Je t'embrasse,
ton Papa.
Le petit malin ! Hilde avait toujours su que son père avait plus d'un tour dans son sac, mais aujourd'hui il l'avait littéra lement surprise au saut du lit et comment ! Au lieu de glisser la carte dans le paquet, il l'avait fait entrer dans la composi tion de son roman.
Mais cette pauvre Sophie ! Il y avait de quoi être débous solé!
Dans quel but un papa envoyait-il une carte d'anniversaire à l'adresse de Sophie alors qu'elle était visiblement destinée à quelqu'un d'autre? Quel papa aurait la mauvaise idée de priver
sa fille d'une carte d'anniversaire en l'envoyant à une autre adresse? Pourquoi était-ce « plus commode comme ça »? Et surtout, comment retrouver cette Hilde?
Non, comment allait-elle faire ?
Hilde tourna la page et commença à lire le chapitre suivant. Il était intitulé : « Le chapeau haut de forme ». Elle en arriva au passage où l'inconnu écrit une longue lettre à Sophie. Hilde retint sa respiration.
Le désir de savoir pourquoi nous vivons n'est donc pas une occupation aussi « accidentelle » que celle de collectionner des timbres. Celui qui se pose ce genre de questions rejoint en cela les préoccupations de toutes les générations qui l'ont pré cédé...
Sophie n'en revenait pas. Hilde non plus. Son père ne s'était pas contenté d'écrire un livre pour ses quinze ans, il avait rédigé un des livres les plus étranges et les plus mystérieux qui soient.
En résumé : un lapin blanc sort d'un chapeau haut de forme. Parce que c'est un lapin énorme, ce tour de magie prend plu sieurs milliards d'années. Tous les enfants des hommes naissent à l'extrémité des poils fins de sa fourrure, ce qui les rend à même de s'étonner de l'impossible tour de passe-passe. Mais en grandissant, ils s'enfoncent de plus en plus dans le creux de la fourrure du lapin. Et ils y restent...
Sophie n'était pas la seule à sentir qu'elle était sur le point de s'enfoncer bien au chaud dans la fourrure du lapin blanc. Hilde avait quinze ans aujourd'hui et l'heure était venue, elle le savait, de choisir sa voie.
Elle lut le passage sur les philosophes présocratiques. Que son père s'intéressât à la philosophie n'était pas en soi une nouveauté, car il avait un jour publié un article dans le journal pour dire que la philosophie aurait dû être une matière obliga toire à l'école. « Pourquoi il faut imposer la philosophie dans
le programme », s'intitulait l'article. Il avait même osé poser ouvertement la question lors d'une réunion de parents d'élèves. Hilde n'avait plus su où se mettre.
Elle jeta un coup d'oeil sur sa montre : il était déjà sept heures et demie. Elle avait heureusement encore une heure devant elle pour suivre les aventures de Sophie et se plonger dans tous ces problèmes philosophiques avant que sa mère ne lui apporte son petit déjeuner d'anniversaire au lit. Elle put lire le chapitre consacré à Démocrite, là où Sophie doit résoudre sa première question : « Pourquoi le Lego est-il le jeu le plus génial du monde? » Elle trouvait ensuite « une grande enveloppe jaune » dans la boîte aux lettres.
Démocrite était d'accord avec ses prédécesseurs pour dire que les changements observables dans la nature n'étaient pas la conséquence d'une réelle « transformation ». Il supposa donc que tout devait être constitué de minuscules éléments de construction, chacun, pris séparément, étant éternel et immuable. Démocrite appela ces infimes parties des atomes.
Hilde fut fort mécontente quand Sophie trouva son fou lard rouge sous le lit. Ah ! c'était donc là qu'il s'était caché ! Mais un foulard ne pouvait pas juste réapparaître comme ça dans une histoire, il devait bien se trouver en vrai quelque part...
Le chapitre sur Socrate commençait par un extrait de jour nal que lisait Sophie avec quelques lignes à propos du contin gent norvégien des Nations unies envoyé au Liban. C'était signé Papa, un coup pareil ! Toujours à se plaindre du manque d'intérêt manifesté par ses compatriotes sur le rôle pacifica teur des Nations unies... Sophie, elle, n'y couperait pas. C'était au fond une manière comme une autre d'attirer l'attention des médias.
Elle ne put s'empêcher de sourire en lisant le post-scrip- tum de la lettre du philosophe :
Si tu venais à découvrir un foulard de soie rouge, je te prierais d'en prendre grand soin. Il arrive de temps en temps que des
affaires changent de propriétaire par erreur. Surtout à l'école ou dans des endroits de ce genre, etn 'oublie pas que ceci est une école de philosophie.
Hilde entendit des bruits dans l'escalier. Ce devait être sa mère qui montait son plateau de petit déjeuner. Lorsque celle- ci frappa enfin à la porte de la chambre, Hilde en était déjà au passage où Sophie trouve une cassette vidéo sur Athènes dans sa cachette secrète au fond du jardin.
— « Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire... »
Sa mère avait déjà commencé dans l'escalier à entonner la chanson traditionnelle.
— Entre, Maman ! dit Hilde alors qu'elle était en train de lire ce que le professeur de philosophie expliquait à Sophie du haut de l'Acropole.
Il ressemblait comme deux gouttes d'eau au père de Hilde avec sa « barbe noire bien soignée » et son béret bleu.
— Bon anniversaire, Hilde !
— Mmm...
— Mais enfin, Hilde, qu'est-ce qu'il y a?
— Tu n'as qu'à le poser là.
— Tu ne veux pas...
— Tu ne vois pas que je suis occupée ?
— Dire que tu as quinze ans aujourd'hui !
— Es-tu déjà allée à Athènes, Maman?
— Non, quelle question, pourquoi ça ?
— C'est vraiment étonnant que les vieux temples tiennent encore debout car ils ont plus de deux mille cinq cents ans. Le plus grand s'appelle d'ailleurs « la Demeure de la Vierge ».
— Tu as ouvert le cadeau de Papa ?
— Quel cadeau ?
— Enfin, regarde-moi quand je te parle, Hilde ! Tu n'as pas l'air d'être dans ton assiette.
Hilde laissa tomber le grand classeur sur ses genoux.
Sa mère se pencha sur le lit et lui tendit le plateau. Y étaient disposés une bougie allumée, des tartines beurrées et une petite bouteille de jus d'orange. Ainsi qu'un petit paquet.
Comme elle n'avait que deux mains, elle avait coincé le drapeau norvégien sous un de ses bras.
— Merci beaucoup, Maman, c'est vraiment gentil de ta part, maisje n'ai vraiment pas le temps...
— Mais... tu ne dois pas être à l'église avant une heure de l'après-midi!
Ce n'est qu'en entendant ces mots et en voyant sa mère poser le plateau sur la table de nuit que Hilde revint vraiment à elle.
— Excuse-moi, j'étais tellement plongée là-dedans...
Elle montra le classeur du doigt et ajouta :
— C'est de Papa...
— Eh bien, que t'a-t-il écrit, Hilde? Je suis tout aussi curieuse que toi, si tu veux le savoir. Ça fait des mois que je n'ai pas pu en tirer la moindre parole sensée.
— Oh ! ce n'est qu'une histoire.
— Une histoire ?
— Oui, une histoire, mais un livre de philosophie aussi. Enfin quelque chose dans ce goût-là.
— Et mon cadeau, tu ne veux pas savoir ce que c'est?
Hilde sentit qu'il serait malvenu de montrer sa préférence,
aussi s'empressa-t-eile de déballer le cadeau de sa mère. C'était un bracelet en or.
— Oh ! il est magnifique ! Merci mille fois !
Hilde se leva pour embrasser sa mère. Puis elles discutè rent un moment.
— Il faut que tu t'en ailles maintenant, dit Hilde. Au moment où je te parle, il est en haut de l'Acropole, tu comprends ?
— Qui ça?
— Je ne sais pas. Sophie non plus d'ailleurs. C'est ça l'intérêt.
— Bon, il faut que je file au bureau. N'oublie pas de man ger quelque chose. Ta robe est en bas.
Sa mère finit par descendre. Tout comme le prof de philo, d'ailleurs, qui descendit de l'Acropole et vint se placer sur le mont Aréopage avant de réapparaître peu après sur l'agora d'Athènes.
Un frisson parcourut Hilde quand les vieux monuments surgirent de leurs ruines ; cela avait toujours été une idée fixe de son père que tous les pays membres des Nations unies reconstruisent d'un commun accord une parfaite copie de la grande place d'Athènes. Cela eût été le lieu idéal pour débattre de problèmes philosophiques et, pourquoi pas, du désarmement. « Voilà qui souderait ensemble les peuples de toutes les nations, pensait-il. Nous arrivons bien à construire des plates-formes pétrolières et des navettes spatiales pour aller sur la Lune. »
Ensuite elle lut ce qu'il avait écrit sur Platon. Sur les ailes de l'amour, l'âme rejoindra sa demeure dans le monde des idées. Elle se libérera de « la prison du corps »...
Sophie s'était faufilée hors de sa cachette dans l'espoir de suivre Hermès, mais elle avait perdu sa trace. Après avoir poursuivi sa lecture sur Platon, elle était retournée dans la forêt et avait découvert près d'un petit lac un chalet peint en rouge. A l'intérieur, il y avait un tableau de Bjerkely et il était clair qu'il s'agissait bien de l'endroit où habitait Hilde A côté était accroché un portrait d'un homme du nom de Berkeley. N'était-ce pas une drôle de coïncidence ?
Hilde posa le grand classeur à côté d'elle sur le lit, se leva et alla vérifier dans l'encyclopédie en trois volumes qu'elle avait eue pour ses quatorze ans. Voyons un peu... Berkeley... voilà !
« Berkeley, George, 1685-1753, philosophe anglais, évêque de Cloyne. Nie l'existence d'un monde matériel qui serait situé en dehors de la conscience humaine. Toutes nos perceptions nous viendraient, selon lui, de Dieu. Est aussi célèbre pour sa critique de l'abstraction sous toutes ses formes. Œuvre principale : Traité sur les principes de la connaissance humaine (1710).»
C'était vraiment troublant. Hilde resta quelques instants par terre à réfléchir avant de regagner son lit et reprendre sa lecture.
En un sens, c'était son père qui avait accroché ces deux tableaux. Mais la ressemblance s'arrêtait-elle au nom propre ?
Berkeley était donc un philosophe qui niait qu'il existât un monde matériel en dehors de la conscience humaine. On pou vait se permettre, il est vrai, d'affirmer toutes sortes de choses, mais les réfuter, c'était une tout autre affaire. Sophie en était un bon exemple, puisque toutes ses « perceptions du monde extérieur » » n'étaient que le fruit de l'imagination du père de Hilde.
Il fallait vite lire la suite. Hilde leva les yeux quand elle en fut au chapitre où Sophie aperçoit dans le miroir une fille qui cligne des deux yeux. C'était comme si l'autre fille avait fait un clin d'œil à Sophie. Comme pour dire : je te vois, Sophie ! Je suis là, de l'autre côté.
C'est alors qu'elle tombait sur le portefeuille vert avec l'argent et tout le reste ! Qu'est-ce qu'il venait faire là?
C'était complètement fou ! L'espace de quelques secondes, Hilde avait réellement cru que Sophie avait retrouvé son por tefeuille. Mais ce fut un déclic : elle eut envie de se mettre à la place de Sophie. Pour elle, tout était incompréhensible mais fascinant.
Pour la première fois, Hilde eut envie de voir le vrai visage de Sophie et de lui donner le fin mot de l'histoire.
Mais Sophie devait d'abord se dépêcher de quitter le chalet sans se faire prendre en flagrant délit. Bien entendu, la barque avait glissé et dérivait sur le lac. La preuve qu'il n'avait pas non plus oublié cette histoire, lui !
Hilde but une gorgée et attaqua son sandwich aux crevettes tout en poursuivant sa lecture sur Aristote, « l'homme d'ordre » qui avait osé critiquer la théorie des idées de Platon.
Selon Aristote, rien ne peut exister dans la conscience qui n'ait d'abord été perçu par nos sens. Platon, lui, aurait dit qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait d'abord existé dans le monde des idées. Aristote trouvait que de cette façon Platon « doublait le nombre des choses ».
Quant au fameux jeu du baccalauréat, Hilde ne s'était jamais doutée qu'elle le devait en fait à Aristote, puisque
c'était lui qui avait établi la distinction entre « le monde végé tal, animal et minéral ».
Aristote voulait en quelque sorte faire à fond le ménage dans la chambre de jeune fille de la nature. Il s'attacha à démontrer que toutes les choses dans la nature appartiennent à différents groupes eux-mêmes subdivisés en sous-groupes.
Quant à la conception aristotélicienne de la femme, elle en fut aussi choquée qu'irritée. Comment un philosophe de cette envergure pouvait-il débiter des sottises pareilles !
Cela avait malgré tout donné envie à Sophie de ranger sa propre « chambre de jeune fille », et c'est ainsi que, dans tout ce fourbi, elle avait retrouvé le mi-bas qui avait disparu comme par enchantement de l'armoire de Hilde un mois auparavant. Sophie avait rangé toutes les feuilles d'Alberto dans un classeur, cela faisait déjà plus de cinquante pages. Pour sa part, Hilde était arrivée à la page 124, mais elle devait lire toute l'histoire de Sophie en plus des cours de philosophie de Alberto Knox.
« L'hellénisme », tel était le nom du chapitre suivant. Tout commençait avec la découverte par Sophie d'une carte postale reproduisant une Jeep des Nations unies. Le cachet de la poste indiquait le 15-6 et Contingent des forces des Nations unies. Ah ! encore une de ces cartes que son père avait glissées dans l'histoire au lieu de les lui envoyer par la poste :
Chère Hilde,
Je suppose que tu es encore en train de fêter ton anniver saire. A moins que ce ne soit déjà le lendemain ? Enfin, savoir combien de temps tu profiteras de ce cadeau, voilà quin 'est pas le plus important, puisque d'une certaine façon il durera toute ta vie. Alors laisse-moi juste te souhaiter unjoyeux anni versaire ! Tu auras compris, je pense, pourquoi j'en voie les cartes à Sophie. J'ai la profonde certitude qu 'elle te les trans mettra.
P. -S. : Maman m'a dit que tu avais perdu ton portefeuille. Je te
promets de te donner 150 couronnes pour le remplacer. Quant à ton certificat de scolarité, tu en obtiendras sans problème un a utre de l'école a vant les grandes vacances.
Ton Papa qui t'embrasse tendrement.
Pas mal, elle avait donc gagné cent cinquante couronnes à ce petit jeu, il avait dû penser que son cadeau fait maison n'était pas suffisant.
Le 15 juin était précisément le jour de son anniversaire. Mais Sophie n'en était qu'à la mi-mai. Son père avait dû rédi ger ce chapitre à ce moment-là et tout simplement antidaté la « carte d'anniversaire » pour Hilde.
Pauvre Sophie toute perdue qui court rejoindre son amie Jorunn devant le centre commercial...
Qui était Hilde ? Comment son père pouvait-il être aussi sûr que Sophie la retrouverait? De toute façon, c'était complète ment absurde de lui envoyer les cartes à elle plutôt qu'à sa fille directement.
Hilde aussi se sentit flotter dans l'air à la lecture du passage sur Plotin.
Je dis que tout ce qui est participe du mystère divin. Nous voyons que quelque chose brille au fond d'un tournesol ou d'une pensée sauvage. Un papillon qui volette de fleur en fleur ou un poisson rouge qui nage dans son bocal nous font pressen tir ce mystère insondable. Mais c'est grâce à notre âme que nous approchons le plus près de Dieu. Là seulement, nous fai sons un avec le grand mystère de la vie. Oui, il peut même nous arriver, à de rares occasions, de ressentir que nous sommes ce mystère divin lui-même.
C'était ce que Hilde avait lu de plus étourdissant jusqu'ici. Mais c'était aussi ce qui était le plus simple : tout est un, et ce « un » est un mystère divin dont tout participe.
On n'avait pas vraiment besoin d'y croire. C'est comme ça, un point c'est tout. Libre à chacun d'interpréter ce « mys tère divin » comme il l'entend.
Elle survola rapidement le chapitre suivant. Sophie et Jorunn voulaient camper le soir de la fête nationale et elles allèrent au chalet du major...
Quelques pages plus loin, Hilde, furibonde, sauta à bas du lit et fit quelques pas dans la chambre, le classeur sous le bras.
C'était le comble ! Son père laissait les deux filles trouver dans ce chalet des copies de toutes les cartes qu'elle avait reçues la première quinzaine du mois de mai. Le texte inté gral ! Hilde relisait plusieurs fois les cartes de son père et en connaissait chaque mot par cœur.
Chère Hilde,
J'en ai tellement assez de toutes ces cachotteries à propos de ton cadeau d'anniversaire queje dois plusieurs fois par jour m'interdire de te téléphoner pour ne pas lâcher le morceau. C 'est quelque chose qui ne cesse de grandir. Et comme tout ce qui devient de plus en plus grand, cela devient aussi de plus en plus difficile à garder pour soi...
Là-dessus, nouvelle lettre du philosophe pour Sophie sur les juifs, les Grecs et la culture judéo-chrétienne en général. Hilde était heureuse de voir soudain l'histoire sous cet angle. Jamais on ne leur apprenait cela à l'école. C'était d'habitude une simple accumulation de détails qui appelaient encore d'autres détails et comme ça indéfiniment. Le chapitre ter miné, elle avait enfin compris l'importance de Jésus et du christianisme.
Elle aimait bien la citation de Goethe disant que « qui ne sait pas tirer les leçons de trois mille ans vit seulement au jour le jour ».
Le chapitre suivant commençait avec le bout de papier qui venait se coller à la fenêtre de la cuisine chez Sophie. C'était bien sûr une nouvelle carte d'anniversaire adressée à Hilde.
Chère Hilde,
Je ne sais pas si, à l'instant où tu liras ces lignes, ce sera le jour de ton anniversaire. En tout cas, j'espère que cette lettre n 'arri vera pas trop longtemps après. Qu 'une semaine ou deux passent,
cela ne veut pas dire pour autant que ce sont les mêmes semaines qui passent pour nous. Je rentrerai pour le soir de la Saint-Jean. Nous resterons alors longtemps sur la balancelle du jardin à admirer la mer, Hilde. Mous avons tant de choses à nous dire.
Puis ce fut le coup de téléphone d'Alberto à Sophie et la première fois qu'elle entendait sa voix.
— À t'entendre parler, on dirait qu'il s'agit d'une guerre !
— Je dirais plutôt un combat d'idées. Nous devons essayer d'éveiller l'intérêt de Hilde et de la rallier à notre cause avant que son père ne rentre à Lillesand.
Ensuite Sophie allait retrouver Alberto Knox déguisé en moine du Moyen Age dans la vieille église du XIF siècle.
A propos d'église... Hilde regarda sa montre. Une heure et quart ! Elle avait complètement perdu la notion du temps.
A vrai dire, ce n'était pas un drame si elle manquait l'église le jour de son anniversaire. Non, c'était autre chose qui la mettait de mauvaise humeur : elle en avait assez de toutes ces félicitations pour son anniversaire. Trop, c'était trop!
Elle ne coupa pas cependant au long prêche d'Alberto. Visiblement, cela ne paraissait pas lui poser le moindre pro blème d'endosser la soutane du prêtre.
Quand elle lut le passage sur Sophia qui s'était manifestée à Hildegarde au cours d'une vision, elle dut consulter à nou veau son encyclopédie. Mais elle ne trouva aucune trace de ces deux noms. C'était toujours la même chose! Dès qu'il s'agissait de femmes ou de quelque chose de féminin, son encyclopédie devenait aussi muette qu'une carpe. Est-ce que l'encyclopédie avait été censurée par un conseil de protection de la gent masculine ?
Hildegarde de Bingen avait pourtant été religieuse, écri vain, médecin, botaniste et naturaliste. Elle était en outre « un symbole du rôle prépondérant des femmes, plus proches des choses de la nature, sur le plan scientifique, au cours du
Moyen Âge ». Et bien sûr pas une ligne sur elle dans son encyclopédie. Un scandale !
Hilde n'avait jamais entendu parler du « côté féminin » de Dieu ou de sa « nature maternelle ». Ce qu'on appelait Sophia ne méritait même pas une ligne !
Elle trouva tout au plus mentionnée l'église Hagia Sophia à Constantinople. Hagia Sophia signifiait « Sainte Sagesse ». Une capitale et une foule de reines avaient repris ce nom et partant sa « sagesse », en quelque sorte. Mais pas un mot pour dire que cette sagesse était à l'origine féminine. Et on n'appe lait pas ça de la censure ?
Sinon, c'était une bonne formule de dire que Sophie se montrait « au regard intérieur de Hilde ». Elle avait en perma nence l'impression de voir devant elle cette fille aux cheveux noirs...
Après la nuit passée dans l'église Sainte-Marie, Sophie venait se placer devant le miroir qu'elle avait rapporté de la forêt :
Elle n'y vit d'abord que son visage blême aux traits tirés. Puis elle crut tout à coup distinguer le contour très flou d'un autre visage en filigrane du sien.
Sophie prit une ou deux profondes inspirations. D s'agissait de garder la tête froide.
Sous son visage pâle, encadré des cheveux noirs qui ne tolé raient aucune autre coiffure que celle de la nature, c'est-à-dire lisses et tombant droit, transparaissait aussi l'image d'une autre jeune fille.
L'inconnue mit soudain toute son énergie à cligner des yeux. C'était comme si elle avait voulu par ce biais signaler sa pré sence. Ce ne dura qu'un bref instant. Puis elle disparut.
Combien de fois Hilde n'avait-elle pas essayé de voir dans le miroir une autre image que la sienne? Mais comment diable son père avait-il fait pour savoir tout ça? Et ne recher- chait-elle pas précisément une femme aux cheveux noirs ? Son arrière-grand-mère avait acheté le miroir à une gitane...
Les mains de Hilde se mirent à trembler quand elle reprit le classeur : il lui semblait vraiment que Sophie se tenait quelque part « de l'autre côté ».
Sophie rêvait à présent de Hilde et de Bjerkely. Hilde ne pouvait ni la voir ni l'entendre... et voilà que Sophie décou vrait la croix en or de Hilde sur la jetée ! Cette même croix en or qui se trouvait dans le lit de Sophie à son réveil...
Cela méritait vraiment réflexion. Elle n'avait quand même pas perdu aussi sa croix en or? Elle alla vers la commode et sortit son coffret à bijoux. Et la croix en or qu'elle avait reçue de sa grand-mère pour son baptême n'y était plus !
Et ce n'était pas tout : Sophie avait fait un rêve prémoni toire sur le retour du père de Hilde du Liban alors qu'il restait encore une semaine. Est-ce que cela voulait dire que Sophie, d'une certaine manière, serait là elle aussi au retour de son père ? Il avait un jour écrit quelque chose à propos d'une nou velle amie...
Hilde eut soudain l'intuition foudroyante que Sophie n'était pas seulement une créature d'encre et de papier : elle existait bel et bien !
Le siècle des Lumières
...de la manière de fabriquer une aiguille jusqu'à la manière de fondre des canons...
Hilde avait commencé à lire le chapitre sur la Renaissance, mais elle entendit sa mère rentrer. Elle regarda l'heure : il était quatre heures.
Sa mère monta les marches à toute vitesse et ouvrit préci pitamment la porte :
— Tu n'es pas allée à l'église?
— Mais si !
— Mais qu'est-ce que tu avais sur toi ?
— Eh bien la même chose que maintenant.
— Quoi ! tu ne veux pas dire cette chemise de nuit?
— Hum... Je suis allée dans l'église Sainte-Marie.
— L'église Sainte-Marie?
— C'est une vieille église en pierre du Moyen Age.
— Hilde!
Elle laissa glisser le classeur sur ses genoux et regarda sa mère :
— J'ai complètement oublié l'heure, Maman. Je suis déso lée, mais il faut que tu comprennes que je suis en train de lire quelque chose de tout à fait passionnant.
Sa mère esquissa un sourire.
— C'est un livre magique, ajouta Hilde.
— Bon, bon. Eh bien, joyeux anniversaire, Hilde !
— Oh ! je commence à en avoir marre de toutes ces félicitations !
— Mais enfin... Bon, eh bien je descends m'allonger un moment avant de commencer à préparer un bon repas. J'ai pu trouver des fraises.
— Je lis.
Sur ce, sa mère descendit et Hilde put poursuivre sa lec ture. Elle en était arrivée au moment où Sophie traverse toute la ville en suivant Hermès. Dans la cage d'escalier d'Alberto, elle trouve une autre carte du Liban, datée elle aussi du 15-6.
Elle comprit enfin le système des dates : les cartes datées avant le 15 juin étaient des « copies » de cartes que Hilde avait déjà reçues. Mais celles datées d'aujourd'hui, elles les lisait dans le classeur pour la première fois.
Chère Hilde,
Sophie arrive à présent à la maison du professeur de philoso phie. Elle aura bientôt quinze ans, alors que toi, tu les as eus hier. À moins que ce ne soit aujourd 'hui, ma petite Hilde ? Si c 'est aujourd 'nui, c 'est en tout cas plus tard dans lajournée. Il faut dire que les montres ne sont pas toujours réglees sur la même heure...
Hilde lut comment Alberto présenta à Sophie la Renais sance, les rationalistes du xvlf siècle et les empiristes britan niques.
A chaque insertion de cartes ou de vœux d'anniversaire dans l'histoire, elle sursautait un peu. Son père arrivait par des tours de passe-passe à en glisser dans un cahier de cours, à l'intérieur d'une peau de banane ou dans un programme d'ordinateur. Il faisait fourcher la langue d'Alberto pour lui faire dire Hilde au lieu de Sophie et, ça c'était peut-être le summum, il parvenait à faire dire à Hermès : « Bon anniver saire, Hilde! »
Hilde était d'accord avec Alberto pour reconnaître qu'il allait un peu loin quand il se comparait à Dieu et à la Provi dence. Mais au fond, avec qui était-elle d'accord? N'était-ce pas son propre père qui avait placé ces paroles de reproche, en somme d'auto-accusation, dans la bouche d'Alberto? Et après tout, ce parallèle avec Dieu, ce n'était pas si idiot que ça puisque son père jouait bien le rôle d'un dieu tout-puissant aux yeux de Sophie.
Quand on aborda Berkeley, Hilde était tout aussi intéressée que Sophie l'avait été. Qu'est-ce qui allait se passer mainte nant? Son nom avait déjà été plusieurs fois mentionné pour dire qu'il se passerait quelque chose de décisif avec ce philo sophe qui avait nié l'existence d'un monde matériel en dehors de la conscience humaine. Hilde avait eu beau tricher en regardant dans l'encyclopédie, elle n'avait rien trouvé qui l'intéressât directement.
Il y eut l'histoire de l'avion et de sa banderole avec les féli citations d'anniversaire. Puis les gros nuages de pluie s'amoncelèrent au-dessus de la ville.
« Etre ou ne pas être » n'est donc pas toute la question. Il faut aussi se demander ce que nous sommes. Sommes-nous de vrais êtres humains en chair et en os? Notre monde est-il consti tué de choses réelles ou sommes-nous seulement entourés de conscience?
Rien d'étonnant à ce que Sophie commence à se ronger les ongles. Hilde n'avait jamais eu cette mauvaise habitude, mais elle n'en menait pas large non plus. Enfin ce fut dit noir sur blanc :
... pour nous cette « volonté » ou cet « esprit » qui agit sur tout peut fort bien être le père de Hilde.
Et plus loin :
— Tu veux dire qu'il a été une sorte de Dieu pour nous ?
— Oui, et sans être le moins du monde gêné. Quel culot!
— Et Hilde dans tout ça ?
— Elle est un ange, Sophie.
— Un ange?
— Hilde est celle à qui s'adresse cet « esprit ».
Sur ces mots, Sophie quitte précipitamment Alberto et sort sous la pluie battante. Ce ne pouvait pourtant pas être le même orage qui, cette nuit, s'était abattu sur Bjerkely,
quelques heures après que Sophie a traversé toute la ville en courant?
Demain, c'est mon anniversaire, réfléchissait-elle. N'était-ce pas un peu amer de se rendre compte la veille de ses quinze ans que la vie n'était qu'un songe? C'était comme rêver de décro cher le gros lot d'un million et comprendre juste au moment de toucher la somme que ce n'était que du vent.
Sophie coupa par le stade gorgé d'eau. Elle aperçut alors quelqu'un qui courait à sa rencontre. C'était sa mère. Plusieurs éclairs déchirèrent le ciel.
Sa mère la serra violemment contre elle.
— Mais qu'est-ce qui nous arrive, ma chérie?
— Je ne sais pas, répondit Sophie en larmes, c'est comme un mauvais rêve.
Les larmes montèrent aux yeux de Hilde. « To be ornot to be — thatis the question. »
Ellejeta le classeur à l'autre bout du lit et marcha de long en large dans la chambre. Pour finir, elle s'arrêta devant le miroir et c'est là que sa mère la surprit quand elle vint la chercher pour déjeuner. En entendant sa mère frapper à la porte, Hilde se rendit compte qu'elle était restée là un bon moment. Mais elle était sûre d'une chose : pour la première fois elle avait vu son reflet dans la glace cligner des deux yeux.
Elle essaya au cours du repas de se montrer reconnaissante des efforts que sa mère faisait pour son anniversaire. Mais son esprit était ailleurs, auprès de Sophie et d'Alberto.
Qu'allait-il advenir d'eux maintenant qu'ils savaient que le père de Hilde tirait toutes les ficelles? Encore qu'ils ne savaient pas grand-chose au fond. C'était seulement son père qui leur laissait croire qu'ils savaient quelque chose. Cela dit, le problème restait le même : maintenant que Sophie et Alberto étaient au courant, l'histoire devait connaître un dénouement rapide.
Elle faillit avaler de travers un gros morceau de pomme de terre quand elle se rendit compte que le même problème se
posait pour son propre monde. Les hommes avaient constam ment progressé dans la compréhension des lois de la nature, mais l'histoire pouvait-elle se poursuivre indéfiniment une fois qu'étaient mises en place les dernières pierres de l'édifice que constituaient la philosophie et la science ? Les hommes n'approchaient-ils pas de la fin de l'histoire? Il y avait pour tant bien un parallèle entre le développement de la pensée et de la science d'un côté et l'effet de serre et la mort des forêts à cause de la pluie acide de l'autre. Ce n'était peut-être pas si bête que ça de voir en ce perpétuel besoin de connaissance une forme de « chute originelle » ?
Cette question parut d'une importance si capitale que Hilde en fut effrayée et essaya de l'oublier. D'ailleurs n'en saurait- elle pas davantage en poursuivant sa lecture ?
— « Dis-moi ce que tu veux », chantonna sa mère quand elles eurent fini de manger les fraises italiennes. C'est toi qui décides !
— Ne le prends pas mal, mais j'ai juste envie de continuer à lire le livre que Papa m'a offert.
— Si tu veux, du moment qu'il ne te rend pas complète ment folle.
— Mais non...
— On pourrait plus tard manger une pizza en regardant Derrick...
— Oui, pourquoi pas ?
Il revint à l'esprit de Hilde la manière dont Sophie avait parlé à sa mère. Papa n'avait quand même pas osé s'inspirer de la mère de Hilde pour créer le personnage de la mère de Sophie? Dans le doute, il valait mieux s'abstenir, au moins pour aujourd'hui, de parler du lapin blanc qu'on tirait du cha peau haut de forme de l'univers...
— Au fait, fit-elle au moment de quitter la table...
— Oui?
— Je ne retrouve plus ma croix en or.
Sa mère la regarda d'un air plein de sous-entendus.
— Je l'ai trouvée en bas près de la jetée voilà déjà plusieurs semaines. C'est là que tu as dû la perdre, étourdie que tu es !
— Tu l'as dit à Papa?
— Oh ! je ne sais plus. C'est possible...
— Eh bien, où est-elle maintenant?
Sa mère alla chercher son coffret à bijoux. Un cri de stupé faction monta de la chambre à coucher :
— Tu ne devinerasjamais... impossible de mettre la main dessus, répondit sa mère en revenant dans le salon.
— Je m'en doutais.
Elle embrassa rapidement sa mère et regagna sa chambre. Enfin, elle allait pouvoir poursuivre sa lecture sur les aven tures de Sophie et d'Alberto. Elle s'installa bien dans son lit et cala le classeur contre ses genoux.
Sophie M réveillée le lendemain matin par sa mère qui entra en lui apportant un plateau rempli de cadeaux. Elle avait même planté un petit drapeau norvégien dans une bouteille de soda vide.
— Bon anniversaire, Sophie !
Sophie frotta ses yeux qui étaient encore tout ensommeillés. Elle essaya de se rappder tout ce qui s'était passé la veille. Mais ce n'étaient que des pièces d'un puzzle qu'elle ne parvenait pas à assembler. Il y avait Alberto, il y avait Hilde et le major, Berkeley et Bjerkefy. La pièce la plus foncée du puzzle, c'était le violent orage. Elle avait eu comme une crise de nerfs. Sa mère l'avait frottée énergiquement avec une serviette et mise au lit purement et simplement avec une bonne tasse de lait chaud au miel, et elle s'était endormie sur-le-champ.
— Je crois que je suis encore en vie, parvint-elle à balbutier.
— Mais enfin, quelle idée! Tu as même quinze ans aujourd'hui.
—Tu en es vraiment sûre ?
— Évidemment Tu penses qu'une mère peut oublier la date de naissance de son unique enfant? Le 15 juin 1975... à une heure et demie, Sophie. Je crois que cela a été le plus beau moment de ma vie.
— Et si tout cela n'était qu'un rêve?
— Ce ne serait en tout cas pas un rêve si désagréable que de se réveiller entourée de tartines beurrées, de jus d'orange et de cadeaux d'anniversaire.
Elle déposa le plateau avec les cadeaux sur une chaise et dis parut un instant de la chambre avant de revenir avec un autre plateau chaîné cette fois de tartines beurrées et de jus d'orange, qu'elle mit au pied du lit de Sophie.
Puis ce lut le traditionnel déballage de cadeaux qui remontait aussi loin dans le souvenir que possible, peut-être même jusqu'aux premiers gémissements du bébé qu elle avait été. Sa mère lui offrit une raquette de tennis. Elle n'avait encore jamais joué au tennis, mais il y avait des courts de tennis à cinq minutes de l'allée des Trèfles. Quant à son père, il lui avait fait parvenir une minichaîne avec écran de télévision et bande FM. L'écran n'était guère plus grand qu'une photo. Elle reçut aussi toutes sortes de menus présents de la part de vieilles tantes et d'amis de la famille.
— Veux-tu que je reste à la maison aujourd'hui? demanda sa mère au bout d'un moment
— Non, pourquoi ça?
— Tu n allais vraiment pas bien hier soir. Si ça continue, je pense qu'il serait plus sage d'aller consulter un psychologue.
— Non, je ne crois pas que ce soit nécessaire.
— C'était à cause de l'orage... ou bien à cause de cet Alberto?
— Et toi là-dedans? N'as-tu pas dit toi-même : « Mais qu'est-ce qui nous arrive, ma chérie ? »
— Je pense que si tu commences à traîner en ville et rencon trer des gens bizarres, c'est peut-être ma faute...
— Ce n'est la faute de personne si je suis un petit cours de philosophie quand je n'ai rien d'autre à faire. Allez, va à ton travail. On doit tous se retrouver à l'école à deux heures. On va nous remettre nos bulletins et il y a une petite fête après.
— Tu connais déjà tes notes ?
—J'aurai en tout cas de bien meilleures notes qu'au dernier trimestre.
Peu après le départ de sa mère, le téléphone sonna
— Allô, qui est à l'appareil?
— C'est Alberto.
— Ah!...
— Le major n'a pas lésiné sur les munitions hier.
— Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
— Je parle de l'orage, Sophie.
— Je ne sais pas trop ce que je dois en penser.
— C'est pourtant le premier devoir d'un vrai philosophe. Je suis assez fier de tout ce que tu as appris en si peu de temps, tu sais.
— Je crains que rien de tout ceci ne soit réel.
— C'est ce qu'on appelle l'angoisse existentielle, et qui n'est la plupart du temps qu une étape sur le chemin de la connais sance.
— Je crois que j ' ai besoin de faire une pause dans le cours.
— As-tu en ce moment beaucoup de grenouilles dans ton jardin?
Sophie ne put s'empêcher de rire.
— Je crois que nous ferions mieux de continuer, poursuivit Alberto. Bon anniversaire, du reste. D fout terminer ce cours avant la Saint-Jean. C'est notre dernier espoir.
— «Notre dernier espoir?
— Est-ce que tu es bien assise ? Cela va demander un peu de temps, tu comprends ?
— Ça va, je suis bien assise.
— Tu te souviens de Descartes ?
— « Je pense, donc je suis. »
— Si nous continuons cette mise en examen systématique, nous aboutissons à une impasse. A force de douter, nous ne savons même plus si nous pensons. Qui sait si nous n'allons pas finir par nous convaincre que nous ne sommes que des penses et que cela n'a rien à voir avec le fait de penser par soi-même? Nous avons de bonnes raisons de croire que nous sommes le fruit de l'imagination du père de Hiide qui, de cette manière, offre à sa fille restée à Lillesand une petite distraction pour son anniversaire. Tu me suis ?
— Oui...
— Mais il y a aussi une contradiction : si nous ne sommes que des créatures imaginaires, nous n'avons pas le droit de « croire » en quoi que ce soit. Et dans ce cas, toute cette conver sation téléphonique ne serait qu'une pure illusion.
— Et nous n'aurions pas non plus le moindre libre arbitre ou la moindre volonté. Le major nous dicterait nos propos et nos actes. Alors nous pourrions tout aussi bien raccrocher tout de suite.
— Non, là tu simplifies un peu trop.
— Explique-toi !
— Tu veux dire qu'un homme planifie tout ce que nous rêvons? Il est possible que le père de Hilde sache exactement tout ce que nous faisons. Echapper à sa conscience serait aussi difficile qu'échapper à sa propre ombre. Cependant —je suis en train de mettre sur pied un plan très précisément à partir de ce point —, rien ne nous permet d'affirmer que le major a déjà prévu tous les événements à venir. Il se peut qu il ne décide qu'au dernier moment, quand il écrit noir sur blanc ses idées. Et c'est dans ce laps de temps que nous pouvons peut- être imaginer que nous jouissons d une relative indépendance dans nos paroles ou nos actes. Il est clair que notre rayon d'action est fort limité comparé à la toute-puissance du major. Nous sommes en quelque sorte soumis aux circonstances exté rieures comme ces chiens qui se mettent à parler, ces avions qui laissent flotter des banderoles avec des félicitations d'anniver saire, ces bananes à messages et ces orages télécommandés. Nous ne devons pas toutefois exclure le fait que nous avons une volonté autonome, si infime soit-elle.
— Mais comment ça ?
— Le major sait tout de notre petit monde, cela va de soi, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il est tout-puissant. Nous devons en tout cas essayer de vivre comme s'il ne l'était pas.
— Je crois que je comprends ce que tu veux dire.
— Le fin du fin, ce serait de réussir à faire quelque chose de notre propre chef, sans que le major s'en aperçoive.
— Mais comment faire, si nous n'existons pas vraiment?
— Qui a dit que nous n'existons pas? La question n'est pas de savoir si nous existons, mais ce que nous faisons et qui nous sommes. Même s'il devait s'avérer que nous ne sommes que des pulsions de la conscience dédoublée du major, cela ne nous ôte pas pour autant notre petite existence.
— Ni notre libre volonté?
— C'est sur ce point que je travaille, Sophie.
— Mais le père de Hilde ne doit pas apprécier que tu « tra vailles «justement sur ce point?
— Non, pas du tout. Mais il ne connaît pas mon plan propre ment dit. Je tente de trouver le point d'Archimède.
— Le point d'Archimède?
— Archimède était un scientifique grec. « Donnez-moi un
point fixe et je soulèverai le monde », disait-il. C'est ce point qu'il s'agit de trouver pour déséquilibrer l'univers intérieur du major.
— Ce n'est pas une mince entreprise.
— Mais nous n'avons aucune chance d'y parvenir avant d'avoir terminé le cours de philosophie. Il exerce pour l'instant une pression beaucoup trop forte sur nous. Il a apparemment décidé que je devais te servir de guide à travers les siècles jusqu'à notre époque. Mais nous n avons que quelques jours devant nous avant qu'il ne prenne son avion quelque part au Moyen-Orient. Si nous n'arrivons pas à nous libérer de son imagination vraiment collante avant son arrivée à Bjerkely, alors nous sommes perdus.
— Tu me fais peur.
— Tout d'abord, il y a un certain nombre de choses à savoir sur le siècle des Lumières en France avant de pouvoir brosser à grands traits la philosophie de Kant et aborder ensuite le romantisme. Hegel marquera, nous le verrons, une étape déci sive. Ce qui nous amènera bien évidemment à parler de la cri tique indignée de Kierkegaard vis-à-vis de la philosophie hégé lienne. Nous devrons également dire quelques mots de Marx, Darwin et Freud. Si nous arrivons à conclure avec Sartre et l'existentialisme, notre plan peut réussir.
— C'est plutôt ambitieux comme programme pour une semaine !
— Commençons sans plus tarder. Tu peux venir tout de suite?
— Je dois d'abord passer à l'école. Il y a une petite fête et on doit nous distribuer nos bulletins.
— Laisse tomber ! Si nous ne sommes que pure conscience, le goût de la limonade et des gâteaux n'est que le finit de notre imagination.
— Mais mon bulletin ?
— Écoute, Sophie ! Soit tu vis dans un univers merveilleux sur un minuscule point du globe qui n'est qu'une galaxie parmi des centaines de milliards d'autres galaxies, soit tu déclenches des impulsions électromagnétiques dans la conscience d'un major. Et voilà que tu viens me parler de « bulletin » ! J'aurais honte à ta place !
— Excuse-moi.
— Bon, va faire un tour à l'école avant. Cela pourrait avoir une mauvaise influence sur Hilde si tu séchais le dernier jour de classe. Elle est plutôt du genre à aller à l'école même le jour de son anniversaire, car c'est un ange.
— Alors je passe tout de suite après.
— On peut se donner rendez-vous au chalet du major.
— Au chalet du major?
... clic!
Hilde laissa retomber le classeur sur ses genoux. Voilà que son père avait réussi à lui donner mauvaise conscience parce qu'elle avait séché le dernier jour. Ah ! le petit malin !
Elle se demanda en quoi pouvait consister le plan d'Alberto. Et si elle regardait à la dernière page ? Non, ce n'était pas bien, il valait mieux se dépêcher d'avancer dans l'histoire.
Il était un point sur lequel elle était sûre qu'Alberto avait raison. Son père contrôlait bien sûr ce qui arrivait à Sophie et Alberto, mais il ne pouvait néanmoins pas savoir tout ce qui allait se passer. Peut-être laissait-il sa plume courir sur le papier et ne se rendait compte que plus tard de ce qu'il avait écrit. C'était précisément dans ce laps de temps que résidait la liberté toute relative de Sophie et Alberto.
Hilde eut de nouveau la vive impression que Sophie et Alberto existaient vraiment. Sous la surface d'un océan par faitement calme peuvent se produire toutes sortes de phéno mènes en profondeur, se dit-elle.
Tiens, pourquoi cette image lui était-elle venue à l'esprit?
Ce n'était certainement pas une pensée à la surface de l'eau.
À l'école, on félicita Sophie pour son anniversaire et elle eut droit à la petite chanson habituelle. L'ambiance était particu lièrement gaie du fait qu'on venait de remettre les bulletins et de commencer la fête.
Après les recommandations d'usage, on lâcha les élèves dans la nature et Sophie rentra comme une flèche à la maison. Jorunn eut beau essayer de la retenir, elle cria qu'elle avait quelque chose d'urgent à faire.
Elle trouva deux cartes du Liban dans la boîte aux lettres qui toutes les deux disaient : « HAPPY BIKIHDAY — 15 YEARS ». C'étaient de banales cartes d'anniversaire.
La première carte était adressée à « Hilde Moller Knag, c/o Sophie Amundsen... » Mais l'autre carte était adressée à Sophie en personne. Toutes les deux portaient le cachet du « Contingent des Nations unies » du 15 juin.
Sophie lut d'abord la sienne :
Chère Sophie Amundsen,
C'est aussi aujourd'hui ton anniversaire, alorsje t'adresse toutes mes félicitations. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour Hilde jusqu 'ici.
Bien amicalement,
le major Albert Knag.
Sophie ne savait pas si elle devait ou non se réjouir de ce que le major lui adresse enfin personnellement une carte. En un sens, c'était plutôt touchant.
Le texte de la carte pour Hilde disait quant à lui :
Ma petite Hilde chérie,
Je ne sais queljour niquelle heure il est à Lillesand. Mais au fond quelle importance Y Si je ne me trompe, il n 'est pas encore trop tardpour te souhaiter une dernière (ou avant-dernière) fois un bon anniversaire d'ici. Mais il ne faut quand même pas trop traîner au lit ! Alberto va bientôt t'entretenir des idées au siècle des Lumières en France. Son cours porte sur les sept points suivants :
1. La révolte contre l'autorité
2. Le rationalisme
3. La pensée du siècle des Lumières
4. L'optimisme culturel
5. Le retour à la nature
6. La religion naturelle
7. Les droits de l'homme
Il était clair que le major ne les perdait pas de vue.
Sophie ouvrit la porte d'entrée et déposa son bulletin avec tous les « Très bien » sur la table de la cuisine. Puis elle ressor tit et se glissa sous la haie pour gagner la forêt
Elle dut retraverser le lac en barque. Alberto l'attendait sur le seuil de la porte et lui fit signe de venir s'asseoir à côté de lui.
Il faisait beau mais un petit air frais revigorant montait du lac, comme si l'orage ne s'était pas éloigné depuis longtemps.
— Allons droit au but, dit Alberto. Après Hume, le grand système philosophique fiit celui de Kant Mais la France comp tait au xvIIP siècle de nombreux penseurs. En fait on pourrait résumer en disant que l'Angleterre était le centre de la philo sophie au début, l'Allemagne au milieu et la France à la fin du xvIIF siècle.
— Un mouvement tournant, si je comprends bien.
— Tout à fait. Je vais passer en revue quelques-unes des pen sées générales partagées par la plupart des philosophes fiançais du siècle des Lumières. Je veux parler de grands noms comme Montesquieu, Voltaire, Rousseau et tant d'autres. J'ai choisi de traiter sept points principaux...
— Merci, je suis déjà au courant de tout ce qui va me tomber dessus, coupa Sophie en lui tendant la carte du père de Hilde.
— D aurait pu éviter de se donner ce mal, soupira Alberto. Bon, la première notion clé, c'est celle de révolte contre l'auto rité. De nombreux philosophes français s'étaient rendus en Angleterre qui à cette époque jouissait, sur bien des plans, d'une plus grande liberté que leur propre pays. Ils lurent fasci nés par la science expérimentale anglaise, tout spécialement par Newton et sa physique universelle, mais aussi par la philosophie britannique et Locke avec sa conception de la politique. En ren trant chez eux, ils se rebellèrent à leur tour contre les anciennes autorités. Il était essentiel d'avoir une attitude critique vis-à-vis de la tradition philosophique. L'idée était que l'individu seul doit être à même de répondre aux questions qu'il se pose. L'exemple de Descartes, on le voit, a fait des émules.
— Il avait tout repris à la base, lui.
— Justement Cette révolte contre l'autorité sous toutes ses formes s'adressait aussi bien au pouvoir de l'Église, du roi ou de la noblesse. Il faut dire qu'au xvIIF siècle ces institutions étaient beaucoup plus puissantes en France qu'en Angleterre.
— Alors ce fut la Révolution.
— En 1789, oui. Mais les nouvelles idées circulaient bien avant. Parlons à présent du rationalisme.
— Je croyais que la mort de Hume avait marqué la fin du rationalisme.
— Hume ne mourut qu'en 1776, c'est-à-dire environ vingt ans après Montesquieu et seulement deux ans avant Voltaire et Rousseau qui moururent tous deux en 1778. Tous les trois avaient été en Angleterre et connaissaient bien la pensée de Locke, qui, tu t'en souviens, n'avait rien d'un empiriste pur et dur. Selon lui, Dieu et certaines normes morales étaient innés dans la raison de l'homme. On retrouve cela en France au cœur de la philosophie des Lumières.
— Tu as dit à un moment que les Français ont toujours été plus rationalistes que les Britanniques.
— Cela remonte au Moyen Âge. Quand les Anglais parlent de common sense, les Français préfèrent dire « évidence ». On pourrait traduire l'expression anglaise par « bon sens » et le terme français par « ce qui s'impose clairement à l'esprit », c'est-à-dire la raison.
— Je comprends.
— Les philosophes du siècle des Lumières se situaient dans la tradition des humanistes antiques, tels Socrate et les stoï ciens, puisqu'ils avaient une foi inébranlable en la raison de l'homme. Aussi certains se contentèrent d'appeler le siècle des Lumières le siècle du « rationalisme ». La nouvelle science expérimentale avait établi que la nature suivait des règles bien précises. Les philosophes s'assignèrent comme tâche de jeter les bases rationnelles de la morale et de la religion. Cela nous mène à la pensée proprement dite du siècle des Lumières.
— C'était ton troisième point, non?
— Oui, il s'agissait maintenant d'« éclairer » les couches profondes de la population. C'était la condition sine qua non pour fonder une meilleure société. La misère et l'exploitation n'étaient selon eux que la conséquence de l'ignorance et de la superstition si répandues parmi le peuple. C'est pourquoi les philosophes de cette époque accordèrent une place primordiale à l'éducation du peuple et des enfants. Ce n'est pas un hasard si la pédagogie date du siècle des Lumières.
— Si je comprends bien, l'école date du Moyen Âge et la pédagogie du siècle des Lumières?
— S tu veux, oui. I,'œuvre marquante du siècle des Lumières fut une grande encyclopédie et cela est significatif.
Cette Encyclopédies 28 volumes parut de 1751 à 1772 avec la collaboration de tous les grands philosophes du siècle des Lumières. « On y trouve tout, disait-on, de la manière de fabri quer une aiguille à la manière de fondre un canon. »
— Tu voulais aussi parler de l'optimisme culturel.
— Tu ne pourrais pas laisser la carte de côté pendant que je te parle?
— Pardon.
— Ces philosophes pensaient qu'il suffisait de répandre la raison et la connaissance pour que l'humanité progresse à grands pas. Ce n'était qu une question de temps pour que Fignorance et la superstition cèdent la place à une humanité « éclairée ». Le progrès est une bonne chose s'il suit la lumière naturelle de la raison. Pour certains, le nouveau mot d'ordre fut le retour à la nature. Mais pour ces philosophes le mot « nature » signifiait presque la même chose que « raison ». Car la raison de l'homme est pour eux une donnée de la nature. Le « bon sau vage » fut cité en exemple parce qu'il n'était pas corrompu par
la « civilisation ». « Nous devrions retourner a la nature », telle est la formule de Jean-Jacques Rousseau. Car la nature est bonne et l'homme est, par nature, bon. Tout le mal réside en la société. L'enfant devrait, selon lui, avoir le droit de vivre dans son état d'innocence « naturelle » aussi longtemps que possible. Là encore le statut particulier de l'enfance date du siècle des Lumières, alors qu'avant ce n'était qu'une préparation à la vie d'adulte. Nous sommes en effet des êtres humains et vivons notre vie sur terre même lorsque nous sommes enfants.
— Ça paraît pourtant une évidence.
— Quant à la religion, il fallait qu'elle redevienne « natu relle ».
— Comment ça?
— La religion devait retrouver des racines rationnelles et beaucoup luttèrent pour imposer ce qu'on pourrait appeler une religion naturelle. C'est mon sixième point. De nombreux maté rialistes dignes de ce nom ne croyaient en aucun dieu et affi chaient un athéisme de bon aloi. Cependant, les philosophes du siècle des Lumières trouvaient qu'on ne pouvait concevoir un monde sans Dieu. Le monde était trop soumis à la raison pour envisager une telle possibilité. Newton partageait ce point de vue. La croyance en l'immortalité de l'âme relevait davantage
du domaine de la raison que de celui de la foi, exactement comme pour Descartes.
— Ça, c'est un peu bizarre, car c'est vraiment un exemple pour moi de ce qui relève typiquement de la foi et non du savoir.
— Mais tu ne vis pas au xvIIF siècle. Ce que les philosophes du siècle des Lumières voulaient, c'était dépoussiérer le chris tianisme de tous ces dogmes arbitraires et de ces professions de foi qui venaient se substituer au message de Jésus dans le cours de 1 histoire de l'Église.
— Là-dessus, je suis d'accord avec toi.
— Beaucoup se déclarèrent pour ce qu'on a appelé le déisme.
— C'est quoi?
— Le déisme est une conception selon laquelle Dieu a créé le monde il y a très, très longtemps, et ne s est pas manifesté depuis. Dieu se réduit donc à un « Être suprême » qui ne se révèle qu'à travers la nature et ses lois, et non de manière « sur naturelle ». Chez Aristote aussi nous avions trouvé la présence d'un « Dieu philosophique » : Dieu était la « première cause » ou le « premier moteur » de l'univers.
— Il ne reste plus qu'un dernier point et c'est la question des droits de l'homme.
— C'est peut-être le point le plus important de tous. En effet, les philosophes français du siècle des Lumières avaient un sens pratique beaucoup plus développé que leurs compatriotes anglais.
— Ils mettaient en pratique leurs théories philosophiques ?
— Oui, ils luttaient pour la reconnaissance des « droits naturels » des citoyens. Il s'agissait tout d'abord de la censure, c'est-à-dire de la liberté d'expression, dans le domaine de la religion, de la morale et de la politique. Chacun devait pouvoir penser librement et exprimer ses convictions. Et il s'agissait aussi de lutter contre l'esclavage et d'adoucir le traitement des criminels.
— Difficile de ne pas être d'accord sur tous ces points, je trouve.
— Le principe de l'« inviolabilité de tout individu » est exposé
à la fin de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui fiit rédigée par l'Assemblée nationale française en 1789. La Consti tution norvégienne de 1814 s'en est très largement inspirée.
— Et pourtant il y en a tant qui se battent encore au jourd'hui pour faire reconnaître leurs droits !
— Oui, malheureusement. Les philosophes des Lumières voulaient établir les droits inaliénables de chaque individu, du seul fait qu'il est né homme. C'est ce qu'on entend par droits « naturels » et qui bien souvent s'oppose aux lois en vigueur dans tel ou tel pays. Et c'est au nom de ce « droit naturel » que des personnes ou des couches de population se révoltent pour conquérir un peu plus de liberté et d indépendance.
— Et qu'en est-il du droit des femmes ?
— La révolution de 1789 établissait un certain nombre de droits qui valaient pour tous les « citoyens ». Il est clair qu'on entendait surtout par là les hommes. Cependant, c'est précisé ment sous la Révolution française que nous voyons les premiers mouvements de lutte des femmes.
— Ce n'était pas trop tôt!
— Dès 1787, le philosophe Condor cet publia un écrit sur les droits des femmes, où il déclare que les femmes ont les mêmes « droits naturels » que les hommes. Sous la Révolution, les femmes furent fort actives dans le combat contre l'Ancien Régime. Elles étaient par exemple à la tête des manifestations qui contraignirent le roi à s'enfuir du château de Versailles. A Paris, il y eut plusieurs salons tenus par des femmes qui revendiquaient les mêmes droits politiques que les hommes mais aussi des réformes concernant le mariage et le statut social de la femme.
— Est-ce qu'elles obtinrent gain de cause ?
— Non. Comme bien souvent, ces questions étaient liées au contexte général d'une révolution. Dès la Restauration, on revint à l'ordre social traditionnel avec la domination mascu line habituelle.
— C'est toujours la même chose...
— Une de celles qui luttèrent pour l'égalité des droits entre hommes et femmes fut Olympe ae Gouges. En 1791, deux ans donc après la Révolution, elle publia une Déclaration sur les droits des femmes, puisqu'elles n'avaient pas eu voix au cha pitre dans la fameuse Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
— Et alors?
— Elle fut guillotinée en 1793 et toute action politique fut désormais interdite aux femmes.
— Mais c'est incroyable !
— Il fallut attendre le xixe siècle pour qu'il y eût un nouveau mouvement des femmes en France et dans toute l'Europe. Petit à petit, les femmes gagnèrent du terrain et en Norvège, par exemple, elles obtinrent en 1913 le droit de vote. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir quand on voit ce qui se passe dans certains pays.
— Pour ça, oui.
Alberto se tut un instant et regarda le lac.
— Voilà en gros ce que je tenais à t'apprendre sur le siècle des Lumières, dit-il au bout d'un moment
— Pourquoi « en gros » ?
— Je crois que je n'ai plus grand-chose à dire sur le sujet.
Pendant qu il prononçait ces mots, il se passait quelque
chose là-bas, au milieu du lac. L'eau semblait bouillonner et, surissant des profondeurs, une forme énorme et hideuse appa rut a la surface de l'eau.
— Un serpent de mer ! hurla Sophie.
La créature monstrueuse sortit plusieurs fois hors de l'eau avant de replonger dans les profondeurs et de laisser la surface de l'eau redevenir aussi calme qu'auparavant
Alberto avait détourné le regard.
— Allez, on rentre, dit-il.
Ils se levèrent et entrèrent dans le chalet.
Sophie se plaça devant les tableaux de Berkeley et Bjerkefy. Elle montra du doigt ce dernier :
— Je crois que Hilde habite quelque part à l'intérieur du tableau.
Entre les tableaux se trouvait à présent une tapisserie sur laquelle étaient brodées en lettres capitales : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, IMIHWIK
— C'est toi qui l'as accrochée là? demanda Sophie en se tournant vers Alberto.
Celui-ci se contenta de secouer la tête en faisant une grimace de découragement.
A cet instant, Sophie aperçut une enveloppe posée sur le rebord de la cheminée. Elle portait la mention : Pour Hilde et Sophie. Inutile de demander de la part de qui, mais que son nom à elle y soit aussi était pour le moins surprenant.
Elle ouvrit l'enveloppe et lut à haute voix :
Mes chères petites,
Le professeur de philosophie de Sophie aurait dû insister sur le fait que les Nations unies reposent sur les idéaux et les principes des philosophes français du siècle des Lumières. C 'est ce slogan de «Liberté, égalité, fraternité» qui a soudé ensemble tout le peuple français. Il faudrait que ces mêmes mots unissent aujourd 'huile monde entier. Toute la terre devrait plus que jamais ne former qu 'une seule grande famille. Nos descendants sont nos propres enfants et petits-enfants. De quel monde vont-ils hériter ?
La mère de Hilde lui cria que Derrick commençait dans dix minutes et qu'elle avait mis la pizza au four. Hilde se sentait complètement épuisée après tout ce qu'elle avait lu. Elle était réveillée depuis six heures ce matin.
Elle prit la décision de passer le reste de la journée avec sa mère et de la laisser fêter son anniversaire comme elle l'entendait. Mais elle avait une dernière chose à vérifier dans son encyclopédie.
Gouges... Non. De Gouges ?Rien non plus. Et Olympe de Gouges! Toujours rien! Son encyclopédie ne disait pas un traître mot de celle qui fut guillotinée à cause de son engage ment politique pour la lutte des femmes. N'était-ce pas vrai ment scandaleux ?
Elle n'était pourtant pas un personnage inventé par son père.
Hilde se précipita au rez-de-chaussée pour chercher le Grand Larousse.
— Je veux juste vérifier quelque chose, lança-t-elle à sa mère interloquée.
Elle emporta le volume qui allait de F à G et remonta dans sa chambre.
Gouges... Ah ! enfin !
« Gouges, Marie Olympe (1748-1793), écrivain français qui joua un grand rôle sous la Révolution en publiant notam ment de nombreux pamphlets sur les questions sociales et des
pièces de théâtre. Elle fut une des rares femmes à revendiquer l'égalité des droits entre les hommes et les femmes et publia en 1791 une Déclaration des droits des femmes. Fut guilloti née en 1793 pour avoir osé défendre Louis XVI et critiquer Robespierre (L. Lacour, les Origines du féminisme contem porain, 1900). »
Kant
...le ciel étoile au-dessus de ma tête et la loi
morale en moi...
Vers minuit seulement le major Albert Knag appela chez lui pour souhaiter un bon anniversaire à sa fille Hilde. C'est la mère de Hilde qui décrocha.
— C'est pour toi, Hilde !
— Allô?
— C'est Papa.
— Ça ne va pas non, il est presque minuit !
— Je voulais juste te souhaiter un joyeux anniversaire...
— Mais tu n'as fait que ça toute la journée ! —...je voulais attendre la fin de la journée.
— Pourquoi ça ?
— Tu n'as pas reçu mon cadeau?
— Ah si ! Merci beaucoup.
— Ne me fais pas marcher. Ça te plaît?
— C'est vraiment génial. Je n'ai presque rien pu avaler de la journée, tellement c'est passionnant.
— Mais il faut que tu manges !
— J'ai trop envie de savoir la suite.
— Tu en es où? Allez, dis-le-moi, Hilde î
— Eh bien, ils sont entrés dans le chalet parce que tu as commencé à les taquiner avec un serpent de mer...
— Ah ! le siècle des Lumières.
— Et Olympe de Gouges.
— Alors je ne me suis pas tant trompé que cela.
— Comment ça « trompé » ?
— Il reste, si je ne me trompe, encore une fois où je te
souhaite un bon anniversaire. Mais ce sera en musique, cette fois.
— Je continuerai un peu au lit ce soir.
— Tu y comprends quelque chose ?
— J'ai plus appris en un seul jour que pendant toute ma vie. Quand je pense que ça fait à peine vingt-quatre heures que Sophie a trouvé la première enveloppe en rentrant de l'école !
— Il suffit parfois de pas grand-chose.
— Maisj'ai un peu pitié d'elle.
— De Maman ?
— Mais non, de Sophie, voyons !
— Oh!...
— Elle ne sait plus où elle en est, la pauvre.
— Mais ce n'est qu'un... je veux dire...
—... qu'un personnage inventé de toutes pièces, c'est ça?
— Oui, à peu près.
— Moi, je crois que Sophie et Alberto existent vraiment quelque part.
— On en reparlera quand je rentrerai.
— D'accord.
— Passe une bonne journée, Hilde.
— Qu'est-ce que tu viens de dire?
— Euh, bonne nuit, je voulais dire.
— Bonne nuit.
Quand Hilde se coucha ce soir-là, il faisait encore si clair dehors qu'elle pouvait voir le jardin et plus loin la baie. Le soleil ne se couchait pas à cette époque de l'année.
Elle s'amusa à s'imaginer peinte sur un tableau accroché au mur dans un petit chalet perdu dans les bois. Pouvait-on jamais sortir du cadre etjeter un coup d'œil à l'extérieur?
Avant de s'endormir, elle ouvrit à nouveau le grand classeur.
Sophie reposa la lettre de Hilde sur la cheminée.
— Ce qu'il dit sur les Nations unies est loin d'être idiot, laissa tomber Alberto, mais je n'aime pas qu'il se mêle de ma façon de présenter les choses.
— Ne prends pas ça tant à cœur.
— Désormais, je vais en tout cas ignorer tous les phénomènes extraordinaires du genre serpent de mer. Allons nous asseoir près de la fenêtre. Je vais te parler de Kant.
Sophie remarqua une paire de lunettes qui était posée sur un guéridon entre deux fauteuils. Les verres étaient rouges. S'agissait-il de lunettes de soleil particulièrement sombres?
— Il est presque deux heures, dit-elle. Il faut que je sois ren trée avant cinq heures, car ma mère a certainement prévu quelque chose pour mon anniversaire.
— Ça nous laisse trois heures.
— Je t'écoute.
— Emmanuel Kant, dont le père était bourrelier, naquit en 1724 à Kônigsberg (aujourd'hui Kaliningrad) en Prusse Orien tale et y vécut presque toute sa vie. Il mourut à l'âge de quatre- vingts ans. Il eut une éducation piétiste fort rigoureuse, ce qui est un élément déterminant de toute sa philosophie. Comme pour Berkeley, il lui paraissait essentiel de sauver les fonde ments de la foi chrétienne.
— Pour Berkeley, merci, ça suffit comme ça.
— Kant est également le premier philosophe que nous étu dions à avoir occupé une chaire de philosophie à TUniversité. Il était en quelque sorte un « philosophe professionnel ».
— Un philosophe professionnel?
— Le terme « philosophe » recouvre de nos jours deux sens légèrement différents : un « philosophe » est d'abord quelqu'un qui essaye de trouver ses propres réponses aux problèmes phi losophiques qu'il se pose. Mais il peut aussi être un spécialiste de 1 histoire de la philosophie sans pour autant développer sa propre philosophie.
— Et Kant était un de ces philosophes professionnels ?
— Il était les deux. S'il avait juste été un bon professeur, c'est-à-dire un spécialiste de la pensée des autres philosophes, fl n'aurait eu aucune place dans r histoire de la philosophie. Cela dît, il connaissait en profondeur la tradition philosophique qui le précédait. Il connaissait la pensée des rationalistes comme Descartes ou Spinoza et des empiristes comme Locke, Berkeley ou Hume.
—Je t'ai déjà dit de ne plus me parler de Berkeley !
— Tu te rappelles que, pour les rationalistes, la raison de l'homme constitue le fondement de toute connaissance, alors que les empiristes soutiennent que seuls nos sens nous permet tent de connaître le monde. Hume avait en outre clairement montré les limites des conclusions auxquelles nos impressions nous font aboutir.
— Et Kant était d'accord avec qui?
— Selon lui, les deux avaient à la fois raison et tort. La ques tion était bien de savoir quelle connaissance nous pouvons avoir du monde et ce projet philosophique était commun à tous les philosophes depuis Descartes. Mais il s'agissait maintenant de savoir si le monde était tel que les sens le percevaient ou tel que nous le représente la raison.
— Alors, quel était l'avis de Kant?
— La perception et la raison jouent, selon lui, toutes les deux un grand rôle, mais il trouvait que les rationalistes accordaient trop de pouvoir à la raison et que les empiristes se limitaient trop à leurs expériences sensibles.
— Tu ne pourrais pas donner un exemple pour que ce soit plus concret?
— Que l'expérience de nos sens soit à l'origine de toute connaissance, cela il l'admet volontiers à la suite des empi ristes, mais il ajoute que notre raison seule possède les condi tions requises pour analyser comment nous percevons le monde.
— C'est ça ton exemple ?
— Passons aux travaux pratiques. Tiens, va prendre les lunettes sur la table. Merci... Mets-les sur le nez!
Sophie mit les lunettes et tout autour d'elle devint rouge. Les couleurs pâles devenaient rose pâle et les couleurs sombres, rouge foncé.
— Qu'est-ce que tu vois ?
— La même chose qu'avant, mais en rouge.
— C'est parce que les verres déterminent ta manière de voir le monde. Tout ce que tu vois vient bien du monde extérieur, mais comment tu vois, ça, c'est une question de lunettes. Tu ne peux quand même pas affirmer que le monde est rouge juste parce que c'est ainsi que tu le perçois.
— Bien sûr que non !
— Si tu marchais en forêt ou si tu rentrais chez toi, tu verrais
tout comme avant, à la seule différence que tout ce que tu ver rais serait rouge.
— Oui, si je n'enlève pas les lunettes.
— Eh bien, de la même façon, Kant pensait que notre raison dispose de certaines facultés qui déterminent toutes nos expé riences sensibles.
— C'est quoi, ces facultés?
— Quelle que soit notre expérience sensible, elle s'inscrit obligatoirement dans l'espace et le temps. Kant appelait l'« espace » et le « temps » les deux « formes a priori» de la sen sibilité de l'homme, c'est-à-dire qu'elles précèdent toute expé rience. Cela signifie que nous savons à l'avance que toute expé rience sera inscrite dans le temps et l'espace. Nous ne pouvons pas en effet enlever les « lunettes » de la raison.
— Il pensait que concevoir les choses dans l'espace et le temps, c était inné?
— Oui, d'une certaine manière. Ce que nous voyons dépend certes du fait de grandir en Inde ou au Groenland, mais, ou que nous soyons, le monde n'est qu'une somme de phénomènes ins crits dans le temps et l'espace.
— Mais le temps et l'espace existent en dehors de nous?
— Non. Kant insiste bien sur ce point : le temps et l'espace sont des éléments constitutifs de l'homme. Ce sont avant tout des structures intuitives qui ne relèvent pas du monde.
— C'est une tout autre façon de voir les choses.
— La conscience de l'homme n'est pas une feuille blanche où s'inscriraient de fàçon « passive » les impressions de nos sens. C'est au contraire une instance éminemment active, puisque c'est la conscience qui détermine notre conception du monde. Tu peux comparer avec une carafe d'eau : l'eau vient remplir la forme de la carafe. De la même façon, nos perceptions se plient à nos deux « formes a priori» de la sensibilité.
— Je commence à comprendre.
— Kant affirmait que si la conscience est formée à partir des choses, les choses à leur tour sont formées à partir de la conscience. Ce dernier point est ce que Kant a lui-même sur nommé sa « révolution copernicienne » dans le domaine de la connaissance. D voulait dire par là que c'était une façon de pen ser aussi radicalement neuve que pouvait l'être la théorie de Copernic en son temps, quand celui-ci affirma que la Terre
tournait autour du Soleil et non le contraire. Quant à la loi de causalité (pe l'homme, selon Hume, ne pouvait pas connaître par expérience, Kant considère qu'elle fait partie de la raison.
— Explique !
— Tu te rappelles ce que Hume prétendait : l'habitude seule nous fait croire à un enchaînement logique des phénomènes dans la nature. Kant, lui, considère justement comme une qua lité innée de la raison ce qui chez Hume était indémontrable. La loi de causalité prévaudra toujours, tout simplement parce que l'entendement de l'homme considère chaque événement dans un rapport de cause à effet.
—J'aurais plutôt tendance à croire que la loi de causalité se trouve plus à 1 origine dans les choses que dans les hommes.
— Pour Kant, fl n'y a aucun doute : nous portons cette loi en nous. D veut bien admettre comme Hume que nous ne pouvons avoir aucune certitude sur la vraie nature du monde « en soi ». Nous pouvons seulement connaître comment le monde est « pour moi », c'est-à-dire pour nous, les êtres humains. Cette différence entre das Ding an sich et das Dingfurmich est le point essentiel de la philosophie de Kant.
— Bof, tu sais, moi l'allemand...
— Kant distingue la « chose en soi » et « la « chose pour moi ». Sans pouvoir nous avancer sur le terrain de la « chose en soi », nous sommes néanmoins en mesure de dire à la suite de chaque expérience comment nous concevons le monde.
— Ah !tu crois ?
— Avant de sortir le matin, même si tu n'as aucune idée de ce que tu vas voir ou vivre au cours de la journée, tu sais que de toute façon ce sera inscrit dans l'espace et le temps. Quant à la loi de causalité, tu sais aussi qu'elle fait partie de ton esprit.
— Tu veux dire qu'on aurait pu être créé différemment?
— Bien sûr. Nous aurions pu être dotés d'un tout autre sys tème perceptif qui aurait modifié notre expérience du temps et de l'espace. Nous aurions pu aussi ne pas nous intéresser aux relations de cause à effet dans le monde qui nous entoure.
— Tu n'aurais pas des exemples?
— Imagine-toi un chat couche dans le salon. Une balle se met à rouler à travers la pièce. Que va faire le chat à ton avis ?
— Oh ! c'est très simple : le chat va courir après la balle.
— D'accord. Imagine maintenant que c'est toi qui es dans la pièce. Aurais-tu eu la même réaction que le chat?
— Non, je pense que je me serais d'abord retournée pour voir d'où venait la balle.
— Parce que tu es un être humain, tu es portée à t'interroger sur la cause de chaque événement. La loi de causalité est inhé rente à la constitution de l'être humain.
— Ah ! vraiment?
— Pour Hume, il était impossible de sentir ou de démontrer ces lois naturelles. Kant, au contraire, refusait d'admettre cela. Pour lui ces lois existent puisque c'est notre faculté de connaître qui organise la connaissance, et non point les objets qui la déterminent.
— Est-ce qu'un petit enfant se serait aussi retourné pour savoir qui avait fait rouler la balle ?
— Peut-être pas. Mais Kant dit bien que la raison n'est pas complètement développée chez un petit enfant avant qu'il n ait vraiment un grand champ d'expérience à sa disposition. À quoi cela servirait-il de parler d'une raison vide, sans objet?
— Non, ce serait plutôt absurde.
— Résumons-nous : d'un côté nous avons les éléments exté rieurs que nous ne pouvons pas connaître avant d'en avoir fait l'expérience et c'est ce que nous appelons la matière de la connaissance. De l'autre nous avons les caractéristiques de la raison humaine, comme par exemple de concevoir chaque évé nement dans l'espace et le temps ou encore de le situer dans un rapport de cause à effet : c'est ce qu'on peut appeler la forme de la connaissance.
Alberto et Sophie restèrent un moment silencieux à regarder par la fenêtre. Soudain apparut une petite fille entre les arbres de l'autre côté du lac.
— Regarde! s'écria Sophie. Qui est-ce?
— Je n'en ai pas la moindre idée.
Elle se montra quelques instants, puis disparut. Sophie eut juste le temps de remarquer qu'elle avait quelque chose de rouge dans les cheveux.
— De toute façon, nous n'allons pas nous laisser distraire par ce genre d'apparitions.
— Bon, alors continue !
— Kant précise que la connaissance humaine a des limites
bien précises. Les « lunettes » de la raison, si tu veux, imposent certaines limites.
— Comment ça?
— Tu te souviens que les philosophes avant Kant s'étaient
f
iosé les « grandes » questions philosophiques, à savoir si 'homme a une âme immortelle, s'il existe un dieu, si la nature est constituée de minuscules particules ou encore si l'univers est fini ou infini...
— Oui.
— Eh bien Kant pensait que répondre à ces questions n'était pas du ressort de l'homme. Cela ne veut pas dire qu'il les refu sait, bien au contraire, car dans ce cas il n'aurait pas été un vrai philosophe.