Nous stagnons dans un petit tabac faisant face au logement de la môme Marion depuis une très jolie paire d’heures en nous demandant si cette attente n’est pas, à l’image de Charpini, dénuée de fondement quand j’aperçois la gosse qui sort de son immeuble. Un peu belle qu’elle est, Marion ! Un deux-pièces tango (avec alcôve) qui lui colle au corps. Un maquillage extrêmement réussi, des bas mandarine et des souliers italiens. Bref, de la personne qu’on regarde et dont le prix devient le vôtre.
— C’est elle ! soufflé-je à Bérurier.
— Pas sale, apprécie l’Infâme. Et tu t’es agrafé ce sujet à ton palmarès, San-A. ?
— Secret professionnel, rétorqué-je.
— Ton secret professionnel, tu peux te le mettre…
Il s’interrompt.
— Gaffe ; elle vient ici !
C’est exact. D’un pas léger, Marion traverse la chaussée et pique droit sur le tabac.
Je me lève et je prends la route des toilettes, because je ne tiens pas à ce qu’elle me repère.
Je plonge dans la cabine marquée « messieurs » (elle est au pluriel, bien qu’unique, ce qui me donne à réfléchir) et j’attends.
J’espère qu’elle est entrée pour acheter un timbre car je n’ai pas envie de mijoter dans cet endroit un peu trop clos. Je compte jusqu’à cent, puis jusqu’à deux cents, en souhaitant évidemment que la voie se dégage. De l’autre côté de la lourde, il y a un mangeur de melon qui rouscaille comme quoi c’est pas parce que je suis dans un lieu d’aisances que je dois prendre mes aises. De guerre lasse, je me hasarde out.
Le client grognon est déjà désagrafé, les pieds sur ses starting-blocks, soucieux d’éviter un faux départ. Moi, je regagne l’escalier et, ce faisant, je passe devant la cabine téléphonique ; un tressaillement en apercevant Marion à l’intérieur. Heureusement, elle me tourne le dos. Je stoppe tout à côté de la cabine et je tends une oreille avide. La môme parle d’un ton mesuré par un géomètre, mais ce qu’elle dit m’est audible car la porte de la cabine ferme mal, comme toutes les portes de cabines téléphoniques françaises.
— Je ne t’ai pas appelé de chez moi car Bijou a voulu rester pour faire la sieste. Quel crampon, çui-là ! Où est-ce qu’on se retrouve ?
Léger temps.
— Non, c’est trop loin. Je lui ai dit que j’allais chez le coiffeur, tel que je le connais il va téléphoner dans un moment pour voir si c’est vrai. Voyons-nous à la « Marquise de Sévigné ».
Autre temps (autre mœurs).
— Oui, j’y vais tout de suite, dépêche-toi.
San-Antonio n’attend pas la péroraison : il se trisse.
J’escalade l’escadrin quatre à trois (il n’y a que sept marches) et je me hâte vers la sortie. Au passage, je lâche au Gros :
— Elle va aller rejoindre quelqu’un, file le quelqu’un !
« On se retrouvera ici dans deux heures au plus.
D’un pas rapide je prends la direction des Champs-Élysées. J’agis d’instinct. Ma décision est prise : je vais profiter de mon avance pour aller à la Marquise. De cette façon, quand la gosse arrivera, elle ne pourra pas penser un seul instant que je l’ai suivie. Vous pigez ?
Peut-être ferais-je mieux de laisser agir le Gros, mais j’ai trop besoin de me dépenser. C’est physique, je vous dis.
Je traverse les Champs et je pénètre à la Marquise. Sans escale, j’atteins le salon de thé du premier et je choisis une petite table discrète tout au fond, dans une embrasure de fenêtre. Rien que du beau monde céans, messeigneurs ! De la rombière en face à main (ça existe encore) et à ruban autour du cou. Une merveille d’humanité. Ces dames papotent au subjonctif dans un français auprès duquel celui de Montaigne ressemble à du patois dauphinois.
Une accorte serveuse s’enquiert de mes desiderata. Comme je suis dans un salon de thé, je commande un thé. Me reste plus qu’à attendre la suite du contingent.
Et il radine, le contingent, mes frères. Remarquable et remarqué. La gosse d’abord, remarquée par sa beauté. Béru ensuite, remarqué parce qu’il est Bérurier et qu’être Bérurier à la « Marquise de Sévigné », c’est comme si on était égoutier dans le grand salon de Buckingham Palace.
La ravissante Marion s’installe à quatre tables de la mienne, dos à moi. Béru se place entre nous, très avantageux, son bitos enfoncé sur le dôme jusqu’aux étagères. Au moment où il s’assied, on perçoit un grand cri d’agonie. Le Mahousse se redresse et retire de sous ses fesses puissantes le cadavre d’un pékinois qui s’était lové sur un fauteuil tandis que sa mémère racontait à une amie l’emphysème de son mari. Vent d’émeute dans le salon. Consternation. La mémère s’évanouit.
Le Gros s’excuse très sommairement :
— J’avais pris cette saloperie-là pour un coussin, dit-il. D’abord, c’est pas la place d’un clébard, sur un siège.
La mémère reprend ses esprits et éclate en sanglots. Pensez, un chienchien de cent cinquante tickets, élevé tout au blanc de poulet. On la reconduit jusqu’à son carrosse tandis que son chauffeur, mandé d’urgence, vient récupérer la dépouille du pékinois afin de lui assurer une sépulture décente dans le caveau de famille, section clebs, des Labit-Tembernes.
Le calme revient. Une serveuse vient enfin demander à Béru ce qu’il désire :
— Ce sera une choucroute bien garnie ! déclare mon boulimique ami.
Stupeur de la douce enfant.
— Mais nous ne faisons pas restaurant ! bredouille-t-elle.
— Alors servez-moi un sandwich aux rillettes, transige l’Énorme. Avec un petit coup de juliénas.
Ils finissent par se mettre d’accord sur des toasts et un café. Une fois servi, Béru engloutit le tout en détrempant les toasts dans le café et en les aspirant comme il le ferait d’huîtres, ce avec un bruit qui évoque à s’y méprendre l’instrument de travail des gars de l’U.M.D.P. (à ne pas confondre avec ceux du M.R.P.).
Pendant ces multiples incidents, un homme est venu rejoindre Marion. C’est un type d’une cinquante-cinquaine d’années, plutôt chauve du dessus et assez corpulent. Il porte un complet bleu à rayures blanches, une chemise pervenche, une cravate bleu marine et une dent en or en acier inoxydable. J’sais pas s’il est dans les pétroles, ce camarade-là, en tout cas il n’a pas l’air de se faire du mouron pour ses échéances de fin de month.
Je suis frappé par son air grave. Il parle comme un ventriloque, sans presque remuer les lèvres. La môme Marion l’écoute tout aussi sérieusement, en servant le thé.
À les voir, tous les deux, on pourrait croire qu’il s’agit d’une aimable jeune fille de la good société avec son papa. Ils se cognent deux gorgées de thé, puis l’amorti casque l’orgie et les voilà partis. Leur décarrade est un signal pour le magnificent Béru qui se trisse sur leurs talons. Au passage, il renverse un guéridon et une dame en tailleur blanc déguste un pot de chocolat chaud sur la carrosserie. Cris d’orfèvre ! Imprécations béruriennes. Le Gros déclare, à haute et terriblement intelligible voix, que ces tables ne tiennent pas debout et qu’un ébéniste doit avoir des copeaux de bois dans le caberlot pour faire des meubles aussi instables.
Dans le magasin, en bas, la gosse s’attarde au rayon bonbons. Elle achète des couenneries de Cambrai à Bijou. Son compagnon a disparu, escorté du délicat Béru.
— Tiens ! m’exclamé-je à la cantonade, quelle surprise !
La gosse décrit un arc de cercle et devient pâlichonne. Son minois se renfrogne. Elle paie, prend son petit paquet et sort. Je l’accompagne. Lorsque nous sommes sur les Champs, elle laisse éclater sa rancœur.
— Merci pour hier ! fait-elle. Votre imbécillité a failli me faire rompre avec Bijou.
— C’est ce qui s’appelle avoir des ennuis avec l’arrivée des sens, plaisanté-je.
Ça ne l’amuse pas.
— Heureusement qu’il m’a frappée, dit-elle, sinon je crois bien que tout aurait été fini.
— C’est le remords qui l’a retenu ?
— Il faut croire.
J’essaie de lui cramponner une aile, mais miss Chochotte se dégage comme si j’étais branché sur le 220.
— Laissez-moi, dit-elle, j’ai compris. Avec des loustics de votre espèce, on n’a que des ennuis.
— Espèce vous-même, mon lapin ! je rétorque, pincé comme la cuisse d’une serveuse de bistrot. D’abord quand on prend un riche protecteur, on se le choisit crédule. Pourquoi n’a-t-il pas cru à ma version du parachutiste ? Il aurait préféré un miracle ?
Elle sourit enfin.
— Pour que Bijou croie aux miracles, il aurait fallu que la source de Bernadette à Lourdes soit une source de pétrole !
Mais ce bavardage ne fait pas mes oignons, comme disait un pédéraste hollandais. Je décide de la chambrer bille en tronche.
— Ça fait un moment que je vous ai repérée, à la Marquise, vous étiez avec un autre zouave…
Son regard se coagule.
— Vous me surveillez, maintenant ?
— Qui c’était, ce brave homme ?
— Mais de quel droit… ?
— Son nom ?
— Ça alors, c’est un peu bleu !
— Ça risque de devenir rouge, assuré-je en lui montrant ma carte. Allons, ma gosse, faut y mettre du tien, sinon ça va tellement mal aller pour ta pomme que d’ici pas longtemps tu envieras le type qui est dégringolé l’autre jour dans un bac d’acide.
Elle est stoppée en plein Champs-Élysées, plus blême qu’une fabrique de fromage blanc.
— Vous êtes de la police ?
— Avec ça que tu ne t’en doutais pas !
— Mais pas le moins du monde, je ne comprends rien… Qu’est-ce que… ?
— Je vais t’expliquer en long, en large et en hauteur.
Un taxi vient de délester de l’Américain devant le Claridge. Je fais signe au chauffeur et je pousse Marion à l’intérieur. Elle ne réalise qu’une fois qu’elle s’est abattue sur la banquette.
— Mais où m’emmenez-vous ? De quel droit ?
— Ta bouche, miss Esso !
Je lance au pilote de ligne :
— Le Bourreman Office, et au galop, cocher.
Il acquiesce et déhote.
En cours de chemin, nous n’échangeons pas une syllabe. Marion paraît vraiment commotionnée. Lorsque nous débarquons, il y a un vrai moment de panique à la Grande Cabane. Ma résurrection court-circuite mes honorables collègues qui se bousculent à qui mieux mieux pour venir s’assurer du miracle. Si vous matiez votre gars San-A. ! Très digne, très quotidien, avec un petit sourire gentil à tout un chacun… Quand un inspecteur va pour pousser un mugissement de stupeur, je lui virgule un clin d’œil. La nouvelle se répand comme l’adresse d’une catin dans un collège. J’entends des cris, des exclamations incrédules. On chuchote. Bref, c’est le grand bidule.
Imperturbable, le délicieux San-Antonio, l’homme qui vaut son pesant de cantharide, drive la gosse jusqu’à son ex-bureau.
— Entre, beauté !
Elle obéit, mais le cœur n’y est pas. Je la devine très déprimée, très tendue.
— Assieds-toi.
À ce moment-là on toque à ma lourde. C’est une délégation de flics. Les aminches n’y tiennent plus et veulent palper le bonhomme pour s’assurer qu’il est vraiment vivant.
— Mais, mais, bégaie le rouquin Mathias, qu’est-ce que ça veut dire, m’sieur le… ?
— Simple San-Antoniaiserie de ma part, je dis. Excusez-moi, mes chéris, mais j’ai un boulot terrible. Chaque fois qu’on ressuscite, c’est pareil : la besogne s’est accumulée pendant votre décès et il faut mettre le grand développement.
Là-dessus, je lourde ma porte. Je décroche le bigophone pour annoncer au Vioque que je me trouve dans ses murs et pour lui demander s’il a des nouvelles de Londres.
— Si fait, me dit le déplumé. L’homme en question se trouve présentement à son hôtel car il est souffrant. J’ai donné des instructions pour qu’on le surveille de très près.
— Merci.
— Et à part ça ?
— J’irai vous voir dans un moment, patron. J’ai présentement quelqu’un dans mon bureau.
Je raccroche et j’allume une cigarette. Un silence s’établit. La môme essaie de reprendre de l’assurance, mais, décidément, ça ne vient pas. J’ai remarqué que le mutisme est le meilleur des préambules pour un interrogatoire. Les prévenus se tiennent sur la défensive. Ils essaient de préparer des arguments. Ceux-ci sont tout chauds au bout de leur langue, et puis ils se refroidissent et leur filent la nausée.
Un bout de temps s’écoule. Je la regarde.
Elle fait du morse avec ses cils. J’ai le temps d’achever ma cigarette. Alors elle se racle le gosier et croasse.
— Alors ?
En guise de réponse, j’allume une deuxième Camel.
Marion n’y tient plus.
— Vous allez me laisser comme ça pour combien de temps ?
Je passe à l’exercice number two : la mandale à blanc. Une baffe très sèche sur le museau. C’est simple, direct et ça produit toujours son petit effet, comme la cuillère fondante dans un banquet d’anciens combattants.
Elle pousse un cri et se frotte la joue tandis que les larmes lui viennent aux yeux[3].
— Brute !
— Attention, chérie, tu t’adresses à un officier de police dans l’exercice de ses fonctions.
— Mais que me voulez-vous ?
— On va commencer par la vérité, c’est ce qui se raconte le plus vite. D’accord ?
Elle ne répond rien. Comme dans certains cas la devise de certaines gens est la même que celle du camembert : « Qui ne dit mot, qu’on sent ! » je me crois autorisé à démarrer le bavardage.
— Qui est le type de la « Marquise de Sévigné » ?
Elle hésite à me répondre. Je lève la paluchette, alors vite elle s’attable. Et vous savez ce qu’elle m’annonce ? Je ne vous le donne pas en mille, je le garde pour m’en faire une pochette-surprise.
— Mon père !
— Tu te fous de moi ?
— Je vous jure.
Le plus fort, c’est que je la crois. D’ailleurs on ne ment pas de cette façon-là, vous êtes bien d’accord ?
— Pourquoi le vois-tu en cachette ?
— Je ne le vois pas en cachette. J’avais Bijou à la maison et…
Je lui pose une colle pour me rendre compte si elle me berlure. Vous vous rappelez qu’au téléphone du tabac elle a parlé de Bijou à son interlocuteur ? Bon.
— Ton père connaît l’existence de Bijou ?
— Oui.
— Joli monsieur.
Elle baisse la tête.
— Continue.
— Que voulez-vous que je vous dise ?
— Je te l’ai déjà dit : la vérité.
Comme je sens qu’il faut la pousser un peu, je lâche, mine de rien :
— Du reste, je la connais en gros. La preuve en est que te voilà arrêtée.
Elle tique.
— Seulement c’est en détail qu’il me la faut maintenant. Si tu es régulière, je serai régulier. O.K. ! comme dit la reine d’Angleterre qui cause couramment américain.
— Je parlerai.
— Qu’est-ce qu’il fait, ton dabe ?
Elle me jette un regard surpris.
— Vous le savez ou vous ne le savez pas ?
— T’occupe pas de mes connaissances, réponds.
— Ben…, il trafique, quoi.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Pivois. Germain Pivois…
Je fronce les sourcils car « ça me dit quelque chose ».
Elle ajoute :
— Dans le milieu, on l’appelle Pierrot-Gourmand.
Je fais claquer mes doigts.
Pierrot-Gourmand ! Naturlich que je connais l’homme, ou plutôt le mec. Il a une très chouette carrière derrière lui. Un spécialiste de l’opium. Monsieur s’est lancé de bonne heure dans l’agriculture chinoise. Le pavot n’a pas de secret pour lui.
— Le roi de la fumée ! m’exclamé-je. Je ne m’occupe pas des stups, mais je connais. Une réputation pareille, ça dépasse les frontières géographiques et celles des différents services de la Poule.
« Alors, tu travailles à l’usine de papa, chérie ?
— C’est-à-dire…
— C’est-à-dire oui ou c’est-à-dire non ?
— D’une certaine façon.
— Qui est ?
— De temps en temps, je l’aide.
— Comment ?
— Par Bijou…
— Explique.
Je crois le moment venu d’accorder une seconde tarte à mademoiselle. C’est pas qu’elle fasse du rebecca, mais il est bon de la maintenir dans le climat.
Elle efface sa beigne, essuie l’humidité qui coule sur ses joues et raconte :
— Quand Bijou va à l’étranger, je lui fais transporter de la came.
— Ils sont au point, les pétroliers, c’t’année.
— Il ne sait rien, fait-elle vivement.
— Comment ça ?
— Papa a fait fabriquer une valise identique à l’une de Bijou. Seulement elle a un double fond. Quand Bijou part à l’étranger, je place la came que me donne papa dans la valise. Et les correspondants de papa s’arrangent pour la récupérer dans les hôtels où descend Bijou.
Je lève le pouce.
— Une combine comme ça ! Je comprends pourquoi ton digne père parvient à se garer des mouches. Il fait travailler l’innocent.
Cette méthode est tellement pareille à celle dont usa la môme Duchemin pour me faire passer la fameuse machine à écrire que j’en ai le vertige.
— Écoute, ma gosse, on va tourner la page et parler d’autre chose.
« Tu connais un gars qui s’appelle Jean-Jacques Maurin ?
Elle acquiesce.
— Oui.
— Parle-moi de lui.
— Je l’ai connu il y a quelques mois au Makao. On est devenu copains, c’est tout.
— Copains comme… cochon ?
— Non, copain-copain. D’ailleurs, il était avec une amie.
— Virginie ?
Ça lui en met plein la vue.
— Oui, vous connaissez ?
— Ce que je ne sais pas, on pourrait l’écrire en caractères d’affiche sur un confetti, tu t’en rends bien compte. Parle-moi de ce charmant couple.
— Oh ! je ne peux pas vous en dire grand-chose. On a eu des relations amicales pendant quelques semaines, et puis on s’est perdu de vue.
— Ils savaient qui était ton père ?
Elle rougit.
— Oui.
— Ils ne t’ont jamais demandé de service ?
— Si.
— J’écoute. Parle vite, voilà que je reprends des fourmis dans les doigts.
Elle a un geste d’esquive, mais je retiens ma beigne.
— Un jour, Maurin m’a demandé si je pouvais faire rentrer en toute sécurité un colis d’Italie. Virginie s’y trouvait justement. J’ai dit que j’allais m’en occuper…
— Et puis ?
— Seulement en juin, car ça se passait en juin, papa se trouvait aux States et ça n’était pas facile. J’allais essayer de m’arranger avec un de ses amis lorsque Maurin m’a dit de laisser tomber, il avait trouvé une autre combine.
Je me botte moralement le Bas-Rhin. L’autre combine, je la connais ; et vous aussi, hein, mes tordus ? Pas la peine de raconter ça à tout le monde surtout ! Si jamais ça me revient aux oreilles, mon poing reviendra à votre pif, je vous le promets.
— Et là se sont bornées vos relations ?
— Oui.
On dirait qu’elle est réglo.
— Tu connais le frère de Virginie ?
— Bien sûr, il vient souvent au Makao.
Elle ajoute :
— C’est lui qui connaît papa, voilà pourquoi Maurin m’avait demandé ce service.
— Il ne t’a pas précisé de quel genre de colis il s’agissait ?
— Absolument pas. Je suis plutôt discrète, vous savez.
— Hier, je t’ai demandé si tu connaissais un type blême ayant des boutons sur la gueule. Tu m’as répondu que non. Persistes-tu à nier ?
— Bien sûr.
— Avec tous les risques que ça comporte ?
— Mais je vous jure que je ne le connais pas ! Je vous jure ! Je vous le dirais si je le connaissais.
— Pourquoi voulais-tu parler à ton père, tout à l’heure ?
— Pour lui remettre un paquet que Bijou avait ramené sans le savoir d’Allemagne.
— Ah ! parce que le trafic est bilatéral ?
— Ben…
Je décroche le tubophone.
— Mathias, viens un peu par ici, enjoins-je.
Le rouillé s’annonce. Il a une tête d’hilare. Ma résurrection a plongé toute la Grande Taule dans une euphorie qui me va droit au battant.
— Tu vas me mettre cette souris dans la trappe spéciale, déclaré-je. On a encore des tas de trucs à se dire, elle et moi ; mais ce sera pour plus tard.
Là-dessus, je me barre sans tenir ma promesse concernant une visite au Vieux.
J’ai envie de penser.
Envie d’agir.
Pas de bavasser !