CHAPITRE XVII

Une fois de plus son avion atterrissait dans l’île d’Atka et le même chauffeur noir l’attendait en lisant des illustrés.

— Bonjour sir. Le commodore Shelby vous attend dans son bureau.

Le grand gaillard paraissait même surexcité et il se précipita vers l’agent secret.

— Vous savez la nouvelle. Je n’ai pas voulu que vous manquiez ça. Le révérend Harry Bergen vient de rentrer du continent. Il avait pris quinze jours de vacances. Curieuse coïncidence hein ?

— En effet, dit Kovask en s’installant, une cigarette aux lèvres.

Le commodore avait rejoint son poste depuis quatre jours et Kovask avait assisté au dépouillement des archives de Pheng-Ho ; chose étrange il n’avait relevé nulle part le nom de l’assassin de Gann et d’Herman. Il n’avait pas eu la patience d’attendre que tous les papiers soient épluchés, et lorsque le commodore Shelby lui avait demandé de revenir il s’était hâté de s’envoler vers les Aléoutiennes.

— Sous différents prétextes je me suis arrangé pour qu’il ne prenne pas l’avion pour Kena. Il attend depuis deux jours et doit commencer à se poser des questions.

— Michael est là ? demanda Kovask.

— Bien sûr. Pas du tout furieux de son renvoi. C’est un garçon qui s’adapte à toutes les situations.

— Je le crois volontiers, dit Kovask. Me permettez-vous de donner un coup de fil ? Au Marines Center ?

Shelby lui désigna l’appareil, écouta la conversation avec stupéfaction.

— Voulez-vous dire, murmura-t-il lorsque Kovask reposa le combiné, qu’il serait ? …

On vint l’avertir que le révérend Bergen demandait à être reçu. Très digne, le pasteur entra dans le bureau, les salua sèchement.

— Commodore je ne comprends pas pourquoi je ne puis embarquer pour ma paroisse. Le plafond est très haut ce matin, et il n’y a aucun empêchement technique à ce que je quitte cette île. On m’a refusé l’accès de l’appareil commercial sous des prétextes assez curieux.

— Je suis navré, dit le commodore.

Il l’était vraiment à la suite d’un coup de fil de Kovask. Je pense que d’ici midi je pourrai mettre un avion à votre disposition. Je voulais seulement vous poser une question sur ces quinze jours de vacances que voua venez de prendre.

Le révérend ne perdit pas son sang-froid.

— Je me suis rendu aux États-Unis, dans ma famille à Philadelphie. Mon frère cadet se mariait et j’ai profité de l’occasion pour demander un congé. Depuis cinq ans je n’en avais pas obtenu du diocèse.

Kovask quitta le bureau du commodore et alla téléphoner dans celui du secrétaire. Il obtint facilement le lieutenant Renhold chef du service météo.

— Bien, dit ce dernier, je vous l’envoie.

Le révérend sortait, toujours aussi compassé, du bureau du commodore et le salua gravement.

— J’ai appris le malheur arrivé à ce pauvre Gann. Avez-vous des nouvelles de sa femme ?

— Elle se remet difficilement, dit Kovask. Je crois cependant qu’elle a l’intention de revenir à Kena plus tard.

Le pasteur resta silencieux.

— Elle veut devenir institutrice à son tour, m’a-t-on dit. C’est une femme très courageuse.

— Oui. Je le crois, dit le révérend. J’avais cru qu’elle s’ennuyait dans cette ile. Je me suis gravement trompé.

Il s’éloigna sur un dernier salut avec ses pensées secrètes. Michael arriva dix minutes plus tard, toujours aussi décontracté.

— Tiens, bonjour sir. De nouveau ici ? Kovask alla fermer la porte et passant auprès de lui l’immobilisa d’une prise rapide.

— Mais, que vous prend-il ?

Il le fouilla, trouva un petit calibre dans sa poche et un couteau de jet dans sa poche intérieure.

— Voilà l’arme qui a tué Herman et Gann. Il repoussa l’enseigne jusqu’à son fauteuil.

— Je me doutais de quelque chose depuis plusieurs jours. Si je fais un rappel de vos attitudes et des paroles prononcées par vous, on arrivera à vous confondre.

Michael secouait la tête.

— Vous devenez complètement fou ou quoi ?

— Vous avez commencé avec le fameux film aqueux. Vous nous preniez pour des imbéciles dans cette explication. Mais ensuite vous avez voulu vous faufiler dans le jeu, et vous nous avez gratifié d’informations un peu sensationnelles comme celle des bulletins-météo, en provenance de la base russe de Kultbaza. Vous avez demandé au Commodore de faire partie de l’O.N.I, et ce dernier qui avait un faible pour vous n’a rien fait de mieux que de vous coller à mes trousses comme adjoint.

Shelby rougit mais ne dit rien.

— J’avais l’impression que vous me portiez la poisse, mais en fait vous sabotiez mon travail dans mon dos. Par exemple j’ai eu le tort de vous envoyer participer à la capture d’Herman. Vous l’avez liquidé en route et puis quand nous avons rencontré Gann dans l’appartement du veilleur de nuit, vous avez essayé de l’accuser de ce crime en lui demandant ce qu’il faisait aux alentours de dix heures. Vous étiez également seul quand vous avez rencontré Gann une fois qu’il s’était embauché à la W.T.C. Il vous a alors fait part de la découverte de la vieille voie ferrée conduisant jusqu’à l’entrepôt Matson, parmi les hautes herbes. Vous avez essayé ensuite de ficher le feu à la fosse où il se trouvait. Vous souvenez-vous ? Je vous ai arraché votre cigarette des lèvres. Entre-temps vous aviez maquillé le transformateur pour laisser croire qu’il avait pu filer par là.

Michael gardait toujours son air indifférent, mais Kovask le connaissait trop pour être dupe. Le garçon jouait son rôle avec difficulté.

— Devant le cadavre de votre victime vous avez eu une sorte de remords, je vous observais alors. Vous étiez drôlement mal en point et vous avez même vomi.

— Qui ne l’aurait pas fait ? Je ne suis, pas arrivé à votre point d’insensibilité.

— Admettons. À Sacramento dans le bureau de Maner, alias Herman, vous avez essayé de subtiliser le mégot de cigarillo. Enfin, vous êtes un as pour lancer un couteau à vingt mètres. Le sergent-chef qui s’occupe de cette partie au Marines Center me l’a confirmé. Vous travailliez pour les Chinois parce qu’ils vous payaient. C’est pourquoi ils ont pu débarquer dans les Aléoutiennes. Vous avez été leur complice. Nous allons enquêter sur vos activités durant ces fameuses nuits, éplucher votre emploi du temps. Vous avez dû vous introduire chez les radaristes. Avec votre culot, vos habitudes de pique-assiette et votre faconde voua les aviez tous dans votre poche.

Michael ne disait plus rien. Son sourire n’était plus qu’un rictus.

— Je vous ferai parler, dit Shelby entre ses dents. Même si je dois vous en faire crever.

Il capitula plus tôt qu’ils ne s’y attendaient.

— Laissez-moi. Je vais tout vous dire. J’ai été contacté à Anapolis. J’avais besoin d’argent et un type m’en avait prêté. Des grosses sommes …

L’histoire banale, écœurante. Combien de fois Kovask l’avait-il entendue ? D’autres cadets de l’Académie Navale avaient-ils été contactés également ? Il faudrait une longue enquête de ce côté-là également.

Shelby lui aussi était dégoûté. Il appela la N.P. et confia Michael aux quatre hommes qui arrivèrent au trot.

— Dégueulasse ! On croit finir à un endroit, mais on soulève une autre affaire. Une lutte perpétuelle. J’ai envie de prendre ma retraite et d’aller pêcher la truite. Les civils vivent dans l’illusion en s’imaginant que l’arrestation d’un type résous tous les problèmes.

Kovask regardait le couteau de Michael.

— On le fera analyser. Il doit avoir retenu quelques traces de sang.

— Vous m’en voulez ? Sans Michael vous seriez allé plus vite.

Shelby paraissait confus et il le rassura.

— Ce genre de type croit toujours arriver à ses fins, mais vient un moment où ils commettent une erreur. Et puis il était bien jeune pour réussir jusqu’au bout.

— Vous restez longtemps ?

Kovask secoua la tête. Il pensait à Nelly, du Moose Club à Anchorage. Il avait envie de la revoir.

FIN
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