Ou prenons la cuisine, par exemple. Avec seulement de la farine, je serais un magicien si je parvenais à faire un gâteau.

Mais si j'ai des œufs, de la farine, du lait et du sucre, alors je peux faire une infinité de gâteaux différents à partir de ces quatre matières premières.

Ce n'est pas un hasard si Empédocle pensait que les « racines » de la nature étaient justement la terre, l'air, le feu et l'eau. Avant lui d'autres philosophes avaient tenté de prouver pourquoi la substance première était soit l'eau, soit l'air, soit le îeu. Que l'eau comme l'air fussent des éléments importants au sein de la nature, Thalès et Anaximène en étaient tous deux convaincus. Les Grecs croyaient aussi que le feu était essentiel : il suffisait de considérer l'importance du Soleil pour la vie végé tale et de penser aussi à la chaleur du corps humain ou animal.

Peut-être qu'Empédocle avait vu brûler un morceau de bois. Quelque chose se désagrège. Nous entendons le bois craquer et gémir : c'est leau ». Quelque chose s'en va en fumée : c'est F« air ». Quant au « feu », on l'a sous les yeux. Puis il reste quelque chose quand le foyer s'éteint : c'est la cendre ou la « terre ».

Quand Empédocle montre que tout ce qui change dans la nature est à l'alliance et à la séparation des quatre racines, il omet quelque chose. Pour quelle raison ces éléments s'assem blent-ils pour créer la vie? Qu'est-ce qui est à l'origine de leur séparation, dans le cas d'une fleur par exemple?

Pour Empédocle, deux forces différentes sont à l'œuvre dans la nature : l'amour et la haine. Ce qui unit les choses, c'est l'amour; ce qui les désunit, c'est la haine.

Il est intéressant de remarquer qu'il fait une distinction entre un « élément » et une « force ». De nos jours, la science fait la distinction entre les « matières élémentaires » et les « forces naturelles ».

La science moderne pense que tous les phénomènes naturels peuvent être ramenés à une alliance entre les diverses sub stances élémentaires et un petit nombre de forces naturelles.

Empédocle souleva aussi le problème du phénomène de la perception. Comment puis-je « voir » une fleur par exemple ? Que se passe-t-il exactement? As-tu jamais songé à cela, Sophie ? Sinon, c'est le moment ou jamais !

Nos yeux seraient, d'après Empédocle, composés de terre, d'air, de feu et d'eau comme tout dans la nature. La « terre » dans mon œil percevrait l'élément terre dans ce que je vois,

lair » l'élément air, le « feu » l'élément feu et leau » ce qui appartient à l'élément eau. Si un seul de ces éléments faisait défaut à mon œil, je ne pourrais pas voir la nature dans son intégralité.

Une partie du tout dans tout

Un autre philosophe ne pouvait accepter l'idée qu'une sub stance première, comme l'eau par exemple, puisse se transfor mer en tout ce que nous voyons : un certain Anaxagore (500- 428 avant Jésus-Christ). l ui non plus n'admettait pas l'idée que la terre, l'air, le feu et l'eau puissent devenir du sang et des os.

Selon lui, la nature est formée de minuscules morceaux invi sibles à l'œil. Tout peut se diviser en parties encore plus petites, mais dans chacune d'elles il y a une fraction du tout. Si la peau et les cheveux peuvent se transformer en autre chose, cela revient à dire qu'il y a de la peau et des cheveux dans le lait que nous buvons et la nourriture que nous mangeons!

Quelques exemples modernes vont nous permettre de mieux cerner la pensée d'Anaxagore. Avec la technique actuelle du laser, nous sommes capables de produire des hologrammes. Si un hologramme reproduit une voiture, par exemple, et qu'on détruise une partie de cet hologramme, nous verrons malgré tout une image de la voiture en entier, même si nous n'avons plus que la partie de l'hologramme qui représentait le pare- chocs. Tout simplement parce que le motif entier est présent dans les moindres parties.

Notre corps aussi est construit d'une certaine manière selon ce schéma. Si je détache une cellule d'un de mes doigts, celle-ci révélera l'état et la nature de ma peau, mais aussi ceux de mes yeux, la couleur de mes cheveux, le nombre et l'aspect extérieur de mes doigts, etc. Chaque cellule de mon corps détient les informations détaillées de la composition des autres cellules du corps. C'est bien une « partie du tout » que possède chaque cel lule. La totalité est présente dans chaque partie, si infime soit- elle.

Anaxagore appelait ces « minuscules parties » qui possé daient « quelque chose de la totalité » des « graines » ou des « germes ».

Nous nous souvenons qu'Empédode pensait que lamour » unissait les différentes parties pour former des corps entiers. Anaxagore, lui aussi, concevait une sorte de force qui « struc ture » et donne forme aux animaux, aux êtres humains, aux fleurs et aux arbres. Cette force, il l'appelait lintellect » ou encore lintelligence » : vouç (nous).

Anaxagore nous intéresse à un autre titre : il est le premier philosophe d'Athènes dont nous entendions parler. Certes il venait d'Asie Mineure, mais il s'installa à Athènes vers l'âge de quarante ans. On l'accusa d'athéisme et il fut contraint de quit ter la ville. Il avait entre autres osé prétendre que le Soleil n'était pas un dieu, mais une pierre chauffée à blanc qui dépas sait de loin en taille la presqu île du Péloponnèse...

Anaxagore était passionné d'astronomie. Il soutenait que tous les corps célestes étaient formés de la même matière que la Terre. Telle était la conclusion à laquelle il avait abouti après avoir examiné une météorite. C'est pourquoi il n'était pas exclu, selon lui, que des hommes vivent sur d'autres planètes. Il fit remarquer que la Lune ne s'éclairait pas toute seule, mais qu'elle recevait sa lumière de la Terre et il expliqua par ailleurs le phénomène des éclipses de Soleil.

P.-S. : Je te remercie de ton attention, Sophie. Tu seras sans doute amenée à relire ce chapitre plusieurs fois avant de bien le comprendre. Mais un tel résultat mérite bien qu'on se donne un peu de mal. Tu n'apprécierais guère une amie qui serait incollable sur tous les sujets sans que cela lui ait coûté le moindre effort, ou je me trompe?

D te faudra attendre jusqu à demain pour avoir la réponse au problème de la substance unique et des transformations au sein de la nature. Tu feras aussi la connaissance de Démocrite. Je ne t'en dis pas plus !

Sophie écarta légèrement les broussailles épaisses et, grâce à cette petite ouverture, jeta un coup d'œil dans lejardin. Il fallait qu'elle remette un peu d'ordre dans ses pensées après tout ce qu'elle avait lu.

Il était clair comme de l'eau de roche que justement l'eau ne pouvait devenir autre chose que de la glace ou de la vapeur. Il était hors de question que l'eau puisse se transformer en pastèque, même si de nombreuses langues l'appellent « melon d'eau », car même une pastèque était composée d'autre chose que simplement de l'eau. Mais si elle en était si convaincue, n'était-ce pas parce qu'on le lui avait dit? Aurait- elle vraiment su que la glace n'est que de l'eau, si elle ne l'avait pas appris? N'aurait-elle pas dû sinon étudier très pré cisément le phénomène de l'eau qui commence par geler avant de fondre et redevenir eau ?

Sophie essaya de penser par elle-même sans se référer à ce qu'elle avait appris.

Parménide avait refusé de reconnaître toute forme de chan gement. Plus elle y réfléchissait, plus elle était obligée d'admettre qu'il y avait du vrai dans ce qu'il disait. Son bon sens lui interdisait d'accepter l'idée que « quelque chose » puisse d'un seul coup devenir « quelque chose de complète ment différent ». Il n'avait pas manqué de cran, car il avait été obligé de réfuter dans le même temps les phénomènes naturels que chacun pouvait constater par soi-même. Tout le monde avait dû se moquer de lui.

Empédocle aussi avait été assez astucieux pour affirmer que l'univers ne saurait être composé d'un seul mais de plu sieurs éléments. De cette façon, tout changement dans la nature était rendu possible sans pour autant transformer quoi que ce soit.

Le vieux philosophe grec avait abouti à ces conclusions en raisonnant et en étudiant la nature, mais sans toutefois pou voir se livrer à des analyses chimiques comme le font les scientifiques aujourd'hui.

Sophie ne savait pas au juste si elle devait vraiment croire que la terre, l'air, le feu et l'eau étaient à l'origine de tout ce qui est créé dans la nature. Mais au fond, quelle importance? Sur le principe, Empédocle ne s'était pas trompé. La seule possibilité que nous ayons d'accepter toutes les transformations que nos yeux perçoivent sans pour autant perdre le nord, c'est d'introduire plus d'une substance élémentaire.

Sophie trouva que la philosophie, c'était vraiment génial, car elle pouvait suivre toutes ces idées avec sa propre raison, sans avoir besoin de se rappeler ce qu'elle avait appris en classe. Elle en vint à la conclusion que la philosophie n'était pas vraiment quelque chose qu'on peut apprendre, mais qu'on pouvait peut-être apprendre à penser de manière philo sophique.

Démocrite

...lejouet le plus génial du monde.

Sophie referma la boîte en fer-blanc qui contenait toutes les feuilles dactylographiées de son professeur de philosophie inconnu. Elle se faufila hors de sa cabane et resta un moment à contempler le jardin. Elle revit soudain ce qui s'était passé la veille. Sa mère l'avait même taquinée au petit déjeuner à propos de cette « lettre d'amour ». Elle se dépêcha d'aller voir la boîte aux lettres pour éviter que la même scène ne se reproduise. Recevoir une lettre d'amour, passe encore, mais deuxjours de suite, ce serait carrément la honte.

Elle trouva à nouveau une petite enveloppe blanche ! Sophie commença à entrevoir un certain système dans les livraisons : chaque après-midi, elle avait droit à une grande enveloppe jaune dans la boîte et tandis qu'elle était occupée à lire cette longue lettre, le philosophe parvenait discrètement à glisser dans la boîte une petite enveloppe blanche.

Cela signifiait que Sophie pouvait facilement le démasquer. Mais qui sait si ce n'était pas une femme? Elle n'avait qu'à se poster à sa fenêtre, car de là elle avait une bonne vue sur la boîte aux lettres. Elle finirait bien par coincer ce mystérieux personnage. Les enveloppes blanches ne venaient quand même pas toutes seules !

Sophie décida de mettre son plan à exécution dès le lende main. On serait vendredi et elle aurait ensuite tout le week- end devant elle.

Elle monta dans sa chambre pour ouvrir l'enveloppe. Aujourd'hui, il n'y avait qu'une question sur le petit bout de papier, mais elle paraissait encore plus débile que les trois autres de la fameuse « lettre d'amour » :

Pourquoi le Lego est-il le jouet le plus génial du monde ?

Tout d'abord, Sophie n'était pas vraiment d'accord pour dire que le Lego était le jouet le plus génial du monde, en tout cas cela faisait des années qu'elle n'y avait plus touché, Par ailleurs elle ne voyait vraiment pas ce que le Lego avait à faire avec la philosophie.

Mais elle était une élève obéissante. Elle fouilla dans son armoire sur l'étagère du haut et finit par dénicher un sac de plastique rempli de pièces de Lego de toutes les tailles et de toutes les formes.

Elle n'avait pas touché à ce Lego depuis belle lurette. Tan dis qu'elle s'évertuait à construire quelque chose, elle réflé chit à la particularité de ces pièces de Lego.

Rien de plus facile au départ, se dit-elle. Quelles que soient leur forme et leur taille, on peut toujours les assembler entre elles. Et en plus ces morceaux de plastique sont inusables. A-t-on jamais vu un Lego abîmé? De fait, le sien paraissait aussi neuf que lorsqu'elle l'avait reçu il y a quelques années. Et surtout, on pouvait construire tout ce qu'on voulait à partir de ces pièces. On pouvait défaire et recommencer à l'infini en construisant quelque chose de complètement différent.

Que demander de plus ? Sophie se rendit compte que fina lement le Lego méritait bien d'être appelé le jouet le plus génial du monde. Mais quel rapport avec la philosophie ? Là encore, mystère et boule de gomme.

Elle eut tôt fait de construire une grande maison de pou pée. Elle n'osait pas trop s'avouer que ça faisait longtemps qu'elle ne s'était pas autant amusée. Au fait, pourquoi en grandissant s'arrêtait-on un jour déjouer?

Sa mère rentra et, en voyant ce que Sophie avait fabriqué, laissa échapper :

— Ah î ça me fait plaisir de voir que tu sais encore jouer comme une petite fille !

— Mais non ! J'essaie de me livrer à quelques expériences philosophiques assez difficiles.

Sa mère soupira profondément. Elle devait sans doute repenser à cette histoire de lapin blanc et de chapeau haut de forme.

En revenant de l'école le lendemain, Sophie reçut à nou veau plusieurs feuilles dans une grande enveloppe jaune. Elle prit l'enveloppe et monta dans sa chambre. Elle voulait d'une part tout de suite lire ce qui était écrit et d'autre part surveiller la boîte aux lettres.

La théorie de l'atome

Coucou, Sophie ! Tu vas entendre parler aujourd'hui du der nier grand philosophe de la nature. Il s'appelait Démocrite (environ 460-370 avant Jésus-Christ) et venait de la ville ratière d'Abdêra au nord de la mer Egée. Si tu as réussi à résoudre l'énigme du Lego, tu ne devrais pas avoir de problèmes à com prendre le projet de ce philosophe.

Démocrite était d'accord avec ses prédécesseurs pour dire que les changements observables dans la nature n'étaient pas la conséquence d'une réelle « transformation ». Il sup posa donc que tout devait être constitué de minuscules élé ments de construction, chacun, pris séparément, étant éter nel et immuable. Démocrite appela ces infimes parties des atomes.

Le terme grec a ton oc signifie « indivisible ». Il s'agissait pour Démocrite d'établir que ce qui est la base de toute la construction du monde ne peut pas se subdiviser indéfiniment. On ne pourrait pas sinon s'en servir comme éléments de construction. En effet, si les atomes pouvaient être cassés et divisés en parties de plus en plus petites, la nature finirait par perdre toute consistance et ressembler à une soupe de plus en plus diluée.

Les éléments de construction de la nature devaient d'autre part être éternels, car rien ne naît du néant. Démocrite rejoi gnait sur ce point Parménide et les Éléates. D croyait que tous tes atomes devaient être solides et massifs sans pour autant être les mêmes. Car si tous les atomes étaient identiques, il n'y

aurait pas d'explication satisfaisante pour rendre compte de la variété de formes aussi différentes entre elles que la violette, l'olivier, la peau de chèvre ou les cheveux humains.

Démocrite pensait qu'il y avait une infinité d'atomes dans la nature. Certains étaient ronds et lisses, d'autres rugueux et crochus. Et c'est justement parce qu'ils avaient des formes différentes qu'ils pouvaient s'assembler en d'infinies variantes. Mais ils avaient beau être innombrables et diffé rents les uns des autres, ils étaient tous éternels, immuables et indivisibles.

Quand un corps, prenons l'exemple d'un arbre ou d'un ani mal, meurt et se décompose, les atomes se dispersent et peuvent se regrouper pour former de nouveaux corps. Les atomes en effet bougent dans l'espace, mais parce que certains ont des « crochets » ou des « dents », ils s'accrochent les uns aux autres pour former les choses qui nous entourent.

Tu vois maintenant ce que je voulais dire avec les éléments de Lego, n'est-ce pas? Ils possèdent tous plus ou moins les

a

ualites que Démocrite attribue aux atomes, et c'est pourquoi s permettent de tout construire. Tout d'abord ils sont indivi sibles. Ils diffèrent par la taille et la forme et sont compacts et denses. Ils possèdent par ailleurs ces crochets et ces dents qui leur permettent de s assembler pour former tout ce qu'on veut. Ce mode de fixation peut facilement se défaire pour per mettre la reconstruction d'autres choses à partir des mêmes éléments.

Le fait de pouvoir réutiliser indéfiniment les éléments, c'est ce qui explique le succès qu'a remporté le Lego depuis sa créa tion : ce qui un jour aura servi à une voiture permettra le len demain de construire un château. On pourrait presque dire que ces éléments de Lego sont « éternels » : les enfants peuvent jouer avec le Lego que possédait leur père ou leur mère quand eux-mêmes étaient petits.

On peut aussi former différentes choses avec de l'argile, mais on ne peut pas la pétrir indéfiniment car elle s'effrite de plus en plus et il devient impossible au bout d'un moment de créer de nouveaux objets.

Nous pouvons affirmer aujourd'hui que la théorie des atomes de Démocrite était assez juste. La nature est vraiment formée de différents « atomes » qui s'assemblent et se défont.

Un atome d'hydrogène qui se trouve dans une cellule tout au bout de mon nez faisait peut-être partie autrefois de la trompe d'un éléphant. Et qui sait si un atome de carbone de mon muscle cardiaque ne se trouvait pas, il y a bien longtemps, sur la queue d'un dinosaure?

La science a entre-temps établi que les atomes pouvaient se subdiviser en « particules élémentaires » encore plus petites. Nous les appelons des protons, des neutrons et des électrons. Peut-être pourrait-on encore diviser ces dernières particules, mais les physiciens sont d'accord pour admettre qu'il y a une limite. Il doit exister des parties infimes qui servent à construire toute la nature.

Démocrite n'avait pas accès aux appareils électroniques de notre époque. La raison était son seul outil et elle ne lui laissait pas le choix. Si nous partons du principe que rien ne change, que rien ne naît du néant et que rien ne disparaît jamais, il faut admettre que la nature est constituée d'une infinité de petits éléments de construction qui s'assemblent et se défont à nouveau.

Démocrite ne faisait appel à aucune « force » ou « esprit » pour expliquer les phénomènes naturels. La seule chose à l'œuvre, pensait-il, ce sont les atomes et le vide. Comme il ne croyait qu'à ce qui est « matériel », nous l'appelons un maté rialiste.

Il n'y a aucune « intention » dans les mouvements d'atomes. Tout dans la nature se produit de façon mécanique. Ce qui ne veut pas dire que tout est accidentel, car tout est soumis aux lois inviolables de la nature. Il y a derrière tous ces phénomènes une cause naturelle, pensait Démocrite, une cause dans les choses elles-mêmes. Il déclara même un jour qu'il préférerait décou vrir une loi naturelle qu'être roi de Perse.

La théorie de l'atome expliquait aussi, selon Démocrite, nos perceptions. Quand nous percevons quelque chose, c'est à cause du mouvement des atomes dans le vide. Quand je vois la Lune, c'est parce que les « atomes de la Lune » touchent mon œil.

Mais qu'en est-il de l'âme ? Peut-on la réduire à des atomes, c'est-à-dire à des « choses » matérielles? Eh bien oui! Démo crite soutenait l'hypothèse que l'âme était composée de quelques atomes spécialement ronds et lisses, les « atomes de l'âme ». À la mort d'une personne, les atomes s'enfuient de tous côtés. Puis ils peuvent se rassembler pour former une nou velle âme.

Cela signifie que l'homme n'a pas une âme immortelle. Cette pensée est de nos jours partagée par de nombreuses personnes qui pensent comme Démocrite que lâme » est liée au cerveau et que nous ne pouvons pas garder une forme de conscience quand le cerveau se décompose.

Avec sa théorie des atomes, Démocrite tira un trait définitif sur la philosophie grecque de la nature. Comme Héraclite, il pensait que tout « s écoule » dans la nature. Les formes vont et viennent. Mais derrière ces corps en perpétuel mouvement, il existe quelques éléments éternels et immuables qui ne « s'écou lent » pas. C'est cela que Démocrite appelait les atomes.

Tout en lisant, Sophie ne manqua pas de jeter à plusieurs reprises un coup d'œil par la fenêtre pour voir si l'inconnu n'allait pas s'approcher de la boîte aux lettres. Elle resta assise dans cette position à le guetter tandis qu'elle se repas sait en mémoire ce qu'elle venait de lire.

Démocrite avait réfléchi simplement et avait eu une idée géniale. Il avait résolu le problème insoluble entre la « sub stance unique » et le « changement » du monde. Alors que cela faisait des générations que les philosophes butaient sur cette question, Démocrite avait enfin trouvé la solution en uti lisant tout simplement sa raison.

C'en était presque drôle. Il était finalement assez logique que la nature soit fondée sur quelques petits éléments qui, eux, ne changeaient jamais. D'un autre côté, Héraclite n'avait pas tort de dire que toutes les formes dans la nature sont en perpétuel mouvement. Car tous les hommes et les animaux meurent, même une chaîne de montagnes finit lentement par s eroder. L'important à retenir, c'était que même cette chaîne de montagnes était formée de petits éléments indivisibles et indestructibles.

Mais Démocrite avait soulevé d'autres questions. Comme, par exemple, quand il disait que tout procède de façon méca nique. Il n'admettait pas l'idée de forces spirituelles dans l'univers, comme le faisaient Empédocle et Anaxagore. De plus, Démocrite pensait que l'âme de l'homme n'était pas immortelle.

Avait-il aussi raison sur ce point?

Elle ne savait pas trop aujuste. Il faut dire qu'elle venait à peine de commencer son cours de philosophie.

Le destin

...le devin essaie d'interpréter quelque chose qui par nature échappe à toute interprétation...

Sophie avait souvent tourné les yeux vers le jardin pendant qu'elle lisait sur Démocrite. Mais, pour en avoir le cœur net, elle descendit quand même jeter un coup d'œil à la boîte aux lettres.

En ouvrant la porte d'entrée, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir sur les marches une petite enveloppe blanche. Avec bien sûr Sophie Amundsen écrit dessus.

Ah ! il s'était bien moqué d'elle ! Juste le jour où elle observait la boîte aux lettres, le mystérieux philosophe s'était faufilé par un autre chemin derrière la maison et s'était contenté de déposer la lettre sur les marches avant de filer dans la forêt. Ça alors !

Comment avait-il deviné que Sophie surveillerait aujourd'hui la boîte aux lettres? Est-ce que cette mystérieuse personne l'avait aperçue à la fenêtre? Bon, elle avait au moins récupéré la lettre avant le retour de sa mère, c'était déjà ça.

Sophie regagna rapidement sa chambre et ouvrit la lettre. Les coins de l'enveloppe étaient légèrement mouillés et por taient comme des marques de dents assez profondes. Com ment était-ce possible? Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas plu!

Sur le bout de papier était écrit :

Crois-tu au destin ?

La maladie est-elle une punition des dieux ?

Quelles forces gouvernent le cours de l'histoire ?

Si elle croyait au destin? À première vue, plutôt non. Elle connaissait beaucoup de personnes qui y croyaient. Plusieurs de ses amies de classe lisaient par exemple l'horoscope dans les revues. Et si elles croyaient à l'astrologie, elles devaient croire au destin, car les astrologues pensent que la place des étoiles dans le ciel joue un rôle dans la vie des hommes sur Terre.

Si on croyait qu'un chat noir traversant la rue est signe de malheur, alors on devait aussi croire au destin, non ? Plus elle y pensait, plus elle trouvait des exemples de superstitions. Tiens, pourquoi dit-on «je touche du bois »? Et pourquoi le vendredi 13 portait-il malheur? Sophie avait entendu dire que beaucoup d'hôtels sautaient le chiffre 13 dans les numéros de chambres. Ce qui prouvait qu'il y avait malgré tout beaucoup de gens superstitieux.

« Superstition », n'était-ce pas un drôle de mot au fond? Si vous étiez chrétien ou musulman, on disait que vous aviez la « foi ». Mais si vous croyiez à l'astrologie ou au vendredi 13, cela devenait de la superstition !

Qui a le droit de qualifier la croyance des autres de « super stition » ?

Sophie était en tout cas sûre d'une chose : Démocrite ne croyait pas au destin. C'était un matérialiste. Il ne croyait qu'aux atomes et au vide.

Sophie essaya de réfléchir aux autres questions posées sur la feuille.

La maladie est-elle une punition des dieux ? Qui aurait encore pu croire une chose pareille de nos jours? Cela dit, beaucoup demandaient l'aide de Dieu pour guérir, ce qui vou lait dire qu'on croyait que Dieu avait son mot à dire sur la santé et la maladie de chacun.

Il était autrement plus difficile de se prononcer sur la der nière question. Sophie ne s etaitjamais demandé ce qui gou vernait l'histoire. Ce devait être les hommes, non? Mais si Dieu ou le destin existaient, les hommes ne pouvaient plus exercer librement leur volonté...

Cette idée du libre exercice de la volonté mit Sophie sur de

tout autres rails, Pourquoi accepter que le philosophe mysté rieux joue au chat et à la souris avec elle? Pourquoi n ecri- rait-elle pas à son tour une lettre à l'inconnu? Il ou elle vien drait certainement déposer une autre grande enveloppe jaune dans la boîte aux lettres soit dans le courant de la nuit soit demain dans la matinée. A son tour de lui déposer une lettre !

Sophie se mit tout de suite à l'œuvre. Ce n'était pas si facile que ça d'écrire à quelqu'un qu'elle n'avait jamais vu. Elle ne savait même pas si c'était un homme ou une femme et si cette personne était jeune ou âgée. Peut-être était-ce même quelqu'un qu'elle connaissait?

Elle finit par rédiger la lettre suivante :

Très honoré philosophe,

Il est fait grand cas, dans cette maison, de votre généreuse offre de cours de philosophie par correspon dance. Mais on souffre aussi de ne pas savoir qui vous êtes. C est la raison pour laquelle nous vous prions de vous présenter et de décliner votre identité. En échange, vous êtes cordialement invité à entrer prendre une tasse de café à la maison, mais de préférence quand Maman n est pas . Elle travaille de 7 h 30 à 17 heures tous lesjours du lundi au vendredi. Quant à moi, je vais pen dant ce temps au collège sauf le jeudi oùje rentre tou jours à 14 h 15. Je précise queje sais bien faire le café. D'avance, merci beaucoup.

Salutations respectueuses de votre élève dévouée,

Sophie, quatorze ans.

Tout en bas de la feuille, elle écrivit : Réponse souhaitée.

Sophie trouva la lettre beaucoup trop officielle. Mais ce n'était pas commode de savoir quels mots employer pour écrire à une personne sans visage.

Elle fourra la feuille dans une enveloppe rose qu'elle referma. Puis elle écrivit au recto : Au philosophe.

Le problème consistait à déposer la lettre là-bas sans que sa mère ne la trouve. Il fallait dans un premier temps attendre

que sa mère soit rentrée avant de la glisser dans la boîte aux lettres. Et dans un second temps ne pas oublier d'aller voir la boîte tôt le lendemain matin avant qu'on ne livre le journal. Si elle ne recevait pas de nouvelle lettre dans la soirée ou la nuit, elle serait obligée d'aller récupérer l'enveloppe rose.

Pourquoi fallait-il que tout soit si compliqué ?

Ce soir-là, bien que ce fût vendredi soir, Sophie monta se coucher tôt. Sa mère tenta de la retenir en lui proposant de manger une pizza et de regarder Derrick, leur série policière préférée, mais Sophie prétexta qu'elle était fatiguée et qu'elle voulait lire au lit. Et elle profita que sa mère avait les yeux rivés sur l'écran pour se faufiler dehors et glisser sa lettre dans la boîte.

Il était clair que sa mère se faisait du mauvais sang. Elle s'était mise à lui parler très différemment depuis l'histoire du lapin et du chapeau haut de forme. Sophie n'aimait pas lui faire de la peine, mais il fallait absolument qu'elle surveille la boîte aux lettres.

Quand sa mère monta sur le coup des onze heures, Sophie était toujours postée à la fenêtre et regardait la rue.

Tu ne surveilles quand même pas la boîte aux lettres ? demanda-t-elle.

J'ai bien le droit de regarder ce que je veux !

Je crois bien que tu es amoureuse, Sophie. Mais si tu t'attends à une autre lettre, cela m'étonnerait qu'il vienne te la déposer en pleine nuit.

Ah ! Sophie détestait ces histoires de cœur à l'eau de rose. Mais elle ne voyait pas d'autre solution que de laisser sa mère dans l'erreur.

C'est lui qui t'a parlé du lapin et du chapeau haut de forme ? poursuivit sa mère.

Sophie acquiesça.

II... il ne se drogue pas au moins?

Sophie avait vraiment pitié d'elle. Mais elle ne pouvait pas la laisser se ronger d'inquiétude. Elle était tellement à côté de la plaque! Faire un rapprochement avec la drogue parce qu'on s'amusait à avoir un peu d'esprit... Ce que les adultes pouvaient être débiles parfois !

Maman, je te promets que je ne toucherai jamais à ce genre de choses..., répondit-elle en se retournant. Quant à « lui », il ne se drogue pas non plus. Par contre il s'intéresse beaucoup à la philosophie.

Il est plus âgé que toi ?

Sophie fît non de la tête.

Il a ton âge?

Elle fit signe que oui.

Et tu dis qu'il s'intéresse à la philosophie?

Sophie acquiesça à nouveau.

Eh bien, il est certainement très gentil. Allez, je crois que tu devrais essayer de dormir.

Mais Sophie resta à la fenêtre et continua à regarder la rue. A une heure du matin, elle était si fatiguée qu'elle se mit à cligner des yeux. Elle était sur le point d'aller au lit lorsqu'elle aperçut tout à coup une ombre qui sortait de la forêt.

Il faisait presque nuit dehors, mais encore assez clair pour qu'elle pût distinguer une silhouette. C'était un homme, et Sophie eut l'impression qu'il était plutôt âgé. En tout cas, pas de son âge ! Il portait sur la tête une espèce de béret.

Il eut l'air à un moment de lever les yeux vers la maison, mais Sophie avait éteint la lumière. L'homme se dirigea vers la boîte aux lettres et y laissa glisser une grosse enveloppe. Juste à cet instant, ses yeux tombèrent sur la lettre de Sophie. Il mit la main dans la boîte et l'attrapa. La seconde d'après, il était déjà loin. Il rejoignit presque au pas de course le chemin qui mène à la forêt et disparut en un clin d'œil.

Sophie avait le cœur battant. Elle l'aurait bien poursuivi en chemise de nuit. Encore que... non, elle n'osait pas courir après un inconnu au beau milieu de la nuit. Mais il fallait sor tir chercher l'enveloppe !

Elle attendit un petit moment avant de descendre prudem ment l'escalier, de tourner la clé dans la serrure et d'aller à la boîte aux lettres. En moins de deux, elle était revenue dans sa

chambre avec la grande enveloppe à la main. Elle s'assit sur le bord du lit et retint son souffle. Quelques minutes s'écoulè rent où il ne se passa rien, alors elle ouvrit la lettre et se mit à lire.

Elle ne s'attendait pas bien sûr à avoir déjà une réponse à sa lettre. Celle-ci viendrait demain au plus tôt.

Coucou, c'est moi, chère Sophie! À toutes fins utiles je pré cise que tu ne dois jamais essayer de m'espionner. Nous nous rencontrerons un jour mais c'est à moi de décider et quand. Voilà, c'est dit et tu ne vas pas être désobéissante, n'est-ce pas?

Retournons à nos philosophes. Nous avons vu comment ils ont essayé d'expliquer le changement au sein de la nature. Autrefois c'était à travers les mythes que tout s'élucidait

Mais les anciennes croyances devaient aussi céder du terrain dans d'autres domaines. Nous le voyons quand nous abordons la question de la maladie et de la santé ainsi que de la politique. Dans ces deux domaines, les Grecs avaient jusque- toujours cru à la fatalité.

Croire au destin veut dire que tout ce qui va arriver est décidé à l'avance. Nous retrouvons cette conception dans le monde entier, des temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Dans le Nord existe une croyance très ancrée dans le lagnad (la pré destination) tel qu'il apparaît dans les anciennes sagas islan daises.

Chez les Grecs, comme dans d'autres parties du monde, nous trouvons l'idée que les hommes peuvent avoir accès à la connaissance de leur destin à travers diverses formes d'oracles. Cela signifie que le destin d'un homme ou d'un État peut être interprété de différentes manières.

Il y a encore des gens qui croient qu'on peut « se faire tirer les cartes », « se faire dire la bonne aventure » ou « lire dans les étoiles ».

Une variante consiste à lire dans le marc de café. Une fois la tasse bue, il reste au fond un petit dépôt Peut-être que ces traces de café forment une image précise ou un motif, il suffit juste d'un peu d'imagination. Si le marc ressemble à une voi ture, cela veut peut-être dire que celui qui a bu le café va bien tôt faire un long voyage en voiture?

Il apparaît clairement que le « devin » essaie d'interpréter quelque chose qui par nature échappe à toute interprétation. Cela vaut pour tous les arts divinatoires. Ce que l'on « inter prète » est si obscur qu'il est difficile de contredire le devin.

Si on jette un coup d'oeil aux étoiles, nous ne voyons qu'un chaos de points lumineux. Pourtant, de tout temps, de nom breux hommes ont cru que les étoiles pouvaient nous rensei gner sur notre vie sur la Terre. Il y a encore de nos jours des chefs de partis politiques qui consultent des astrologues avant de prendre une décision importante.

L'oracle de Delphes

Les Grecs croyaient pouvoir connaître leur destin grâce à l'oracle de Delphes. Le dieu Apollon était ici le dieu de l'Oracle. Il parlait par 1 intermédiaire de la pythie, sa prêtresse, qui trô nait sur un fauteuil au-dessus d'une faille de la Terre. Des gaz s'échappaient de cette faille et rendaient la pythie quasi incons ciente. Cela était indispensable pour qu'elle devienne le porte- parole d'Apollon.

En arrivant à Delphes, on posait sa question aux prêtres qui officiaient -bas. Ces derniers la transmettaient à la pythie. Elle répondait quelque chose de si incompréhensible ou de si flou que les prêtres devaient ensuite traduire la réponse à celui qui 1 avait posée. Les Grecs croyaient ainsi profiter de la sagesse d'Apollon qui savait tout du passé comme de l'avenir.

Beaucoup de dirigeants n'osaient pas s'engager dans une guerre ou prendre de graves décisions avant d'avoir été consul ter l'oracle de Delphes. Les prêtres d'Apollon firent donc office de diplomates et de conseillers, puisqu ils connaissaient parti culièrement bien le pays et le peuple.

Au-dessus du temple de Delphes, il y avait une célèbre ins cription : CONNAIS-TOI TOI-MÊME! Cela devait rappeler à l'homme qu'il était mortel et qu'aucun homme ne pouvait échapper à son destin.

De nombreux Grecs composèrent des poèmes au sujet d'hommes rattrapés par leur destin. Ce devint le sujet de toute une série de pièces de théâtre (tragédies) mettant en scène ces personnages « tragiques ». La plus célèbre d'entre elles est l'histoire du roi Œdipe.

La science de l'histoire et la médecine

Le destin ne déterminait pas seulement la vie de chaque homme. Les Grecs croyaient aussi que la marche du monde elle-même reposait entre les mains du destin. L'issue d'une guerre pouvait dépendre des dieux. Encore aujourd'hui, beau coup de personnes croient que Dieu ou d'autres forces spiri tuelles gouvernent la marche du monde.

Mais exactement au moment les philosophes grecs ten taient de trouver une explication rationnelle aux phénomènes naturels, une « science de l'histoire » était en train de se mettre en place, qui avait pour tâche de trouver les causes naturelles derrière le déroulement de l'histoire. Une guerre perdue n'était plus imputée désormais à une simple vengeance divine. Les his toriens grecs les plus connus furent Hérodote (484-424 avant Jésus-Christ) et Thucydide (460-400 avant Jésus-Christ).

Pour les Grecs, la maladie aussi était le fait des dieux. Ceux- ci donnaient aux hommes des maladies contagieuses pour les punir. D'un autre côté, il était également dans leur pouvoir de les guérir à la seule condition que leur soient faits des sacrifices dans les règles de l'art.

Cette croyance n'est pas spécifiquement grecque. Avant l'avènement de la médecine moderne, la maladie était presque partout considérée comme ayant une cause surnaturelle. Les termes Que en anglais ou innuensa en norvégien pour dire la grippe signifiaient à l'origine que l'on subissait la mauvaise influence des étoiles.

Même aujourd'hui, beaucoup de personnes dans le monde croient que diverses maladies, comme le sida par exemple, sont une punition de Dieu. Et nombreux sont ceux qui s'imaginent pouvoir « guérir » grâce à des forces surnaturelles.

Ainsi, tandis que les philosophes grecs ouvraient la voie à un nouveau mode de pensée, naissait une nouvelle conception de la médecine qui tentait d'expliquer la maladie et la santé de manière naturelle. Le fondateur de la médecine grecque passe pour être Hippocrate qui naquit sur l'île de Cos vers 460 avant Jésus-Christ.

La meilleure défense contre la maladie consistait selon Hippocrate à vivre simplement et de manière mesurée. L'état de santé est naturel à l'homme. Quand on tombe malade, c'est

parce que la nature « sort de ses rails » à cause d'un déséqui libre corporel ou spirituel. Le chemin qui mène à la santé passe par la modération, l'harmonie et « une âme saine dans un corps sain».

De nos jours on ne parle que de léthique de la médecine ». On entend par qu'un médecin se doit d exercer la médecine en respectant certaines lois morales. Ainsi un médecin n'a pas le droit de rédiger une ordonnance de médicaments pour des gens en bonne santé. Il est en outre tenu au secret professionnel, c'est-à-dire qu'il n'a pas le droit de rapporter les propos d'un patient au sujet de sa maladie. Tout cela vient d'Hippocrate. D exigeait que ses élèves prêtent le serment suivant :

Je jure par Apollon, médecin, parEsculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le ser ment et l'engagement suivants Remettrai mon maître de méde cine au même rang que les auteurs de mesjours, je partagerai avec lui mon savoir, et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ;je tiendrai ses enfants pour des freres, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement.

Je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître, et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.

Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et monjugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice.

Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblable- ment,je ne remettrai à aucune femme unpessaire abortif.

Je passerai ma vie etj'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.

Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s'en occupent.

Dans quelque maison quej'entre,j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.

Quoi que je voie ou entende en société pendant l'exercice ou même hors de l'exercice de ma profession,je tairai ce qui n 'a pas besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.

Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes ; sije le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire !

En se réveillant ce samedi-là, Sophie sauta du lit. Etait-ce en rêve ou avait-elle vraiment vu le philosophe ?

Elle passa un bras sous le lit pour vérifier. Mais non, la lettre qu'il avait déposée cette nuit était toujours là. Sophie se souvint de tout ce qu'elle avait lu sur la croyance au destin chez les Grecs. Ce n'était donc pas un rêve.

Bien sûr qu'elle avait aperçu le philosophe ! Et encore mieux : elle l'avait observé de ses propres yeux emporter sa lettre à elle.

Sophie se mit à quatre pattes et tira de dessous le lit toutes les feuilles dactylographiées. Mais qu'est-ce que c'était que ça? Tout contre le mur brillait quelque chose de rouge ! Un foulard?

Elle rampa sous le lit et réapparut un foulard rouge en soie à la main. Elle était sûre d'une chose : il ne lui appartenait pas.

En examinant le foulard de plus près, elle poussa un petit cri en voyant qu'il y avait quelque chose d'écrit au stylo noir le long de l'ourlet. On pouvait lire « HILDE ».

Hilde ! Mais qui était donc cette Hilde ? Comment se fai- sait-il que leurs chemins se croisent de cette façon?

Socrate

...la plus intelligente est celle qui sait qu'elle ne

sait pas...

Sophie enfila une robe d'été et se précipita vers la cuisine. Sa mère lui tournait le dos, tout occupée à préparer le repas. Sophie décida de ne pas mentionner le foulard de soie.

Tu es descendue prendre le journal ? ne put s'empêcher de demander Sophie.

Sa mère se retourna.

Non, mais sois gentille et va me le chercher.

Sophie descendit l'allée en courant et regarda dans la boîte aux lettres verte.

Il n'y avait que le journal. C'était trop tôt pour recevoir une réponse. Mais sur la première page du journal, quelques lignes à propos du contingent norvégien des Nations unies lui sautèrent aux yeux.

Le contingent norvégien des Nations unies... N'était-ce pas ce qui était marqué sur le cachet de la carte venant du père de Hilde ? Mais les timbres étaient norvégiens. Peut-être que les soldats norvégiens des Nations unies avaient leur propre poste norvégienne...

Quand elle revint dans la cuisine, sa mère lui lança sur un ton moqueur :

C'est fou comme tu t'intéresses au journal maintenant !

Heureusement, elle ne mentionna ni la boîte aux lettres ni

le courrier pendant le petit déjeuner et plus tard dans la jour née non plus, Dès que sa mère fut partie faire les courses, Sophie emporta la lettre sur la croyance au destin avec elle dans sa cabane.

Elle eut un coup au cœur quand ses yeux tombèrent sur une petite enveloppe blanche posée à côté de la boîte qui conte nait les lettres du professeur de philosophie. Sophie savait que ce n'était pas elle qui l'avait posée là.

Les coins de cette enveloppe-là aussi étaient humides. Et le papier portait des marques profondes comme sur l'enve loppe de la veille.

Le philosophe était donc venujusqu'ici? Il connaissait son secret? Mais pourquoi les enveloppes étaient-elles un peu mouillées ?

Toutes ces questions lui donnèrent le vertige. Elle ouvrit l'enveloppe et lut la lettre suivante :

Chère Sophie,

J'ai lu ta lettre avec grand intérêt, mais aussi avec une certaine inquiétude. Je suis malheureusement obligé de décevoir ton attente en ce qui concerne cette invita tion à venir prendre le café. Un jour viendra nous nous rencontrerons, mais il est encore trop tôt pour que j'apparaisse au tournant du fameux « virage du capi taine ».

Il est en outre clair que je ne saurai dorénavant dépo ser les lettres en personne. Ce serait beaucoup trop ris qué à la longue. Les lettres suivantes te seront remises par mon petit messager. Par contre, elles te seront directement déposées dans ton endroit secret au fond du jardin.

Tu pourras toujours me contacter quand tu en éprou veras le besoin. Dans ce cas, veille à glisser dans ton enveloppe rose un biscuit ou un morceau de sucre. En découvrant une lettre de ce genre, le messager saura me transmettre ton courrier.

P. -S. : Ce n 'estpas agréable de devoir décliner l'invi tation à prendre le café d'une jeune fille. Cependant c 'estparfois obligatoire.

P. -P. -S. : Si tu venais à découvrir un foulard de soie rouge, je te prierais d'en prendre grand soin. Il arrive de temps en temps que des affaires changent de proprié taire par erreur. Surtout à l'école ou dans des endroits de ce genre, et n 'oublie pas que ceci est une école de philosophie.

Amicalement,

Alberto Knox

Dans les quatorze années de sa courte vie, Sophie avait reçu malgré tout de nombreuses lettres : à Noël, pour son anniversaire ou certaines occasions particulières. Mais une lettre comme celle-ci était vraiment unique en son genre.

Elle ne portait même pas de timbre. N'avait même pas été postée. Elle avait été directement déposée dans sa cachette dans la vieille haie. Un autre mystère était qu'elle était humide par temps sec.

Le plus étrange restait malgré tout le foulard en soie. Le professeur de philosophie avait une autre élève, bon. Et cette autre élève avait égaré son foulard en soie, d'accord. Mais comment avait-elle fait pour l'égarer sous le lit de Sophie?

Et cet Alberto Knox... quel drôle de nom en vérité !

En tout cas cette lettre lui avait confirmé qu'il existait bel et bien un lien entre le professeur de philosophie et Hilde MOller Knag. Mais que le père de Hilde lui aussi se soit mis à intervertir les adresses, ça, c'était incompréhensible.

Sophie retourna le problème dans tous les sens pour com prendre quelle relation il pouvait bien y avoir entre Hilde et elle-même, puis poussa un soupir de résignation. L'inconnu avait écrit qu'ils se rencontreraient un jour. Et Hilde, la ren- contrerait-elle aussi ?

Elle retourna la feuille et découvrit de l'autre côté ces quelques phrases :

Existe-t-il une pudeur naturelle ?

La plus intelligente est celle qui sait qu 'elle ne sait pas.

La vraie connaissance vient de l'intérieur.

Celui qui sait ce qui est juste fera aussi ce qui est juste.

Sophie avait compris que les courtes phrases notées dans les enveloppes blanches avaient pour but de la préparer à la grande enveloppe suivante. Elle eut soudain une idée : pour quoi ne pas attendre simplement son messager dans sa cabane, puisque ce dernier allait venir directement ici avec l'enveloppe jaune ? Elle le ferait parler et ne lâcherait pas prise avant d'en savoir plus sur ce philosophe quel qu'il soit ! La lettre mentionnait que le messager était « petit ». Peut-être s'agissait-il d'un enfant?

Existe-t-il une pudeur naturelle ?

Sophie savait que « pudeur » était un mot vieux jeu pour exprimer la gêne qu'on éprouve par exemple à se montrer nu. Mais au fond était-ce naturel d'être gêné à cause de cela? Quelque chose de naturel était par définition quelque chose de partagé par tous les hommes. Mais justement, dans de nom breuses parties du monde, il était tout naturel d'être nu. Etait- ce donc la société qui déterminait ce qui était convenable ou pas ? Il aurait été par exemple impensable de bronzer les seins nus lorsque sa grand-mère étaitjeune, alors qu'aujourd'hui il n'y avait rien de plus naturel, bien que cela reste encore stric tement interdit dans de nombreux pays. Sophie se gratta la tête. Mais que venait faire la philosophie dans tout ça?

Elle passa à la seconde phrase : La plus intelligente est celle qui sait qu 'elle ne sait pas.

Plus intelligente que qui ? Si le philosophe entendait par là que celui qui est conscient de ne pas tout savoir entre ciel et terre est plus intelligent que celui qui en sait tout aussi peu, mais s'imagine au contraire connaître beaucoup de choses, alors oui, elle était évidemment d'accord. Sophie n'avait jamais vu les choses sous cet angle, mais plus elle y réfléchis sait, plus il lui apparaissait évident que se savoir ignorant est aussi une forme de savoir. Ce qui l'horripilait, c'était précisé ment ces gens qui la ramènent tout le temps, alors qu'ils ne savent même pas de quoi on parle.

Puis il y avait cette histoire de vraie connaissance qui viendrait de l'intérieur,.. Mais toute connaissance devait bien à un certain moment venir de l'extérieur avant d'entrer dans la tête des gens? D'un autre côté, Sophie se souvenait d'avoir vécu des situations où elle était totalement imper méable à ce que sa mère ou les professeurs à l'école vou laient lui faire apprendre. Elle n'avait réellement pu apprendre quelque chose qu'en y mettant du sien. Cela deve nait une évidence tout à coup, c'était sans doute ça qu'on appelait l'« intuition ».

Finalement, elle ne s'en sortait pas si mal avec ses pre miers exercices. Mais l'affirmation suivante était si bizarre qu'elle ne put s'empêcher de rire : Celui qui sait ce qui est juste fera aussi ce qui est juste.

Est-ce que cela signifiait qu'un malfaiteur qui braque une banque ne pouvait pas faire autrement? Sophie n'était pas d'accord. Elle pensait au contraire que les enfants comme les adultes pouvaient faire beaucoup de bêtises qu'ils regrettaient par la suite, et qu'ils agissaient parfois même contre leur propre conviction.

Tandis qu'elle réfléchissait à tout cela, elle perçut des cra quements dans les broussailles du côté de la forêt. Etait-ce déjà le messager? Le cœur de Sophie s'emballa. Elle fut envahie par un sentiment de peur en l'entendant approcher et respirer comme un animal.

L'instant d'après, un gros chien sortant de la forêt débou chait dans sa cabane. Ce devait être un labrador. Il tenait dans sa gueule une grande enveloppe jaune qu'il laissa tomber sur les genoux de Sophie. La scène se déroula si vite qu'elle eut à peine le temps de réagir. Quelques secondes plus tard, elle se retrouva avec la grande enveloppe entre les mains, et le chien jaune avait déjà filé vers la forêt. La scène se déroula si vite qu'elle s'effondra sous le choc : elle prit son visage entre les mains et fondit en larmes.

Elle n'aurait su dire combien de temps elle resta ainsi avant de pouvoir relever la tête.

Alors, c'était lui le messager! soupira-t-elle. C'était donc pour cela que les enveloppes blanches avaient les coins mouillés et portaient la trace de crocs. Comment ne pas y avoir songé plus tôt? Au moins comprenait-elle à présent

pourquoi elle devait glisser un biscuit ou un morceau de sucre dans les enveloppes qu'elle désirait faire parvenir au philosophe.

Elle n'était certes pas une lumière. Mais de là à imaginer que le messager était un chien dressé ! Il ne lui restait plus qu'à dire adieu à son idée de faire parler le messager pour savoir où habitait Alberto Knox.

Sophie ouvrit la grande enveloppe et se mit à lire :

La philosophie à Athènes

Chère Sophie,

Quand tu liras cette lettre, tu auras déjà fait sans doute la connaissance de Hermès. Au cas tu n'aurais pas encore compris, j'ajoute que c'est un chien. Mais ne t'en fais pas, il est très gentil et au demeurant plus raisonnable que beaucoup d'hommes. Lui, du moins, ne prétend pas être plus intelligent qu'il n'est.

Tu remarqueras, en passant, que son nom n'a pas été choisi au hasard. Hermès était le messager des dieux grecs. Il était aussi le dieu des marins, mais laissons cela de côté pour l'ins tant. Le nom d'Hermès est à l'origine de l'adjectif « hermé tique », qui signifie caché ou inaccessible. C est une bonne image de la situation dans laquelle Hermès nous tient à distance les uns des autres.

Voilà pour la présentation du messager. D obéit bien sûr quand on l'appelle et a de toutes les façons d'excellentes manières.

Revenons à la philosophie. Nous avons déjà vu la première partie du cours, j entends par la philosophie de la nature et la rupture avec la conception mythique du monde. À présent, nous allons aborder les trois plus grands philosophes de l'Anti quité : Socrate, Platon et Aristote. Chacun, à sa manière, a déterminé la civilisation européenne.

Les philosophes de la nature furent appelés par la suite les « présocratiques », car ils vécurent avant Socrate. Il est vrai que Démocrite mourut quelques années après Socrate, mais tout son raisonnement le rattache à la philosophie présocra tique. Socrate ne signifie pas seulement un repère, une coupure dans le temps, mais témoigne aussi d'un changement de lieu, puisqu'il est le premier philosophe à être et à avoir exercé à Athènes. Ce fut aussi le cas pour ses disciples. Peut-être te sou- viens-tu qu'Anaxagore vécut quelque temps dans cette ville, mais en fut chassé pour avoir soutenu que le Soleil était une boule de feu. (Tu verras quel sort fut réservé à Socrate !)

À partir de Socrate, la vie culturelle se concentra autour d'Athènes. Mais il faut surtout noter un changement radical dans la nature du projet philosophique entre les présocratiques et Socrate.

Cependant, avant d'aborder Socrate, nous allons parler des sophistes, c'est-à-dire de ceux qui caractérisaient l'image cultu relle de la ville d'Athènes à l'époque de Socrate.

Rideau ! L'histoire de la pensée est un drame qui se joue en plusieurs actes.

L'homme au centre de tout

Athènes devint à partir de 450 avant Jésus-Christ la capitale culturelle du monde grec. La philosophie aussi prit un nouveau tournant.

Les philosophes de la nature étaient avant tout des hommes de science qui s'intéressaient à l'analyse physique du monde et, à ce titre, ils tiennent une place importante dans l'histoire de la science. Mais, à Athènes, 1 étude de la nature fut supplantée par celle de l'homme et sa place dans la société.

Petit à petit, une démocratie avec des assemblées du peuple et des juges populaires vit le jour. Une condition sine qua non pour rétablissement de la démocratie était que le peuple fût assez éclairé pour pouvoir participer au processus démocra tique. Qu'une jeune démocratie exige une certaine éducation du peuple, nous l'avons bien vu de nos jours. Chez les Athé niens, il était essentiel de maîtriser l'art du discours (la rhéto rique).

Très vite une vague de professeurs et philosophes itinérants, originaires des colonies grecques, déferla sur Athènes. Ils s'étaient donné le nom de sophistes. Le terme « sophiste » signifie une personne cultivée et compétente. À Athènes, en seigner aux citoyens devint rapidement le gagne-pain des sophistes.

Les sophistes avaient un trait en commun avec les philo sophes de la nature : ils critiquaient la mythologie. Mais, dans le même temps, ils rejetaient ce qui leur paraissait être pure spéculation sans objet. Même s'il existe peut-être une réponse aux questions philosophiques, l'homme ne peut pas trouver de certitudes concernant les énigmes de la nature et de l'univers, pensaient-ils. Ce point de vue a pour nom en philosophie le scepticisme.

Mais s'il n'est pas en notre pouvoir de résoudre les énigmes de la nature, nous savons néanmoins que nous sommes des hommes qui devons apprendre à vivre ensemble. Les sophistes choisirent de s'intéresser à l'homme et à sa place dans la société.

« L'homme est la mesure de toute chose », dit le sophiste Protagoras (environ 485-410 avant Jésus-Christ). Il entendait par que le vrai et le faux, tout comme le bien et le mal, doi vent être jugés en fonction des besoins de l'être humain. Quand on lui demanda s'il croyait aux dieux grecs, il se contenta de répondre : « C'est une question délicate et la vie des hommes est brève. » Quelqu'un qui ne peut se prononcer clairement à propos de l'existence ou de la non-existence d'un dieu s'appelle un agnostique.

Les sophistes aimaient parcourir le monde et comparer ainsi divers types de gouvernement Ils constatèrent (l'énormœ diffé rences dans les mœurs, les coutumes et les lois des cités. A par tir de ces observations, les sophistes lancèrent le débat sur ce qui, d'une part, était déterminé par la nature et ce qui, d'autre part, était créé par la société. Ils jetèrent ainsi les bases d'une critique de la société dans la démocratie athénienne.

Ils purent de cette manière faire remarquer que l'expression « pudeur naturelle » ne correspondait pas toujours à la réalité. Car si être pudique est « naturel », cela sous-entend que c'est inné. Or, l'est-œ vraiment, Sophie, ou n'est-ce pas plutôt le fait de la société? Pour quiconque a un peu voyagé, la réponse est simple : ce n'est pas « naturel » ou inné d'avoir peur de se mon trer nu. La pudeur ou l'impudeur sont avant tout des notions liées aux us et coutumes d'une société.

Comme tu vois, les sophistes provoquaient des débats animés au sein de la population athénienne en indiquant qu'il nV avait pas de normes proprement dites pour le vrai et le faux. Socrate,

lui, tenta au contraire de montrer que certaines normes sont pourtant absolues et valables pour tous.

Qui était Socrate ?

Socrate (470-399 avant Jésus-Christ) est sans doute le per sonnage le plus énigmatique de toute l'histoire de la philoso phie. fl n'écrivit pas une seule ligne. Et pourtant il fait partie de ceux qui ont eu le plus d'influence sur la pensée europeenne. Sa mort, qui survint dans des conditions dramatiques, y a aussi largement contribué.

Nous savons qu'il était à Athènes et qu'il passa le plus clair de son temps à s'entretenir avec les gens qu'il rencontrait dans la rue ou sur la place du marché. «Les arbres à la cam pagne ne peuvent rien m'apprendre », avait-il coutume de dire. Il avait aussi la faculté de rester plusieurs heures plongé dans ses pensées.

Déjà de son vivant il passait pour quelqu'un de très mysté rieux, et à sa mort il fut considéré comme le fondateur d'écoles de philosophie pourtant très différentes entre elles. Son mystère et son ambiguïté permettaient en effet à ces diverses directions philosophiques de se réclamer de lui.

Il était laid comme un pou, on sait au moins ça Petit et gros, avec des yeux globuleux et un nez retroussé. Mais intérieure ment, on disait de lui qu'il était « merveilleux ». Ou encore : « On aura beau chercher dans le passé ou le futur, jamais on ne trouvera quelqu'un comme lui. » Cela ne l'empêcha pas néan moins d'être condamné à mort à cause de son activité philoso phique.

La vie de Socrate nous est surtout connue grâce à Platon qui fut son élève et devint lui-même un des plus grands philosophes de l'histoire. Platon écrivit plusieurs Dialogues ou conversations philosophiques en se servant de Socrate comme porte-parole.

Quand Platon place des propos dans la bouche de Socrate, nous n'avons aucun moyen de savoir si Socrate a réellement tenu ces propos. Aussi est-il difficile de distinguer l'enseigne ment de Socrate des paroles de Platon lui-même. Ce problème se pose chaque fois que l'on ne possède aucune trace écrite de la personne historique, ce qui arrive plus fréquemment qu'on ne croit. L'exemple le plus célèbre est évidemment celui de Jésus.

Comment être sûr que le « Jésus historique » a effectivement prononcé les paroles que Matthieu ou Luc lui prêtent? Nous nous retrouvons dans le cas du « Socrate historique » face à une énigme de ce genre.

Mais, au fond, savoir qui était réellement Socrate n'est pas si important que cela. C'est avant tout l'image de Socrate trans mise par Platon qui a inspiré les penseurs occidentaux pendant deux mille cinq cents ans.

L'art du dialogue

Le secret de l'efficacité chez Socrate réside en ce qu'il ne cherchait pas à enseigner aux gens. Il donnait au contraire l'impression qu'il voulait apprendre de la personne avec qui il s'entretenait. Il ne faisait pas un cours comme un vulgaire pro fesseur. Au contraire, il discutait.

Certes, il n'aurait jamais été un philosophe célèbre s'il s'était uniquement contente d'écouter les autres. Mais il n'aurait pas été condamné à mort non plus. En réalité, il posait surtout des questions au début. De cette façon, il faisait semblant de ne rien savoir. Puis, au cours de la conversation, il s'arrangeait pour que l'autre découvre petit à petit les failles de son raisonne ment. A la fin, son interlocuteur se retrouvait tellement coincé qu'il était obligé de distinguer le vrai du faux.

On raconte que la mère de Socrate était sage-femme et qu'il comparait sa pratique philosophique à la maïeutique (l'art de faire accoucher). En effet, ce n'est pas la sage-femme qui « met au monde » l'enfant. Elle est seulement pour apporter son aide lors de la naissance. De même, la tâche de Socrate consis tait à « feiire accoucher » les esprits de pensées justes. La vraie connaissance ne peut venir que de l'intérieur de chacun. Per sonne ne peut vous l'assener. La vraie connaissance vient de l'intérieur.

Je tiens à préciser : mettre un enfant au monde est quelque chose de naturel. De la même manière, tous les hommes peu vent accéder aux vérités philosophiques, s'ils consentent à se servir de leur raison. Quand un homme se met à raisonner, il puise en lui-même les réponses.

En faisant celui qui ne sait rien, Socrate obligeait précisé ment les gens à réfléchir. Socrate savait faire l'ignorant ou du

moins passer pour plus bête qu'il n'était et c'est ce qu'on appelle « l'ironie de Socrate ». Il restait ainsi en mesure de déceler les faiblesses dans les raisonnements des Athéniens. Une telle scène se produisait souvent au beau milieu du marché, c'est-à-dire en public. Rencontrer Socrate, c'était courir le risque d'être tourné en ridicule et devenir la risée de la foule.

C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si certains finirent par le trouver dérangeant et irritant, surtout ceux qui déte naient un certain pouvoir dans cette société. « Athènes est comme un cheval paresseux, déclarait Socrate, et moi, je suis comme un taon qui essaie de le réveiller et le maintenir en vie. » (Et que fait-on d un taon, Sophie? Peux-tu me le dire?)

Une voix divine

Ce n'était toutefois pas dans le but d'importuner ses conci toyens que Socrate leur mordait constamment les jarrets. Il était poussé par quelque chose qui ne lui laissait aucun choix. D affirmait entendre en permanence une « voix divine » en son for intérieur. Socrate protesta par exemple quand on lui demanda de participer à la condamnation à mort de conci toyens. De même, il refusa de divulguer les noms d'opposants politiques. Cela finit par lui coûter la vie.

En 399, il fut accusé dintroduire de nouveaux dieux » et de « corrompre la jeunesse ». A une très faible majorité, il fut reconnu coupable par un juiy de 500 membres.

Il aurait pu demander sa grâce. Il aurait au moins pu sauver sa peau s'il avait accepté de quitter Athènes. Mais s il l'avait fait, il n'aurait pas été Socrate. Il plaçait sa conscience et la vérité plus haut que sa propre vie, voilà tout. D affirmait n'agir que pour le bien social. Et il fut condamné à mort. Il vida peu après une coupe de poison en présence de ses plus proches amis. Il tomba à terre et mourut.

Pourquoi, Sophie? Pourquoi Socrate devait-il mourir? Aujourd hui encore, la question reste posée. Mais il n'est pas le seul homme à s'être écarté du chemin traditionnel et à l'avoir payé de sa vie. J'ai déjà cité Jésus et il existe beaucoup d'autres points communs entre Jésus et Socrate. Je vais juste t'en citer quelques-uns.

Jésus et Socrate furent tous deux considérés comme des

personnages énigmatiques par leurs contemporains. Aucun d'eux ne laissa de traces écrites de son message, ce qui nous rend entièrement dépendants de l'image que leurs disciples nous ont donnée. Nous savons pourtant que tous deux étaient experts dans l'art du dialogue. Ils parlaient tous deux avec une telle assurance qu'on tombait immédiatement sous le charme ou au contraire qu'on en était irrité. Et surtout, tous deux se sentaient l'intercesseur auprès des hommes de quelque chose de plus grand qu'eux. Ils provoquaient l'ordre établi en critiquant l'injustice et l'abus de pouvoir sous toutes leurs formes. Et, détail non négligeable : cela leur coûta la vie.

Les procès de Jésus et de Socrate présentent également de troublantes ressemblances. Tous deux auraient pu demander d'être graciés et avoir la vie sauve. Mais ils se considéraient investis d'une mission à laquelle ils auraient failli en n'allant pas jusqu'au bout Le fait qu'ils affrontèrent la mort avec un calme et une dignité extraordinaires eut pour effet de rassem bler des milliers de fidèles après leur mort.

Si je souligne ces similitudes, ce n'est pas pour dire qu'ils se ressemblent, mais parce que tous deux avaient un message à délivrer indissociable de leur courage personnel.

Un joker à Athènes

Ah ! Socrate ! On n'a pas fini de parler de lui, comme tu vois. Nous avons évoqué sa methode, mais qu'en est-il exactement de son projet philosophique?

Socrate a vécu en même temps que les sophistes. Comme eux, il s'intéressait davantage à l'homme et à la vie humaine qu'aux problèmes posés par la philosophie de la nature. Un philosophe romain, Cicéron. déclara quelques siècles plus tard que Socrate « fit descendre la philosophie du ciel jusqu'à terre et qu'il la laissa vivre dans les villes, entrer dans les maisons en contrai gnant les hommes à réfléchir à la vie, aux mœurs, au bien et au mal».

Mais Socrate se différenciait des sophistes sur un point essentiel : il ne se considérait pas comme un sophiste, c'est-à- dire une personne cultivée ou savante. C'est pourquoi, à la dif férence des sophistes, il refusait d'accepter de l'argent pour son enseignement Non, Socrate se disait philosophe au vrai

sens du terme. Un « philo-sophe » signifie « celui qui cherche à atteindre la sagesse ».

Au fait, es-tu bien assise, Sophie? C'est important pour la suite du cours que tu saisisses bien la différence qui existe entre un sophiste et un philosophe. Les sophistes acceptaient de l'argent en échange de leurs commentaires plus ou moins sub tils, et de tels sophistes ont existé de tout temps. Je pense notamment à tous ces professeurs et autres donneurs de leçons qui sont soit parfaitement satisfaits du peu qu'ils savent, soit se vantent de connaître un tas de choses dont ils n'ont en réalité pas la moindre idée. Tu as certainement déjà rencontrer quelques-uns de ces sophistes dans ta jeune vie... Un vrai philo sophe, Sophie, c'est tout à fait autre chose, c'est en fait tout le contraire. Un philosophe est conscient qu'il sait au fond fort peu. C'est la raison pour laquelle il essaie sans cesse d'atteindre la vraie connaissance. Socrate était un de ces êtres exception nels. Il était « conscient » qu'il ne savait rien de la vie et du monde. Et, avant tout, il souffrait vraiment de cette ignorance.

Un philosophe est donc quelqu'un qui reconnaît comprendre fort peu de choses et qui en souffre. Vu sous cet angle, il fait davantage preuve d'intelligence que ceux qui se vantent de tout connaître. La plus intelligente est celle qui sait qu 'elle ne sait pas, t'ai-je déjà dit. Socrate, lui, affirma qu'il ne savait qu'une chose : qu'il ne savait rien. Retiens bien cette formule, car cet aveu est rare même chez les philosophes. C'est d'ailleurs même si dangereux de le déclarer publiquement que tu peux le payer de ta vie. Ce sont toujours ceux qui posent des questions qui sont les plus dangereux. Répondre, ce n'est pas si compromet tant. Une seule question peut être plus explosive que mille réponses.

As-tu entendu parler des habits neufs de l'empereur? Il était en fait nu comme un ver, mais aucun de ses subordonnés n'osait le faire remarquer. Et tout à coup un enfant s'écria qu'il était tout nu. C'était un enfant courageux, Sophie. Comme lui, Socrate osa dire tout haut à quel point nous autres hommes savons peu de choses. Nous avons déjà souligné combien les enfants et les philosophes se ressemblent.

Soyons plus précis : l'humanité est confrontée à un certain nombre de questions qui n'offrent aucune réponse satisfaisante. Nous avons alors le choix : soit se tromper soi-même ainsi que

le reste du monde en faisant semblant de connaître ce qui se doit d'être connu, soit se fermer aux grands problèmes et aban donner définitivement tout espoir de progresser. L'humanité se divise ainsi en deux parties. En gros, les nommes font semblant de tout savoir ou bien ils sont tout bonnement indifférents. (Ces deux genres d'hommes rampent et se traînent tout au fond de la fourrure du lapin, rappelle-toi!) C'est comme partager un jeu de cartes en deux, chère Sophie. D'un côté les cartes noires, de l'autre les rouges. Mais de temps à autre surgit un joker, c'est-à- dire une carte qui n'est ni cœur ni trèfle ni carreau ni pique. Socrate était un de ces jokers à Athènes. Il ne prétendait pas tout savoir et il n'était pas non plus indifférent. Il savait seule ment qu'il ne savait rien et cela ne faisait pas son affaire. Alors il devint philosophe, c'est-à-dire quelqu un qui ne laisse pas tomber, quelqu'un qui inlassablement cherche à atteindre la vraie connaissance.

On raconte qu'un Athénien interrogea l'oracle de Delphes

E

our savoir qui était l'homme le plus intelligent d'Athènes. ,'oracle répondit que c'était Socrate. En entendant cela, Socrate futpour le moins étonné. (Je crois bien que ça l'a plutôt fait rire!) Il alla tout de suite en ville trouver un homme qui passait à ses propres yeux et aux yeux des autres pour quelqu'un de très intelligent. Mais cette personne fut incapable d'apporter une réponse satisfaisante aux questions que lui posa Socrate et ce dernier dut admettre que l'oracle avait peut-être raison.

Il importait à Socrate de trouver une base solide pour notre connaissance. Selon lui, cette base résidait dans la raison de l'homme. Sa foi dans la raison de l'homme fait de lui un rationaliste.

Une juste vision des choses conduit à une actionjuste

J'ai déjà mentionné le fait que Socrate prétendait entendre une voix divine en lui et que cette « conscience » lui disait ce qui était juste. Celui qui sait ce qui est bien fera aussi le bien, répé tait il. Pour lui, une juste vision des choses conduit à une action juste. Seul celui qui tait ce qui est juste est un « homme juste ». Quand nous agissons mal, c'est parce que nous sommes dans l'erreur. C'est pourquoi il est si important de parfaire ses connaissances. Socrate tenait à définir clairement et une bonne fois pour toutes ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Contraire ment aux sophistes, il pensait que la faculté de discerner entre le bien et le mal se trouvait dans la raison de l'homme et non dans la société.

Tu as peut-être du mal à digérer tout cela, Sophie. Je fais une nouvelle tentative : pour Socrate il était impossible d'être heu reux si l'on agissait contre ses convictions. Et qui sait comment être heureux fera tout pour l'être. C'est pourquoi celui qui sait ce qui est juste fera aussi ce qui est juste. Car quel homme sou haite être malheureux?

Et toi, qu'en penses-tu, Sophie? Peux-tu vivre heureuse si tu fais sans cesse des choses que tu sais très bien, en ton for inté rieur, ne pas être justes? Il y en a beaucoup qui passent leur temps à mentir, voler et calomnier les autres. Eh bien! Tu ne penses pas qu'ils savent néanmoins parfaitement que ce n'est pas bien, que ce n'est pas justifié, si tu préfères? Crois-tu que cela les rende heureux?

Socrate, lui, ne le croyait pas.

Quand Sophie eut achevé la lecture de la lettre sur Socrate, elle la rangea vite dans la boîte et sortit de sa cabane. Elle voulait être à la maison quand sa mère rentrerait des courses afin de ne pas avoir à dire où elle avait été. D'ailleurs elle avait promis de faire la vaisselle.

Elle venait de faire couler l'eau quand sa mère fit irruption avec deux énormes sacs de provisions à la main. A peine avait-elle posé ses sacs qu'elle lança :

Tu n'es vraiment pas dans ton état normal en ce moment, Sophie.

Sans trop savoir pourquoi, Sophie répondit du tac au tac :

Socrate non plus.

Socrate ?

Sa mère écarquillait les yeux.

C'est seulement dommage qu'il ait dû expier ça par sa mort, poursuivit Sophie profondément plongée dans ses pensées.

Ecoute, Sophie ! Je ne sais vraiment plus quoi penser.

Socrate non plus. Il ne savait qu'une chose et c'était qu'il ne savait rien du tout. Il était pourtant l'homme le plus intelligent d'Athènes.

Sa mère resta sans voix.

C'est quelque chose qu'on t'a appris à l'école? se hasarda-t-elle à demander.

Sophie secoua énergiquement la tête.

Oh !... Oh ! c'est pas là-bas que j'apprends quelque chose. Tu vois, la grande différence entre un professeur d'école et un vrai philosophe, c'est que le professeur croit connaître un tas de choses qu'il n'arrête pas de vouloir faire apprendre de force à ses élèves, alors qu'un philosophe essaie de trouver des réponses aux questions qu'il se pose avec ses élèves.

Ah ! tu veux encore parler de cette histoire de lapin blanc. Tu sais, il me tarde de rencontrer ton petit ami. Je com mence vraiment à croire qu'il est un peu bizarre.

Sophie s'arrêta un instant de faire la vaisselle et se tournant vers sa mère, la brosse à la main :

Ce n'est pas lui qui est bizarre. Il est comme la mouche du coche qui essaie de déranger les autres. Pour les obliger à sortir de leur petit train-train mental.

Bon, ça commence à bien faire ! Mais pour qui il se prend, celui-là ?

Sophie baissa la tête et se remit à faire la vaisselle.

Ce n'est ni un savant ni un petit prétentieux. Il aimerait simplement accéder à une vraie connaissance. C'est ce qui fait toute la différence entre un vrai joker et les autres cartes dujeu.

Tu as dit un joker?

Sophie fit signe que oui et enchaîna :

Est-ce que tu ne t'es jamais demandé pourquoi il y a autant de cœurs, de carreaux, de trèfles et de piques dans un jeu de cartes, mais seulement un joker?

Mais enfin, qu'est-ce que tu me chantes là?

Et toi alors, avec tes questions ?

Sa mère avait fini de ranger ses achats. Elle prit son journal et passa dans le salon. Sophie eut l'impression qu'elle cla quait la porte derrière elle avec une certaine violence.

La vaisselle terminée, elle monta dans sa chambre. Elle avait rangé le foulard rouge en soie tout en haut de l'armoire à côté du Lego. Elle alla le chercher et l'examina attenti vement.

Hilde...

Athènes

... à la place des ruines s'élevaient plusieurs hauts édifices...

En début de soirée, sa mère partit rendre visite à une amie. Dès qu'elle fut sortie, Sophie descendit au jardin et alla dans sa cabane au fond de la vieille haie. Un gros paquet l'attendait à côté de sa grande boîte à biscuits. Sophie s'empressa de déchirer le papier. C'était une cassette vidéo !

Elle courut à la maison. Une cassette vidéo ! Ça, alors ! Mais comment le philosophe avait-il su qu'ils possédaient un magnétoscope? Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir dessus?

Sophie mit la cassette dans l'appareil. L'image d'une grande ville apparut sur l'écran de télévision. Sophie comprit rapidement qu'il devait s'agir d'Athènes, car il y eut aussitôt après un zoom sur l'Acropole que Sophie reconnut pour l'avoir souvent vue reproduite.

C'était une image vivante. Dans ces ruines, ça grouillait de touristes en vêtements légers, un appareil photo autour du cou. Il y en avait même un qui brandissait une pancarte. Encore une pancarte ! Mais on aurait dit... mais oui, sur cette pancarte était écrit : « Hilde » !

Un peu plus tard, on voyait le portrait en gros plan d'un homme d'une quarantaine d'années. Il était plutôt petit, avec une barbe noire et soignée, et il portait un béret bleu. Il ne tarda pas à regarder la caméra en face en déclarant :

— Bienvenue à Athènes, Sophie. Tu as sans doute deviné que l'Alberto Knox de la lettre, c'est moi. Si tu n'as toujours pas deviné, je répète que le grand lapin blanc est tiré du cha peau haut de forme de l'univers. Nous nous trouvons dans l'Acropole. Ce qui signifie « le château de la ville » ou encore « la ville sur les hauteurs ». Ici, des hommes ont vécu depuis l'âge de pierre. A cause de ce site très particulier, bien sûr, car c'était plus facile de défendre ce haut plateau contre l'ennemi. De plus, on jouissait depuis l'Acropole d'une belle vue sur l'un des meilleurs ports de la Méditerranée... Petit à petit, Athènes se développant en contrefort du plateau, l'Acropole fut utilisée comme forteresse et comme lieu de culte. Dans la première moitié du IVe siècle avant Jésus- Christ, il y eut une guerre terrible contre les Perses, et en 480 le roi des Perses, Xerxès, pilla Athènes et incendia toutes les vieilles constructions de bois sur l'Acropole. L'année sui vante, les Perses furent battus et cela marqua le début de l'âge d'or d'Athènes. On reconstruisit l'Acropole — qui devint encore plus belle et majestueuse — et ce devint exclusive ment un lieu de culte. C'est justement à cette époque que Socrate se promenait dans les rues et sur la place du marché pour s'entretenir avec les Athéniens. Il a ainsi pu suivre de près la reconstruction de l'Acropole et l'édification de tous les majestueux monuments qui nous entourent. Quel chantier ce dut être ! Derrière moi tu vois le plus grand temple. Il s'appelle le Parthénon, c'est-à-dire « la demeure de la Vierge », car il fut édifié en l'honneur d'Athéna, la déesse tutélaire d'Athènes. Le grand édifice de marbre n'a pas une seule ligne droite, les quatre côtés sont légèrement incurvés. Cela devait conférer plus de vie au bâtiment. Aussi, malgré ses proportions énormes, il ne paraît pas trop massif. Tout repose donc sur une illusion optique. Les colonnes sont un peu inclinées vers l'intérieur et auraient formé une pyramide de mille cinq cents mètres si on les avait prolongées jusqu'à les faire se toucher en un point situé au-dessus du temple. Le seul objet à l'intérieur de ce gigantesque édifice était une sta tue d'Athéna haute de douze mètres. Je pourrais aussi ajouter que le marbre blanc, qui fut peint en plusieurs couleurs vives, était extrait d'une montagne située à seize kilomètres de là...

Загрузка...