j’avais été le témoin oculaire. Il œuvre avec dextérité. Ses gestes révèlent le technicien entraîné.
Bérurier se fait tendre avec Daisy. Elle l’inspire de plus en plus et il lui masse les mamelons de très affectueuse manière.
— Quand est-ce qu’on a des loloches aussi vaillants, on va pas chialer sur un chien, ma poule ! J’vous en offrirai un beau qu’on ira choisir au fournil d’la S.P.A., pas une crevure à cheveux longs comme çui qui vient d’sauter, mais un tout vrai cador plein d’bons yeux fidèles, av’c une chopine de terrassier sous l’ventre, quoi merde !
Il ponctue sa promesse d’un baiser goulu. La bouche poisseuse, il se la torchonne d’un coup de manche.
— Faudra vous décamoter un brin l’clapoir si vous v’lez qu’on fasse plus z’ample connaissance, chérie.
« Et pis pas vous parfumer à la lance d’incendie av’c un parfum à la gomme qui pique les naseaux du brave. J’sais pas ce dont vous avez, les dames, à vous recouvrir l’odeur naturelle pourtant si délicate. Moi, j’serais pour qu’on créassasse des contre-parfums. Que ça change, bordel ! Sana, toi qui fais si bien semblant d’êt’ intelligent d’partout, que croives-tu d’mon idée ? Les anti-parfums ? T’imagines ? Dégueuli de Lancôme, Vinasse de Rochas, Gros pet de Lanvin, Renvoi d’nougat, de Molyneux. Tu parilles qu’ ça boumerait ? »
Sa dextre est maintenant logée sous la robe de Daisy et il lui fourrage la cressonnière comme s’il y avait égaré son dentier.
— Pleure plus, la grosse, ça va t’faire des châsses comm’ des f’nêt’ gothiques. Tu veux qu’on passe dans ta chambre, qu’ j’te console en plein ? Un brin d’tendresse, au débotté, quand un julot trémousse du braque, c’est pas négligeable. T’as maté mes préludances ? Vise un peu la manière qu’Bouboule s’agite dans sa case ! Sans t’commander, fais-y-lui un’ p’tite bienvenue d’la main, y a rien qui l’mett’ mieux en joye ! Deux, trois tapes affectueuses et il est tout follingue ! Ça aime les flatteries, ces grosses bébêtes !
« Ah ! ah ! t’es surprise par l’gabarit du perchoir, non ? Tu croilliais pas à du goume d’c’t’importance ! Tu t’dis qu’av’c un mandrin carrossé MacCormick et un pot d’vaseline d’à toute fin utile, ton ouiquinde s’rait assuré, non ? Allez, amène tes brancards, Lolotte, j’t’promets qu’dans moins d’pas longtemps, ton toutou joli, tu t’souviendras même plus qu’il a eguesisté. »
Et, péremptoire, sûr de lui, Gradube emporte sa conquête dans la chambre contiguë.
Walter Equal, qui termine le défurinage de son bivalveur latéral mince, compucte l’inflateur convexe de l’appareil et le porte à son oreille. Il écoute, écoute, l’œil fixe, ses lèvres sombres entrouvertes sur les plus belles dents blanches qui se puissent écarter pour libérer une haleine fraîchouillarde.
— C’est beau ? lui demandé-je.
— Just a minute, please, rétorque le Noir.
Qu’à le voir, si tendu et recueilli, tu croirais qu’il écoute jouer du Mozart dans la chapelle Seventine.
Son audition dure une bonne minute d’environ soixante-deux secondes, puis il tactoche l’empahuteur et me tend l’objet.
— Très intéressant, dit-il.
Premier geste coopératif de sa part. J’apprécie.
Le goumigneur a enregistré une communication téléphonique :
« — Ah ! bon, vous êtes là ! fait en anglais d’Amérique une voix pressée, masculine. Nos deux amis ont eu un très grave accident : ils sont morts. »
« — Mon Dieu ! s’exclame pieusement chère Daisy. »
« — Comme un malheur n’arrive jamais seul, ce que vous savez a disparu. »
« — Oh ! non ! »
« — Avez-vous agi, de votre côté ? »
« — A l’instant. »
« — Alors adoptez la solution “s”, mais faites vite, car vous devinez ce qu’il peut se produire ! »
Fin de l’émission.
Le camarade Equal me défrime à travers le miroitement de ses besicles. Son sourire Colgate s’accentue.
— Vous ne trouvez pas que cela devient palpitant ? il me demande.
— On devrait l’écrire et le vendre à la Columbia, renchéris-je.
Notre confortable dialogue est interrompu par un chant superbe, gras et ample, en provenance de la chambre. Il fait vibrer les cendriers sur la table de verre et s’égosiller les piafs d’alentour, gagnés par l’émulation.
Un soir, tout vibrant d’espoir
Avec mes millions, j’allais pouvoir
Séduire celle qui pour toujours
M’avait refusé son amour…
Je reconnais les paroles approximatives des Millions d’Arlequin, rengaine d’avant les guerres, ayant trouvé refuge dans l’âme-musée du Gros.
— C’est quoi, cet effroyable type ? demande Walti.
— Mon adjoint, l’officier de police Bérurier, présenté-je ; un homme très bien sous tous les rapports, bien qu’il ne change de tricot de corps que deux fois l’an et qu’il porte des chaussettes noires afin qu’on ne puisse voir quand elles sont trouées.
— Donc, vous êtes de la police française ?
— Commissaire San-Antonio. Et vous ?
— Moi, j’appartiens à la C.I.A. ; je m’occupe de la branche « Fox ».
— Ne s’agit-il pas de la police interne de la C.I.A. ?
— Exact.
— Vous enquêtez sur vos propres effectifs ?
— Toujours exact. Plus nos hommes sont efficaces, plus nous les surveillons de près, en vertu du fait qu’il existe des pyromanes chez les pompiers.
— En somme vous ne laissez pas vos pompiers jouer avec des allumettes ?
— Voilà.
Un silence, très relatif, car Bérurier continue de donner l’aubade à la grosse ; il chante faux, mais comme il chante fort, on s’en aperçoit moins.
Il entonne à présent Le cœur est un grelot. Ses prestations vocales me déconcertent quelque peu car je m’attendais à une autre tyrolienne de sa part lorsqu’il a entraîné chère Daisy vers sa couche de volupté.
— Kaufmann aussi appartenait à la C.I.A. ? reprends-je.
— Pourquoi dites-vous qu’il « appartenait » ?
— Parce que votre honorable maison n’emploie pas les morts, que je sache.
Walter Equal bondit.
— Vous prétendez qu’il…
— J’ai moi-même découvert son corps au fond de sa bagnole, sur l’avenue George-V, à Paris.
Mon pote bougne ôte ses lunettes pour les essuyer, comme si elles étaient brouillées par des larmes.
— Bon Dieu de bois, je flairais un truc de ce genre !
— Dites donc, fais-je, j’ai abattu mes brèmes le premier, vous pourriez étaler les vôtres. En prenant les atouts de chaque jeu, on devrait gagner la partie, non ?
— Kaufmann est mon boss, enfin était. C’est lui qui a levé le cas Sliffer et qui a voulu prendre les choses en main.
— Pourquoi vous attachiez-vous à la surveillance de sa bonne femme, s’il était votre patron, Walti ?
— Parce que j’avais des doutes au sujet de Daisy. J’ai bien essayé de les exprimer, en haut lieu, mais on m’a envoyé sur les roses, plutôt mochement. Alors je me suis mis en disponibilité afin de m’occuper d’elle.
— Vous la connaissiez ?
— Je ne l’avais jamais vue avant d’arriver à Marbella.
— Ces fameux doutes, ils sont de quelle nature ?
— Un petit prêteur sur gages de Brooklyn qui servait de boîte aux lettres à un réseau étranger, m’a confié différentes choses intéressantes avant de crever des quatre balles de 9 que je venais de lui grouper dans les tripes. Il ne se croyait pas foutu et tentait encore de se ménager un avenir potable. Parmi ses confidences, figurait celle-ci : « Une “taupe” se trouve parmi vous, il s’agit de l’épouse d’un haut fonctionnaire, tout ce que je peux vous dire à son sujet, c’est qu’elle est d’origine hongroise par sa mère. » Là-dessus, il a rendu l’âme. J’ai fait ma petite enquête : Daisy Kaufmann est d’origine hongroise par sa mère. Sympa, non ?
— Et vos chefs n’ont pas voulu vous croire ?
— Ils la jugent trop conne pour être autre chose qu’une conne, vous voyez le topo ? Ils se sont tout de même livrés à une enquête à son propos, qui n’a absolument rien donné. Et comme je m’acharnais, on m’a fait comprendre que mon obstination n’était pas appréciée. Rien de plus borné qu’une administration.
La porte de la piaule s’ouvre et un Béru hilare, très simplement vêtu de sa chemise et de ses chaussettes se montre, les pommettes rubescentes, l’œil en lanterne japonaise. Sa merveilleuse zézette pend comme le tuyau débranché d’une colonne à essence.
Adieu, je pars et dans mon cœur j’emporterai
Le souvenir de tes grands yeux et leur secret
brame ce phénomène phénoménal qui, à mon sens, est plus que tout autre hors du commun.
Il se tait pour bâiller.
— Vous mangeriez-t-il pas une choucroute ? demande ensuite Sa Majesté. J’ai les crochets.
Au lieu de prendre en considération cette invite, je le refoule dans la chambre. Elle est vide.
— Où est la vieille ? lui demandé-je vivement.
— Elle fait ses p’tites ablations intimes dans la salle de bains.
Et moi, de m’y ruer.
Mais tu sais bien déjà que la chère Daisy ne s’y trouve plus, l’odieuse garce ! Elle s’est cassée par la porte-fenêtre ouvrant sur la terrasse, après avoir vaporisé un léger gaz décontractant dans les narines du Gravos. Il me le confirme d’ailleurs en se marrant.
Je cours sur la terrasse.
Elle n’eut à l’enjamber nulle peine, puisqu’elle s’achève contre une butte fleurie.
— On l’a dans le fion, Walti ! crié-je au copain de la C.I.A.
A mon tour de franchir la balustrade, d’escalader le tertre où des plantes meurtries attestent du passage de Mme Kaufmann. J’atteins un sentier réservé aux jardiniers, lequel plonge entre deux grappes de maisons en direction du chemin principal.
Une fille fabuleuse se prend un bain de soleil sur un muret. Un gabarit hors série, genre mannequin, carrossé déesse. Tout ce qu’il faut pour passer un week-end de rêve loin des emmerdes quotidiennes.
Elle écoute la radio. Française. La meilleure après beaucoup d’autres et avant beaucoup d’autres. Mes potes (car tous les journalistes de radio, qu’elle soit périphérique ou péripatéticienne, sont mes amis) racontent en grande surexcitation l’affaire de Marbella : cet engin non identifié jailli de la mer et qui est allé droit comme un dard dans les zéniths. Des gonziers de la Nasa l’ont repéré à l’aplomb des îles du Cap-Vert, en plein Atlantique ; il paraissait amorcer sa descente. Selon les estimations de sources thermales bien informées, l’on estime qu’il a dû plonger dans la flotte au niveau de l’équateur, à moins de pas beaucoup des côtes brésiliennes.
J’interplume la fille :
— Pardonnez-moi, mademoiselle, auriez-vous vu passer très récemment une grosse dame d’un peu plus d’un demi-siècle, loquée à l’américaine et fardée de même ?
La nymphe aux formes plaisantes se soulève sur les coudes, ce qui donne à pendre à ses mamelles incommensurables.
— La bonne femme qui courait en murmurant des my God, my God !
— Ainsi vous l’avez vue ?
— Elle remuait son gros derrière comme si on y avait bouté le feu, plaisante la généreuse damnatrice en me scrapulant d’un regard vert, intéressé, proposeur et languissant qui file une petite décharge de 220 volts dans mon testicule gauche.
— De quel côté s’est-elle dirigée ?
— En direction de la mer.
« Tiens, me fais-je en aparté, j’aurais cru le contraire. »
Je l’imaginais en fuite, la gravosse, se sachant démasquée, or, au lieu d’aller côté route, elle s’est trissée côté plage, ce qui paraît guère favoriser un sauve-qui-peut.
La fille me darde de ses deux gouttes d’émeraude.
— Elle vous a chipé votre montre, ou quoi, cette bonne femme pour que vous lui galopiez aux fesses ?
— Elle a mon ticket de cabine.
— Vous pensez revenir dans les parages après que vous l’aurez retrouvée ?
— Ça entre dans mes perspectives d’avenir, oui, pourquoi ?
— Parce que je suis seule, que je m’ennuie et que votre physionomie me donne à penser que vous pourriez très bien dissiper ces deux inconvénients.
Je m’approche du muret crépi sur lequel elle a étalé une très jolie serviette de plage que ça représente un perroquet en train de faire le cacatoès sur une branche de palétuvier rose.
— Je serai du vôtre dans moins d’une heure, promets-je, mais faites un geste pour moi : enlevez l’ambre solaire dont vous avez oint votre hémisphère sud, surtout dans la région sacrée du pubis, c’est un goût qui me perturbe les glandes salivaires.
Là-dessus, je lui roule une pelle sans reproche, à vitesse réglable, manière de verser des arrhes, voire même des hectarrhes.
Elle apprécie, me dit qu’elle se nomme Sylvie Masure et je reprends ma course.
La plage fait le plein, si tu veux bien m’autoriser cette expression. La grande foule veut voir à l’œuvre ceux qui ne savent que faire, mais qui le font en ayant l’air de savoir ce qu’ils font : savants, flics, pompiers (ils ne vont pourtant pas vider la mer), militaires, officiels, Jean Passe et Démayeur (deux touristes français qui lisent les bouquins d’Albert Ducrocq), l’abbé Désange (un radiesthésiste éminent et proéminent), des journalistes d’ici, des journalistes de Paris, des journalistes d’Ici-Paris, le cardinal primate d’Espagne, des agents immobiliers, des agents de police, des marchands d’huile avariée, des marchands de cercueils pliants (très pratiques pour le camping), des marchands de glace, de pommes au sucre, de ballons rouges, des photographes qui préparent la carte postale illustrant les lieux du prodige, des gars du contre-espionnage, d’autres de la Contrescarpe, des escarpes, des membres des services secrets de l’Oignon soviétique, d’autres des États-Unis d’Amérique, et puis, bien sûr, des vieux de l’Intelligence Service en congé de roman Graham Greene, et jusqu’à un chef du Deuxième Bureau français qui pêchait à la ligne non loin.
En découvrant ce trèpe, je me dis que le calcul à Mémère est très astucieux : fondue dans la populace, elle se trouve à l’abri. Et elle pourra s’éloigner dans le flot, lorsque celui-ci aura faim, sera fatigué ou aura besoin de déféquer.
Et moi, pauvre de moi, courbant plus bas ma tête… Où aller ? Que faire ? Qu’espérer ? Qu’aspirine ? Qu’asperge ? La retrouver au milieu de ces deux mille six cent quatre-vingt-huit personnes et demie ? La chercher est impossible dans cette masse compacte qui s’autobroie, se malaxe, jacte, demande, répond, va, vient, jette la graine au loin, rouvre sa main et recommence… On regarde le ciel, la mer, la paire. Des messieurs frottent leur gentil pénis sur les compatissants cuculs des dadames pour éviter la débandade. Des gosses appellent leurs petites momans, lesquelles ont la main coincée dans les fermetures Éclair des braguettes béantes. Une flottille d’embarcations sonde la divine Méditerranée, notre mère à tous.
Et cela continue d’arriver. Les gens ruissellent sur la plage, venant de l’intérieur des terres arides, coiffées de ces blancs rochers dont on fait celui de Gibraltar.
Alors quoi ? Alors what ? Alors was ? Alors qué ? Alors che ? Hmm ? Il devient quoi t’est-ce, l’Antonio, au mitan de ce bohu, de ce tohu ? Il retourne calcer la petite lézarde aux yeux verts qui lui a fait cette invite, il y a un instant ? Va rejoindre le Gros Béru pour boire à sa santé ? Court reprendre la discussion avec ce demi-confrère en demi-solde de Walter Equal ?
Des oiseaux blancs passent très haut dans les nues en battant l’air pur de leurs ailes molles.
Me font repenser à cette foutue cage vide qui se promène dans mon histoire comme une lanterne de procession éteinte. Elle est sans aucun doute pourvue d’un double fond, comme toutes les cages à oiseaux d’ailleurs. Et entre les deux petits planchers, il y a quoi donc, baronne ? Des documents très secrets, de la drogue ? Dans cette seconde hypothèse, elle n’en recèlerait pas beaucoup. Que me voulait donc la señora Kasompez Consigno ? Peut-être sera-t-elle en mesure de me le révéler si elle s’arrache du coma éthylique où l’ont plongée mes deux garnements.
Tous ces bipèdes agglutinés me flanquent la nausée. Y a pas pire qu’une foule d’hommes, tu sais, si ce n’est un homme seul, parfois.
Soudain, la rumeur de la foule est couverte par un gigantesque bruit de moteur et deux gros hélicoptères se pointent pour explorer le fond marin depuis en haut, car tu n’ignores pas combien la perspective plongeante est privilégiée par rapport à la blennorragie par exemple qui n’en comporte pas.
Les deux appareils verdâtres, aux cocardes de la vaillante Espagne, flanquent un vent (avec leurs pales) de panique dans l’assistance. Tout individu survolé par un hélicoptère, reçoit de cet hélicoptère, une poussée de trouille de haut en bas égale au poids de la chiasse déplacée et je te parie ce que tu m’as montré l’autre jour contre ce que tu sais, qu’on ne peut rester impavide avec un tel moucheron au-dessus de la tronche, surtout quand ledit vole à basse altitude. Et voilà donc la foule qui s’accroupit. Moi, l’Antonio, habitué à ce genre de cerveau-lent (que certains écrivent cerf-volant, mais ça les regarde, chacun baise la femme du voisin comme il l’entend, hein ?) je reste de marbre.
Et c’est la seconde miraculeuse. Le cadeau de la Providence. La super-prime. Ma chance de flic. Car tout poulet la rencontre au moins une fois au cours d’une enquête, et c’est à lui de s’en saisir.
Voilà que ces dos brusquement voûtés me découvrent l’horizon côté terre. Et du fait, devine ce que j’aperçois ? Sur le perron d’une somptueuse villa blanche, la mère Kaufmann. Oh ! c’est fugace. Elle ne fait que la traverser rapidos, accueillie par un grand diable blond habillé de bleu ; et elle disparaît dans la demeure. Pour du bol, c’est du pot, non ?
Je réfléchis un tantisoit, juste la moindre, me demandant si je donne l’assaut tout seul, ou bien si je m’assure le concours de Béru et du Noirpiot.
Je décide d’éviter les risques superflus (et reflux) pour ne pas compromettre l’opération. Aussi vitement qu’il m’est loisible, comme disait la marquise de Sévigné dans son ode aux Pieds-Nickelés, je retourne au Fuente enchanteur, marchant à contre-courant des curieux qui toujours foncent à la plage en espérant voir quelque chose, n’importe quoi, ne serait-ce que d’autres cons venus pour regarder aussi.
La sublime aux yeux verts est toujours alanguie, mais sur le dos cette fois.
— Vous n’avez pas été trop long, complimente-t-elle.
— Parce que je n’ai pas terminé, lui dis-je en lui octroyant sous forme de baiser prolongé un nouveau gage de ma sympathie. Ne vous impatientez pas, surtout, et laissez le soleil commencer ce que je terminerai à l’ombre tout à l’heure.
Et puis poum ! je continue ma petite bonbonne d’échevin (Dans les expressions toutes faites, seules importent la cadence et l’intonation).
L’appartement à Mémère est mis à sac par Equal. Il fouille tout avec une rare maîtrise, mais il n’y a rien à trouver. Le Gros se fout gentiment de sa poire, tout en lichetrognant le bourbon de chère Daisy.
Il dit :
— J’sens qu’tu brûles ! Vas-y, Blanche-Neige ! Moui ! Passe ton doigt dans la rainure ! Quoi ? Just’ d’la poussière ? Cherche encore, Médor ! T’faudrait un compteur Gégène, hein, mon grand ?
L’autre ne répond pas. Il palpe, sonde, toque, écoute, enfile une longue aiguille, dévisse…
— Repos ! lui intimé-je, va falloir mouler les sherlockonneries pour jouer « Le Commando attaque à l’aube ». J’ai repéré la vieille. Tout l’monde sur le pied de guerre. On rassemble l’artillerie légère et on donne l’assaut !
Trois phrases concises, et même circoncises, afin de leur résumer la situasse, et nous nous lançons courageusement dans l’héroïque aventure.