Qui était-elle ? Là-bas, au phare, je me posai cette question un nombre infini de fois. Quand le désir m'enflammait et juste après l'avoir possédée. Avant et après chaque assaut, au lever et au coucher du soleil. Je me posais la question chaque fois qu'une vague mourante parvenait à nos plages : du balcon, je voyais la mer, cette extension que nous avions toujours crue vide, et mon imagination mettait en œuvre toute sa puissance pour se demander : qui es-tu, que fais-tu là ?
Je ne saurais jamais rien d'elle. J'étais condamné à cette ignorance primordiale. Entre elle et moi s'étendait une distance inimaginable. Elle faisait partie d'une communauté d'êtres qui vivaient sous les océans. Toute ma fantaisie était impuissante quand il s'agissait de concevoir son monde, sa vie quotidienne et ses banalités, les principes qui régissaient son existence. Comment aurais-je compris les conflits qui l'affrontaient aux siens ? Comment aurais-je compris un jour ses frustrations, ses défaites ? Je ne saurais jamais ce qui l'avait poussée à se cacher dans le phare. C'était aussi impossible que de lui faire comprendre les raisons qui avaient conduit là un Irlandais déserteur. Avant de parvenir au phare, mon âme avait suivi des sentiers tortueux. Et si j'acceptais la possibilité qu'elle fût mon égale, je devais assumer que sa vie ait emprunté des chemins équivalents, oui, mais infiniment lointains. J'ignorais même si chez eux le mot « amour » avait un sens.
Je la traitais avec une douceur que je ne lui avais jamais témoignée jusqu'alors. La première fois que je la possédai, ce fut un acte purement fortuit, parce que j'étais désespéré. Avant de la toucher, ses odeurs me répugnaient. L'absence de cheveux, le contact et la couleur de sa peau, humide, toujours glaciale. Maintenant, je ne pouvais croire que ces réserves eussent jamais existé. Il arriva également que je ne contrôle pas moi-même mes manifestations de tendresse. Il est incontestable qu'au début je les préméditais : je croyais qu'en lui témoignant de l'affection, en l'aimant comme j'aurais aimé une femme, cela provoquerait un rapprochement mutuel. Je croyais que si elle avait un minimum de sensibilité elle percevrait la distance énorme qui me séparait d'un Batís Caffó. De la sorte, pensais-je, sa partie la plus humaine verrait le jour comme un papillon qui sort de son cocon. Il n'en fut pas ainsi. Sans le vouloir, je lui vouais une passion de plus en plus sincère, mais elle n'était pas touchée. Je voyais qu'en moi grandissait un amour neuf, un amour que le phare était en train d'inventer. Mais plus je m'approchais d'elle, plus cet amour sans précédent rencontrait de résistance. Avant de faire l'amour, elle ne me regardait jamais dans les yeux. Après, elle était aussi peu réceptive aux sourires qu'aux caresses. Elle régulait le plaisir avec l'exactitude d'une horloge qui marque les heures. Et avec la même froideur.
Si à l'extérieur du phare elle tolérait mon corps, à l'intérieur elle en faisait un fantôme. Elle me fuyait. Il était inutile de tenter de forcer son attention. Il y avait également un facteur supplémentaire : Caffó lui-même. Quand il était là, elle devenait, si possible, encore plus asociale. Je voulais penser à elle comme à un être particulier, un être soumis à une tyrannie spéciale. Une fois à l'intérieur du phare, cependant, entre les fusils et son maître, elle redevenait le corps idiot habituel, mélange de chien soumis et de chat fuyant. Tout ce qu'il m'avait semblé voir devenait un mirage.
Ces jours-là je ne savais plus de quel côté se trouvait la raison. Peut-être voulais-je seulement rendre mon désir digne. Peut-être voulais-je l'élever à mon niveau, par peur que la mort ne m'emporte à l'état sauvage. D'autre part, j'avais renoncé au monde, à tous les hommes. Et bien que cela me semble incroyable, en moi faisait son chemin l'idée selon laquelle, sans le savoir, elle était le refuge que je cherchais depuis que j'avais fui l'Europe. Quand je me contentais de la regarder, quand je me contentais de la toucher, à ces moments, les cruautés du phare n'existaient plus. Et je pouvais constater, m'étonnant moi-même, que cela ne me faisait même rien qu'elle pût être plus ou moins humaine, plus ou moins femme. Mensonge : le septième jour, le bon Dieu ne s'est pas reposé. Le septième jour, il l'a faite et nous l'a cachée sous les vagues.
Quoi qu'il en soit, mes actes s'affranchissaient de mes réflexions. Maintenant, je faisais des efforts démesurés pour la posséder loin de Batís. Un jour, je l'emmenai dans la forêt puis nous nous endormîmes sur la mousse. Ce jour-là les inconvénients d'un amour si grotesquement clandestin devinrent évidents. Et bien d'autres choses encore.
Je suis une marionnette sans fils, j'ai épuisé des muscles de mon corps dont je ne connaissais même pas l'existence. Je me retourne sur le lit en mousse, avec une conscience qui erre dans des mondes languides. Mais alors qu'il m'échappe un léger bâillement, je remarque que sa main me couvre la bouche et m'oblige à me taire avec la fermeté d'une ventouse de chair. J'ouvre les yeux. Que fait-elle ?
J'entends une épaisse chanson allemande. Près de nous, les bottes en cuir de Bâtis foulent la végétation. Il cherche des troncs pour les travaux du phare. Quand il trouve une victime adéquate, la hache s'abat sans clémence. Il palpe chaque trouvaille, admire son pouvoir et rit tout seul. D'où je suis, je ne peux voir que ses pieds, à quatre arbres d'ici. Il se rapproche un peu, à tel point que les coups de hache provoquent une pluie de copeaux de bois sur nos corps. Elle conserve un calme admirable. Elle ne respire ni ne cille, et sa main me demande de l'imiter. J'obéis. Elle a davantage d'expérience que moi : combien de fois se sera-t-elle cachée de baleines assassines, de mille périls sous-marins ? Batís se racle la gorge, émet des gargarismes satisfaits. Il s'éloigne en chantant.
Quelques heures plus tard, Caffó retrouvait un homme différent. Il entra dans la pièce et s'assit devant moi, à moitié distrait. Je ne dis rien. Il parlait de ses sujets habituels, l'obsession des munitions manquantes et des portes endommagées.
— Batís, l’interrompis-je sans bouger. Ce ne sont pas des monstres.
— Pardon ?
Je mis longtemps avant de lui répéter :
— Nous ne luttons pas contre des bêtes, j'en suis sûr.
— Kollege ! Ce phare rend fou. Vous êtes faible, Kollege, un homme très faible ! Tout le monde ne peut pas résister au phare.
Mais je ne pouvais pas le suivre plus loin. Nos divergences étaient deux chemins qui parvenaient à un carrefour. Je fis un signe de dénégation de la tête, très fatigué. Je traînais les mots. Chacun pesait son poids.
— Non, Batís, non. Vous vous trompez. Ça s'arrête là. Il faut leur envoyer un signe de bonne volonté.
— Je crois que je suis devenu sourd.
— Nous devrions faire un geste envers eux. Peut-être ainsi comprendront-ils que cette guerre ne nous intéresse pas.
Je m'effondrai :
— Bien qu'il soit sûrement déjà trop tard. Mais il n'y a pas d'autre issue.
Naturellement, je ne pouvais pas lui expliquer toute la vérité. Je ne pouvais pas lui dire que les bêtes ne comprennent pas les amours secrètes ni ne cachent d'adultères. Je ne pouvais pas lui dire que tous ses arguments s'effondraient devant cette main qui m'avait couvert la bouche. Je divaguai un peu plus, et lui, d'un coup de main, dispersa tous les objets posés sur la table. A l'intérieur de ses yeux, les pupilles s'étaient réduites à des têtes d'épingles, plus noires que jamais.
Il ne voulait pas m'entendre, il se leva. Mais rien ne semblait plus absurde que ce massacre. L'ennemi n'était pas une bête, et cette simple constatation faisait qu'il m'était impossible de tirer sur eux. Quel sens cela pouvait-il avoir de nous entre-tuer ? Pourquoi devions-nous perdre la vie sur une île misérable de l'Atlantique sud ? Aucune réponse n'était raisonnable. J'agitai les mains avec des gestes qui imploraient la compréhension de mon interlocuteur :
— Faites un effort, Batís. Ils ont mille reproches à nous adresser. Dites-vous que nous sommes des envahisseurs. C'est leur terre, la seule qu'ils possèdent. Et nous l'avons occupée avec un fortin et une garnison armée. Vous ne trouvez pas que c'est un motif suffisant pour qu'ils nous attaquent ? Je me troublai, bien malgré moi. Je ne peux pas leur reprocher de se battre pour libérer leur île des envahisseurs ! Je ne peux pas !
— Où étiez-vous cet après-midi ?
Ce changement de sujet soudain m'obligea à adopter un ton plus soumis :
— En train de faire la sieste, dans la forêt. Où vouliez-vous que je sois ?
— Oui, bien sûr, dit-il, comme absent, la sieste. Les siestes tonifient. Et maintenant préparez-vous, la nuit va tomber.
Il me tendit le Remington d'une main. Je ne le pris pas. Ce n'était qu'un emportement, fruit de la discussion précédente, mais mon refus l'indigna. Il ne dit rien cependant. Moi non plus. Il sortit sur le balcon et je l'y suivis peu après. Désarmé, je soufflais sur mes mains pour me réchauffer. Batís prit une poignée de neige et me la lança sur la poitrine. :
— Tenez ! Vous les ferez peut-être fuir avec des boules de neige.
— Taisez-vous !
Elle chantait. De la forêt sombre nous parvinrent des sons métalliques. Des cris longs, soutenus et tendres. Une tendresse qui nous faisait mourir de peur. Batís chargea son Remington provoquant ce son si familier, cric-crac.
— Ne tirez pas ! dis-je.
— Elle chante ! dit-il.
— Non.
L'expression de Batís réaffirmait sa conviction que j'étais devenu fou. Je murmurai :
— Ils ne chantent pas, ils parlent. Écoutez.
Nous tournâmes la tête. Elle était assise sur la table. Sa voix portait sur le balcon, et au-delà. Il me sembla qu'il s'était établi un dialogue entre la clameur extérieure et son cantique. Les projecteurs ne montraient rien d'autre que des flocons de neige qui tombaient du ciel en spirale. J'entrai dans la pièce. Quand je m'approchai de la table, la mascotte devint muette. La forêt se tut elle aussi.
Le dialogue résonnait encore en moi. Je savais simplement que certaines expressions avaient été répétées plus fréquemment que d'autres. Des mots comme « citauca », à peu près. Et surtout « Aneris », ou quelque chose comme ça. Mais toute tentative de transcrire ces sons serait un échec, une partition avortée. Mes cordes vocales ressemblaient autant aux leurs qu'une brosse à un violon. Je dis pourtant, dans une très mauvaise imitation et avec une forte dose d'imagination :
— Aneris.
Elle me regarda. C'était suffisant pour risquer :
— Citauca, Batís. C'est le nom qu'ils se donnent entre eux, dis-je, très généreux avec les sons et avec mon interprétation. Et elle a un nom elle aussi : elle s'appelle Aneris. Vous faites l'amour toutes les nuits avec une femme qui s'appelle Aneris.
Et je conclus, baissant la voix :
— Elle s'appelle Aneris. Un très joli nom, je dois dire.
Batís les avait réduits à une masse anonyme. Je croyais qu'en leur donnant un nom sa vision en serait nécessairement modifiée. « Citauca », « Aneris », c'était pareil. Les mots que je construisais, que j'inventais presque, n'étaient qu'un pâle reflet des sons qu'ils prononçaient. Mais cela importait moins que de leur conférer une identité concrète. J'obtins cependant l'effet exactement inverse à celui que j'escomptais. Batís explosa comme une bombe :
— Maintenant vous voulez parler la langue des faces de crapaud ? C'est ça ? Eh bien voilà votre dictionnaire !
Et il me lança brusquement mon Remington, qui parcourut en volant la distance qui nous séparait.
— Vous savez combien il nous reste de munitions ? Vous le savez ? Ils sont là-dehors, nous dedans. Sortez et donnez-leur votre fusil ! J'aimerais vous voir faire. Oui, j'aimerais vous voir parlementer avec les faces de crapaud.
Je ne dis rien, il prit encore plus d'élan. Il agita un poing :
— Sortez d'ici, maudit Kollege pleurnichard ! Occupez le palier ! Descendez l'escalier, défendez la porte ! Et vous m'accusez d'assassinat ? Le meurtrier, c'est vous ! Un meurtrier rêveur ! Vous allez nous faire tuer ! Ils mangeront notre chair, nous suceront la moelle et, quand ils en auront assez, ils riront de vos idées stupides, là-bas, dans les profondeurs de leur enfer humide ! Hors de ma vue !
Je ne l'avais jamais vu ainsi. Il s'agitait comme dans le pire des combats au corps à corps sur le balcon ; l'espace d'un instant j'eus l'impression qu'il voyait en moi l'un d'eux. Je soutins son regard pendant quelques secondes. Puis je préférai mettre un terme à la conversation. Je n'écoutais pas. Je quittai la pièce.
Ce qui me surprenait chez Batís n'était pas ses arguments, mais son attitude. Il était logique de prendre des précautions. Nous en avions tué des centaines. Nous ne pouvions nous attendre que du jour au lendemain un drapeau blanc résolve tout. Mais c'était comme si Batís avait épuisé tout débat sur la question. Il ne voulait même pas en entendre parler.
Il ne se passa rien pendant le reste de la nuit. Par le judas de la porte, j'en vis certains, très peu nombreux, esquiver les projecteurs. En haut, Batís tirait, frénétiquement, et les tançait dans son dialecte allemand. Il était très nerveux. Des feux de Bengale violets parfaitement inutiles volaient. Mais à quoi toute cette énergie pyrotechnique pouvait-elle lui servir ?
Peu à peu, il se renferma sur lui-même. Il fuyait tout contact avec moi. Quand nous devions nécessairement nous voir pour assurer la garde, à la tombée de la nuit, il parlait sans rien dire. Il parlait sans relâche, comme il ne l'avait jamais fait. De la sorte, saturant l'atmosphère d'un bavardage inutile, parlant pour asphyxier la conversation, il éludait le seul thème intéressant. J'essayais de faire preuve de toute la tolérance possible. Je voulais croire qu'il céderait tôt ou tard.
Comme je ne pouvais absolument pas compter sur son aide, je me décidai pour une initiative solitaire. J'aurais aimé qu'il fût complice de la manœuvre. Mais il était impossible de l'emmener sur mon terrain. L'ironie du sort voulait que ce fût Caffó qui m'avait suggéré l'idée. Pendant la discussion il avait évoqué la possibilité insensée de remettre nos fusils aux citaucas. Ce fut exactement ce que je fis. Avec précaution, bien sûr. Il y avait longtemps que le vieux fusil de Batís ne possédait plus de munitions de son calibre et nous était donc complètement inutile.
Ce ne serait pas un individu aussi pratique que lui qui le regretterait.
Je me dirigeai vers la plage qui m'avait un jour vu arriver sur l'île. Je savais qu'ils utilisaient souvent cet endroit comme point de débarquement. Je plantai le fusil dans le sable, par la culasse, et fermement. Je l'entourai d'un cercle de grosses pierres, un artifice simple mais révélateur de mes intentions. Peut-être comprendraient-ils le message. De toute façon, nous n'avions rien à perdre.
Trois jours de plus s'écoulèrent, et je dois à la vérité de dire que Batís ne s'interposa pas entre Aneris et moi. Je crois qu'il agissait ainsi pour des raisons complexes. Batís ne savait pas affronter les dilemmes importants. Naturellement, il soupçonnait quelque chose quant à la nature de mes relations avec elle. Mais c'étaient des soupçons beaucoup plus diffus que ce que l'on aurait pu attendre en ces circonstances particulières.
Les hommes de mer sont généralement des gens aussi rudes que pratiques. De notre cohabitation, et par le simple fait que j'aie lu plus de livres que lui, il en déduisait que j'étais une sorte de bibliothèque hors de son habitat. La seule différence entre nous était manifestement qu'un tuteur très spécial était entré dans ma biographie, c'était tout. Mais Batís partageait cette croyance, si répandue, selon laquelle les livres sont une sorte d'antidote contre les tentations charnelles, et il était donc convaincu que nos désirs n'avaient pas de frontière commune.
Ce qui le déconcertait le plus était, très probablement, que je ne lui dispute pas la propriété d'Aneris. En ce cas, nous aurions eu des querelles de pirates, dans lesquelles son caractère aurait lutté sur un terrain plus propice. Mais je ne revendiquai jamais un vagin. Ce que je lui opposais était une chose plus grande, beaucoup plus grande : l'ennemi n'était pas une bête sauvage. Un homme plus clairvoyant en aurait déduit que cette idée était la plus dangereuse pour ses intérêts, parce qu'elle me rapprochait inévitablement d'Aneris. Pas lui. Les évidences renversaient même la logique rudimentaire d'un Batís Caffó, mais le résultat n'était pas la lucidité sinon l'effondrement. Et comme il réfutait la question dans son ensemble, il ne pouvait même pas affronter cette partie qui le touchait de plus près. Sa réponse consistait à tourner le dos et à feindre d'ignorer le problème.
Le fait était que Batís subissait un double assaut. Maintenant on l'assaillait de l'extérieur du phare et de l'intérieur. Ce n'était pas que Batís, Batís Caffó, fût incapable de comprendre la réalité. Ce qu'il se passait était qu'il ne voulait ni ne pouvait l'accepter. Il s'était adapté à l'île à sa façon. Il possédait réellement un substrat de principes moraux. Ce n'était pas un assassin. Ou il ne voulait pas en être un. Pendant cette période il répétait plus que jamais l'histoire de l'Italien pris pour un sodomite, ou l'inverse. Il ne s'agissait pas d'une plaisanterie. C'étaient des fragments d'un passé que j'ignorais, un accident, un homicide involontaire, des actes plus ou moins fortuits qui avaient fait de lui un paria de la société. Ce fut peut-être ainsi qu'il arriva sur l'île, fuyant la justice. Cela ne me touchait pas. En fin de compte, se demander si Batís était bon ou mauvais n'avait pas la moindre importance. Et à ce phare — je pouvais en témoigner — n'arrivaient que des fugitifs de l'un ou l'autre genre. La question était qu'une fois là, au phare, il se vit à un moment donné obligé de conférer un sens à la folie. Il choisit de penser durant la nuit et d'éluder durant le jour. Il animalisa l'adversaire, ce qui lui permettait de remplacer le conflit par la barbarie, l'antagoniste par la bête. Le paradoxe était que le raisonnement se maintenait grâce à ses inconsistances. Le combat pour la vie absorbait tout. L'ampleur du danger faisait reporter les débats, qu'il refusait en raison de leur absurdité. Et, le blindage de sa logique établi, toute agression la perpétuait. La terreur citauca était son allié naturel. Plus son attaque serait brutale, moins de réflexions mériterait l'attaquant.
Mais je n'avais pas l'obligation de le suivre. C'était par essence la seule liberté humaine qu'il me restait là-bas, au phare. Et dans le cas où l'on démontrerait que ce n'étaient pas des bêtes, l'ordre de Batís serait détruit avec plus de violence que celle que cachaient les arsenaux militaires de toute l'Europe. Cela, je le compris plus tard. Ces jours-là, je voyais un Batís Caffó qui ne faisait pas la part des choses. Mais qui ne serait pas disposé à modifier son angle de vue, quand la vie et le futur dépendent du regard que l'on porte sur l'ennemi ?