Edwige revint furieuse, ayant dû accepter une invitation à déjeuner du signor Pavesi. Elle s’était empiffrée de pâtes, elle qui essayait de suivre un régime, se sentait avec deux kilos de plus au moins, avait dû supporter les attouchements plus qu’audacieux de son compagnon.
De plus Holden était maussade d’avoir été abandonné si longtemps. Margot, expliqua-t-il toujours arbitraire, avait fait de l’excellent travail, elle, et un travail rapide :
— Nous avons le nom des banques qui déposent des sommes importantes dans les coffres de la Cremodina. Il paraît que les gens aiment bien investir dans les loisirs et que cette petite banque de rien du tout est appelée à un gros essor. Mon œil, oui !… L’argent arrive en Italie et sert à tout autre chose… Nous n’allons pas tarder à le savoir.
— Le monastère de Dioni a été vendu un million de lires à Vacanza Europeo Club… Autant dire rien. C’est un ministre mort depuis qui a intrigué pour que l’ensemble immobilier soit cédé à la province, sa province et ensuite il a lui-même donné son appui pour que cette vente se réalise…
— Nous saurons qui se cache derrière le V.E.C., grogna Holden. En attendant pas de nouvelles de Kovask ni de la Mamma. Ils se foutent de nous, vraiment. Vous avez bien déjeuné ? Vous empestez le chianti.
— Je vais me laver les dents, balbutia Edwige.
Mais l’autre information arriva dans l’heure suivante. Cremodina avait des sortes de succursales, sous d’autres noms, en Amérique du Sud. Or depuis pas mal de temps on soupçonnait ces petites banques locales du Chili, d’Argentine et du Brésil d’être mêlées à des trafics d’armes.
— Hé, c’est intéressant.
Du coup Holden se laissa entraîner dans les plus folles hypothèses.
— Les clients qui vont dans ces pays-là rapportent tous une arme ou deux, un pain de plastic, un détonateur… Pourquoi pas, hein ? S’ils ont une ristourne sur les voyages ? Après tout c’est dans l’ordre des choses possibles. Si nous avions une liste des derniers clients nous pourrions en faire parler quelques-uns.
— La police italienne le ferait.
— Je ne crois pas qu’on puisse lui accorder toute notre confiance. D’accord, pour le terrorisme de gauche elle est assez efficace… Aidée en cela par la France et l’Allemagne qui elles ne visent également que cette subversion-là, mais négligent totalement le terrorisme noir. Regardez en Italie, Bologne, Munich en Allemagne, la rue Copernic en France… Rien que pour la France on compte des dizaines d’attentats de droite, des morts… Mais ils sont paralysés… Certains terroristes ont fait partie de leurs amis dans le temps, lorsqu’il fallait coller des affiches, intimider les opposants et faire de la sale besogne… Non, je ne me fierai jamais à aucune police européenne lorsqu’il s’agira de réprimer ce banditisme noir… Il faut que l’affaire devienne politique… C’est la seule façon de garder un droit de regard.
— Vous pensez à Bogaldi ? Vous allez le mettre au courant ?
— Je crois que le moment est arrivé. C’est un véritable antifasciste mais un homme modéré. Il lui faudra des preuves et nous commençons de les avoir. D’ailleurs il doit mourir de curiosité et d’inquiétude sur nos activités.
Il l’appela à son domicile, mais apprit qu’il se trouvait au-dehors. Dès qu’il rentrerait il ne manquerait pas de téléphoner à son ami américain.
Il fit mieux d’ailleurs, il vint directement à l’hôtel.
— J’ai eu un pressentiment. Depuis que vous m’avez parlé de ce Vacanza Europeo Club je me suis livré à une petite enquête et vraiment je suis impressionné. Il y a autre chose ; Pavesi, qui a accompagné votre secrétaire, m’a fait part de vos découvertes sur l’achat de ce monastère. Il y a eu combine et vraiment c’est très grave. On estime ce monastère, transformé en palais par les fascistes, à plusieurs milliards de lires. Déjà c’est un scandale à ce niveau-là. Mais le V.E.C. a parmi ses actionnaires quelques anciens survivants du régime de Mussolini, du moins on retrouve les mêmes noms qu’autrefois… Les enfants, les neveux ont pris la suite des vieux à la chemise noire… C’est très préoccupant.
— Il y a aussi cette banque de Naples, discrète, qui ne paraît pas une grosse affaire et qui reçoit énormément d’argent de la part de groupes financiers mondiaux.
Le sénateur italien écoutait les dernières nouvelles dont disposait Holden.
— Ce serait donc l’argent du terrorisme noir ?
— Très certainement. Il faudrait trouver des clients du V.E.C., les interroger sur leurs voyages à l’étranger.
— Oh, pour les armes, il s’en vole des quantités incroyables en Italie et elles se revendent très bien. Il n’y a pas besoin de les faire venir de l’étranger, sauf pour certains modèles spéciaux, certains explosifs sophistiqués…
Holden parut vexé que l’on mette en doute sa théorie des touristes transformés en petits trafiquants. C’était un schéma déjà utilisé pour le trafic de la drogue. On faisait une ristourne à des touristes revenant du sud-est asiatique s’ils acceptaient de rapporter une toute petite quantité de drogue dans un objet souvenir, une statuette, un plateau truqué, un tapis de prière imbibé adroitement de morphine-base.
— Il y a quand même des policiers dignes de confiance, lui dit le sénateur italien. Si vous m’y autorisez, je peux les prévenir. Ils enquêteront sur les clients de cette société… Je connais un commissaire de la D.I.G.O.S., la police politique, qui n’est pas très indulgent pour le terrorisme, qu’il soit de droite ou de gauche. Vous croyez que certaines sections des Brigades Rouges auraient été manipulées ? Vous savez, nous étions parvenus à la même conclusion après l’affaire Aldo Moro… Mais nous n’avons jamais pu le prouver vraiment.
— Cette fille, Macha Loven, a pris contact avec moi avant de disparaître du côté de Dioni. Dioni comme par hasard. Je suppose qu’elle pensait trouver là-bas des éléments importants pour clôturer son enquête.
— Mais d’où vient l’argent de ces banques américaines, françaises et allemandes qui approvisionnent Cremodina ?
— Il suffit d’un prélèvement d’un millième sur les dépôts des multinationales, pour constituer un fond énorme… Certaines opérations de spéculation financière sur le dollar, le franc, le mark ont pu être utilisées pour alimenter ce trésor. Ce sera ensuite notre tâche, au retour dans notre pays, de démonter le mécanisme. Mais si nous avons des résultats en Italie, ce sera quand même plus facile. Je pourrai réunir une commission, même extraparlementaire. Il y aura des volontaires… Nous trouverons une chaîne de télévision qui accepte ce genre de débats. Ceux auxquels nous demanderons de comparaître sans y être forcés seront obligés de le faire sous la pression de l’opinion publique.