Ce fut dans la salle de bains qu'ils la découvrirent, allongée sur le sol. Immobile.
Le Beretta et le cran d'arrêt entre ses jambes inertes.
Son chemisier taché de sang.
28.
À l'aide d'un mouchoir, Lucie s'empara du flingue, du couteau, et les posa sur le rebord du lavabo. Manon se tenait recroquevillée, une serviette éponge serrée contre la poitrine. Assis sur une chaise, Turin observait la scène.
— Une ambulance et des renforts vont arriver... fit Lucie. Manon, vous allez finir par vous tuer à vous mutiler comme ça ! Qu'avez-vous noté cette fois ? Encore un truc incompréhensible ? Laissez-moi au moins regarder votre blessure. Il faut vous soigner !
— Non, je vous ai dit ! Ne m'approchez pas !
Soudain, elle fixa le lieutenant parisien et demanda
dans un élan de panique :
— Hervé ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Comment es- tu entré ?
Ses yeux absorbaient chaque détail de son environnement. Les gants de toilette, les brosses, les flacons, alignés dans un ordre qu'il lui semblait connaître. Sa salle de bains, il s'agissait de sa salle de bains ! Son appartement ! Plaquée contre le mur carrelé, elle recentra son attention sur le flic, avant de lancer, l'air mauvais :
— Je ne veux plus jamais te voir ! Plus jamais ! Je n'ai pas été claire la dernière fois ?
— Tu as vraiment une drôle de notion du temps, répondit Turin d'un ton désinvolte. La dernière fois remonte à plus de trois ans... Et c'était à quatre cents bornes d'ici. Ravi de te revoir, moi aussi, même dans des conditions aussi sordides.
Colère, frustration, peur... Manon était à bout de nerfs. Comme chaque fois où elle se retrouvait dans une situation qu'elle ne comprenait pas, qu'elle ne maîtrisait pas. Elle se crispa plus encore en s'adressant à Lucie :
— Et vous, qui êtes-vous ? Sa poule du moment ?
Elle se tira brusquement les cheveux dans un long
cri d'impuissance et demanda en hurlant :
— Mais que se passe-t-il ? Dites-moi ! Je vous en prie ! Dites-moi !
Turin se leva et s'approcha d'elle.
— Calme-toi un peu, d'accord ?
Manon respirait à une vitesse effroyable.
— Me calmer ? Me calmer ? Je me retrouve en sang, avec un pistolet et un cran d'arrêt entre les jambes ! Je ne sais même pas quel jour on est, ni ce que je fais assise ici ! Et tu voudrais que je me calme ?
Il tendit le bras dans sa direction, elle se protégea instinctivement derrière sa serviette. Lucie ne put s'empêcher de repenser à Michaël, le Korsakoff. L'épisode avec l'épingle, la mémoire du corps. De toute évidence, Manon se méfiait de lui.
— Elle, c'est Lucie Henebelle, expliqua Turin. Elle est lieutenant de police, elle veut t'aider. Elle enquête avec moi sur...
— Lucie Henebelle ?
Manon sembla reprendre des couleurs.
— Le Professeur ! Mon enlèvement ! La mort de Dubreuil ! Oui, je crois me rappeler ! C'est cela ! Des... Des choses me reviennent...
Turin s'appuya contre le lavabo.
— Quelqu'un vient d'essayer de te tuer. Et ce quelqu'un n'a pas hésité à neutraliser les deux plantons devant chez toi pour pouvoir t'atteindre.
Manon se remit immédiatement à paniquer.
— Frédériiiic !
Lucie s'agenouilla devant elle et lui glissa la main derrière la nuque. Manon observa d'abord un mouvement de repli, une espèce de méfiance réflexe, puis finit par se laisser faire, comme si, au fond d'elle- même, elle connaissait cette chaleur familière.
— Votre frère n'a rien, ne vous inquiétez pas. Il s'est rendu à Paris, bien avant tout ce remue-ménage, pour une réunion demain matin.
La jeune femme ne parvenait pas à s'apaiser. Elle se mit à fouiller du regard autour d'elle.
— Votre N-Tech est dans le salon, poursuivit calmement Lucie, ainsi que votre téléphone portable. Tout a l'air de fonctionner, soyez rassurée.
Manon la considéra avec cet air suppliant que Lucie connaissait par cœur à présent.
— Donnez-le-moi ! S'il vous plaît !
Turin disparut et revint immédiatement avec l'engin. Elle le lui arracha des mains sans même lever la tête, entra son mot de passe en cachette et déclencha la fonction « Enregistrement ».
— Répétez ! Répétez ce qu'il vient de se passer ! S'il vous plaît ! Répétez !
Lucie s'exécuta. Affronter la détresse de cette fille, sa fragilité, se rappeler la sienne... Elle dut prendre sur elle pour ne pas laisser paraître son émotion. Elle éprouvait l'envie de rentrer, d'étreindre ses gamines, de partager des moments de bonheur avec elles. De brûler ses papiers, ses articles, ses livres. Dans deux jours, son anniversaire... Elle détruirait tout...
Après le rapide résumé de la flic, Turin envoya d'une voix tendue :
— Je me suis renseigné dans l'après-midi. Tu as suivi des cours à l'Union des tireurs de Villeneuve d'Ascq, l'année dernière. Pourquoi ?
Manon ouvrit des yeux de chouette.
— Quoi ? Des cours de tir ?
Turin soupira.
— Et ce Beretta, numéro de série limé ! Explique- toi !
— Moi, un Beretta ? Tu es dingue ? Tu viens de me dire qu'on m'avait agressée ! Ce n'est pas le mien...
Il pointa l'index vers un morceau de cuir qui dépassait de la serviette éponge.
— Le holster, il est venu tout seul contre ton flanc ?
— Je n'y comprends rien ! J'ignorais que je savais m'en servir ! Tu dois me croire ! Vous, madame ! Vous devez me croire aussi !
Turin s'avança, mais Lucie s'interposa et lui chuchota :
— Comment vous savez, pour les cours de tir ?
— Vous pensez que j'ai perdu mon temps? Ses chèques...
— Ses chèques ? De quel droit avez-vous consulté ses mouvements bancaires ?
— Elle est incapable de nous dire ce qu'il s'est passé cinq minutes plus tôt, alors il faut bien faire les recherches à sa place.
Il s'écarta et s'approcha de Manon. La dominant de toute sa hauteur, il poursuivit son attaque verbale :
— Tu t'es aussi inscrite dans un club d'autodéfense, voilà six mois. Tu t'y rendais quatre fois par semaine, avant de tout stopper il y a un mois ! Quatre fois par semaine, comme ça, tout d'un coup !
Il s'accroupit pour venir se placer à dix centimètres de son visage.
— Aujourd'hui, tu te fais agresser, et bizarrement tu t'en sors en désarmant ton adversaire. Grâce à tes cours, justement. Tu as même essayé de le buter avec ton flingue. Comme si on t'avait préparée, programmée à anticiper tout ça. Ton délicieux protecteur t'a même fourni une arme ! Que sais-tu qu'on ignore ?
Manon secouait la tête à toute vitesse, au bord des larmes.
— Je ne me souviens pas ! Je ne me souviens pas !
Turin souffla par le nez, excédé.
— Mais tu aurais pu apprendre que tu suivais des cours ! Tu aurais pu en apprendre la raison ! Ces séances doivent bien être notées quelque part dans ton putain d'organiseur !
Manon passa sa main ouverte devant son visage, lentement, serra le poing et le fit pivoter d'un mouvement sec. Elle ressentit alors la force des coups en elle, la maîtrise du combattant. Aussi fou que cela pût paraître, elle savait se battre.
Avec des gestes incroyablement vifs et précis malgré sa nervosité, elle se mit à fouiller dans son N-Tech. Turin et Lucie s'approchèrent plus près encore. Sous leurs yeux, la mathématicienne remonta des semaines en arrière, faisant défiler le détail de chaque journée. Photos, notes écrites, enregistrements audio titrés. Rien, absolument rien ne concernait son entraînement. Juste une infinité de rendez-vous, des remarques en tout genre. Ni cours d'autodéfense, ni leçons de tir.
Puis, soudain, dans la fonction « Alarme », cette alerte datée du 1er mars et déclenchée ce midi : « Va voir au- dessus de l'armoire de la chambre. Prends l'arme, et arrange-toi pour ne jamais t'en séparer. Jamais. »
— Alors ? Il est toujours pas à toi ce Beretta ? lança Turin.
— Mais... Mais je n'y comprends absolument rien !
— Quelqu'un a dû manipuler les informations, suggéra Lucie. Et vous manipuler, vous.
— Me manipuler ? Non, impossible ! Strictement impossible ! Je m'en serais rendu compte. Je n'inscris là-dedans que ce dont je suis sûre ! Si on me dit de noter des choses que je n'ai pas pu vérifier, je ne le fais pas !
— Comme lorsque votre frère ou Vandenbusche vous affirment que votre mère a appelé alors que vous avez oublié ?
Manon fronça les sourcils.
— C'est différent. D'abord, j'ai confiance en eux. Et pourquoi me mentiraient-ils sur un sujet aussi simple et sans conséquences ?
— D'accord, répliqua Lucie. Et si on vous forçait à rentrer des informations sous la contrainte ?
— Il faudrait qu'on sache exactement la manière dont je saisis mes données, à quel endroit. Sous la contrainte ? J'inscrirais les infos dans un dossier bidon... Et si vous pensez qu'un autre peut le faire à ma place... Non. Mon N-Tech se verrouille automatiquement dès que je ne l'utilise plus ! Personne ne connaît mon mot de passe, je le change régulièrement !
— En le piochant dans votre coffre-fort, c'est ça ?
— Comment vous...
— Votre frère m'en a parlé.
— Mon système de protection est cent pour cent fiable, vous comprenez ? Je suis extrêmement prudente ! Je le sais !
— Manon... Vous êtes amnésique, vous ne pouvez être sûre de rien...
— Comment osez-vous ? répondit la jeune femme, outrée, avant de hurler à l'intention de Turin :
— Et toi, qu'est-ce que tu fiches ici, chez moi ?
Sans même prendre la peine de répondre, Turin sortit de la salle de bains en faisant signe à Lucie de le suivre.
— Juste une seconde, Manon. Nous sommes à côté. Et cette fois-ci, ne faites pas de bêtises... fit la flic avant de le rejoindre dans la chambre.
— Vous pensez comme moi ? demanda-t-il.
— Le frère?
Il opina du chef.
— Tout nous ramène à lui... Il peut très bien s'être emparé du N-Tech et y avoir ajouté ou supprimé ce qu'il voulait. Je sais pas moi... pendant un moment d'inattention de sa sœur. Ou alors, comme vous le sous-entendiez, elle lui fait tellement confiance qu'elle prend pour argent comptant tout ce qu'il lui dit.
Il croisa les bras et ajouta :
— L'auteur du message dans la cabane des chasseurs connaissait le passé de Manon, ses habitudes d'adolescente. .. Et il y a aussi ce trou dans l'emploi du temps de Frédéric Moinet, entre midi et 14 heures, juste au moment où la vieille a été butée... L'heure du déjeuner, je vous l'accorde. N empêche, ça fait beaucoup.
Lucie acquiesça sans conviction.
— C'est quand même un peu gros... On le suspecte de quoi, au juste ? D'avoir assassiné Dubreuil ? D'être le Professeur ? C'est rigoureusement impossible.
— Pas d'avoir assassiné Dubreuil, ni d'être le Professeur, mais d'être impliqué dans ce merdier, d'une façon ou d'une autre. Manon a été enlevée ici même... Sans résistance... Puis relâchée à peine quelques heures plus tard... On la manipule... Peut-être au point de l'avoir « forcée » à prendre des cours de tir, de self- defense, avant de tout effacer de son appareil.
Pour une fois, ils avançaient sur la même longueur d'onde. Lucie prolongea la pensée de Turin :
— Peut-être en prévision de la campagne de pub de N-Tech et MemoryNode. Frédéric savait qu'un jour ou l'autre, Manon s'exposerait médiatiquement, et que le Professeur pourrait réagir de nouveau. Il lui a fourni une arme pour qu'elle puisse se défendre...
Elle marqua une pause, avant de s'objecter à elle- même :
— Ceci dit, ça peut aussi bien être Vandenbusche, ou n'importe qui d'autre. En fait, tous ceux qu'elle a croisés depuis qu'elle utilise cet engin. Des patients de MemoryNode, des commerciaux de N-Tech... Ou bien même vous... Il suffisait de gagner sa confiance...
Le lieutenant parisien ne tint pas compte de la dernière pique. Il s'affaissa sur la table du salon, la tête rentrée dans les épaules.
— Le putain de calvaire recommence... À peine une journée d'enquête, et nous voilà autant largués qu'il y a quatre ans... Manon est le point central de cette affaire, elle l'a toujours été. Et c'est pour cette raison qu'on essaie de l'éliminer.
— Et de la protéger.
— Et de la protéger...
Un bruit derrière eux. Manon se dressait dans l'embrasure de la porte, toute tremblante. Elle écarta le bas de sa serviette éponge.
Sa nouvelle plaie, en lettres de sang.
La mathématicienne indiqua du bout de l'ongle les signes incrustés dans sa peau, à côté de son ancienne cicatrice.
Toujours en miroir, les lettres BERNOULLI.
« Trouver la tombe de Bernoulli. »
— Quand ? Dites-moi quand j'ai écrit cela ! s'écria Manon. Dites-moi !
— Pendant que je coursais votre agresseur, répondit Lucie, interloquée. Quand... Quand je suis entrée chez vous, vous aviez les mains autour de la gor...
Elle s'interrompit net, soudain traversée par un souvenir : d'après Frédéric, Manon avait inscrit « Trouver la tombe d » au cours d'une crise dans sa salle de bains, où elle étouffait, la main sur le cou. Précisément comme aujourd'hui. L'amorce dont avait parlé Van- denbusche, le geste ou la parole capable de solliciter la mémoire du corps, était cet acte d'étranglement.
Chez Frédéric, quelques heures plus tôt, Lucie avait visé juste. En subissant la même agression, Manon venait de revivre le jour du cambriolage. L'ambiance, les odeurs, les sons cachés quelque part dans sa mémoire à long terme... Son agresseur, voilà trois ans, avait dû lui chuchoter un message à l'oreille, peut-être lui avait-il délivré la clé de l'énigme, alors qu'il la privait d'air en lui écrasant la trachée.
— Ça va pas ? fit Turin.
— Si, si, excusez-moi, répondit Lucie.
Elle reprit, s'adressant à Manon :
— ... Vous aviez les mains autour de la gorge, et vous murmuriez ce nom, ce Bernoulli...
Manon se mit à tamponner les zébrures pourpres. La voix fiévreuse, elle affirma :
— La réponse se cache à Bâle, en Suisse.
— En Suisse ?
— Sur la tombe de Bernoulli !
Turin et Lucie échangèrent un regard.
— Qui est Bernoulli ?
Manon se dirigea vers une armoire pour y récupérer des vêtements.
— Bernoulli ! Bernoulli ! C'était donc cela !
— Mais qui est-ce ?
— Bernoulli était l'un des plus illustres mathématiciens du xvif siècle, contemporain de Leibniz, Boyle ou Hooke ! Il s'est intéressé au calcul infinitésimal et intégral, sans...
— On s'en fiche ! l'interrompit Turin. Va au fait ! Pourquoi Bernoulli ?
La réponse fusa :
— Il a passé la moitié de sa vie à percer un mystère qui est le cœur de toute cette affaire ! Le mystère des spirales !
Elle désigna le nautile tatoué sur son épaule, avant d'ajouter :
— Bon sang de bon sang. C'était là, sur mon corps, depuis des années. Et c'était une évidence.
29.
— C'est moi qui aurais dû partir là-bas avec elle ! Mince, commandant !
Kashmareck grillait sa cigarette au bout de l'impasse, à proximité d'une ambulance. Les poings solidement plongés dans les poches de son blouson, furieuse, Lucie shoota de la pointe du pied dans un caillou.
— Tu as entendu ce qu'a dit notre médecin ? grogna Kashmareck. Tu as sans doute une tendinite !
— Non, non ! Je vais faire des étirements, je suis sûre que...
— Écoute Henebelle ! Turin et Moinet ont déjà travaillé ensemble par le passé, il connaît son affaire et en plus il a autorité sur toi concernant ce genre de décisions. Alors tu devrais passer à autre chose... Je te rappelle que tu dois te farcir le rapport sur ce qu'il vient de se passer.
Lucie ouvrit grand ses mains devant elle, en signe de désapprobation.
— Mais Manon refusait quasiment de partir avec lui ! Vous savez ce qui est noté dans son N-Tech ? « Ne plus jamais travailler avec ce pervers » ! Ce pervers !
Kashmareck regarda autour de lui, s'assurant que personne n'entendait.
— Je t'interdis de cracher sur un collègue, d'accord ? Moinet est partie de son plein gré, personne ne l'a forcée !
Lucie ne voulait pas en démordre. Elle insista :
— Dans six ou sept heures, ils arriveront à Bâle. De toute façon, tu n'as rien raté, on ne résout pas une affaire avec un truc pareil... Une cicatrice vieille de plusieurs années... Je ne vois pas ce qu'il y a à récupérer sur une tombe perdue en Suisse.
— Peut-être qu'il...
— Bon, du concret maintenant ! Parle-moi plutôt de l'agresseur !
Lucie haussa les épaules, vexée par l'attitude de son supérieur.
— Que dire ? J'ai poursuivi une ombre.
— Mais encore ?
— Il courait vite, le dos bien droit, signe d'une certaine jeunesse. Trente, quarante ans maximum. Il me semble qu'il portait un jean avec un long imperméable... Un sac à dos et aussi un bonnet. Taille et corpulence moyennes... Genre Turin. Les fers de ses chaussures claquaient sur les pavés, le type de fer qu'on trouve sous des bottes. Mais... je n'ai rien d'autre... Faudra essayer de voir avec les témoins qu'on pourra retrouver.
Elle marqua une pause, avant de reprendre :
— En tout cas une chose est certaine, on n'utilise plus Manon comme l'objet d'un rituel ou l'élément d'une mise en scène, comme c'était le cas dans la cabane des chasseurs, mais on cherche bien à l'éliminer.
— Qui ça, « on » ?
Des gyrophares teintèrent les murs de l'impasse de reflets bleutés. L'ambulance démarra et disparut rapidement dans les ruelles du Vieux-Lille.
— Je sais pas, mais je suis sûre qu'il ne s'agit pas du Professeur. Et là-dessus, Turin est d'accord avec moi. On en a parlé avant l'arrivée des secours.
— Précise, s'il te plaît...
— L'agresseur a endormi les collègues au pistolet hypodermique, il aurait très bien pu agir de même avec Manon pour ensuite préparer son rituel, stimuler ses fantasmes. Mais là ? Il entre et essaie directement de la tuer en l'étranglant. Il était venu l'exécuter à la va- vite, comme par le passé.
— Le passé ? Tu vois un lien avec le cambriolage de l'époque ?
— Ça me paraît être une sérieuse hypothèse. Quoi qu'il en soit, s'il s'était agi du Professeur, pourquoi ne l'aurait-il pas éliminée dans la cabane de chasseurs ? Notre tordu de maths ne se serait pas exposé de la sorte, ici, dans cette impasse, avec des flics en faction. Trop, bien trop risqué pour un individu si méticuleux, si calculateur.
Kashmareck réajusta le col de son blouson bleu nuit « Police nationale ».
— Alors tu crois qu'on a en face de nous deux personnes différentes ?
— C'est clair. D'un côté, le Professeur, monstre de vice et de perversité, infligeant la souffrance absolue à ses victimes selon un cérémonial millimétré, programmé des semaines à l'avance. Le ravisseur de Manon, le meurtrier de Dubreuil. De l'autre, un individu qui a peur de ce qu'elle pourrait découvrir. Probablement le même individu qui l'a déjà agressée à Caen pour la même raison. Et qui se croyait hors de danger parce que Manon avait perdu la mémoire et qu'elle était donc, à ses yeux, comme morte.
— L'homme aux bottes se serait réveillé parce que le Professeur est de retour ? Parce que l'affaire est sous les projecteurs ? Et que Manon se voit propulsée au centre de tout ce micmac ?
— Exactement, c'est le mot, « réveillé ». Imaginez-le tranquillement installé chez lui à regarder la télé ou à lire le journal. Il découvre l'info sur le Professeur, l'assassinat de Dubreuil et l'enlèvement de Manon... Avec en plus le visage de Manon placardé sur tous les murs de France... Il commence à douter, à prendre terriblement peur. Et si Manon avait retrouvé ses capacités ? Et si elle pouvait maintenant se souvenir d'un détail le mettant en danger, lui ? Ou aider la police, comme à l'époque ? Tout simplement, il se met à craindre qu'on remette le nez dans cette vieille affaire, et qu'on découvre enfin ce qui nous avait échappé alors.
— Mais quel rapport avec le Professeur ?
— Ça, c'est la grosse inconnue. Cet homme est peut-être l'élément que Turin et ses équipes n'ont jamais réussi à dénicher.
Lucie avait une terrible envie de se masser le mollet. Son muscle lui brûlait horriblement. Elle garda cependant un air détaché. Elle devait rester sur le coup, à tout prix.
— Ce qu'il se passe autour de Manon, de sa mémoire, est vraiment bizarre. Depuis quelques mois, elle suit des cours de tir et d'autodéfense, de manière intensive. Ce qui lui a évité de se faire égorger, ce soir. Nous avons fouillé dans son organiseur, rien ne concerne ces activités, le néant !
— Effacé?
— Vraisemblablement. Par contre on a retrouvé un message concernant le Beretta, programmé il y a près de deux mois et qui s'est déclenché ce midi. Il lui disait d'aller le chercher au-dessus de son armoire et de ne jamais s'en séparer.
— C'est quoi ce bordel, encore ?
— Quelqu'un a déposé le flingue à cet endroit, lui a fait prendre des cours de tir, et a programmé ce message, sûrement pour la protéger. Son N-Tech a été trafiqué, j'en suis persuadée.
— Son frère ?
Lucie se pinça les lèvres, dubitative.
— D'instinct, on pense tous à lui, bien évidemment, mais en réfléchissant... je suis pas si sûre.
— Je crois quand même qu'il va falloir cravacher Frédéric Moinet plus sérieusement, dit Kashmareck.
Lucie acquiesça.
— Cette affaire prend vraiment des proportions démentes. D'abord, le Professeur... Ensuite un autre type, ce faux cambrioleur d'il y a trois ans, qui cherche aujourd'hui à tuer Manon... Puis un troisième individu, qui manipule son N-Tech et dirige son existence...
Le commandant l'interrompit :
— Moi, j'ai une autre hypothèse, pas plus stupide que toutes les autres. Le Professeur, OK avec toi. L'agresseur de Manon, OK avec toi. Mais pour le N-Tech... Est-ce qu'il serait pas possible que notre mathématicienne simule parfois son amnésie ? Qu'elle prétende ne pas se souvenir, alors que sa mémoire fonctionne ? Qu'elle n'ait pas besoin de tout noter pour se rappeler ? Qu'elle nous bluffe, en quelque sorte ?
Lucie secoua la tête, catégorique.
— Vandenbusche est formel, rien ne se fixe dans sa mémoire sans un pénible apprentissage. Les IRM et une batterie de tests neuropsychologiques prouvent un réel déficit. Ces tests sont fiables à cent pour cent.
— On a déjà vu des gens suffisamment habiles pour tromper les tests consciemment, voire inconsciemment.
— Peut-être, mais certainement pas les IRM. Et puis j'ai bien vu le comportement de Manon. La première nuit, quand elle errait dans Lille, puis à Hem, et au lac de Roeux. Et même ce soir, dans sa salle de bains ! Ses yeux ne mentaient pas, elle me voyait bel et bien pour la première fois à chaque rencontre !
Sous l'effet d'une soudaine bourrasque, les boucles blondes de Lucie ondulèrent devant le bleu de ses yeux.
— Tout compte fait, l'homme aux bottes a tout raté, enchaîna-t-elle en boutonnant son blouson jusqu'au cou. En étranglant Manon voilà trois ans, il lui a probablement révélé une information en relation avec la tombe de Bernoulli, peut-être lui a-t-il livré par orgueil la clé de toute cette énigme... Et aujourd'hui, il a réveillé involontairement la mémoire de son corps. Contrairement à vous, je pense que ce déplacement en Suisse n'est pas inutile. Que sur la tombe de ce mathématicien nous apparaîtra un élément déterminant pour l'enquête. Un secret préservé jusqu'à aujourd'hui...
— Peut-être, oui, espérons...
— Bon, je vais rentrer chez moi maintenant, fit Lucie, je veux être d'attaque demain. Ah ! Un dernier truc. Vous avez lu le rapport du paléontologue ?
— Oui. Intéressant.
— Deux des appartements de Frédéric Moinet sont en travaux. Peut-être y aurait-il un burin à y ramasser... Même si... je sais que ça peut pas être lui, c'est impossible.
— Et pourtant, tu me demandes de vérifier.
Lucie lui répondit par un sourire. Puis elle le salua avant de s'éloigner.
— Au fait... demanda Kashmareck.
Il se racla la gorge.
— ... le médecin... Ta prise de sang...
Elle se retourna.
— C'est bon. Négatif. Pour l'instant... Parce qu'il faudra faire un nouveau dépistage dans six mois...
30.
Les paupières baissées, un casque sur les oreilles, Manon écoutait inlassablement les conversations enregistrées dans la journée. Lucie Henebelle, la flic aux boucles blondes, venue la rencontrer à Swynghedauw pour lui parler du Professeur... Turin, de nouveau sur l'affaire... Sa récente agression, dans l'appartement... Cette cicatrice incomplète, dont elle avait si longtemps cherché la signification... La tombe de Bernoulli... Elle se rapprochait de la solution, elle le sentait.
Manon ouvrit soudain les yeux.
Elle s'affola. Une voiture inconnue ! Turin, à ses côtés ! Que se passait-il ? Sa main se porta immédiatement sur la poignée de la porte, mais la feuille A4 scotchée dans l'angle du pare-brise interrompit son geste. Son écriture :
« Direction la cathédrale de Bâle, pour la tombe de Bernoulli.
Tu redouteras ma rage — Eadem mutata resurgo.
Il est normal que tu te trouves dans cette voiture avec Turin. Il s'occupe de l'affaire. Ne réponds pas à ses questions. Bernoulli. Juste Bernoulli... »
— C'est au moins la dixième fois que tu attrapes cette putain de poignée de portière, cracha le lieutenant parisien sans quitter la route des yeux. J'ai verrouillé, pour éviter que tu fasses une connerie. T'es pire qu'un gosse.
Il vida sa canette de Coca, qu'il écrasa d'une seule main et jeta par la fenêtre.
— Pourquoi je m'acharne à te le répéter ? Dans une minute, tu auras oublié, et il faudra tout recommencer. Je ne sais pas comment tu supportes ton état. Ou si, je sais. Tu ne le supportes pas, mais même ça, tu l'oublies.
Un panneau vert « Bruxelles-Luxembourg-Namur ». Il s'engagea sur l'autoroute E411, puis observa sa passagère du coin de l'œil. Les traits d'ange d'abord, la poitrine ensuite, dont les formes bombées arrondissaient son pull.
— Je croyais être guéri de toi, confia-t-il dans un souffle. Je croyais t'avoir oubliée. Du moins, j'ai essayé, j'ai vraiment essayé. Mais... Manon... Te revoir... Tout se réveille... C'est quand même un hasard formidable, non ? Je veux dire là, nous deux, arpentant le bitume, comme à la vieille époque. Au temps où nos journées étaient pleines de rebondissements.
Manon tourna la tête vers la vitre passager, la gorge nouée. Comment avait-elle pu accepter de partir seule avec lui ? Pourquoi n'était-ce pas cette Lucie Hene- belle qui l'accompagnait ? Elle effleura discrètement le métal de son téléphone portable dans sa poche. Un malaise grandissant lui serrait le cœur.
— Quand tu m'as abandonné, tu m'as rendu fou, poursuivit-il. Tu...
Elle se tourna vers lui, incapable de contenir le feu de sa colère.
— Abandonné? Mais de quoi tu parles? Je n'ai jamais éprouvé le moindre sentiment pour toi, j'ai toujours été claire ! C'est toi qui ne me lâchais pas, qui me harcelais ! À l'époque, j'aurais dû porter plainte ! J'aurais dû raconter que le grand lieutenant Turin n'était qu'un pervers, un voleur de sous-vêtements et un client régulier des prostituées !
Il ricana.
— Mais tu ne l'as pas fait, parce que je continuais à te fournir des informations sur le Professeur. Tu étais pire qu'une droguée. Donnant-donnant, tu te rappelles ?
— Donnant-donnant, répéta-t-elle. Échange de bons procédés.
Elle le regarda fixement.
— Tu t'es fait soigner ?
— Je vais bien, merci de te soucier de ma santé sexuelle.
— Ta maladie des femmes se guérit, tu sais... Tu aurais dû...
Elle vit ses mâchoires se contracter.
— Garde tes leçons pour toi. Les psys, c'est pas mon truc. Ni aujourd'hui, ni jamais. Ne parle plus de ça, t'as compris ?
Manon sentit un tressaillement sous sa peau. Elle avait oublié à quel point ce type était volcanique. Et dangereux.
— Aujourd'hui, les compteurs sont remis à zéro, rétorqua-t-elle sèchement. Ne t'avise surtout pas de me toucher ou je déballe tout. Contente-toi de regarder la route, et emmène-nous là-bas. D'accord ?
Il reprit un ton conciliant, et même étonnamment calme.
— En tout cas, je vois que tu as sérieusement progressé. On pourrait presque te croire normale...
— Je suis normale !
— Si on veut... Au fait, j'ai aperçu ce poster de toi, cette publicité pour les N-Tech...
— Des photos de moi ? Où ça ?
— Tu dois avoir plein d'admirateurs, des tas de gens qui veulent te rencontrer. Tu as bien réussi ta reconversion, loin des mathématiques.
Elle le considéra avec mépris. Décidément, en quatre ans, rien n'avait changé.
— Ma reconversion ? Sais-tu seulement à quoi ressemble mon quotidien ? Sans MemoryNode, je ne suis plus rien ! Mes voisins pensent que je suis folle ou que je me fiche d'eux parce que je ne les reconnais pas ! On me prend pour un être creux, vide, alors que... que tout est encore en moi ! Je bouillonne, Hervé ! Je bouillonne de vie ! Mais que faire, moi qui ne peux même plus ouvrir le gaz sans prendre le risque de faire exploser mon appartement ? Je ne sais jamais ce qu'il se passe autour de moi ! Quel jour sommes-nous ? Matin, soir ? Quel mois ? Est-ce que j'ai déjà mangé, ou ramasse le courrier ? Voilà mes éternelles obsessions. Je n'ai plus d'envies, voyager ou acheter de jolies choses ne me sert à rien. Je vis dans une boîte hermétique ! C'est cela que tu appelles une reconversion réussie ?
Il tenta de lui caresser le visage, mais elle le repoussa vivement. Il retint son bras pour ne pas la cogner.
— Puisque tu t'es enfin décidée à me parler, lui envoya-t-il, tu pourrais peut-être m'expliquer ce qu'on va foutre en Suisse ?
Elle pointa la feuille A4.
— « Eadem mutata resurgo. » « Changée en moi- même, je renais. »
— Me voilà super avancé.
— Si tu pouvais rester agréable, cela faciliter ait les choses. « Eadem mutata resurgo » est une citation très connue dans les communautés mathématiques, inscrite sur la tombe de Jacques Bernoulli. Elle concerne les spirales.
— Encore ces fichues spirales ?
— Qu'on leur fasse subir une rotation, qu'on les agrandisse ou qu'on les rapetisse, elles restent toujours identiques à elles-mêmes, elles renaissent à l'infini. C'est le sens de « Eadem mutata resurgo ». Ces figures parfaites ont fasciné le mathématicien suisse jusqu'à sa mort, il leur a même consacré un traité, Spira mirabilis.
— C'est bien beau tout ça. Et alors ?
— Et alors ? Rappelle-toi le message, inscrit dans la maison hantée de Hem !
— Parce que tu te rappelles maintenant, toi ?
— J'ai appris, je...
— Je n'y étais pas dans ta maison, je te signale.
— «Si tu aimes l'air, tu redouteras ma rage». «Tu redouteras ma rage » est l'anagramme exacte de « Eadem mutata resurgo », sauf qu'il faut changer l'un des « r » en un « m ». « Si tu m l'r ». D'une manière ou d'une autre, même sans cet... étranglement, le Professeur savait que je résoudrais cette énigme. Il cherche à nous conduire là- bas. Il a quelque chose à nous montrer.
Turin émit un sifflement d'admiration.
— Décidément, tu m'en boucheras toujours un coin. T'es une nana prodigieuse.
Il réfléchit un temps, se remémorant sa conversation avec Henebelle. L'hypothèse du Professeur d'un côté, de l'agresseur de l'autre, avec le protecteur, au centre. Trois individus qui se tiraient apparemment dans les pattes.
— Mais... quel serait l'intérêt pour le Professeur de nous emmener là-bas ? Pourquoi il se mettrait volontairement en danger en nous aidant quatre ans plus tard?
— Je l'ignore. Mais en tout cas, il n'agit certainement pas pour notre bien ou notre confort. Le message dit bien : « tu redouteras ma rage ». Cherche-t-il à nous entraîner dans l'un de ses pièges ? À nous mener vers une autre victime ?
Manon bâilla et plaqua l'arrière de son crâne contre l'appuie-tête.
— Et maintenant, si tu permets... Je ne sais pas depuis quand je n'ai pas dormi, mais je suis fatiguée. Et quand je suis fatiguée, je dors.
— Parlons encore un peu... Tu ne veux pas connaître ma vie de ces quatre dernières années ? Savoir comment j'ai évolué dans ma carrière ?
— Tu peux parler des heures et des heures, je ne noterai rien. Je me fiche royalement de ta vie.
De nouveau les écouteurs, les conversations enregistrées. Turin serra le poing. Cette garce se foutait de sa gueule.
Les rayonnements orangés des lampadaires explosaient sur le pare-brise en étoiles diffuses. Les bandes blanches défilaient sous les roues. Soudain, à droite, un panneau.
Une aire de repos, à dix kilomètres.
Turin s'attarda sur le visage de Manon. Tout remontait à la surface. L'objet de ses rêves les plus secrets, de sa douleur, de ses obsessions nocturnes se tenait là, à ses côtés. Il se mit à l'imaginer nue, la poitrine offerte, oscillant contre lui.
Un torrent brûlant se déversait dans ses artères. Oui, il était malade. Malade des femmes, de la baise, des putes. Malade de Manon. Du sexe. Toujours plus. Il avait voulu se guérir, ou tout au moins freiner ses élans en intégrant la Crim. S'éloigner de la tentation qui plane sur les flics des Mœurs. Travailler sans cesse, affronter le pire, jusqu'à ne plus distinguer la nuit du jour. Mais tout cela n'avait servi à rien. Les pulsions enflaient, là, en lui, toujours plus violentes.
Il la contempla encore, sans se lasser. Il pouvait la posséder si facilement. Maintenant, sur cette aire d'autoroute. Aller jusqu'au bout, sans aucun risque. Pourquoi se priver ? Il n'y aurait pas une âme. Ou peut-être un ou deux voyageurs qui, d'ici quelques minutes, découvriraient un couple enlacé dans une voiture. Entités anonymes qui repartiraient vers nulle part, sans chercher à comprendre.
Le changement de direction éveilla Manon. Turin, à sa gauche... La peur... Le geste vers la poignée... La feuille A4, qui freine son mouvement et la rassure. Ainsi, ils allaient en Suisse... à Bâle. Bernoulli. Elle ôta son casque.
— Qu'est-ce que tu fais ? Depuis combien de temps roule-t-on ?
— Deux heures. Pause pipi, si tu veux.
— Ça va aller...
Dans un ronflement tranquille, le véhicule dépassa une station-service qui paraissait flotter dans l'air, tel le vaisseau de lumière de Rencontre du troisième type. Ils s'avancèrent vers le parking destiné aux véhicules légers.
Manon fronça les sourcils.
— Les toilettes sont de l'autre côté, me semble-t-il.
— Pas besoin, un arbre me suffira. Si ça te tente, il y a des biscuits dans le coffre, fit Turin en enfilant son cuir. J'arrive...
Manon se frotta les mains l'une contre l'autre et regarda longuement autour d'elle à travers les vitres. Le parking était presque désert, seuls quelques camions au loin. Un décor sordide. Elle se mit à frissonner.
Le coffre se rabattit violemment. La jeune amnésique sursauta. Panique instantanée.
La main sur la poignée, la feuille A4. Direction Bâle, avec Turin. Turin ? Pourquoi lui ?
Elle jeta un œil dans le rétroviseur. Personne. Elle défit sa ceinture de sécurité et se retourna. Le bitume, les camions immobiles sur la gauche, la masse noire des arbres sur la droite, et deux ou trois points lumineux s'éloignant sur l'asphalte.
Où était Hervé Turin ?
— Hervé ? se surprit-elle à crier, soudain en proie à des bouffées d'angoisse.
Peut-être parti aux toilettes, ou en train de fumer une cigarette. Sûrement même.
Elle voulut allumer la radio pour se rassurer, mais l'appareil n'émit aucun son. Pas de clé sur le contact. Cela était-il normal ? Pourquoi se trouvait-elle seule dans une voiture inconnue, en pleine nuit ? Où s'était- elle encore échouée ? Comment ? Pourquoi ?
Tout se mit à tourner. Elle plaqua ses mains sur ses oreilles.
Au moment où elle se décida à ouvrir la portière, à courir en direction des camions, le lieutenant réapparut, le perfecto sous le bras, et pénétra dans l'habitacle.