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Cependant, le suicide est une solution trop radicale. Crab voudrait simplement ne plus avoir de tête. Il n'a aucune envie de renoncer aux promenades, par exemple, à la nage ni au jardinage. Son plus grand plaisir est de s'étendre sur l'herbe, au soleil. La caresse fuyante d'un chat bouleverse sa vie comme n'importe quelle histoire d'amour, qui commence dans la douceur et finit par le petit drame de la rupture, il n'en demande pas davantage. Or la tête est bien inutile pour toutes ces choses, réellement superflue. Elle gênerait plutôt. Indiscrète comme celle d'un autre. Crah s'en passera très bien. En elle siègent tous les tourments. Elle conçoit les pensées tristes, la fièvre, les poux, et plus d'amertume alcaline que le foie. Elle roule du charbon. Elle trahit son homme.

De là à se supprimer, non. Crab espère bien être assez vaillant pour la brandir au bout d'une pique et la promener ainsi dans les rues, parmi les foules qui crachent et conspuent, cette sale tête.


*

Cette hypothèse vaut ce qu'elle vaut, venant de Crab, la prudence est de rigueur, mais juste ou non, on admettra avec lui qu'elle est au moins fondée: en vertu de la loi qui oppose à chaque chose son contraire et permet ainsi de la définir par antithèse, le bien contre le mal, la mort contre la naissance, pourquoi n'existerait-il pas, à l'opposé du suicide, une forme de génération spontanée, délibérée? telle conscience diffuse, flottante, telle petite âme vague, furtive comme un courant d'air, qui déciderait soudain de s'incarner, de prendre corps, de venir au monde? Ce qui expliquerait enfin pourquoi certains hommes paraissent si heureux de vivre et tellement à leur aise en effet: ceux-là ont choisi de voir le jour. Ils ont choisi le lieu et l'heure. Ils ont mis toutes les chances de leur côté.

Tandis que Crab n'a pas vu venir l'heureux événement, la veille encore rien ne laissait présager cette issue fatale. Crab n'existait pas plus que d'autres qui n'existeront jamais, innombrable compagnie où il tenait sa place, et c'était parti pour durer éternellement – on sait ce qui advint. Tu porteras ce nom et tu traîneras cette ombre. Crab ne s'est jamais vraiment remis du choc. Il n'a jamais réellement accepté la situation. Cette incroyable liberté qu'on a prise avec lui. Ce séjour forcé au sol. Sur une terre qui fait ses mottes avec les morts. Beaucoup trop de sable dans le sel du désert pour Crab qui a faim. Beaucoup trop de sel dans l'eau de la mer pour Crab qui a soif. Avec la présence de soi jusqu'au bout des ongles irritante, et toute la camaraderie en guerre.

Crab ne fera pas de difficulté pour mourir. La mort rentre les heures dans les pendules. Mourir, c'est soudain n'être jamais né. Crab sera le premier à oublier son nom. Mais il ne s'allongera pas sous un train – où s'arrêtent les trains? Il préfère suivre son ombre qui saura bien le reconduire d'où il vient. Sa place l'attend, déjà inoccupée. Se tuer, c'est enfoncer une porte ouverte. Puisque Crab le dit.


*

Chaque jour qui passe éloigne Crab du jour terrible de sa naissance.

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