Depuis ce matin, Crab s'astreint à la discipline suivante: il ronge les ongles de sa main gauche quand il redoute quelque chose, et les ongles de sa main droite quand il brûle d'impatience. Ainsi il connaîtra le fond de sa nature. Sombre ou emportée, inquiète ou fervente, anxieuse ou espérante, ce soir enfin il saura ce qu'elle est vraiment, d'après l'état de ses deux mains, il cessera d'être une énigme pour lui même.
Il se façonnera en conséquence un masque définitif, béat ou douloureux, mais impassible, fermé aux humeurs passagères, que ne bouleverseront plus les contingences heureuses ou malheureuses, ni la surprise ni l'effroi, un masque en cuir bouilli qui donnera de lui l'image la plus juste, sans dissimulation possible, sourires forcés ou larmes de culture, chacun pourra légitimement le juger sur sa mine.
Mais il n'est pas encore midi, et ses dix doigts saignent.
Crab n'y comprend rien, il vient de compter ses cheveux à trois reprises sans jamais parvenir au même résultat. Il est décidément bien difficile de se connaître soi-même intimement. Les chauves ont cet énorme avantage. Au reste, il suffit d'en connaître un pour les connaître tous. Mais Crab est quelqu'un de très mystérieux, très chevelu. Il s'obstine cependant, il veut savoir, il recommence – un, deux, trois…