12

Ils avaient dormi dans les ruines d’une bergerie isolée détruite par le tremblement de terre. Toute la nuit ils avaient dû entretenir un feu d’enfer pour ne pas geler et Peter était d’une humeur massacrante, en partie due à la gueule de bois car pour se réchauffer il avait, durant la nuit, souvent tété une bouteille de scotch emportée à tout hasard.

Tous deux étaient fatigués, mal rasés mais ils devaient continuer vers Dioni, affronter un chemin épouvantable, sous les marronniers dont les branches parfois barraient le passage à moins d’un mètre de hauteur. Il fallait ôter la capote, baisser le pare-brise pour pouvoir passer.

Ils n’avaient même pas de quoi faire du café et cette découverte eut raison de l’optimisme de Kovask.

— On aurait quand même pu y penser, dit-il en faisant chauffer de l’eau pour y jeter de la poudre de lait.

— Tout ça pour trouver des cadavres… Votre fille n’aura pas échappé au tremblement, vous savez ?

— Je ne sais rien et ce n’est pas ma fille à proprement dit…

— Je veux dire que toi, Holden et la Mamma y croyez vraiment. Moi pas. Elle a prouvé, cette Macha Loven, qu’elle a de la vitalité. Si elle vivait elle aurait essayé de nous contacter.

— Nous verrons sur place.

Kovask prit sa pelle démontable et s’éloigna vers l’énorme congère qui barrait le chemin. La veille c’était elle qui les avait découragés et forcés à passer la nuit dans les ruines de la bergerie. Maintenant ils empestaient le suint de mouton à des mètres. Peter le rejoignit et attaqua lui aussi la neige. Plus loin ce fut pire, ils durent utiliser le treuil et le câble pour escalader un raidillon fantastique tandis que les quatre roues s’accrochaient au verglas. Devant lui, Kovask, qui pilotait, voyait le jeune arbre auquel s’accrochait le câble qui commençait à se déraciner. Si jamais il n’atteignait pas le haut avant ! Il appuya rageusement sur l’accélérateur et parcourut les derniers mètres dans une sorte de bond. Mais il savait que plus loin il faudrait recommencer, des dizaines de fois.

Vers midi ils entendirent un hélicoptère mais ne le virent pas dans l’espèce de gorge obscure où ils se trouvaient.

— Tu crois que c’est pour Dioni ?

— Sur la carte il n’y a pas d’autres villages ni hameau dans cette zone.

— Il n’y a pas que des fous en Italie, répondit Peter qui mangeait un cassoulet d’importation française.

Ils avaient acheté dans un libre-service des caisses de conserves un peu au hasard. Il leur fallait un alibi pour monter à Dioni, autant qu’il soit utile à quelqu’un.

— S’ils sont tous morts.

— Non, certainement pas…

— Ce chemin pourri que t’a indiqué ton patron d’auberge… Si ce n’était pas le bon ?

— Nous sommes dans la direction.

— Si jamais il nous a trompés, je retourne là-bas et je fous le feu à son établissement.

Une heure plus tard Kovask repensa aux paroles de Peter, se demandant s’il n’avait pas vu juste. Luciano Lombi avait pu les orienter en direction de Dioni mais sur un chemin impossible. Ils avaient dû abattre des arbres à la tronçonneuse pour remplacer un pont sur un torrent. Un pont qui remontait peut-être aux Romains mais qui avait basculé dans le ravin.

— C’est insensé, disait Peter… Moi, le scoutisme, j’ai toujours été contre.

Vers quatre heures à nouveau le vacarme de l’hélicoptère au-dessus de leurs têtes, mais toujours invisible. Kovask pensa qu’il venait vraiment de Dioni.

— Tu crois que c’est un hélicoptère de l’armée italienne ? demanda Peter. Moi je connais les types d’appareils qu’ils utilisent et je ne crois pas que ce soit tout à fait ça.

— Les carabiniers, n’importe qui peut utiliser un autre appareil non homologué par l’armée…

— D’accord, mais c’était pour dire, c’est tout.

Il repartit à pied devant lui et s’arrêta les mains sur les hanches alors que le chemin contournait un angle rocheux et que Kovask ne pouvait voir la suite des réjouissances.

— Alors, quoi encore ?

Peter revint.

— Justement, rien, rien du tout. Le chemin est juste enneigé et je n’en croyais pas mes yeux. Nous allons au moins pouvoir rouler trois cents mètres à tombeau ouvert… Tu ne crois pas qu’à pied nous y serions déjà ?

— Avec les boîtes de conserve et les couvrantes dans les poches peut-être ? Quand je pense que le notable de Salerne voulait nous faire emporter des cercueils pour sa gentille clientèle d’électeurs… Comme si c’était un cadeau personnel alors que le gouvernement les fournit gratuitement.

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