Crab, embarrassé, ne sachant où mettre ni quoi faire de ses mains, les enfouit machinalement dans les poches de son pantalon, de sa veste ou de son manteau. Résultat, lorsqu'il en a besoin pour une chose ou pour une autre, il doit fouiller toutes ses poches pour les retrouver. Quand il les retrouve. Quand il n'y trouve pas plutôt ses pieds.
C'est triste à dire, mais Crab manque de répondant.
Mis en demeure de donner son avis sur telle ou telle question, il brûle avec son pourpoint et tombe en cendres. N'existe plus, est mort la veille, visite la lointaine Afrique. On se détourne de lui avec dédain.
Alors lui vient aux lèvres la réplique cinglante qui eût cloué le bec à tous ces bavards sûrs de leur fait. Mais il est trop tard, la maîtresse de maison a raccompagné ses invités, Crab est seul dans l'escalier où son esprit désengourdi fait des bonds de mousquetaire. Combien de fois, au sortir de ces dîners, après une prestation des plus piteuses, Crab s'est-il retrouvé subitement bloqué entre deux étages avec un mélodieux piano sur les bras! Combien de fois n'a-t-il pas astucieusement, malicieusement déposé un crachat sur la rampe! Mais cela sans témoins, sans public, et seul informé de ce triomphe tardif, tandis que sa honte connue de tous grandissait encore dans la nuit.
Les choses ne peuvent continuer ainsi. Crab sait bien ce qu'il va faire.
Dorénavant, chaque nuit pour le lendemain, il préparera ses répliques et ses reparties. Il les écrira. C'en sera fini des silences embarrassants, des bégaiements, des échanges de banalités et de politesses défensives. Et si les réponses de Crab paraissent alors légèrement saugrenues, et même sans aucun rapport avec les questions posées, voire totalement incongrues, on n'en admirera que plus cet esprit rare, toujours soucieux d'élargir le débat.
Demain, par exemple et pour commencer, la première personne qui abordera Crab dans le café où il trempe quotidiennement son croissant s'entendra répliquer du tac au tac:
– Le chat est un vertébré qui s'ignore… chut…
Cela dit, Crab videra sa tasse d'ùn trait et fera sa sortie.
Crab préfère d'ailleurs ne pas se mêler aux conversations. Du moins se bornera-t-il à indiquer les références de tel passage de tel de ses écrits innombrables, qui traite précisément du sujet débattu et fait le tour de la question – et la règle une bonne fois pour toutes. Vous voudrez bien vous y reporter. Vous ne tirerez rien d'autre de lui.
Crab n'est pas impressionné par le vaste Océan, ses requins, ses typhons, ses îles englouties, ses vagues plus hautes que nos maisons. L'Océan ne lui en impose pas. Il le fixe sans ciller, mains sur les hanches, dans une attitude de défi, et s'adresse à lui plutôt sèchement:
– Passe-moi le sel, vieil Océan.