ULTRASECRET
Objet : SECONDE RÉUNION DE LA COMMISSION PRÉSIDENTIELLE EXTRAORDINAIRE CHARGÉE DE L’ÉTUDE DU PLAN « SAUT-DE-PUCE ».
7. Remarquable est l’ampleur avec laquelle la Révolution brésilienne, par la seule vertu d’une communauté de frontières, a fait basculer l’Argentine, l’Uruguay et la Guyane dans un état avancé de désordre intestin, mettant également le Paraguay au bord de l’anarchie, éveillant des échos préoccupants dans des nations aussi éloignées que la République d’Afrique du Sud, l’Espagne et le Japon. Dans l’état de sursaturation que connaît aujourd’hui le contexte culturel au sens large du terme de la planète Terre, cet effet dit de détonateur est prévisible et il convient de noter que la contagion peut être autant mentale que strictement géographique.
8. Les paramètres psychosociaux de cet effet de détonateur ont fait l’objet d’une étude mathématique par la Rand Corporation. Il ne s’agit en aucun cas de l’analyse d’un concept désuet qui, littéralement, sema la terreur et dont l’appellation populaire est la théorie dite des Dominos. Il s’agit ici d’un modèle scientifique qui doit être considéré comme tel. Ce que l’administration compte encore de personnalités qui font de l’isolationnisme leur philosophie politique ne peut plus reculer devant la nécessité d’une action exemplaire, action basée non sur des hypothèses dites politiques d’un mérite douteux, mais sur les réalités psychosociales de la planète Terre. (Voir le document ci-joint de la Rand Corporation sur la mise à l’épreuve pratique des modèles mathématiques en question à Porto Rico et en Angola.)
9. Il est patent que les événements du Brésil, faute d’un retour à la normale, représentent une baisse de 50 p. 100 de l’investissement américain et des ressources potentielles pour tout le sub-continent.
10. Toute tentative de contrôler ces événements au moyen de pressions dites conventionnelles semble devoir être vouée à l’échec. Les preuves abondent que les éléments clefs de l’administration brésilienne, dont la stabilité et le pro-américanisme étaient connus, ont subitement opté pour une orientation opposée.
11. L’événement déclencheur de cette poussée de fièvre nationaliste et même violemment xénophobe a été, de toute évidence, la détection inopportune et imprévue par un satellite chinois des petites explosions nucléaires destinées à rompre Niagara, nom de code du barrage en question. L’annonce qu’en a faite le gouvernement de la République populaire alors même que le mouvement insurrectionnel se développait au Brésil, a eu un effet de propagande de première importance. Non moins inopportune et imprévue, la catastrophe déclenchée par l’opération Chutes du Niagara lève le dernier obstacle à une solution politique dite traditionnelle à la frénésie nationaliste qui s’est abattue sur le Brésil et une grande partie de l’Amérique latine.
12. Il est vital de neutraliser l’enchaînement cumulatif des événements d’Amérique latine, de faire intervenir un inhibiteur de catalyse propre à détourner l’attention de ces événements. Et cet inhibiteur de catalyse doit être aussi décisif et du même ordre que le raz de marée amazonien.
13. Dans l’optique d’une opération de diversion, le projet Saut-de-Puce doit donc être mis en veilleuse.
(Voir ci-joint la note de service de la Rand Corporation Transfert de menace : hostilité transférée d’un ennemi réel et intérieur sur un ennemi imaginaire et extérieur ; par. 72 : «… vers une menace extérieure théoriquement plausible bien que statistiquement improbable. »)
14. Afin d’optimiser le bénéfice technique du projet Saut-de-Puce tout en détournant l’attention de la situation révolutionnaire de l’Amérique latine, il est recommandé de lancer sans plus attendre l’opération Coup de Pied de l’Âne.
15. Il sera nécessaire d’informer le gouvernement soviétique dès que possible (c’est-à-dire après coup) du déclenchement de l’opération Coup de Pied de l’Âne. Il sera nécessaire également de faire garantir par une attitude vigilante de notre défense nationale nos prétentions à partager équitablement toutes les données techniques qui en seront la conséquence payante.