Mais encore, Crab porte en permanence sur le dos un lourd fauteuil, car rien n'est fatigant comme de porter en permanence sur le dos un lourd fauteuil, et il est nécessaire de s'asseoir de temps en temps pour souffler un peu.
On n'en finit pas de découvrir Crab.
Crab est myope comme un écureuil – ou bien était-ce une taupe, ce petit animal?
Son menton est volontaire, son regard hésitant. Aux oreilles de décider.
Crab se laisse conduire, il erre, il répugne simplement à grimper, les côtes ou les escaliers, il suit plus volontiers la pente. C'est un fait, il n'a jamais gravi les marches d'un escalier; il en trouve encore pourtant, chaque jour sur son chemin, au moins un escalier qui descend. Crab dévale donc, sans se presser, sans s'y astreindre aucunement, plutôt par facilité – sa manière à lui d'être une boule et de rouler, par voie de conséquence. Des passants le dépassent souvent, emportés par leur élan, mais l'indifférence de Crab le met à l'abri de ces phénomènes voisins de l'enthousiasme, il descend à son rythme et les mains dans les poches des parois presque à pic. Des cyclistes le frôlent, courbés sur leurs guidons, décoiffés, défigurés par la vitesse, Crab affiche imperturbablement le même air indécis. A petits pas, sans destination précise (car où aller?), il avance parce que la pente s'y prête.
Il y eut l'événement controversé de sa naissance. Depuis, plus rien. D'autres en effet partagent sa situation, mais ils sont animés par l'espoir, ceux-là, ils voient plus loin, leur heure viendra. L'attente fait salle comble. Vous êtes enfin introduits dans le cabinet d'un mage sinistre qui sait exactement combien de jours il vous reste à vivre, très peu, mais que vous allez sentir passer – qui vous ôte un poumon, un rein, un cœur, puis vous raccompagne jusqu'à sa porte – au suivant. Crab n'y est pas, n'attend rien, personne, n'attend pas, écoule les heures.
D'ailleurs, les médecins le tiennent déjà pour mort – pour déjà mort. Ses interventions sont trop rares pour ébranler leur conviction, son pouls est trop capricieux. Cet homme est mort, répètent-ils, son décès remonte au moins à trois ou quatre ans. N'exagérons rien. Crab n'est pas en vie, indéniablement, mais de là à prétendre qu'il est mort? Crab ne sait plus lui-même. Peut-être, après tout? Il se tâte, puis se pince, difficile à dire. Il lui faudrait un scalpel. Ses bras retombent. Il ne se prononce pas. Ni pour ni contre ce corps posé là, pesant et diffus à la fois. Sensible anéanti. Nébuleux. Cent kilos d'ankylose. Déjà à moitié dévoré par les chats, ou n'est-ce qu'une désagréable impression?
Crab fait irruption dans la boutique d'un marchand de lin.
– Quatre mouchoirs, vite, je saigne, je sue, je pleure, je tousse.
– Par ici, cher monsieur, laissez-moi plutôt vous montrer nos linceuls.