XVIII

À l’attention des :

COMMANDANT EN CHEF DE L’US ARMY

COMMANDANT EN CHEF DE L’US AIR FORCE

COMMANDANT EN CHEF DES OPÉRATIONS NAVALES

COMMANDANT EN CHEF DE L’US MARINE CORPS

CONSEILLERS SPÉCIAUX DE L’US INTELLIGENCE

DIRECTEUR DE LA NASA


Objet :

PREMIÈRE RÉUNION DE LA COMMISSION PRÉSIDENTIELLE EXTRAORDINAIRE CHARGÉE DE L’ÉTUDE DU PLAN « SAUT-DE-PUCE »


13. … Mais au-delà de l’opportunité tant technique que politique d’acquérir ces connaissances, s’étend tout un domaine psychologique que nous nous risquerons à définir comme un état de crise de la noosphère (pour emprunter à la théologie de Teilhard de Chardin ce mot qui s’applique à la zone d’activité de l’esprit humain).

Cette crise n’a cessé de guetter l’humanité depuis la Révolution néolithique qui, la première, a donné le jour à une technique qui, bien qu’encore embryonnaire, était appelée à transformer l’environnement naturel.

Il est donc particulièrement pertinent de relever que la crise abordée par la fin du XXe siècle est l’héritage logique de la civilisation technicienne elle-même. Dès lors qu’il a choisi la voie de la technique, l’homme doit, aidé par elle, essaimer à l’extérieur ou, sinon, péricliter. Aucune stagnation n’est concevable ni désirable sitôt que l’expansion s’est amorcée. La stagnation peut toujours faire l’objet de rêves ou de nostalgies, mais ce n’est qu’un fantasme inopérant sur la pratique. Qu’un volontarisme s’acharne à le rendre opératoire, voilà qui aurait des répercussions psychologiques et culturelles désastreuses.

Une désescalade technique et culturelle est impossible au même titre qu’une dévolution serait inacceptable pour une espèce. De même que l’évolution biologique est un processus anti-entropique, tendant à des états de plus en plus complexes d’organisation physique, de même la civilisation technicienne (sommet d’un million d’années d’évolution) exige la continuation du processus de complexification et d’expansion.

Cependant, une phase critique apparaît dans ce processus de croissance. Phase au cours de laquelle se fait jour l’évidence « qu’il ne reste plus de mondes à conquérir », et où les effets latéraux de la conquête du seul monde disponible prennent toujours plus l’allure de bénéfices négatifs. Cette phase doit donc être dépassée par ce que nous appellerons la civilisation technicienne de seconde génération, c’est-à-dire une phase d’exploration et d’expansion planétaire et stellaire. Sinon s’ensuivrait à coup sûr un effondrement aussi désastreux que brutal.

C’est à la lumière de cela que doit être considérée la désillusion consécutive au projet Apollo. L’Homme a atteint la Lune. Où aller, maintenant ? La réponse semble être : partout où il serait irréaliste d’espérer aller.

Les attaques des groupes d’opposition écologique qui, depuis une décennie, n’ont cessé de gagner en vigueur, impliquent un repli en deçà de ces frontières limitées qui n’irait pas sans conséquences profondément traumatisantes. Il mettrait un terme à la première phase sans déboucher sur la seconde. Il n’en résulterait qu’apathie et décadence à l’échelle de la planète. Précisons qu’en outre cela serait contraire à la conception proprement politique que nous avons de notre identité en tant que nation. (Voir Publications de l’Hudson Institute HI 3812 P, Les dangers de la stagnation ; HI 3014 P, La fin de la Noosphère néolithique : Ses conséquences et ses effets sur la politique des États-Unis.)

La venue d’extra-terrestres ne peut donc qu’accélérer catastrophiquement ce processus de désintégration et de repli, comme par ailleurs nous en font prendre conscience avec acuité la hâte et l’indifférence avec lesquelles les êtres connus sous le nom de Sp’thra traitent les plus belles ambitions de l’espèce humaine.


14. Cependant l’échange de six cerveaux humains pratiquant six langages humains nous semble constituer un pas en avant, le but avoué de l’opération étant l’obtention d’une technique améliorée de voyage planétaire (ceci ajouté à quelques autres données d’un intérêt purement scientifique).


15. Toutefois, si l’âne se permet d’être appâté par une carotte, l’être humain, lui, est douloureusement conscient (si savoureuse que soit la carotte) qu’il existe quelque part un plein champ de ces végétaux, placés sous le contrôle d’un fermier. Si l’homme était dans la situation de l’âne, il serait bien avisé de se rappeler combien sa ruade est brutale et quel est son effet de surprise lorsqu’elle est administrée à propos. Et, surtout, combien essentiel à son psychisme serait cet acte.


16. Ci-joint les conseils pratiques pour l’opération sous le nom de code « COUP DE PIED DE L’ÂNE », ainsi qu’un exposé sommaire des données psychologiques qui, en toute hypothèse, sous-tendent tout phénomène d’Objets volants non identifié, sous le nom de code « SALADE WELLES ».


« SALADE WELLES » comprend également un exposé sommaire des méthodes de manipulation de l’hystérie religieuse et sociale sous les rubriques (a) Comment détourner l’opinion de buts indésirables et (b) Comment redonner de la cohésion aux sociétés qui se désagrègent, ainsi qu’un appendice aux conseils pratiques exposés en détail dans « COUP DE PIED DE L’ÂNE ». Les paramètres ont été modulés de façon à couvrir une large étendue de conditions culturelles, depuis les cultures post-industrielles, jusqu’à celle, rationnelle, des États-Unis de ces dernières années, en passant par les diverses cultures, qu’elles soient du chaos, de la crise, ou mystiques des nations sous-développées (et, plus précisément, du Brésil et de ses voisins).


17. En raison de la manipulation exceptionnellement délicate des dossiers « COUP DE PIED DE L’ÂNE » et « SALADE WELLES », leur accès doit être limité aux strictes exigences du service.

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