T’as vu ?
Elle m’est venue toute seule, cette damnée fin de chapitre. M’a giclé du tabulateur. Vrrrrr, comme ça. Fin de page. Tu tournes. Le métier. T’y peux rien. Avant de passer ma licence de romancier, quand je fonctionnais dans les rangs des amateurs, je parvenais à me contrôler. Mais à présent, bernique. Ce sont les doigts qui agissent. Le cerveau, étrangement, ne fait que leur obéir. Paradoxal ? Mes choses ! L’homme se berce d’illuses. Se croit pensant. Alors qu’il n’est que pansé (et tant bien que mal, d’ailleurs). Heureusement qu’il finit mal, ce connard. Toujours, obligatoirement. Bien détérioré par l’âge, diminué de la cave au grenier. Abruti d’existence.
Heureusement…
T’entends ? Je pèse mon mot. Le répète : heu-reu-se-ment ! T’as entendu la déclaration du Gros ?
« C’est dans les montants », il a affirmé. Et tu peux lui faire confiance. Béru, c’est la sagacerie en personne.
Il se met à dépiauter le cuir couvrant la partie rigide de la valise. Dessous, c’est du bois. Un contre-plaqué spécial, très dur. La pointe de l’Opinel fouille dans la paroi. De menus copeaux pleuvent. La lame du couteau s’enfonce. Sa Majesté pèse sur le manche. Y a une déchirade verticale. Oui, mon joli, les montants sont doubles. Entre les deux parties, un espace très réduit, large d’un demi-centimètre à peine. Encouragé, Pépère s’acharne de plus belle. La malheureuse valoche ressemble très vite à une épave.
— Bouge pas, ça vient ! avertit le bagagicide.
Et il ne ment pas.
Deux plaques d’or, mon lapin. D’égales dimensions. L’une et l’autre mesurent environ trente centimètres sur dix-huit. Elles sont lourdes et gravées. Très anciennes, ça tu peux croire. La gravure, c’est un texte rédigé en gothique… Du latin. J’ai beau essayer de le déchiffrer, en mobilisant ce qui me subsiste de connaissances, ça demeure lettres (gothiques) mortes. Au bas de chaque texte, se trouve un sceau fait de deux crosses croisées et d’une espèce de signature accompagnée d’un chiffre.
— T’as une idée du quoi que c’est ? balbutie Bérurier.
— Des espèces de tables de la loi, murmuré-je en examinant les plaques. Il va falloir porter ça dare-dare au labo, mon grand, pour identification et transcription… Je crois que nous venons de mettre la main sur quelque chose d’assez étonnant.
— On dirait du jonc, hein ? émet le Cupide en soupesant les plaques.
— C’en est, et pas du moindre. Mais je peux te dire que la valeur de ces documents ne réside pas dans leur matière.
J’enveloppe les deux plaques dans une serviette de bain empruntée à la Résidence Carole.
— Saute dans un taxi et confie ça à Mathias en lui recommandant d’en prendre le plus grand soin. Qu’il fasse venir des latinistes distingués, des experts, qui il voudra, mais qu’il perce le secret de ces plaques d’or ; je l’appellerai en fin de journée. Pour ma part, je rentre chez moi me zoner. Si je ne ronfle pas, je sens que je vais virer en purée de navets.
Bien, très bien, parfait. Ensuite je rentre à Saint-Cloud. T’as beau être martien, donc natif d’un endroit où l’on peut remplacer le sommeil par la fumée de mégot, quand tu es fourbu, il vaut mieux te mettre à l’horizontale sur du moelleux, après avoir plongé la pièce dans des pénombres ravigotantes.
Je gagne mon pucier au moment où m’man commence à talquer le fouinozof d’Antoinet. Ce veau a pioncé comme un champion de la dorme pendant une belle douzaine d’heures et le v’là en pleine forme pour attaquer la vie par le bon bout. Je lui vote un guiliguili qui le fait marrer, j’embrasse m’man et je monte à ma chambrette de jeune homme attardé.
Dans la cuisine, Régina chante. Ce qui porterait à croire, soit que Paulo le plombier l’a rambinée, soit qu’elle l’a déjà oublié. La seconde hypothèse paraissant la plus vraisemblable. Tout le monde oublie tout le monde. C’est chouette, non ?
Je me file complètement à loilpé entre les drapeaux. Quand on est très fatigué, pioncer nu équivaut à prendre un bain tiède. Essaie, tu verras.
J’appuie sur le disjoncteur.
Tchao.
Son éminence, monseigneur Demption, archichevêque de ceci cela et primate d’autre chose, me reçoit fort aimablement dans un bureau qui pourrait aussi bien être celui de M. Dassault, tant tellement qu’il comporte de téléphones, de graphiques aux murs, d’interphones et j’en passe.
Belle et noble figure que celle du cardinal André Demption. Pas du tout le genre prélat de jadis, avec ballon de rugby planqué sous la soutane, teint rougeaud, onction, café (saint) chrême arrosé saint marc… Monseigneur Demption est un petit homme vif dont le regard remue sans cesse derrière des lunettes de businessman. Il a le nez pointu, la bouche mince. Il porte un complet gris anthracite (il est originaire du Nord) avec un col de pasteur. Dans le fond, il a la mise du défunt Duplessis (son malheureux confrère).
Il m’a écouté attentivement, les mains croisées sur des paperasses étalées devant lui.
Je viens de tout lui déballer, dans l’ordre chronologique. Tout, depuis le rendez-vous avec Tonin, jusqu’à la découverte des deux planches d’or.
Il hoche la tête d’un air préoccupé.
— Tout ceci est bien ahurissant, monsieur le commissaire. Qu’en disent vos supérieurs ?
— Ils vont renforcer le service de sécurité pour protéger Sa Sainteté, Monseigneur.
— Je ne vois en effet pas d’autres dispositions à prendre.
— Puis-je vous demander votre sentiment après avoir entendu cette histoire ?
Il essuie ses lunettes. Son regard n’est soudain plus que deux fentes étroites.
— Mon Dieu, commence-t-il, ce qui me flatte beaucoup venant d’un homme d’Eglise éminent (et d’autant plus éminent qu’il est cardinal) ; mon Dieu, que vous répondre ? Vous ne l’ignorez pas, des sectes pullulent un peu partout, qui parodient notre Eglise et prétendent la suppléer. En général, elles ne recrutent que de pauvres illuminés inoffensifs qui se livrent à une triste mascarade et profanent les sacrements. Notre Seigneur ne doit pas se formaliser beaucoup de leurs agissements. Du reste, toute bonne intention est louable et les chemins sont infinis qui mènent à la lumière… Seulement, dans le cas présent, cette Eglise parallèle s’accompagne de gangstérisme. Cela sent sa machination, et je suis terriblement inquiet. On a traduit les textes de ces fameuses plaques ?
— Pas encore. Ils sont très hermétiques et il est malaisé de mettre la main sur des spécialistes. La police, vous savez, Monseigneur, fonctionne encore de façon plus ou moins artisanale et ne dispose que de petits moyens.
— En somme, vous êtes coupé de la bande ?
— Pour l’instant, oui. Des recherches sont entreprises pour tenter de remettre la main sur la petite mulâtresse et le dénommé Pietro Formi. Nous les dénicherons, la fille surtout, c’est certain. Mais ça risque de prendre un certain temps, et c’est cela qui précisément nous manque : le temps. Paul VI arrive demain…
Je sors l’améthyste et la dépose sur son buvard.
— Trois ou peut-être même quatre personnes sont mortes à cause de cette pierre, Monseigneur. Elle ne vous dit rien ?
Il examine la bague, la fait miroiter, puis me la rend.
— Non, rien.
— Tant pis… Maintenant, Monseigneur, je voudrais vous entretenir d’un projet qu’il me plairait d’accomplir à titre officieux. Seulement, pour cela, j’ai besoin de votre concours, et qui plus est, du concours de Sa Sainteté…
Le cardinal Demption fait la grimace.
— Le concours de Sa Sainteté ! Comme vous y allez ! Enfin de quoi s’agit-il ?
— De sa sécurité. Avant de mourir, l’un des gangsters, je vous le rappelle, m’a révélé que l’attentat doit avoir lieu dans la crypte de l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion.
— J’ai noté ce trait au passage et m’en suis beaucoup étonné car cela paraît être au contraire l’endroit le moins propice à un attentat, étant donné qu’il ne comporte qu’une seule issue et qu’il est d’une nudité complète. Si nous exceptons le tombeau de la sainte, monsieur le commissaire, ce lieu est absolument vide.
— Je sais, Monseigneur, j’en viens. Je l’ai examiné centimètre carré par centimètre carré. Des dalles, des dalles… C’est tout. Cependant, je dois tenir compte de la déclaration du bandit. Il l’a faite à un moment où il ne songeait plus à mentir. Sa vie s’en allait et il était terrorisé.
— Alors ?
— D’après le programme concernant le séjour de Sa Sainteté, elle doit se rendre dans la crypte après-demain matin, sur le coup de 7 heures, et en très petit comité, n’est-ce pas ?
— C’est Sa Sainteté qui en a décidé ainsi, monsieur le commissaire.
— Il faut absolument que l’horaire soit changé, Monseigneur. Et qu’il soit modifié secrètement. Il convient de reculer d’une heure au moins la visite du pape à la crypte.
— Dans quel but ?
Je rapproche ma chaise du bureau de l’Eminence. D’instinct, je baisse le ton :
— A 7 heures, comme prévu, c’est un faux pape qui descendra dans la crypte.
Le cardinal Demption sursaute. Je te jure qu’il se décolle son saint siège du fauteuil.
— Que dites-vous-là, monseigneur le commissaire ? s’égare-t-il.
— La vie de Sa Sainteté avant tout. Service de sécurité ou pas, nous ne pouvons prendre le risque de le laisser se rendre dans cette crypte à l’heure prévue. Un comédien jouera le rôle du pape. Il accepte d’en courir ce danger, car c’est une âme noble et un homme au courage tranquille. Il sera entouré des ecclésiastiques qui doivent participer à la cérémonie.
— Mais c’est impossible ! récrie le cardinal. Il y aura la presse et la télévision devant l’église ?
— Devant l’église, mais non dedans, Monseigneur. Le faux pape ne sera visible que pendant le court laps de temps qu’il mettra à sortir de sa voiture pour pénétrer dans l’édifice. A 7 heures du matin, il fait encore sombre. Nous interdirons aux techniciens T.V. de brancher leurs projecteurs, au besoin, nous provoquerons une panne de secteur au moment opportun. Le faux pape est le sosie de Paul VI. En outre, il sera coiffé d’un chapeau à large bord et entouré de prélats. Les conditions pour une substitution seront donc idéales. La cérémonie aura lieu. Et nous verrons s’il se passe du vilain. Dans l’affirmative comme dans la négative, le Souverain Pontife arrivera secrètement une heure plus tard. Vous pouvez même éviter de jeter le trouble dans son esprit en trouvant un motif plausible pour décaler le programme. Ce doit être faisable, non ?
Un long silence succède.
— Effarant, effarant, soupire mon interlocuteur.
— Je vous l’accorde. Pourtant, compte tenu des circonstances, il nous faut prendre un maximum de précautions. Il y a déjà pas mal de morts dans cette affaire, Monseigneur. Si quelque chose arrivait à Sa Sainteté, nous ne nous le pardonnerions jamais, ni vous ni moi, car à partir du moment où vous êtes informé de ce qui se trame, vous partagez ma responsabilité. Je crois que l’enjeu en vaut le cierge, non ?
Il sourit mince.
Me défrime avec intérêt.
— Jamais vous n’arriverez à faire prendre un simple quidam pour le Saint-Père, murmure-t-il, quelle que soit leur ressemblance.
Je vais toujours essayer, réponds-je.
Chez nous, à Mars, où la préoccupation dominante des individus, c’est le mégot, on a toujours tendance à oublier le présent au bénéfice du passé. Car un proverbe du Nord-Mars dit comme ça que « c’est en interprétant les renseignements du passé qu’on peut se préparer au futur ».
Et moi, tu sais ce qui me turluqueute en sourdine ? Toujours ce coup de fil à Régina, ma vieille rainure. Cette voix d’homme avertissant que je dois prendre garde au pape. Donc, quelqu’un sait. Quelqu’un qui est contre l’attentat prévu, mais qui ne veut pas se manifester ouvertement. Je ne suis pas riche, mais je donnerais volontiers la moitié de ton capital pour posséder l’identité du jules en question.
Qui est-il ? Où se planque-t-il ? Comment sait-il que je m’occupe de cette affaire ?
Les interrogations me pleuvent dru sur la pensarde.
En sortant de l’enchevêtré, pardon : de l’archivécé, je m’engouffre dans un bistraque pour tuber à la grande cabane.
A-t-on des nouvelles de Zoé ? De Formi ? Des textes anciens gravés sur les plaques d’or ? Les différents services interrogés me répondent que non avec un synchronisme endiablé.
A croire qu’on fait relâche pour répétition chez les archers.
Hargneux, je raccroche, écluse un baby scotch et vais rejoindre le Révérend (c’est le cas où jamais d’y dire) Pinaud chez ce grand costumier de la fête sans qui les films d’époque ne seraient que ce qu’ils sont.
Lorsque tu veux juger de la transformation d’un travesti, un bon conseil : n’en suis pas la progression. Juge de l’ensemble une fois que tout est fini. Le maître de la défroque m’annonce (apostolique, toujours le cas d’y dire) que l’officier principal Pinaud est « en » salon d’essayage et m’invite à l’aller rejoindre. Je décline et fait de l’attentisme dans un fauteuil de cuir en feuilletant Lui, ce qui est la meilleure manière de tromper le temps, je le dis tel que je le pense, sans changer un point virgule au titre de cette revue.
Une demi-heure plus tard, le costumier du cinéma écarte une tenture et annonce avec emphase et emphysème (il a l’alvéole qui se dilate) :
— Sa Sainteté le pape Paul VI.
Et Paul vé i paraît.
Hallucinant. J’ai mis un hache à hallucinant pour faire plus sincère. Comment ? Tu dis ? Il en faut un de toute manière ? Eh ben alors, de quoi tu te plains, dis, furoncle ?
Je reprends : Allucinant. Plus vrai que nature. Le nonce fait à Marie ! Il s’en va tiquant ! Il plaque les derniers accords de Latran ! Mieux vaut tiare que Jeanneney. Attends, bouge pas, qu’est-ce que je peux te délirer encore ? Ça va me venir… Il coince la bulle. En six cliques ! Ça te suffit ? Non ? Alors passe dans mon bureau, on continuera à tronche reposée, mais j’en vois qui bâillent déjà. Et faut pas leur surmener les grains de caviar parce que si oui, ils décrochent illico du ventral, les gueux.
La vérité m’oblige à confesser (c’est re-encore le cas d’y dire) que je n’ai jamais eu le béatifique honneur d’approcher Sa Majesté le pape, mais j’ai vu des posters d’elle, et franchement, entre lui et César Pinaud, il n’y a que le siège de Saint-Pierre. Tu les filerais au coude à coude dans une basilique lourdaise, Dieu aurait de la peine à reconnaître le sien. Lui faudrait procéder à une analyse de sang. Tout le monde crierait au miracle ! Et à Lourdes, c’est plutôt rare. Les traditions se perdent depuis les rayons « X ». Ça aussi ç’a été carbonisé par l’électroménager, la bagnole, la résidence secondaire. De nos jours, les gens n’ont plus le temps de se faire miraculer, sauf au L.S.D. Dieu s’épure, au fil du siècle. Bientôt, ne restera que Lui. Unique, nom de Dieu ! Enfin unique ! Toute simagrée humaine effacée, Dieu merci. Les châsses resteront ouvertes toute l’année. On cessera de Le brocarder, de Lui dorer l’auréole, de Lui laisser des pourboires et des ciboires, de Le psalmodier, de Le bredouiller, de Le grande-pomper, de L’embrigader, de Le louer et de Le vendre, de Le solder, de Le subdiviser. On ne Lui filera plus d’associés. On ne Le mangera plus. Ne L’affublera plus d’une Sainte-Face de carême ! Ce sera Dieu seul, mon dieu. Dieu tel qu’Il est, dépouillé de ses oripeaux par notre trouille quand on L’appelle au secours. Dieu sans la connerie des hommes…
Pinaud, cher Pinaud, dis-moi tout. Ton grand-père maternel ne s’appelait-il pas Montini ? Raconte, explique, justifie ?
Que disait-il, le cardinal Demption ? Jamais vous n’arriverez à faire prendre un simple quidam pour le Saint-Père ?
Admettons.
Mais alors j’inverse les réacteurs, et je te demande, moi : César Pinaud est-il un simple quidam ?
A le voir. Sublime de simplicité dans sa soutane d’une conception immaculée. Rayonnant de mansuétude. Le visage éclairé du dedans. L’âme au bord des yeux. Suintant de miséricorde. L’ascétisme en bandoulière. Peureux des fastes vaticons. Un sourire de Saint-Père laconique fiché aux lèvres. A le voir ainsi, cher Gaston (comment ? tu t’appelles pas Gaston ? et alors, ça change quoi ?) l’émotion te vient. La foi te gagne comme un froid aux pieds. Une discrète émotion t’amollit. T’as envie de te signer, de te sous-signer, de te contresigner. De crier gloire au pape ! De l’appeler très Saint-Père. De lui baiser la mule.
— Réussite complète, n’est-ce pas ? souligne le costumier.
— Totale. Je prends !
Machinalement, Pinaud VI lève la main et nous accorde une aimable bénédiction, avec les doigts arrondis, comme s’il nous la traçait à la craie.
Tu sais que l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion se trouve tout au bout de la rue Marcelle-Ségal, presque à l’angle de la place P.-L. Courrier-Duqueur. C’est l’une des plus vieilles églises de Paris, puisque, d’après la légende du temps, Cécile Sorel y fut baptisée…
Un important sévice d’ordre barre la rue ce matin-là, qui est le matin en question, celui qui nous intéresse.
Une foule qu’un journaliste de l’Uhénèretéef qualifierait de nombreuse si elle se trouvait rassemblée là pour accueillir un membre de la dynastie carolingienne qui attend dans la rue et le recueillement, malgré l’heure matinale.
Les lampadaires sont encore allumés.
Une brume floue, mouillée, infiniment parisienne, ouate les contours des choses.
Y a du mystère sur la voie publique.
Les préposés de la téloche sont en batterie. Les photographes de presse tapent du panard pour se défourmilier les radis. On entend, tombant des immeubles d’alentour, des transistors racontant ce qui se passe devant l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion.
Il ne se passe rien, mais ils le racontent admirablement. D’ailleurs, la radio sublimise les moindres banalités. N’assiste jamais à une course cycliste sans avoir ta radio en main, sinon tu passes à côté de l’épopée. Une étape du Tour, tiens, c’est beau qu’à travers Blondin ou Chapatte. A voir, ça paraît tout bêta, trop simple, banal. Faut qu’un spécialiste te tisse la grandeur pour mettre autour. Cuisse de coureur sur lit de gelée à l’estragon. Plus appétissant. Mieux comestible. La réalité ? Une foutaise.
Vive les poètes du radioreportage ou du radiotage-reporté.
Donc on attend, avec onction, comme il sied, compte tenu de la qualité de l’illustre personnage qui va débouler.
Un jour maussade s’installe.
Les projos de la tésillusion française luttent d’influence avec lui, étalant de grands ronds dorés sur le trottoir luisant et le pavé gras.
La foule frileuse des petits matins de Paname chuchote en se tassant. Cela évoque confusément les prémices d’une exécution capitale, ancien style. Au temps du temps qu’on amenait les condamnés sur la voie publique pour les raccourcir et que les bonnes commères venaient tremper leur mouchoir dans le sang pour s’exciter.
Soudain, un cri part de la populace.
Cette exclamation qui ponctue toujours l’arrivée d’un cortège longtemps attendu :
« Le voilà ! »
Un autre cri fait écho.
« Merde ! »
C’est le réalisateur du reportage tévé qui a poussé le second.
Car, d’un seul coup d’un seul, ses projecteurs viennent de s’éteindre.