Crab mourait d'ennui. Les voyages, les spectacles, rien ne parvenait à le distraire. Les drogues stimulantes prescrites par ses médecins restaient sans effet. Il cessa de se nourrir. Mâcher, ça va une fois, ça devient aussitôt ennuyeux. Ses forces déclinèrent.
Si le nageur qui renonce à nager coule à pic, pensait Crab, la terre va s'ouvrir sous mes pieds, j'abandonne. C'est ainsi qu'il faudrait mourir, le sol se dérobe et notre corps trop las pour continuer est enseveli debout, planté là sans autre forme de cérémonie, tandis que déjà le calme revient à la surface et que disparaît sous les herbes toute trace de cette rapide sépulture.
Mais Crab n'était pas davantage curieux de la mort. La perspective de la vie éternelle n'est pas faite pour réjouir celui que chaque seconde accable. Quant au néant que d'autres lui promettaient, il ne l'attirait pas non plus – qu'a-t-il de moins à offrir que le vide? Or du vide, Crab en avait le crâne enflé et l'estomac rétréci.
Il dut s'aliter. Convoqués une nouvelle fois, les médecins ne purent que confirmer leur vain diagnostic. Crab mourait d'ennui. Leur science était impuissante.
Alors quelqu'un eut l'idée d'appeler à son chevet un maître horloger, qui le sauva.
Cependant, Crab ne guérira jamais tout à fait. Sans atteindre le degré de gravité de la première crise, les rechutes sont fréquentes. L'ennui le réveille encore parfois au milieu de la nuit.
Crab réagit. il sort de son lit, met de la musique, se sert à boire, prend un livre, allume sa pipe – et l'ennui lui avance un fauteuil profond. Crab s'en extrait avec peine.
Il grimpe dans son atelier. Du solide, l'ennui, trois dimensions, de la matière brute, un sculpteur en ferait quelque chose – mais à quoi bon? soupire Crab, et il lâche ses outils.
Le bonbon, dit Crab – à quoi bon? à quoi bon?