CHAPITRE VI

Le commodore fit signe au garçon et lui commanda le café.

— Mais ces types qui ont réussi à placer ces diffuseurs, qui étaient-ils ?

— Soi-disant des cinéastes voulant filmer les îles Aléoutiennes et les ruines des installations datant de la dernière guerre. Une équipe de cinq gars disposant d’un petit yacht, un fifty-fifty avec un diesel, ce qui leur permettait d’approcher le moindre îlot.

Il se tut à l’approche du serveur, mais reprit ensuite avec force :

— Il nous faut ces gars-là. Ces diffuseurs seront périmés d’ici la fin de l’été, et Washington veut savoir s’il s’agit d’un coup de bluff ou d’une affaire sérieuse. Sans le révérend nous n’aurions jamais rien su. En supposant que les Ivans veuillent nous impressionner, ils auraient été moins discrets.

— Maintenant, dit Kovask, la seule piste potable dépend de ce José Ladan. On ne voyage pas des semaines entières avec un collègue sans arriver à deviner ses habitudes … ou même à les partager.

Son chef approuva vivement.

— Complice hein ? Qu’avez-vous imaginé pour le confondre ?

— Un contrôle à la frontière par un fonctionnaire de l’I.C.C. Il fera semblant de reconnaître Ladan et lui annoncera la mort de Menis. Ensuite nous n’aurons plus qu’à prendre la piste. Car le camionneur sera certainement inquiet à la suite de cette déclaration et il essayera de voir quelqu’un.

Buvant son café à petites gorgées, le Commodore paraissait sceptique.

— Un peu long, non ?

— En brusquant les choses nous recommencerons comme avec Gann, dit Kovask avec agacement. Ce réseau se croit parfaitement à l’abri. Gann a réussi à nous glisser entre les mains, l’affaire des diffuseurs est culte pour eux mais ce sont les aléas du métier. Le réseau est intact pour recommencer autre chose. Rien de nouveau sur Gann ?

— Non. Nous surveillons les bateaux de pêche évidemment. Ça ne pourra durer indéfiniment. Gann était bien aimé de tout le monde et il y en a peu qui auraient refusé de l’aider. Il se peut qu’il soit à bord du bateau commandé par un Japonais.

— Ce pêcheur a quitté Kena ?

Shelby se versa une autre tasse de café et sortit sa bouffarde.

— Oui. Le lendemain de la fuite de Gann. Il pêche dans le golfe et on ne signale rien de particulier à son sujet. Il se peut également que l’instituteur soit toujours planqué à terre. Vous croyez qu’il a abattu ce Menis par accident et que le réseau inconnu le fait chanter ?

Kovask soupira. Il allait beaucoup plus loin dans ses suppositions mais n’osait les exposer à voix haute.

— Je ne sais pas. Les antécédents de ce Menis ne sont pas fameux.

— Justement, les autres ont pu l’utiliser comme bouc émissaire.

Le lieutenant-commander n’était pas convaincu.

— Ils l’ont envoyé avec un pistolet chargé ? Je suppose que Gann a tiré pour se défendre. Ensuite il a dû balancer le corps dans le Yukon en espérant qu’on ne le retrouverait jamais. C’est peut-être ce Menis qui le faisait chanter. Il a dû rejoindre le couple à Galena. Dans ces régions n’importe qui sait piloter, peut louer un avion et se poser en pleine nature sans attirer l’attention. Il est aussi possible que Menis ait eu des complices avec lui.

J’espère que José Ladan pourra nous renseigner là dessus.

Le sourcil droit du commodore se fronça et il eut un regard en coin pour son compagnon.

— N’auriez-vous pas une idée préconçue ?

Kovask se mit à rire.

— Si. Une impression plutôt. John Menis devait faire partie de ce réseau inconnu.

Une sorte d’armoire à glace se dirigeait vers eux.

— Un homme de Bassano, annonça Kovask.

Le policier lui remit une enveloppe et s’éloigna. Elle contenait une photographie de José Ladan. L’homme avait certainement du sang indien dans les veines. Son teint basané, son nez aquilin et ses pommettes saillantes l’indiquaient.

Il était trop tard pour montrer la photographie à Mrs Blatasky. La vieille dame devait se coucher de bonne heure.

— Évidemment si l’on se laisse impressionner par les physionomies de ces gaillards, ils ont bien le physique de l’emploi.

— Tous les réseaux d’espionnage et de sabotage commettent la même erreur d’embaucher des truands pour leur basse besogne. Il n’y a que leurs cadres qui sont judicieusement choisis parmi des gens insoupçonnables.

— Ouais, fit le commodore, mais les cloisonnements sont en général très étanchés.

Ce ne fut qu’au moment des alcools qu’il annonça d’une voix tranquille :

— À propos, vous souvenez-vous de cet enseigne de première classe nommé Michael ? Il a demandé sa mutation à l’O.N.I. avec l’accord de Washington et de votre patron Rice, il fera ses premières armes avec vous dans cette affaire. Vous donnerez à la fin votre appréciation sur lui.

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