Je comprends.

La transformation du « contenu latent » en « contenu manifeste » du rêve, c'est ce que Freud a appelé le travail du rêve. Nous pouvons aussi parler de «jeu de masques » ou de «jeu de signes » quant au vrai objet du rêve. L'interprétation du rêve procède en sens inverse, en « démasquant », en « met tant en évidence » tous les signes pour dévoiler le « thème » caché derrière.

Tu as un exemple ?

Le livre de Freud est truffé d'exemples. Mais nous pou vons trouver par nous-mêmes un exemple tout simple et pour tant bien freudien. Si un jeune homme rêve qu'il reçoit deux ballons de sa cousine...

Alors?

Eh bien, allez, à toi de risquer une interprétation !

Hum, reprenons... Le contenu manifeste du rêve est exac tement ce que tu dis : il reçoit deux ballons de sa cousine.

Continue !

Tu as dit tout à l'heure que les éléments du rêve sont tirés du jour précédent. On peut penser qu'il a été la veille dans un parc d'attractionsou encore qu'il a vu une image de ballons dans le journal.

Bien sûr, c'est possible, mais dans ce cas il aurait suffi du mot « ballon » ou de quelque chose qui fasse penser à des ballons.

Maintenant il faut mettre au jour le « contenu latent » du rêve, c'est-à-dire son sens profond, c'est bien ça?

Oui, c'est à toi d'interpréter la signification du rêve.

Peut-être qu'il a tout simplement envie d'avoir des ballons.

Non, ça ne tient pas debout. Tu as raison de considérer que le rêve réalise un désir caché. Mais ce ne sont pas de vrais ballons qu'un homme a envie intérieurement de posséder. Si cela avait été le cas, il n'aurait pas eu besoin d'en rêver.

Ah ! je crois quej'ai compris : il désirait en fait sa cou sine, et les deux ballons, c'était ses seins.

C'est en effet une explication plus plausible. La condition étant qu'il se sente un peu gêné et honteux d'avoir un désir de cette nature.

Les rêves empruntent donc toujours des chemins détour nés, comme l'image des ballons par exemple ?

Oui, Freud voyait dans le rêve la satisfaction masquée de désirs refoulés. Cela dit, ce que nous refoulons exactement a cer tainement changé de nature depuis le temps Freud était médecin à Vienne. Mais le processus d'élaboration du rêve est assurément le même.

Je comprends.

La psychanalyse de Freud connut un énorme reten tissement dans les années 20, surtout dans le milieu psychia trique, mais aussi dans des domaines comme l'art et la littéra ture.

Tu veux dire que les artistes s'intéressèrent davantage à la vie inconsciente des hommes ?

Exactement. La littérature de la fin du xixe siècle n'avait certes pas attendu Freud et la psychanalyse pour se pencher sur la vie intérieure de l'homme, mais ce n'est pas un hasard si Freud mit au point sa théorie de l'inconscient précisément vers les années 1890.

En somme, c'était dans l'air?

Freud n'a jamais prétendu avoir « découvert » les phéno mènes comme le refoulement, les actes manques ou la rationa lisation. Il ajuste été le premier à voir le parti que la psychia trie pouvait tirer de telles expériences. Il excellait aussi à émaâler sa thèse d'exemples littéraires pour illustrer sa propre théorie. Mais, comme je l'ai déjà dit, c'est surtout à partir des années 20 qu'il exerça une grande influence sur l'art et la litté rature.

Comment ça?

Les écrivains et les peintres essayèrent dorénavant d'exploiter ces forces inconscientes dans leur propre travail créateur. Cela vaut surtout pour les fameux surréalistes.

Ça veut dire quoi ?

« Surréalisme » évoque, comme son nom l'indique, une surréalité. En 1924, André Breton publia le Premier Manifeste du surréalisme il déclare que l'art doit jaillir de l'inconscient. L'artiste doit selon lui retrouver dans l'inspiration la plus libre possible des images oniriques et tendre vers une « surréalité » il n'existe plus de frontières entre le rêve et le monde réel. L'artiste doit passer outre la censure imposée par la conscience afin de laisser libre cours à son imagination et accueillir les mots et les images qui lui viennent.

J'ai compris.

Freud a prouvé en quelque sorte que tous les hommes sont artistes. Un rêve est en soi une petite oeuvre d'art, et chaoue nuit nous rêvons. Pour interpréter les rêves de ses patients, Freud dut recourir à toute une série de symboles, comme lorsqu'il s'agit d'analyser un tableau ou un texte littéraire.

Nous rêvons vraiment chaque nuit sans exception?

Les dernières recherches en la matière montrent que nous rêvons à peu près vingt pour cent de notre temps de som meil, c'est-à-dire deux à trois heures par nuit. Si l'on nous dérame pendant une phase de rêve, nous devenons nerveux et irritables. Cela revient à dire que tous les hommes sont nés avec le besoin de donner une expression artistique à leur situa tion existentielle. Car nous sommes la matière même de nos rêves. C'est nous qui sommes en régie, nous qui allons cher cher dans notre vécu les éléments qui vont servir au déroule ment du rêve et nous qui jouons tous les rôles. En d'autres termes, quelqu'un qui pretend ne pas s'intéresser à l'art se connaît bien mai.

Je vois.

Freud avait en outre prouvé de façon magistrale l'impor tance de la conscience chez l'homme. Ses pratiques thérapeu tiques achevèrent de le convaincre que nous gardons quelque part enfoui au plus profond de notre conscience tout ce que nous avons vu et vécu. Et tout peut remonter à la surface. Quand nous disons que « ça nous rappelle quelque chose », que nous l'avons sur « le bout de la langue » et qu'ensuite « ça nous revient », nous ne faisons qu'illustrer le chemin que parcourt justement ce qui était dans l'inconscient et qui trouve enfin une porte entrebâillée pour se faufiler jusqu'à la conscience.

Il y a des fois ça ne marche pas.

Tous les artistes le savent fort bien. Mais il arrive aussi que toutes les portes et les tiroirs d'archives soient ouverts et que ça coule tout seul, les mots et les images dont nous avons besoin s'imposant d'eux-mêmes. Il suffit d'avoir soulevé un peu la chape qui recouvre l'inconscient. C'est ce qu'on appelle l'ins piration, Sophie. Ce que nous écrivons ou dessinons alors ne nous semble pas venir de nous.

Ce doit être un sentiment merveilleux.

Mais tu as certainement le ressentir. Il n'y a qu'à

observer le comportement d'enfants tombant de fatigue. Certains enfants sont si fatigués qu'ils donnent l'impression de dormir les yeux ouverts. Ils peuvent se mettre à parler en utili sant des mots qu'ils n'ont pas forcément encore appris. En fait ces mots et ces pensées n'étaient présents qu'à l'état « latent » dans leur conscience et c'est uniquement quand ils oublient toute prudence et tous les interdits que ces mots sortent. C'est pareil pour un artiste : il ne faut surtout pas que sa raison et ses réflexions après coup empêchent l'épanouissement d'une émo tion plus ou moins inconsciente. Tu veux que je te raconte une petite histoire pour illustrer mon propos?

Volontiers !

C'est une histoire à la fois très grave et très triste.

Je t'écoute.

Il était une fois un mille-pattes qui savait merveilleuse ment danser avec ses mille pattes. Quand il dansait, tous les ani maux de la forêt venaient le voir danser et tous admiraient ses talents de danseur. Tous, sauf un qui n'appréciait pas du tout la danse du mille-pattes : c'était une tortue...

Elle était simplement jalouse.

Comment faire en sorte que le mille-pattes ne danse plus ? se demandait-elle.

Il ne suffisait pas de déclarer qu'elle n'aimait pas sa façon de danser. Elle ne pouvait pas non plus prétendre qu'elle dansait mieux que lui, cela eût été le comble du ridicule. Aussi conçut- elle un plan diabolique.

Dis vite !

Elle écrivit une lettre au mille-pattes : « Ô mille-pattes incomparable ! commença-t-elle, je suis une fervente admira trice de votre art consommé de la danse. Aussi je me permets de vous demander comment vous procédez quand vous dansez. Commencez-vous d'abord par lever la patte gauche n° 228 puis la droite n° 59? Ou attaquez-vous la danse en levant d'abord la patte droite n° 26, puis la patte droite n° 499? J'ai hâte de connaître la réponse. Respectueusement, la tortue. »

Ça alors !

En recevant la lettre, le mille-pattes s'interrogea sur-le- champ pour savoir ce qu'il faisait exactement quand il dansait. Quelle patte levait-il en premier? Puis quelle patte levait-il ensuite? Et que se passa-t-il à ton avis?

Je pense que le mille-pattes n'arriva plus jamais à danser.

Et c'est bien ainsi que ça se termina. Voilà ce qui se produit quand l'imagination est bridée par la réflexion de la raison.

Tu avais raison de dire que c'était une histoire drama tique î

Il est essentiel pour un artiste de « se libérer ». Les sur réalistes essayèrent de se mettre dans un état tel que les choses semblaient venir d'elles-mêmes. Ils se mettaient devant une feuille de papier vierge et notaient tout ce qui leur passait par la tête. Ils appelèrent ça X écriture automatique. C'est une expression empruntée au spiritisme qui pensait que l'esprit d'un mort revenait dicter ses volontés. Mais je pense que nous devrions reparler de tout cela demain.

Si tu veux.

L'artiste surréaliste est lui aussi, à sa manière, un « médium », c'est-à-dire un maillon intermédiaire. Il est un médium pour son propre inconscient. Il y a sans doute un élé ment inconscient dans chaque processus de création. Car au fond, qu'est-ce que la « créativité » ?

Je n'en ai aucune idée. Est-ce que cela ne veut pas dire que l'on crée quelque chose de nouveau?

Très juste. Et cela est justement le résultat d'une collabo ration intelligente de l'imagination et de la raison. Cette der nière étouffe trop souvent Fimagination et cela est grave, car sans imagination il ne peut jamais se produire quelque chose de vraiment neuf. En fait, l'imagination se présente comme un sys tème à la Darwin.

Excuse-moi, mais , je ne te suis plus.

Le darwinisme démontre que la nature n'est qu'une suite ininterrompue de mutations dont quelques-unes seulement sur vivront, parce que la nature en aura précisément besoin à ce moment-.

Oui, et alors ?

C'est exactement la même chose quand nous pensons et sommes submergés de nouvelles idées. Telle pensée « mutante » est chassée par une autre dans le flot de la conscience. À moins que nous ne nous imposions une censure draconienne. Cepen dant seules quelques-unes de ces pensées peuvent nous servir.

La raison reprend ici ses droits et joue à ce niveau un rôle déterminant. Le butin de la journée une fois étalé sur la table, il faut bien faire un tri.

Elle n'est pas si mal au fond, ta comparaison.

Imagine une seconde que nous disions tout haut tout ce qui nous passe par la tête, ou que paraisse tout ce que nous écri vons dans un carnet ou laissons traîner au fond d un tiroir de notre bureau. Le monde croulerait sous les pensées les plus accidentelles. Il n'y aurait alors aucune « sélection », Sophie.

Et c'est la raison qui opère cette sélection parmi toutes les idées qui nous viennent à l'esprit?

Oui, tu ne crois pas? Certes c'est l'imagination qui crée quelque chose de neuf, mais ce n'est pas elle qui décide ce qu'il convient de garder ou pas. Ce n'est pas elle qui « compose ». Une compositionce qu'est toute œuvre d'artest le fruit d'une heureuse association entre l'imagination et la raison, entre le sentiment et la réflexion. Un processus créateur possède toujours un élément qui relève du hasard. Il est important dans une certaine phase de ce processus de laisser libre cours à son imagination. On est bien obligé de laisser courir ses moutons si on veut après pouvoir les garder.

Alberto marqua une pause et jeta un coup d'oeil par la fenêtre. Sophie suivit son regard et vit une foule délirante au bord du petit lac. C'était un véritable défilé de personnages de Walt Disney.

Mais c'est Goofy, s'exclama-t-elle... et voilà Donald et ses neveux... et Daisy... et oncle Picsou. Eh, tu entends ce que je te dis, Alberto? Et -bas, c'est Mickey !

Oui, c'est bien triste, répondit-il en se tournant vers elle.

Qu'est-ce que tu veux dire?

Nous voilà réduits à être les victimes du major qui lâche ses moutons. Mais c'est ma faute, c'est moi qui ai commencé à parler de tout ce qui peut nous passer par la tête.

Ne rejette pas la faute sur toi !

Je voulais dire que l'imagination est importante égale ment pour nous autres philosophes. Car pour trouver des idées neuves, il faut oser se lancer. Mais maintenant, c'est vraiment n'importe quoi.

Ne t'en fais pas !

Je voulais parler de l'importance de la réflexion à tête reposée. Et puis voilà qu'il nous envoie ses guignols! Il ne manque vraiment pas d'air, celui- !

Tu dis ça de façon ironique?

C'est lui qui est ironique, pas moi. Mais j'ai une consola tion et c'est -dessus que j ' ai bâti tout mon plan.

Je ne vois pas très bien ce que tu veux dire...

Nous avons parlé des rêves. aussi il y a un brin d'iro nie. Car que sommes-nous d'autre sinon des créatures fantas matiques du major?

Il a beau faire, il y a une chose qu'il a oubliée.

Quoi donc?

Peut-être qu'il a cruellement conscience de son propre rêve, car il est au courant de toutes nos conversations et de tous nos actes, comme le rêveur se souvient du contenu manifeste de son rêve. C'est bien lui qui tient la plume. Mais cela ne veut pas dire qu'il est réveillé pour autant.

Attends, qu'est-ce que tu entends par ?

Il ne connaît pas les pensées latentes du rêve, Sophie. Il oublie que tout ceci n'est qu'un rêve déguisé.

Tu dis des choses si bizarres...

C'est bien l'avis du major. Mais c'est parce qu'il ne com prend pas la propre langue de son rêve. Et c'est tant mieux pour nous. Nous disposons ainsi d'un minimum de liberté de mouvement. Et grâce à cela, nous allons pouvoir bientôt échap per à sa conscience, telles ces taupes qui vont enfin sortir de leur trou et goûter le soleil d'une belle journée d'été.

Tu crois vraiment qu'on va y arriver?

Il faudra bien qu'on y arrive. Dans quelques jours, je vais te donner un nouveau ciel et le major ne pourra plus jamais savoir sont ses taupes et elles réapparaîtront.

Mais, même si nous ne sommes que les images d'un rêve, je n'en reste pas moins la fille de quelqu'un. Tu sais, il est cinq neures et il faut que je rentre à la maison préparer la fête au jardin.

Hum... Tu ne pourrais pas me rendre un petit service sur ton chemin de retour ?

De quoi s'agit-il?

Essaie d'attirer un peu son attention. Ce serait bien si tu obligeais le major à te suivre du regard tout le long du chemin. Essaie de penser à lui quand tu rentreras, comme ça il sera bien contraint lui aussi de penser à toi.

À quoi ça peut servir?

Ça me laissera le champ libre pour peaufiner notre plan secret. Je vais plonger dans l'inconscient du major et y resterai jusqu'à notre prochaine rencontre.

L'époque contemporaine

... l'homme est condamné à être libre.

Le réveil indiquait 23.55. Hilde resta encore un moment éveillée à fixer le plafond. Elle essaya de laisser flotter ses pensées et, à chaque fois qu'elle s'arrêtait au bout d'une chaîne d'association d'idées, elle se demandait pourquoi elle n'arrivait pas à continuer.

Ne serait-elle pas par hasard en train de refouler quelque chose ?

Si seulement elle réussissait à ne rien censurer, elle pour rait se mettre à rêver les yeux grands ouverts Rien qu'à y penser, elle en avait des frissons.

Plus elle se décontractait et laissait flotter son esprit, plus elle s'imaginait au bord du lac, dans le chalet du major, avec la forêt tout autour.

Qu'est-ce qu'Alberto était en train de mijoter? Bien sûr, c'était son père qui avait décrété qu'Alberto allait mijoter quelque chose. Savait-il ce que préparait Alberto ? Après tout, qui sait s'il ne rendait pas un peu de liberté à ses personnages dans l'espoir de se laisser surprendre à son tour?

Il ne restait plus tellement de pages à lire. Tiens, et si elle jetait un coup d'œil sur la dernière page? Non, ce serait de la triche. Mais ce n'était pas la seule raison : elle n'était finale ment pas si sûre que le dénouement fût déjà décidé.

C'était une étrange pensée en vérité ! Le classeur était ici, il était hors de question que son père pût y changer quoi que ce soit. A moins qu'Alberto ne réussisse à prendre une initiative et à renverser la situation...

Hilde allait pour sa part se charger de lui préparer quelques surprises aussi. Il n'exerçait aucun contrôle sur elle. Mais avait-elle le plein contrôle d'elle-même?

Qu'est-ce que c'était, la conscience? Ne touchait-elle pas là à un des plus grands mystères de l'univers ? Et la mémoire ? Qu'est-ce qui faisait qu'on se « rappelait » tout ce qu'on avait vu ou vécu ?

Par quel étrange mécanisme laissait-on chaque nuit défiler son cinéma personnel dans ses rêves ?

Plongée dans ses pensées, elle s'amusait à ouvrir et fermer les yeux. Puis elle finit par oublier de les rouvrir.

Elle s'était endormie.

Quand elle fut réveillée par les cris des mouettes affa mées, il était très exactement 6.66. Voilà qui était un chiffre plutôt bizarre ! Hilde se leva et alla comme d'habitude à la fenêtre regarder la baie. C'était devenu un rituel, été comme hiver.

Elle était là à rêvasser lorsqu'elle eut soudain l'impression que son cerveau se trouvait tout éclaboussé de couleurs. Son rêve lui revint alors en mémoire. Mais c'était plus qu'un simple rêve. Elle pouvait encore nettement en percevoir les couleurs et les contours...

Elle avait rêvé que son père rentrait du Liban et tout son rêve était une prolongation du rêve de Sophie lorsqu'elle avait retrouvé sa croix en or sur la jetée.

Hilde était assise sur le bord de lajetée — comme dans le rêve de Sophie — et elle avait entendu une toute petite voix lui murmurer : « Hilde! C'est moi, Sophie! » Hilde s'était bien gardée de bouger d'un pouce dans l'espoir de localiser d'où venait cette voix. Ça reprit sous forme d'un faible gémissement, comme si c'était un insecte qui lui parlait : « Tu m'entends, Hilde? Ou est-ce que tu es sourde et aveugle? » L'instant d'après, son père, en uniforme de l'ONU, apparaissait dans lejardin. « Ma petite Hilde ché rie ! » s'écriait-il. Hilde courait se jeter dans ses bras. Et c'était la fin du rêve.

Des vers du poète norvégien Arnulf Overland lui revinrent tout à coup en mémoire :

Je fis une nuit un rêve étrange : Une voix inconnue me parlaitlointaine comme une source souterraineJe me levai et demandai : Que me veux-tu ?

Elle était encore à la fenêtre quand sa mère entra dans la chambre.

— Quoi ! Tu es déjà réveillée?

— Ça, je n'en suis pas si sûre...

— Je rentrerai vers quatre heures, comme d'habitude.

— D'accord.

— Bon, j'espère que tu profiteras bien de ta journée de vacances, Hilde.

— Merci. Bon courage !

Dès qu'elle entendit la porte d'entrée se refermer, elle sauta dans son lit et rouvrit le grand classeur.

... Je vais plonger dans l'inconscient du major et y resterai jusqu'à notre prochaine rencontre.

C'était bien là ! Elle se remit à lire tout en sentant avec son index droit qu'il ne lui restait que peu de pages à découvrir.

Quand Sophie sortit du chalet du major, elle aperçut bien encore quelques personnages de Walt Disney au bord du lac, mais ils semblaient se dissoudre au fur et à mesure qu'elle approchait. Quand elle atteignit le bateau, ils avaient tous disparu.

Pendant toute la traversée, et quand elle tira la barque parmi les roseaux, elle s'appliqua à faire des grimaces et de grands moulinets avec les bras afin d'attirer l'attention du major et de permettre à Alberto de rester discrètement au chalet.

En courant sur le sentier du retour, elle fît quelques cabrioles audacieuses, puis essaya de marcher comme un automate. Pour varier un peu, elle se mit aussi à chanter à tue-tête.

À un moment, elle marqua une pause et essaya de deviner ce

que pouvait bien manigancer Alberto. Mais elle eut tôt fait de se ressaisir et grimpa dans un arbre, tellement elle avait mau vaise conscience.

Sophie grimpa aussi haut qu'elle put. Mais une fois parve nue presque au sommet, elle dut s avouer qu'elle était bien incapable de redescendre. Elle allait encore essayer, mais en attendant, il fallait bien trouver quelque chose. Sinon le major risquait de s'ennuyer et de tourner son regard du côté d'Alberto pour le surveiller.

Sophie fît semblant de battre des ailes, elle tenta même de lancer de vaillants « Cocorico » comme si elle était un coq et finit par pousser des « Tralala itou » à la manière des Bavarois. C'était la première fois de sa vie qu'elle vocalisait ainsi et, vu le cadre, elle n'était pas mécontente du résultat.

Elle voulut descendre par une autre voie, mais elle était bel et bien coincée. C'est alors qu'un gros jars gris vint se poser sur une des branches auxquelles s'accrochait Sophie. Après le défilé des personnages de Walt Disney, elle ne fut pas étonnée le moins du monde d'entendre le jars se mettre à parler.

Je m'appelle Martin, dit le jars. D'habitude, je suis un jars apprivoisé, mais je viens tout spécialement pour l'occasion avec les oies sauvages du Liban. On dirait que tu as besoin d'un coup de main pour redescendre de l'arbre.

Mais tu es beaucoup trop petit pour m'aider, répondit Sophie.

Conclusion bien hâtive, ma petite dame. C'est toi qui es trop grande.

Ça revient au même.

Je te signale à titre d'information que j'ai transporté un petit garçon de ton âge qui habitait dans une ferme à travers toute la Suède. Il s'appelait Nils Holgersson.

Moi, j'ai quinze ans.

Et Nils avait quatorze ans. Une année de plus ou de moins, ça n'a pas grande importance pour le transport.

Comment as-tu réussi à le soulever?

Il a reçu un petit coup de massue sur la tête qui l'a fait s'évanouir et, quand il a repris connaissance, il n'était pas plus grand qu'un pouce.

Tu n'as qu'à me donner un petit coup à moi aussi, car je ne vais tout de même pas rester indéfiniment dans cet arbre. De

plus, j'ai organisé une garden-party philosophique samedi prochain.

Tiens, ça m'intéresse ce que tu viens de dire. Alors je sup pose que ceci est un livre philosophique. Quand j'ai survolé la Suède avec Nils Holgersson, on a atterri un jour à Marbacka dans le Vârmland. Nils a fait -bas la rencontre d'une vieille femme qui, toute sa vie, avait rêvé d'écrire un livre sur la Suède à l'intention des écoliers. Il fallait que ce soit un livre à la fois instructif et véridique. En écoutant Nils lui raconter ses aven tures, elle a décidé de rédiger un livre sur son voyage sur le dos du jars.

C'était pas mal comme idée.

Je reconnais qu'il y avait une part d'ironie -dedans puisque en réalité nous étions déjà dans ce livre.

Sophie sentit qu'on lui donnait une petite tape sur la joue et elle rapetissa instantanément. L'arbre devint une immense forêt à lui tout seul et le jars avait la taille d'un cheval.

Allez, viens ! Tu peux monter à présent, dit le jars.

Sophie fit quelques pas sur la branche et grimpa sur le dos

du jars. Ses plumes étaient douces, mais comme elle était toute petite, elles piquaient un peu au lieu de la chatouiller.

À peine fut-elle confortablement installée que le jars prit son envoi. Il vola très haut au-dessus des arbres. Sophie se pencha pour apercevoir le lac et le chalet. se trouvait Alberto en train de mettre la dernière touche à son plan top secret,

On va juste faire une petite balade, annonça le jars tout en battant des ailes.

Et il se posa au pied de l'arbre sur lequel tout à l'heure Sophie avait voulu grimper. Une fois que ses pattes touchèrent le sol, il put laisser Sophie glisser le long de son dos. Celle-ci fit quelques galipettes dans l'herbe avant de se relever. A sa grande surprise, elle avait retrouvé sa taille normale.

Le jars tourna plusieurs fois autour d'elle.

Merci pour ton aide, lui dit Sophie.

Oh ! ce n'était pas bien difficile. Tu m'as dit que c'était un livre de philosophie?

Non, je crois que c'est toi qui as dit ça.

De toute façon ça revient au même. Si ça ne tenait qu'à moi, je t'aurais bien accompagnée à travers toute l'histoire de la philosophie comme j ai traversé la Suède avec Nils

Holgersson. Nous aurions survolé Milet, Athènes, Jérusalem, Alexandrie, Rome, Florence, Londres, Paris, Iéna, Heidelberg, Berlin, Copenhague...

Merci, ça me suffit comme ça.

Cela dit, même pour un jars très ironique, cela n'aurait pas été une mince affaire que de traverser les siècles. C'est quand même plus facile de survoler les provinces suédoises.

Après avoir prononcé ces mots, il prit son élan et s'envola

Sophie se sentit complètement épuisée mais, en regagnant sa cabane, elle trouva qu Alberto avait toutes les raisons d'être satisfait de sa dernière manœuvre de diversion. Comment le major aurait-il eu une minute à lui pour penser à Alberto? Ou alors il était complètement schizophrène !

Sophie parvint à rentrer à la maison juste avant que sa mère ne revienne du travail. Cela lui évita d'avoir à expliquer comment un jars apprivoisé l'avait aidée à descendre d'un arbre.

Après le repas, elles commencèrent les préparatifs pour la fête. Elles allèrent chercher au grenier une longue planche de trois ou quatre mètres de long et la portèrent dans le jardin. Puis il fallut remonter chercher les tréteaux pour soutenir la planche.

Elles dressèrent une longue table sous les arbres fruitiers. La dernière fois qu'on avait sortir la grande planche, cela avait été pour les dix ans de mariage de ses parents. Sophie n'avait alors que huit ans, mais elle se rappelait bien cette grande réception toute la famille et les amis, petits et grands, s'étaient trouvés rassemblés.

La météo annonçait une belle journée. Il n'était pas tombé une seule goutte de pluie depuis le violent orage qui s'était abattu la veille de l'anniversaire de Sophie. Mais elles atten draient quand même le samedi matin pour finir de décorer la table. Sa mère trouvait qu'avoir réussi à installer la table dans le jardin cela suffisait pour lajournée.

Plus tard dans la soirée, elles firent avec deux pâtes diffé rentes des petits pains au lait et un pain blanc en forme de tresse. Il y aurait aussi du poulet et de la salade. Sans oublier la limonade. S'il y avait bien une chose dont Sophie avait peur, c'était qu'un des garçons de sa classe ne vienne avec de la bière. Elle ne voulait surtout pas d'histoires.

Au moment Sophie allait se coucher, sa mère lui rede manda si Alberto serait bien de la fête.

Mais bien sûr qu'il vient. Il m'a même promis de réaliser devant nous un tour de prestidigitation philosophique.

De prestidigitation philosophique? En quoi ça va consister?

Eh bien, s'il avait été un prestidigitateur normal, il se serait amusé à faire sortir un lapin blanc de son chapeau haut de forme...

Tu ne vas pas recommencer !

—... mais puisque c'est un philosophe, il réalisera un tour de force en philosophie. C'est bien une fête philosophique, non?

Tu as la langue toujours aussi bien pendue, à ce que je vois!

Et toi, -dedans, est-ce que tu as pensé à ta contribution personnelle?

Bien sûr, Sophie. J'ai ma petite idée.

Ce sera un discours?

Ce n'est pas la peine d'insister, je ne t'en dirai pas plus. Allez, bonne nuit !

Tôt le lendemain matin, Sophie fut réveillée par sa mère qui était montée lui dire au revoir avant d'aller à son travail, et lui remit par la même occasion la liste des dernières courses à faire en ville en prévision de la réception.

Dès qu'elle fut partie, le téléphone sonna. C'était Alberto. À croire qu'il savait exactement quand il était sûr de la trouver seule.

Alors, ça avance, ton petit complot?

Chut ! Pas un mot. Ne lui donne même pas une chance de deviner de quoi il s'agit.

Je crois que j ' ai su retenir son attention hier.

C'est bien.

Il reste encore des cours de philosophie ?

Je t'appelle justement pour ça. Nous en sommes déjà à l'époque contemporaine. Je pense que tu devrais pouvoir t'en tirer toute seule à partir de maintenant. Le plus important, c'était les bases. Mais j'aimerais quand même qu'on se voie pour en parler un peu.

Mais il faut que j'aille en ville...

Ça tombe bien puisque nous allons parler de l'époque actuelle.

Ah?

Autant être en plein dedans, si tu vois ce que je veux dire.

Tu veux que je vienne chez toi?

Mais non, pas chez moi En plus, il y a une de ces pagailles ! J'ai tout mis sens dessus dessous pour vérifier s'il n'y avait pas de micros cachés.

Oh!

Non, il y a un nouveau café qui vient d'ouvrir juste en face de la place du Marché : le café Pierre. Tu vois il est?

Oui. À quelle heure on se donne rendez-vous ?

Disons... à midi?

D'accord, à midi au café.

Alors je t'en dirai plus tout à l'heure.

Salut!

Peu après midi, Sophie fit son entrée au café Pierre. C'était un de ces nouveaux lieux à la mode avec des tables de bistrot et des chaises noires. Derrière le comptoir s'alignaient des bou teilles d'alcool la tête en bas avec un bec verseur, des baguettes beurrées et des portions de salade individuelles.

La salle n'était pas très grande et la première chose qui sauta aux yeux de Sophie, c'était qu'Alberto n'était pas . Il y avait foule et elle dévisagea rapidement chaque personne dans l'espoir de le découvrir parmi tout ce monde.

Elle n'avait pas l'habitude d'aller seule au café. Peut-être valait-il mieux qu'elle ressorte et revienne voir un peu plus tard s'il était arrivé ?

Non, finalement elle alla au comptoir et commanda un thé citron, Puis elle emporta sa tasse et s'assit à une table libre en gardant les yeux fixés sur la porte d'entrée par entraient et sortaient beaucoup de gens. Mais Alberto ne venait pas.

Si au moins elle avait eu un journal !

Pour s'occuper, elle finit par jeter un coup d'œil autour d'elle. Elle eut droit à quelques regards en retour et tout à coup Sophie se sentit promue au rang de jeune femme. Elle n'avait que quinze ans, mais en paraissait bien dix-sept... ou disons seize et demi.

Que pouvaient bien penser tous ces gens assis au café de leur existence? Ils semblaient se trouver par hasard, ils avaient vu la porte ouverte et étaient entrés. Ils discutaient et gesticu laient, mais leurs sujets de conversation paraissaient complète ment futiles.

D lui revint en mémoire une phrase de Kierkegaard disant qu'une des caractéristiques les plus significatives de la foule était ce « verbiage ». Est-ce que tous ces gens vivaient au stade esthétique? Ou y avait-il quand même quelque chose d'existen- tiellement important pour eux?

Dans une de ses premières lettres, Alberto avait écrit qu'il y avait une parenté entre les enfants et les philosophes. De nou veau, Sophie sentit qu'elle avait peur de devenir adulte. Et si elle aussi choisissait de vivre bien enfouie dans la fourrure du lapin blanc qu'on avait fait sortir du chapeau haut de forme de l'univers?

Elle n'avait pas quitté des yeux la porte d'entrée depuis un bon moment lorsqu elle aperçut enfin Alberto qui se précipita à l'intérieur. On avait beau être en été, il avait gardé son béret noir sur la tête. Il portait une veste longue avec un motif gris. Il la repéra immédiatement et alla vite la rejoindre. Sophie se ren dit compte qu'ils ne s'étaient encore jamais donné rendez-vous dans un lieu public.

Tu as vu l'heure ? Il est midi et quart, espèce de goujat !

C'est ce qu'on appelle le « quart d'heure autorise », non ? Puis-je offrir à cette demoiselle quelque chose à manger?

Il s'assit et la regarda droit dans les yeux. Sophie se contenta de hausser les épaules.

Oh ! ça m est égal. Un sandwich, si tu veux.

Alberto alla commander et revint avec une tasse de café et deux sandwiches au fromage et au jambon.

C'était cher?

Laisse Sophie, ce n'est rien.

Est-ce que tu as au moins une excuse pour arriver à cette heure-ci?

Non, je n'en ai pas car je l'ai fait exprès. Attends, je vais t'expliquer.

D commença par mordre dans son sandwich puis reprit :

Nous allons parler de notre propre siècle.

Est-ce qu'il s'y est passé quelque chose d'important sur le plan philosophique ?

Oui, beaucoup de choses, tellement que ça va dans toutes

les directions. Nous allons d'abord parler d'un courant déter minant, celui de l'existentialisme. On regroupe sous ce terme divers mouvements qui ont tous leur origine dans la situation existentielle de l'homme. Nous parlons à ce titre de la philoso phie de l'existence du xxe siècle. Plusieurs de ces philosophes de l'existenceou existentialistessont partis de Kierkegaard, mais aussi de Hegel et Marx.

Je comprends.

Un philosophe qui joua un rôle clé pour tout le xxc siècle, c'est Friedrich Nietzsche, un philosophe allemand qui vécut de 1844 à 1900. Lui aussi s'était élevé contre la philosophie de Hegel et lhistoricisme » allemand. Il opposa, à cet intérêt désincarné pour l'histoire et à ce qu'il appelait une morale d'esclave chrétienne, la vie elle-même. Il voulut opérer une transmutation de toutes les valeurs afin que l'épanouissement des forts ne soit pas entravé par les faibles. Selon lui, le chris tianisme et la tradition philosophique s'étaient détournés du monde réel pour montrer le « ciel » ou le « monde des idées ». Mais c'est précisément ce qu'on a voulu faire passer pour le vrai monde qui se révèle un monde illusoire. « Sois fidèle à la terre, disait-il, n'écoute pas celui qui te promet une vie meilleure dans l'autre monde. »

Eh bien...

Quelqu'un qui a aussi été fortement influencé par Kierkegaard et Nietzsche, ce fut le penseur existentialiste Martin Heidegger. Mais j'aimerais plutôt te parler de l'existen tialiste français Jean -Paul Sartre, qui vécut de 1905 à 1980. C'est vraiment lui qui fut le chef de file des existentialistes, du moins pour le grand public. D développa sa thèse de l'existen tialisme surtout après la guerre, dans les années 40. Puis il fut proche du mouvement marxiste, sans pour autant appartenir à aucun parti.

C'est pour ça que tu m'as donné rendez-vous dans un café français?

~ Ce n'est pas un hasard, en effet. Sartre fréquentait beau coup les cafés. C'est d'ailleurs dans un de ces cafés qu'il ren contra sa compagne Simone de Beauvoir. Elle aussi était une philosophe existentialiste.

Une femme philosophe ?

Tu as bien entendu.

Ça fait plaisir d'apprendre que l'humanité commence enfin à se civiliser.

Encore que notre époque connaisse de nombreuses préoc cupations d'un ordre très différent.

Tu devais me parler de l'existentialisme.

« L'existentialisme est un humanisme », déclara Sartre. Il voulait dire que les existentialistes n'ont pas d'autre point de départ pour leur réflexion que l'homme lui-même. Cela dit, la perspective est autrement plus sombre dans cette forme d'humanisme que sous la Renaissance.

Pourquoi ça?

Kierkegaard était chrétien, comme certains philosophes existentialistes de notre siècle. Mais Sartre fait partie de la branche dite athée de l'existentialisme. On peut considérer sa philosophie comme une analyse impitoyable de la situation de l'homme après la mort de Dieu. L'expression est de Nietzsche.

Continue !

Le mot clé de la philosophie de Sartre, comme pour celle de Kierkegaard, est le mot « existence ». Mais ce terme ne reflète pas uniquement le fait d'exister. Les plantes et les ani maux aussi existent, ils vivent eux aussi, avec cette différence qu'ils n'ont pas à se soucier de ce que cela signifie. L'homme est le seul être vivant qui soit conscient de sa propre existence. Être un homme, ce n'est pas comme être une chose.

Ça me paraît assez évident.

De la même façon, Sartre prétend que l'existence précède toute signification qu'on veut en donner. Le fait que j'existe précède la question de savoir ce queje suis. « L'existence pré cède l'essence », dit-il.

Oh ! c'est une phrase compliquée, ça.

Par « essence », nous entendons ce qui constitue une chose, c'est-à-dire sa « nature » ou son « être ». Mais Sartre ne pense pas que l'homme ait une nature innée de cet ordre. C'est à l'homme de se créer lui-même. D doit créer sa propre nature, son essence, parce qu'elle n'est pas donnée au départ.

Je crois comprendre ce que tu veux dire.

Dans toute 1 histoire de la philosophie, les philosophes se sont interrogés sur l'essence de l'homme, sur sa nature. Mais Sartre pensait que l'homme ne possède pas une nature éternelle de ce genre. C'est pourquoi se poser des questions sur le sens de

la vie en général n'a aucun sens. Nous sommes en d'autres termes condamnés à improviser. Nous sommes ces acteurs qu'on a poussés sur scène sans qu'on leur ait distribué de rôle bien défini, sans manuscrit en main et sans souffleur pour nous murmurer ce que nous avons à faire. Nous seuls devons choisir comment nous voulons vivre.

Au fond, c'est vrai. Ce serait trop commode s'il suffisait d'ouvrir la Bible ou un quelconque ouvrage de philosophie pour savoir comment nous devons vivre.

Tu as tout compris. Mais quand l'être humain prend conscience de son existence, de la mort qui l'attend un jour, et qu'il ne trouve pas de signification à laquelle s'accrocher, il est saisi d'angoisse, dit Sartre. Tu te rappelles peut-être que Kierkegaard lui aussi décrivait l'angoisse comme étant caracté ristique de la situation existentielle de l'homme.

Oui.

Sartre ajoute que l'homme se sent étranger, de trop, dans un monde dépourvu de sens. Quand il décrit cette « étrangeté » au monde, il rejoint les thèses de Hegel et Marx. Ce sentiment d'être un étranger sur terre crée un sentiment de désespoir, d'ennui, de dégoût et d'absurdité.

Il y en a encore beaucoup qui pensent que tout est « pourri » et que le monde est « foutu »...

Oui, Sartre décrit l'homme de la ville au xxe siècle. La Renaissance, tu t'en souviens, avait montré de façon quasi triomphale la liberté et l'indépendance de l'homme, alors que pour Sartre la liberté est un poids terrible. « L'homme est condamné à être libre, dit-il. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et cependant libre. Car une fois qu'il est jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait. »

Nous n'avons demandé à personne de nous créer en tant qu'individus libres.

C'est bien l'avis de Sartre. Mais de fait, nous sommes des individus libres et notre liberté fait en sorte que nous sommes toute notre vie condamnés à faire des choix. Il n'existe aucune valeur ou norme éternelle pour nous guider. D' l'importance du choix. Nous sommes entièrement responsables de nos actes. Sartre insiste beaucoup sur ce point : l'homme ne peut pas reje ter la responsabilité de ses propres actes sur autrui ou sur autre chose. Nous devons assumer nos propres choix et non prétendre

que nous « devons » aller travailler ou que nous « devons » tenir compte des convenances de la société bourgeoise pour savoir comment nous allons vivre. Quelqu'un qui subit ces pressions de l'extérieur devient un être anonyme qui se fond dans la masse. Cette personne se ment à elle-même pour entrer dans îe moule, elle se réfugie dans la mauvaise foi. La liberté de l'homme, au contraire, nous pousse à devenir quelque chose, à être autre chose que des pantins, à exister véritablement, de manière « authentique ».

Je comprends.

Cela concerne en priorité nos choix en matière de morale. Pas question de rejeter la faute sur la « nature humaine », la « misère de l'homme » et ce genre de choses. Mais si Sartre sou tient que l'existence n'a pas de signification en soi, cela ne veut pas dire pour autant qu'il est heureux qu'il en soit ainsi. D n'est pas non plus ce que nous appelons un nihiliste.

Qu'est-ce que c'est?

C'est quelqu'un qui considère que rien n'a de sens et que tout est permis. Sartre pense que la vie doit prendre un sens. C'est un impératif. Mais c'est à nous de donner un sens à notre propre vie. Exister, c'est créer sa propre existence.

Est-ce que tu peux développer ?

Sartre essaie de montrer que la conscience n'est pas quelque chose en soi avant de percevoir quelque chose. Car la conscience est toujours conscience de quelque chose. Et ce « quelque chose » est autant à nous-mêmes qu'aux condi tions extérieures. C'est nous qui pouvons dans une certaine mesure décider de ce que nous voulons percevoir en choisissant ce qui a un sens pour nous.

Tu n'aurais pas un exemple, par hasard ?

Deux personnes peuvent se trouver dans le même café et ressentir des choses complètement différentes. La raison en est que, dans ce qui nous entoure, nous donnons notre propre sens aux choses qui nous intéressent. Une femme enceinte, par exemple, aura l'impression de voir d'autres femmes enceintes partout. Ces femmes enceintes avaient beau être avant, aura fallu qu'elle attende elle-même un enfant pour les voir enfin. Qui sait si quelqu'un qui est malade en voiture ne voit pas autour de lui que des gens malades en voiture comme lui...

Je comprends.

Notre propre existence conditionne donc notre façon de percevoir ce qui nous entoure. Si quelque chose ne signifie rien pour moi, il y a de grandes chances pour que je ne le voie pas. Bon, maintenant je peux peut-être t'expliquer pourquoi je suis arrivé si tard.

Tu as dit que tu l'as fait exprès ?

Mais dis-moi d'abord ce qui t'a frappée quand tu es entrée dans ce café.

J'ai tout de suite vu que tu n'étais pas .

Tu ne trouves pas un peu bizarre que la première chose que tu aies vue soit précisément quelque chose qui n 'étaitpas ?

Peut-être, mais c'est avec toi quej'avais rendez-vous.

Appelle ça un petit exercice d application, si tu préfères.

Tu exagères !

Si tu es amoureuse et que tu attends un coup de fil du gar çon dont tu es amoureuse, tu « entendras » peut-être toute la soirée qu'il n'appelle pas. Aussi paradoxal que ça puisse sem bler, c'est justement le silence du téléphone que tu entendras. De même, si tu dois aller le chercher à la gare et qu'une foule de gens descendent du train mais pas lui, tu ne verras pas tous ces gens. Ils ne feront que te gêner car ils ne représentent rien pour toi. Tu les trouveras peut-être même insupportables et répu gnants, qui sait? C'est fou la place qu'ils prennent soudain. La seule chose que tu enregistreras, c'est que lui n'est pas .

Je comprends.

Simone de Beauvoir, elle, a essayé d'appliquer l'existen tialisme à l'analyse des rôles sexuels. Sartre avait bien montré que l'homme ne peut se référer à une quelconque « nature » éternelle. C'est nous-mêmes qui créons ce que nous sommes.

Oui, et alors?

C'est la même chose quand il s'agit de l'image qu'on se fait des sexes. Il n'existe pas selon Simone de Beauvoir une « nature féminine » éternelle ou une « nature masculine » éternelle. C'est pourtant ce que la conception traditionnelle veut nous faire croire. Il est tout à fait d'usage d'affirmer que l'homme a une nature qui aime à transgresser, une nature « transcendante ». C'est la raison pour laquelle il cherchera toujours un sens et un but hors de chez lui. La femme, au contraire, passe pour avoir une orientation de vie complètement opposée : elle est « imma nente », c'est-à-dire qu'elle veut toujours être elle est. Son domaine, c'est la famille, la nature et toutes les choses proches qui l'entourent. Nous dirions de nos jours que la femme s'inté resse davantage à des « valeurs douces » que les hommes.

Est-ce que c'était vraiment ce que pensait Simone de Beauvoir?

Non, tu as mal écouté. Elle pensait justement qu'il n'existe pas de « nature féminine » ou de « nature masculine ». Bien au contraire : il était du devoir des hommes, selon elle, de se libérer de ces préjugés et de ces idéaux fortement ancrés.

, je suis bien d'accord avec elle.

Son livre le plus important parut en 1949 sous le titre le Deuxième Sexe.

Qu'est-ce qu'elle entendait par ?

Elle pensait à la femme. C'est elle que notre culture a relé guée au rang de « deuxième sexe ». Les femmes étant réduites à n'être que des objets pour les hommes, eux seuls apparaissent comme des sujets. La femme perd ainsi la responsabilité de sa propre vie.

Ah!...

Cette responsabilité, il fàut la reconquérir. Elle doit se retrouver et ne plus lier son identité à celle de l'homme. Car l'homme n'est pas seul à opprimer la femme. Elle s'opprime elle-même en n assumant pas la responsabilité de sa propre vie.

Tu veux dire que c'est nous qui décidons si nous voulons être réellement libres et indépendants?

Si tu veux. L'existentialisme a influencé la littérature à partir des années 40 jusqu'à aujourd'hui. Sans parler du théâtre. Sartre écrivit aussi des romans et des pièces. Il fàut mentionner Albert Camus, l'Irlandais SamuelBeckett, le Rou main Eugène Ionesco et le Polonais Witold Gombrowicz. Le point commun de tous ces auteurset de tant d'autres contemporainsc'est ce qu'on a appelé Vabsurde. Leur théâtre est un « théâtre de l'absurde ».

Bon.

Tu comprends ce que signifie le terme « absurde », n'est- ce pas?

Je crois que cela veut dire quelque chose qui n'a pas de sens, qui est contraire à la raison.

Exactement. Le « théâtre de l'absurde » s'oppose au « théâtre réaliste ». Le but consistait à montrer sur scène l'absurdité de l'existence pour amener le public à réagir. Il ne s'agissait pas de cultiver l'absurde pour l'absurde. Bien au contraire : en exposant, en mettant à nu le côté absurde de cer tains événements de la vie de tous les jours, le public devait être contraint de trouver une forme d'existence plus authentique.

Continue !

Ce théâtre de l'absurde met souvent en scène des situa tions tout ce qu'il y a de banal. On a pu à ce titre dire que c'était presque une forme dhyperréalisme ». L'homme est représenté exactement tel qu'il est. Mais si tu montres sur une scène de théâtre exactement ce qui se passe dans une salle de bains un matin comme les autres dans la maison de monsieur Tout le monde, je te garantis que le public est plié en deux. On peut interpréter ce rire comme étant une protection qui évite à chacun de se reconnaître mis à nu sur scène.

Je comprends.

Le théâtre de l'absurde présente parfois aussi des traits surréalistes. Les personnages sur la scène se retrouvent dans les situations les plus invraisemblables, comme dans un rêve. En voyant ces acteurs évoluer dans des conditions imposées sans pouvoir manifester leur désaccord, le public, lui, est obligé de s'étonner et de réagir justement à ce manque de réaction. C'est la même chose avec les films muets de Charlie Chaplin. Tout le comique de ces films réside dans le fait que Chariot n'est pas surpris le moins du monde de se retrouver mêlé à des situations complètement invraisemblables. Par le biais du rire, les specta teurs sont contraints de s'interroger sur leur propre existence qu'ils peuvent enfin voir avec une certaine distance.

C'est vrai qu'il y a vraiment des situations incroyables parfois et personne ne proteste !

C'est important de prendre conscience qu'il faut se déta cher de tout ça, même si l'on ne sait pas encore très bien com ment s'y prendre et aller.

C'est comme lorsqu'une maison est en feu : il faut partir même si on n'a pas encore une autre maison habiter.

C'est ça. Au fait, veux-tu une autre tasse de thé? Ou peut- être un Coca-Cola?

Oui, merci. Je trouve que tu ne manques vraiment pas d'air de m'avoir fait poireauter si longtemps.

Libre à toi de penser ce que tu veux.

Alberto revint vite avec une tasse de café et un Coca-Cola. Pendant ce temps, Sophie commençait à prendre goût à la vie de café. Elle n'était finalement pas si convaincue que ça de la superficialité des conversations aux autres tables.

Alberto posa la bouteille de Coca sur la table avec un petit bruit sec. Plusieurs personnes levèrent la tête.

Nous voilà bientôt au terme de notre route, déclara-t-il.

Est-ce que tu veux dire que l'histoire de la philosophie s'arrête avec Sartre et l'existentialisme?

Non, ce serait un peu exagéré. Les thèses existentialistes ont exercé une énorme influence dans le monde entier. Comme nous l'avons vu, nous pouvons trouver des analogies chez Kier kegaard ou même Socrate. Mais le xxe siècle a aussi vu s'épa nouir d'autres courants philosophiques dont nous avons déjà parlé.

Lesquels par exemple?

Il y a ainsi le néo-thomisme qui reprend les thèses de saint Thomas d'Aquin. Quant à la philosophie analytique ou ï empi risme logique, ça remonte à Hume et à l'empirisme britannique mais aussi à la logique d'Aristote. Sans oublier bien entendu ce qu'on a appelé le néo-marxisme et ses courants dérivés. Nous avons déjà parlé sinon du néo-darwinisme et souligné l'impor tance capitale de la psychanalyse.

Je comprends.

D faut cependant s'arrêter un instant sur un dernier mou vement, le matérialisme, qui lui aussi est profondément ancré dans l'histoire de la philosophie. La science moderne doit beau coup aux travaux des présocratiques. On est par exemple tou jours à la recherche de cette fameuse « particule élémentaire » qui serait à l'origine de toute la matière. Personne n'est encore aujourd'hui en mesure d'expliquer véritablement ce qu'est la « matière ». La science contemporaine, prenons la plwsique nucléaire ou la chimie biologique, est si fascinante qu'elle lait partie intégrante de la vie de beaucoup de gens.

Il y a donc un amalgame entre les théories anciennes et les nouvelles ?

On peut dire ça comme ça, oui. Les questions que je t'ai posées au début du cours restent sans réponse. Sartre avait raison d'affirmer que les problèmes existentiels ne pouvaient pas se régler une bonne fois pour toutes. Une question

philosophique est par définition une chose à laquelle chaque génération, voire chaque personne, est et restera confrontée.

Voilà qui n'est pas spécialement réconfortant

Je ne suis pas d'accord avec toi. N'est-ce pas en se posant ce genre de questions que nous sentons que nous sommes en vier Et n'oublions pas que c'est en cherchant à répondre à des questions insolubles que l'homme trouve finalement des réponses précises et définitives à toutes sortes d'autres pro blèmes. Que ce soit la science, la recherche ou la technique, tout découle de la réflexion philosophique. N'est-ce pas au fond l'étonnement de l'homme devant l'univers qui le poussa à mar cher sur la Lune?

Oui, c'est vrai.

Lorsque l'astronaute Neil Armstrong posa le pied sur la Lune, il déclara : « C'est un petit pas pour l'homme, mais un grand pas pour l'humanité. » C'était une façon d'englober tous tes hommes qui l'avaient précédé et, d'une certaine manière, lui avaient permis de poser son pied sur la Lune. Le mérite n'en revenait pas à lui tout seul.

Bien sûr que non.

Notre époque contemporaine doit faire face à de tout nou veaux problèmes. Tout d'abord les grands problèmes d'envi ronnement C'est pourquoi 1e courant écologique de la philoso phie a une telle importance au xxe siècle. De nombreux ihilosophes tirent la sonnette d'alarme en montrant que la rivi- isation occidentale est fondamentalement sur une mauvaise voie et va à l'encontre de ce que notre planète peut supporter. Ils essaient d'aller au-delà des propositions concrètes pour limi ter la pollution et les catastrophes écologiques. Notre mode de penser occidental est malade, affirment-ils.

Ils ont raison, à mon avis.

Les philosophes écologiste ont par exempte problématisé la pensée même de progrès. A la base, il y a l'idée que l'homme est « supérieur », qu'il est 1e maître de la nature. Cette pensée se révèle extrêmement dangereuse pour la survie de la planète.

Ça me rend malade d'y penser.

Beaucoup de philosophes se sont appuyés sur les pensées et les idées d'autres cultures pour étayer leur critique, en se référant à la culture indienne par exempte. Ils ont aussi étudié les pensées et les coutumes des peuples « traditionnels » et des

peuplades dites « primitives », comme les Indiens, pour trou ver la trace de ce que nous avons perdu.

Je comprends.

Au sein même des milieux scientifiques, des voix de cher cheurs se sont élevées pour dire que la démarche scientifique se trouve confrontée à un « changement de paradigme ». C'est-à- dire que les chercheurs remettent en cause de manière fonda mentale le mode de pensée scientifique. Dans plusieurs domaines, cette réflexion a déjà porté ses fruits, citons par exemple l'émergence de mouvements alternatifs qui privilégient une approche globale des problèmes et essaient de créer un autre mode de vie.

Ça, c'est plutôt positif, non ?

Malheureusement, l'homme est ainsi fait que dès qu'il s'intéresse à quelque chose, cela donne le meilleur comme le pire. Certains annoncent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère appelée New Âge. Mais tout ce qui est neuf n'est pas forcément intéressant comme tout ce qui est vieux n'est pas bon à jeter. C'est, entre autres, une des raisons pour lesquelles je t'ai donné ce cours de philosophie. Tu possèdes enfin l'arrière-plan historique nécessaire pour te diriger dans la vie.

C'était une charmante attention de ta part...

Je crois que tu trouveras que beaucoup de choses estam pillées « New Age » sont des attrape-nigauds. Nous avons en effet été envahis ces dernières années par ce qu'on pourrait appeler la « nouvelle religiosité », le « nouvel occultisme » ou encore la « superstition moderne ». C'est devenu une véritable industrie. Dès que le christianisme a baissé dans les sondages, ces prétendues doctrines ont poussé comme des champignons en prétendant offrir aux gens un nouvel art de vivre.

Quoi par exemple ?

La liste est si longue que je ne sais pas par quoi commen cer. Ce n'est d'ailleurs pas facile de décrire sa propre époque, on manque toujours de recul. Allez, si on faisait un tour en ville? J'aimerais bien te montrer quelque chose.

Sophie haussa les épaules.

Je ne peux pas rester trop longtemps. Tu n'as pas oublié la fête au jardin demain J'espère ?

Bien sûr que non. C'est qu'il se produira quelque chose de merveilleux. D faut juste que nous finissions le cours de

philosophie de Hilde. Le major n'a pas pensé au-delà. Et c'est que nous avons une chance de reprendre le dessus.

Il souleva à nouveau la bouteille de Coca-Cola qui était vide à présent et la reposa d'un geste déterminé sur la table.

Ils sortirent et firent quelques pas. La rue grouillait de monde comme une fourmilière débordante d'activité. Sophie était curieuse de savoir ce qu'Alberto tenait tellement à lui montrer.

Ils passèrent devant un grand magasin spécialisé dans les chaînes hi-fi, les téléviseurs, magnétoscopes, antennes parabo liques, téléphones portables, ordinateurs et autres télécopieurs.

Tu as devant toi, Sophie, tout le xxe siècle, commenta Alberto en montrant du doigt la vitrine. Le monde a pour ainsi dire explosé à partir de la Renaissance. Dès l'époque des grandes découvertes, les Européens commencèrent à voyager dans le monde entier. Mais aujourd'hui, c'est le contraire qui se produit. C'est en quelque sorte une explosion dans le sens opposé.

Attends, qu'est-ce que tu veux dire par ?

Je veux dire par que le monde entier est pris dans les filets d'un gigantesque réseau de communiai!ion. Il n'y a pas si longtemps que ça, les philosophes devaient voyager plusieurs jours à cheval et en voiture de poste pour se déplacer ou ren contrer d'autres penseurs. De nos jours, il nous suffit d'appuyer sur une touche d'ordinateur pour avoir immédiate ment la somme des connaissances humaines sur son écran.

C'est quand même assez fabuleux, quand on y pense. Ça fait presque un peu peur.

Toute la question est de savoir si l'histoire s'achemine vers sa fin ou si au contraire nous sommes à l'orée d'une toute nou velle époque. Nous ne sommes plus seulement les citoyens d'une ville ou d un seul État. Nous vivons à l'échelle planétaire.

C'est vrai.

Le développement techniqueil suffi de penser à l'évo lution des moyens de communicationa connu un essor plus important ces trente ou quarante dernières années qu'au cours de toute l'histoire qui a précédé. Et ce n'est peut-être qu'un début...

C'est ça que tu voulais me montrer?

— Non, viens, c'est de l'autre côté de l'église.

Au moment ils s'apprêtaient à partir, des soldats en uniforme des forces de 1 ONU apparurent sur un écran de télévision.

Oh ! regarde ! s'écria Sophie.

La caméra filmait à présent un soldat en gros plan. Il avait presque la même barbe noire qu'Alberto. Il brandit soudain une pancarte sur laquelle était écrit : Rentrerai bientôt, Hilde / Il fît un signe de la main et disparut.

Ah ! quel charlatan, celui- !

C'était le major?

Je ne veux même pas répondre.

Ils traversèrent le parc devant l'église et débouchèrent sur une large avenue. Alberto faisait visiblement la tête, mais il montra du doigt une grande librairie. Elle s'appelait Libris et était la plus importante de la ville.

Cest ?

Entrons.

Une fois à l'intérieur, Alberto indiqua le mur se trou vaient le plus de livres. Il se divisait en trois rayons : New Age, Mouvements alternatifs et Mystique.

Les titres étaient aguicheurs : Ya-t-il une vie après la mort?, les Secrets du spiritisme, le Tarot, les Ovnis, Guérir, le Retour des dieux, la Vie antérieure, Qu 'est-ce que l'astrologie?, etc. Il y en avait des centaines comme ça Sur une étagère en dessous de ces rayons, on voyait des piles entières de ces mêmes livres.

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