Chapitre XVI

Les quatre voitures roulaient à plus de 180 sur l’autoroute Bruxelles-Amsterdam-Rotterdam. La première était une voiture de la Gendarmerie Royale Belge, où avaient pris place deux douaniers belges avec le dossier du Gur Mariner. Des douaniers hollandais, prévenus, attendaient à la capitainerie du port de Rotterdam.

La seule façon d’empêcher le Gur Mariner d’appareiller était de trouver un délit douanier : l’exportation de matériel non conforme à destination d’un pays sous embargo.

Morton Baxter conduisait la deuxième voiture, Malko à côté de lui. Pamela Balzer était serrée entre les deux « gorilles » à l’arrière. Elle n’avait jamais voulu rester seule à l’Amigo, même sous la protection d’Elko Krisantem… Les deux autres véhicules étaient bourrés d’agents de la CIA, en protection avec un représentant du Ministère des Affaires Étrangère israélien. Israël continuait à nier toute participation dans le meurtre de Georges Bear.

L’autoroute se déroulait devant les phares, rectiligne et monotone et ni Malko, ni les autres ne disaient mot, n’avaient envie de parler, isolés dans leurs pensées. Enfin, le panneau indiquant Rotterdam apparut dans les phares. Ils roulèrent encore près de vingt minutes avant d’atteindre le quai principal où se trouvait la capitainerie. Plusieurs voitures officielles étaient stationnées devant.

Morton Baxter pénétra le premier, suivi de Malko. Une demi-douzaine d’hommes s’y trouvaient déjà, dont deux portaient le képi des douanes hollandaises. Les présentations furent rapides.

Le Gur Mariner a appareillé ! annonça d’emblée le capitaine du port.

Malko sentit son sang se mettre à bouillir.

— Comment ! Vous avez dit qu’il ne partait que demain matin !

Hier en fin d’après-midi, lorsque la capitainerie vous a dit qu’il était à quai, ils n’ont pas vérifié physiquement. Lorsqu’ils ont envoyé un marin, c’était trop tard. Le Gur Mariner était parti sans même payer ses taxes de port et en laissant une passerelle à quai.

Morton Baxter s’assit, les jambes coupées.

Vous n’avez eu aucun contact avec lui, depuis ? demanda-t-il.

Aucun. D’ailleurs, il n’y avait pas de raison : il n’a pas demandé de remorqueur.

— Où peut-il se trouver maintenant ?

Le Hollandais effectua un rapide calcul.

— Voyons, il doit filer treize ou quatorze nœuds… En ce moment, il doit être au large de chez vous, prêt à entrer dans la Manche… Le temps est beau.

Donc, dans les eaux internationales… Pamela Balzer, appuyée à une cloison, faisait la tête, lorgnée en douce par les occupants de la capitainerie qui se demandaient visiblement ce que venait faire une créature de rêve de son espèce dans un port à cinq heures du matin. Elle n’avait pas vraiment le physique des filles qui rôdaient dans le coin… Malko se tourna vers Morton Baxter et demanda à voix basse :

— On ne peut rien tenter ?

L’Américain secoua négativement la tête.

Impossible. Ce serait de la piraterie, il est en haute mer. Il faut simplement prévenir tous les ports où il est susceptible de relâcher. Pour l’empêcher de repartir. On ne peut quand même pas le couler avec un sous-marin. D’autant qu’il bat pavillon des Bahamas.

Malko se raccrocha à une dernière idée.

— Et si mon raisonnement était faux ? Si ce Gur Mariner n’avait rien à voir avec notre histoire ?

Un des Hollandais qui avait entendu la question se mit à parler flamand avec le représentant de la Gendarmerie Royale, qui traduisit aussitôt.

— Ils ont effectué une petite enquête dans les bistrots du coin depuis tout à l’heure. Le Gur Mariner est resté une quinzaine de jours. Il ne payait pas de mine. Une partie de l’équipage ne descendait jamais à terre. Ils avaient la peau foncée. Pakistanais ou Arabes. D’ailleurs, ceux qui descendaient, parlaient arabe et avaient beaucoup d’argent. Ils n’ont pas cessé de monter avec les filles.

Le chef de la capitainerie ajouta :

— Moi, j’avais remarqué que pour un rafiot de cette qualité, le Gur Mariner avait des antennes radio très au-dessus de la moyenne. Il était équipé comme certains chalutiers soviétiques qui font de l’espionnage. En plus, personne n’avait le droit de monter à bord : même pas les fournisseurs. Il y avait toujours deux hommes à la coupée. Il me semble qu’ils étaient armés.

— Savez-vous ce qu’ils ont chargé ?

Pas exactement, il faudrait demander aux grutiers. Mais il s’agissait de matériel lourd. Il y a même eu un camion immatriculé dans un pays de l’Est. La DDR ou la Roumanie, je ne me souviens pas. Cela m’avait frappé, parce que le chauffeur était de nationalité britannique. Il était venu téléphoner ici.

— Il est parti avec eux ?

— Non, je ne crois pas.

Il n’y avait plus rien à faire. Ils prirent congé les uns des autres, un goût amer dans la bouche. Dès qu’ils furent seuls, Morton Baxter lança à l’Israélien avec une ironie amère :

J’ai l’impression que vous pouvez commencer à creuser des abris ! À cause de votre connerie. La mort de Georges Bear les a affolés, ils ont avancé leur départ et maintenant…

L’Israélien ne pipa mot et ils remontèrent tous en voiture. Malko se dit qu’il n’avait plus qu’à retrouver le château de Liezen. Une heure trente de route de nouveau. Lorsqu’ils arrivèrent devant l’Amigo, épuisés par cette nuit sans sommeil, le soleil se levait. Pamela Balzer suivit Malko sans un mot dans sa chambre, se déshabilla et se coucha.

Que faites-vous ? demanda-t-il.

Je ne vous quitte plus, dit-elle simplement. Vous m’avez mise dans la merde, vous allez m’en sortir.

Comment ?

Elle eut un haussement d’épaules indifférent.

— Je m’en fous ! Soit vous me récupérez mon fiancé, soit vous me gardez. Je sais faire pas mal de choses et je suis sympa. Apparemment, vous êtes dans un drôle de trip. Je peux rendre des services.

Malko se voyait très bien débarquer à Liezen avec Pamela Balzer. Cela se terminerait à la carabine à éléphant. Alexandra était d’une jalousie de tigresse, qui n’avait d’égale que son infidélité. Il valait mieux tenter d’arracher le jeune duc de Wittenberg aux griffes de Mandy Brown…

Il eut du mal à s’endormir, pensant au rafiot en train de tranquillement traverser la Manche, sa cargaison de mort dans ses flancs. Il eût été si simple de le couler ! Seulement, le monde civilisé était désarmé contre le terrorisme d’État. Pourtant, s’il arrivait à destination, le Moyen-Orient risquait un embrasement mortel, et Israël l’anéantissement pur et simple.


* * *

Tarik Hamadi contempla avec satisfaction le télex codé qu’il venait de recevoir du Gur Mariner. Le cargo était parti sans encombre et filait vers sa destination finale : le port d’Akaba en Jordanie. C’était plus sûr que de se rendre dans le Chott El Arab, à portée de canon des Iraniens. On a beau être en paix, les sentiments demeurent. Et la Savama serait ravie de donner un coup de main au Grand Satan contre l’ennemi héréditaire irakien. Tandis que les Jordaniens, qui avaient terriblement besoin d’argent, ne posaient pas de questions.

D’Akaba, le chargement rejoindrait par la route les points d’éclatement…

Jusque-là, il n’y avait rien à craindre. Le Gur Mariner appartenait à une société des Bahamas contrôlée par les Services irakiens. Son équipage était composé en partie d’hommes du Service « action » lourdement armés. À part un torpilleur ou un sous-marin, ils pouvaient repousser n’importe quelle attaque maritime. Ils avaient même des missiles mer-mer, dissimulés dans une construction sur le pont…

Il était finalement satisfait : son travail avait consisté à rassembler et à acheminer tous les éléments du plan Osirak. C’était fait.

Il ne restait plus qu’à régler le cas de Pamela Balzer, mais cela attendrait un peu.

Tarik Hamadi sortit une bouteille de Johnny Walker Carte Noire d’une armoire et s’en versa une grande rasade avec juste de la glace. Se demandant avec qui il allait dépenser son trop-plein d’énergie. Pamela Balzer étant hors du circuit.


* * *

Deux jours s’étaient écoulés. Morton Baxter avait demandé à Malko de rester à Bruxelles, tant que l’affaire ne lui serait pas retirée par Langley. En plus, il avait besoin de lui pour rédiger ses rapports. Pendant ce temps, Pamela Balzer continuait à se ronger les ongles à l’Amigo.

Malko avait téléphoné à son fiancé, le duc de Wittenberg. Comme il l’avait pensé, Mandy Brown s’en était vite lassée et avait repris l’avion pour Londres. Du coup, Pamela Balzer lui paraissait de nouveau avoir toutes les qualités du monde. Seulement, il était un peu gêné après ce qui s’était passé.

Comment va-t-elle m’accueillir ? avait-il demandé.

Très bien, si vous arrivez avec un diamant, avait affirmé Malko qui connaissait les femmes. Encore mieux si c’est un très gros diamant en forme de bague de fiançailles.

Depuis, il n’avait plus de nouvelles…


* * *

Le Gur Mariner filait dans l’Atlantique, surveillé par les appareils de l’aéronavale britannique et américaine. Droit vers le sud, se préparant à contourner l’Espagne pour entrer en Méditerranée. Ensuite, ce serait le Canal de Suez et le golfe d’Akaba.

Pour la suite, il fallait voir les chancelleries. Les Américains avaient déjà expédié notes sur notes aux Irakiens, qui faisaient la sourde oreille… Quant aux Soviétiques, empêtrés dans leurs problèmes intérieurs, ils avaient laissé entendre que la vitrification du Moyen-Orient n’était, après tout, pas la pire des solutions…

La secrétaire de Morton Baxter passa la tête et annonça :

Monsieur Robert Schwartzenberg.

Qu’il entre.

Il fit signe à Malko qui se préparait à sortir de rester. C’était le représentant du Mossad en Belgique ; un homme corpulent, aimable, avec d’énormes sourcils broussailleux et l’air négligé. Il serra chaleureusement la main des deux hommes. Perfidement, l’Américain demanda :

— Il n’y a rien de nouveau sur le meurtre de Georges Bear ?

Rien, affirma sans rire le représentant du Mossad. Mais j’ai une communication à vous faire.

Une bonne nouvelle ?

Très bonne ! D’abord je suis chargé de vous transmettre les félicitations de mon gouvernement sur la façon dont votre Agence a mené son enquête sur le plan Osirak. Une commission d’enquête diligentée par notre Premier Ministre va tenter de savoir pourquoi nos propres Services, d’habitude excellents, n’ont pas eu vent de cette affaire qui met gravement en péril la sécurité d’Israël.

L’Américain attendait la fin du laïus, méfiant. Quand les Israéliens se mettaient à être gentils, c’est qu’ils avaient quelque chose à demander.

Je vous remercie, dit le chef de station de la CIA, je vais transmettre ce message à ma Centrale où vous comptez beaucoup d’amis.

L’Israélien approuva avant de continuer :

Je voulais aussi vous dire qu’il ne faut pas regretter que le Gur Mariner vous ait échappé. Je vous apprends sous le sceau du secret que nous venons de prendre des dispositions pour qu’il n’atteigne pas sa destination finale.

Vous allez le couler ?

Le représentant du Mossad eut un sourire mystérieux.

Il m’est impossible de vous en dire plus, mais jamais les Irakiens ne recevront le chargement de ce cargo.

Vous avez pu avoir des précisions sur ce qu’il a chargé à Rotterdam ? interrogea Malko.

Quelques-unes. Il s’agit effectivement des pièces les plus importantes du super-canon de Georges Bear qui ont été fabriquées un peu partout en Europe. Celles-là ne pouvaient pas passer pour des éléments de pipe-line et les Irakiens ont donc décidé un acheminement spécial. D’autre part, certaines informations nous font penser que les quarante krytrons dérobés à l’aéroport de Roissy se trouvent également sur ce navire, sous la garde des Services Spéciaux irakiens.

— J’espère que vous nous les rendrez, commenta l’Américain goguenard, si vous arraisonnez le Gur Mariner.

L’Israélien eut un sourire entendu.

— Certainement. Nous n’en avons pas l’utilité…

Évidemment : ils savaient les fabriquer… Malko n’en revenait pas de ce dénouement. Tout ce qu’il avait fait n’avait donc pas été inutile. L’Israélien prit congé rapidement et le chef de station de la CIA lui dit :

— Je sais que sans votre perspicacité et votre flair, nous n’aurions jamais rien découvert… Une fois de plus, vous vous êtes superbement débrouillé. Que comptez-vous faire maintenant ?

— Retourner en Autriche, annonça Malko avec un sourire. C’est la saison des réceptions, le mois de juin. Il y a bal tous les soirs. J’en ai déjà manqué trop.

Il y avait aussi Alexandra à reconquérir… Elle était revenue de son mystérieux voyage et Malko avait hâte de se réconcilier avec elle.


* * *

Un homme attendait dans le hall de l’Amigo et sauta de son fauteuil en apercevant Malko. Chris Jones avait pratiquement déjà dégainé lorsque Malko l’arrêta.

— Attendez, je le connais !

C’était Kurt de Wittenberg, le fiancé de Mandy Brown et de Pamela Balzer… Malko aperçut la call-girl derrière lui, resplendissante dans un tailleur blanc flambant neuf, doublé de violet, dont la jupe se relevait d’un côté comme une corolle, pratiquement jusqu’à l’aine. À travers la veste, il pouvait voir la dentelle d’un bustier mauve, extrêmement bien rempli. Ses lèvres semblaient phosphorescentes. Les longs ongles rouges étaient éclipsés par un énorme diamant jonquille qui devait valoir dix siècles de salaire d’un Soviétique. Le jeune duc avait suivi son conseil. Ce dernier entraîna Malko par le bras à l’écart.

— Merci, tout est arrangé ! annonça-t-il. Pamela m’a pardonné. Nous allons donner une grande fête, où vous serez l’invité d’honneur.

— Je m’en réjouis d’avance, dit Malko.

— Parfait ! Nous allons nous quitter maintenant. Je repars en voiture pour l’Autriche.

Darling, une seconde, lança Pamela d’une voix à étaler raide un ayatollah. J’ai quelque chose à prendre dans la chambre de Malko.

— Je vous accompagne, proposa ce dernier.

— Je vous attends au bar, dit Kurt de Wittenberg. Venez, lança-t-il euphorique à Chris Jones, avant de commander deux Gaston de Lagrange.

Pamela Balzer précéda Malko dans l’ascenseur. Elle s’était inondée de parfum.

— Je vois avec plaisir que vos ennuis sont terminés, dit-il.

La call-girl eut un sourire carnassier.

— Je le crois. Nous nous verrons souvent à Vienne, j’espère…

Arrivés dans la chambre, elle jeta son sac sur le lit et s’appuya à une commode. Fixant Malko, un peu déhanchée, sa jambe la plus découverte en avant, comme pour en faire admirer le galbe.

— Qu’aviez-vous à prendre ? demanda-t-il.

Pamela Balzer fit un pas vers lui amenant son pubis contre Malko avec la précision infaillible d’un bon engrenage.

— Vous, dit-elle.

La veste de son tailleur s’était ouverte, offrant ses seins bombés. Sa bouche se colla à celle de Malko pour un baiser profond et habile. Il lui sembla que la houle de ses hanches avait quelque chose de naturel. D’ailleurs, lorsqu’elle interrompit son baiser, elle avait le souffle plutôt court. Elle accrocha son regard au sien, avec une intensité brûlante dans ses grandes prunelles d’un noir liquide.

— Baise-moi, dit-elle simplement. Vite !

Son ventre disait la même chose… D’un geste gracieux, elle fit glisser un bout de dentelle blanche le long de ses cuisses, le slip qui l’empêchait d’être totalement indécente. Ne gardant que ses bas tenant tout seuls et montant très haut sur les cuisses galbées… Comme Malko ne réagissait pas assez vite à son goût, elle défit à toute vitesse les boutons de sa chemise et commença à torturer délicatement sa poitrine avec une habileté démoniaque. Descendant parfois jusqu’à son ventre, comme une bonne cuisinière surveille plusieurs casseroles à la fois.

Après avoir saisi son sexe, elle le caressa rapidement, puis s’accroupit et l’engouffra dans sa bouche pour une fellation aussi fugace qu’exquise.

Quand elle se releva, ce fut Malko qui prit l’offensive, fléchissant un peu les genoux pour l’embrocher d’un coup. Il entra dans un fourreau brûlant, tenant à pleines mains les fesses cambrées et fermes. Elle continua à l’embrasser, à se frotter contre lui jusqu’à ce qu’il jouisse. Avec un grondement extasié qui eut comme écho un soupir modeste, mais de bon aloi.

Ils demeurèrent emboîtés quelques instants, puis, Pamela recula, ramassa son slip et fila dans la salle de bains. Lorsqu’elle en ressortit, elle semblait émerger d’un confessionnal, tant elle respirait la pureté. Son visage lisse, encadré des longs cheveux noirs, ne révélait rien de sa turpitude…

Descendons, dit-elle simplement.

Dans l’ascenseur, il sonda son regard quand même un peu trouble.

— Pourquoi ? demanda-t-il.

Elle lui adressa un sourire innocent.

— J’en avais envie. Peut-être recommencerai-je. À Vienne ou ailleurs. Dans ma tête, tu m’as fait jouir. Tu n’es pas comme les autres.

Kurt de Wittenberg était toujours au bar, le regard un peu allumé par le Gaston de Lagrange. Il s’empara du bras de Pamela Balzer et la guida jusqu’à une Lamborghini Countach vert sombre, pas plus haute qu’une table basse.

Pour y entrer, Pamela Balzer dut remonter très haut ses genoux et, à la façon d’un clin d’œil, écarter assez les cuisses pour que Malko puisse voir qu’elle n’avait pas remis sa culotte.

Vroom-vroom. Gestes d’adieu. Avec elle, Kurt de Wittenberg était bien parti. Malko en éprouva presque un remords.


* * *

Les deux Phantom avaient décollé d’une base secrète dans le Neguev et déjà ravitaillé deux fois. Ils volaient à six cents pieds au-dessus de la Méditerranée, aile dans aile, cherchant leur objectif. D’après les coordonnées, ils ne devaient pas en être loin.

Pourtant, ils n’aperçurent rien sur la mer scintillante. Le chef de patrouille refit ses calculs, appela sa base et finit par effectuer des cercles de plus en plus grands, recherchant son objectif volatilisé. Hélas, il ne disposait plus que de quarante minutes d’autonomie… Heureusement, sept minutes plus tard, il repéra le bateau qu’il cherchait et descendit encore un peu pour s’assurer de son identité. Les caméras fixées sous ses ailes cliquetèrent, enregistrant des centaines de clichés.

Le navigateur nota soigneusement le nouveau cap du cargo et prévint le K.137 ravitailleur des coordonnées du prochain ravitaillement. Puis, les deux appareils repartirent vers l’est et prirent de l’altitude afin de consommer moins de pétrole.


* * *

Chris Jones valsait avec une vieille duchesse qui se pressait honteusement contre son corps musculeux en essayant de lui expliquer les subtilités du croquet… Il s’était donné du courage en avalant d’un coup un grand verre de Gaston de Lagrange… Milton Brabeck avait eu plus de chance avec une jeune héritière de Haute-Autriche affligée d’une acné aussi tenace que juvénile, mais dotée d’un corps à damner un saint. Pour être sûre d’être invitée à danser, elle avait mis une robe de cuir noir percée d’ouvertures multiples, qui lui arrivait au premier tiers des cuisses. Dès le début du slow, elle avait tranquillement glissé une cuisse ferme entre celles du « gorille » et se frottait cyniquement à lui. Milton n’avait plus le choix qu’entre l’éjaculation précoce, le viol ou la fuite. Embarrassé et au bord de l’apoplexie, il hésitait encore entre les trois solutions.

C’était pour Malko le dernier bal de la saison et ses invités s’en donnaient à cœur joie dans la grande pièce du premier étage, qu’un grand carré de parquet de Versailles impeccablement ciré permettait d’appeler « salle de bal ». Quelques profonds canapés de Claude Dalle, finement sculptés dans les essences les plus précieuses accueillaient ceux qui préféraient les joies du flirt à la danse. Une sono Samsung remplaçait avantageusement l’orchestre.

Quelques solitaires noyaient leur déception dans un flot de Johnny Walker, de Dom Perignon ou de Stolichnaya.

Malko contemplait Alexandra superbe dans une robe de daim marron au haut de dentelle totalement transparent, qui allumait systématiquement tous ses cavaliers. Leurs retrouvailles n’avaient pas vraiment encore eu lieu : depuis le retour de Malko, elle se refusait systématiquement à lui, exigeant pour se laisser approcher un test anti-sida…

Pour l’instant, il essayait d’empêcher sa cavalière, la jeune Gràfin Thalsbourg de lui faire perdre toute dignité. Sournoisement, cette jeune personne, élevée dans les meilleures institutions françaises, glissait des doigts fuselés entre leurs deux corps et les y agitait en murmurant à son oreille la seule phrase de français qu’elle semblait avoir retenu : « Je voudrais que tu mettes ta queue dans ma chatte »…

Il faut dire à sa décharge qu’elle n’avait pas boudée la vodka et le Dom Perignon. Même Elko, l’œil humide, se prenait à lutiner les servantes les plus aguichantes. Lui qui connaissait pourtant la paix du pantalon depuis belle lurette…

Soudain, le Turc lâcha les hanches plantureuses qu’il tenait, réalisant que le téléphone sonnait depuis déjà un bon moment dans le hall.

Il alla répondre, discuta quelques instants avec son correspondant et finit par aller chuchoter à l’oreille de Malko.

— On vous demande de Washington. C’est très urgent.

Malko eut du mal à s’arracher à la jeune élève des sœurs. Enfin seul, il alla prendre l’appareil et reconnut la voix du chef de la Division des Opérations de la CIA.

— Malko, désolé de vous déranger, annonça l’Américain, mais il y a un gros problème. Les Israéliens viennent de nous prévenir que le Gur Mariner a changé de cap. Il se dirige, semble-t-il, sur la Turquie. Istanbul ou Izmir. J’ai l’impression que vous allez reprendre du service.

Загрузка...