Ne soyez pas surpris si vous voyez un jour Crab se diriger vers vous d'un pas résolu, sans courir cependant ni claquer des talons, plutôt lentement, et même précautionneusement, comme s'il traversait un étang gelé, sans regarder ses pieds pourtant ni tâter le terrain du bout de son soulier, au contraire, d'une foulée régulière et très assurée, comme s'il marchait sur de l'herbe ou sur un tapis moelleux, sans s'y enfoncer pourtant, au contraire, avec une certaine hâte perceptible quoique ralentie au prix d'un gros effort de volonté, non moins visible, comme s'attarde sur des charbons ardents le fakir qui entend tinter les piécettes autour de lui et finit par s'imaginer à la lueur des braises qu'il roule réellement sur l'or – ne soyez pas surpris si Crab, arrivé enfin à votre hauteur, vous dévisage d'un air pensif, sans insistance néanmoins ni provocation, au contraire, plutôt discrètement, à la dérobée, comme s'il attendait de vous un signe, une réaction quelconque, afin de savoir exactement à quoi s’en tentr sur votre compte, sans vous questionner cependant ni chercher à capter votre attention, au contraire, s'enfuyant si par hasard vous lui adressez la parole ou si vous plantez votre regard dans le sien, mais demeurant là tant que vous ne dites rien, tant que vous ne bougez pas le petit doigt ni ne faites un geste qui puisse l'effaroucher, tant que vous paraissez indifférent, distrait, lointain, voire dédaigneux, et que vous semblez même ne pas remarquer sa présence, ou vous en moquer – ne soyez pas surpris si Crab enfin vous ferme délicatement les yeux, il a de bonnes raisons de croire que vous êtes mort.
Crab, de prime abord, ne ressemble guère à un assassin, ce jeune artiste gracile, on l'imaginerait plutôt enclin à la pitié, au pardon. C'est méconnaître certaines de ses qualités. Dix doigts de pianiste font deux mains d'étrangleur. Crab ne se laissera pas humilier éternellement sans réagir.
Crab voudrait frapper lui aussi – donner son coup de sabre -, mais il n'en a pas le loisir, l'urgence est toujours de parer ceux qu'on lui porte.
En fait, on reproche surtout à Crab d'avoir trop fréquenté sa mère – cette vilaine femme – durant son enfance.