Paulo di Maglio obtint très rapidement des renseignements sur le V.E.C. Ils étaient tout à fait conformes à leurs soupçons. L’agence de voyages n’était qu’une officine travaillant pour l’extrême droite.
— Sa couverture est parfaite. Il y a des clients qui se sont laissé avoir, disait l’informaticien. Nous devons en rencontrer un demain, tu entendras son récit. Il s’est retrouvé avec des tas de gens aux opinions politiques activistes. Il servait en quelque sorte, avec sa femme, d’alibi.
Cet homme qui désirait conserver l’anonymat et qu’ils rencontrèrent le lendemain soir s’était inscrit au V.E.C. pour un voyage de huit jours en Argentine. Il voulait profiter de ses vacances pour étudier une possibilité d’émigration dans ce pays.
— Nous voulions créer une entreprise de maraîchage car ici nous avons trop de problèmes. Nous avons été très bien accueillis avec les autres. Mais rapidement nous avons compris que nous nous étions fourvoyés, ma femme et moi… Il n’était question que de politique, de centres d’entraînement pour milices paramilitaires, que cours théoriques et techniques sur la lutte contre le communisme et le laxisme de gauche. Ma femme s’est tellement effrayée qu’elle en a été malade. Il a fallu le docteur. Moi, lâchement, j’ai pris ce prétexte pour ne plus jamais suivre le reste de la bande. D’ailleurs dans l’avion de retour, tous nous tenaient à l’écart et nous considéraient presque comme des traîtres. De plus j’ai reçu depuis deux coups de téléphone anonymes me disant que si je parlais de mon voyage à des gens de gauche on se vengerait en faisant sauter ma maison. C’est la première fois que j’ose raconter ces choses-là.
La Cremodina avait reçu, Macha put l’évaluer à mille dollars près, la somme de deux millions cent cinquante mille dollars pour la période de juillet, août, septembre de cette année-là. Tout de suite elle contrôla avec l’office des changes italiens et se rendit compte que seuls cinquante mille deux cents dollars étaient ressortis des coffres de la banque. Contrairement aux lois le Crédit Mobilier de Naples avait conservé en liquide une somme de 2 100 000 dollars.
— Pour se justifier ils disent qu’il y a beaucoup de touristes qui veulent recevoir leur argent en dollars, surtout à Naples. Et le plus fort c’est que la Banque d’Italie a laissé aller les choses. Il doit y avoir des complicités à l’échelon provincial, des pots-de-vin et la Mafia napolitaine, la Camorra, doit être dans le coup.
Ils pouvaient donc penser que les deux millions cent mille dollars n’étaient plus dans les coffres de la petite banque napolitaine et avaient été remis à ce V.E.C.
— Mais il nous faut une preuve, dit Macha.
— Le V.E.C. doit avoir une sorte de quartier général secret. Nous allons devoir désormais enquêter sur lui.
Macha en avait donc terminé avec l’ordinateur de la société de transports. Une nuit elle annonça donc à Umberto Abdone qu’elle ne reviendrait pas.
— Je suis heureux pour vous que votre thèse soit terminée, dit-il. C’était très fatigant… Vous me tiendrez au courant lorsque j’irai vous voir chez vous comme d’habitude.
Elle n’osa pas lui dire franchement qu’elle ne le recevrait plus. Deux fois il se présenta entre midi et deux heures et deux fois elle ne répondit pas à son coup de sonnette. Il téléphona en fin de semaine et elle décrocha sans plus penser à lui.
— Je veux vous rencontrer ce soir même, dit-il… Si vous essayez de me plaquer après m’avoir utilisé je ne l’accepterai jamais.
— Je suis fatiguée, dit-elle, et il m’est impossible de vous recevoir.
— Dans ce cas je vous laisse jusqu’à mardi midi. Je viendrai chez vous.
Ce jour-là elle évita de rentrer chez elle, s’arrangea pour rester au-dehors jusque très tard le soir mais sa sœur Ruth lui reprocha son absence.
— Un type complètement dingue ne cesse de t’appeler… J’ai fini par l’injurier au téléphone et par lui dire que j’allais appeler la police s’il continuait.
— Mon Dieu, dit Macha, tu n’aurais jamais dû faire ça.
Paulo di Maglio se démenait pour glaner le maximum de renseignements sur le V.E.C. et c’est ainsi qu’il apprit que le club de vacances avait à une époque envisagé de créer des séjours en Italie. Il en gérait dans certains pays autrefois, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, mais quand ces pays avaient accédé à la démocratie libérale ils avaient dû être fermés par mesure de prudence.
— Mais on dit qu’ils auraient acheté une très grosse bâtisse, genre château ou couvent dans le sud… Le projet a été quelque peu retardé… Tu comprends, un endroit pareil avec de gentils organisateurs pour monter une garde constante… On peut y entreposer des caisses remplies de dollars et d’armes. D’ici peu nous finirons par découvrir l’endroit.
Umberto réussit à l’avoir au bout du fil et cette fois ses menaces furent précises.
— Je sais ce que vous recherchez… Vous enquêtez sur le V.E.C. et il se trouve que je connais quelqu’un qui y travaille. C’est une officine du terrorisme noir, je pense. Si jamais vous refusez de me recevoir chez vous, je les préviens.
Cette fois elle dut prévenir Paulo di Maglio malgré sa gêne profonde.
— Une telle réaction passionnelle était prévisible, dit-il d’un ton doctoral et glacé. Tu as cru utiliser des armes de la séduction, des armes bourgeoises et lui va nous apporter des ennuis si jamais il met sa menace à exécution. Je n’ai qu’un conseil à te donner. Pour le faire encore patienter il faut que tu continues de coucher avec lui.
— Tu es un salaud cynique, lui répondit-elle au bord des larmes.
— Que crois-tu pouvoir faire d’autre ? Tu as ramené notre mission à une histoire de cul, continue.
Elle faillit le gifler mais se contenta de le quitter sans accepter ses excuses. Elle rentra chez elle, pleura, ne dormit pas de la nuit mais en arriva paradoxalement à envisager de recevoir encore une fois Umberto Abdone. D’abord parce que c’était dans la logique des choses comme le lui avait démontré Paulo, et ensuite pour se venger de ce dernier qu’elle sentait éperdument jaloux.
Entre midi et deux heures elle reçut donc Abdone et fit l’amour avec lui. Il était insatiable et très compliqué dans ses désirs mais elle accepta tout sans répugnance. Elle espérait avoir gagné ainsi le temps nécessaire pour continuer cette enquête qui n’en finissait pas.
Elle avait désormais toutes les preuves, les imprimantes, les références déposées dans un coffre à sa banque, ce qu’elle trouvait d’un humour très noir. Ne manquait plus que le V.E.C. et son quartier général secret.
— J’ai cherché du côté de Naples, lui dit un vendredi soir di Maglio, et j’ai trouvé. Un ancien monastère qui autrefois a servi de lieu de séjour aux dignitaires fascistes. Nous partirons demain matin si tu le veux bien. Pour un petit village de montagne qui se nomme Dioni.