Malko avait beaucoup de mal à faire admettre à Chris Jones que des lunettes de soleil Ray-Ban n’allaient pas avec un jabot de dentelles et un justaucorps… Le « gorille » se regardait dans la glace, furieux et décontenancé. Le déguisement d’époque ne faisait pas partie de la formation du Secret Service. Milton Brabeck ricana devant son alter ego.
— Je vais faire de chouettes photos de toi. On les épinglera sur le tableau de service à Langley… Quand tu nous emmerderas…
— Ta gueule, fit Chris Jones, résigné. J’attends de voir en quoi tu vas être…
Ils se trouvaient tous chez le plus grand loueur de costumes de Vienne dans Theaterstrasse. Alexandra n’avait réapparu que pour faire ses valises. Ce qui valait peut-être mieux provisoirement : Malko était dans l’obligation absolue de se rendre au bal d’Amboise avec Mandy la Salope. Plus que jamais, il fallait arracher son secret à Pamela Balzer. Personne n’avait plus eu de nouvelles des krytrons et Langley continuait à appliquer la pression maxima pour obtenir des résultats.
Pamela Balzer était déjà partie avec Kurt de Wittenberg par la route. Sans que Malko sache ce qui s’était produit exactement la veille au soir. Avait-il été victime de son anxiété ou les Irakiens avaient-ils vraiment voulu tuer Pamela ? Si ces derniers ne faisaient plus confiance à la jeune call-girl, ils n’hésiteraient pas à l’éliminer. Le loueur troubla la réflexion de Malko en lui présentant un superbe costume oriental : un turban doré, une chemise amarante, des pantalons bouffants en fausse panthère, des bottes et une veste de velours noir brodée d’or.
— Soliman le Magnifique, sultan de l’empire ottoman, annonça-t-il.
— Ça me va très bien, dit Malko. Vous n’avez pas un déguisement du même ordre en moins rutilant ?
Le loueur exhuma une tenue de soie jaune avec une large ceinture rouge, un turban et des babouches.
— Voici un janissaire !
C’était parfait pour Elko Krisantem. Le Turc était du voyage. Avec les Irakiens, deux précautions valaient mieux qu’une. Les essayages reprirent. Finalement, Chris et Milton trouvèrent deux justaucorps en velours noir avec les hauts-de-chausses assortis et de superbes fraises. C’est encore là-dedans qu’ils étaient le moins ridicule… Le problème, c’est qu’ils éclataient dedans…
— Cela ne fait rien, assura le loueur viennois, vous les coudrez sur vous au dernier moment…
Elko Krisantem se regardait dans une glace. Calculant déjà comment il pourrait dissimuler son Astra dans la large ceinture de son costume. Son turban à aigrette était splendide. Chris et Milton se regardèrent, consternés.
— Si jamais un type veut me photographier, je le tue, annonça Milton Brabeck.
Si la situation n’avait pas été aussi grave, Malko aurait éclaté de rire. Ils emballèrent les costumes et les accessoires puis quittèrent la boutique. Le vol pour Paris quittait Vienne trois heures plus tard. Première tâche : récupérer Mandy Brown à Roissy. Pourvu qu’elle n’ait pas oublié ou changé d’avis. Malko n’avait pas osé la rappeler.
Chris Jones prit Malko à part, avant de monter dans la voiture.
— Vous voulez vraiment qu’on vienne ? souffla-t-il. Il ne se passera rien là-bas.
C’était bien la première fois qu’il renâclait à l’ouvrage. Malko le fixa gravement.
— John Mac Kenzie pensait cela à Berchtesgaden. Les policiers de la DST à Roissy aussi. Nous sommes sur une histoire énorme, dont nous ne savons pratiquement rien. Cette Pamela Balzer est en possession d’une information dont elle ignore, probablement, l’importance. Mais elle est la seule à pouvoir nous la donner. Les autres ne l’oublieront pas.
Tarik Hamadi écoutait le récit d’Ibrahim Kamel, de plus en plus perturbé. Ce dernier avait tenté dans la matinée de joindre Pamela Balzer, mais elle l’avait poliment éconduit, lui proposant de passer la voir chez son coiffeur… Évidemment, c’était difficile de l’y liquider… Ensuite, elle partait.
— Elle se doute de quelque chose ? demanda Tarik Hamadi.
— Je n’en sais rien, répondit piteusement Ibrahim. Ça peut être une coïncidence.
— Et l’agent de la CIA ?
— Aucune nouvelle. Il n’est pas dans son château, nous avons téléphoné. Il n’est pas non plus au Sacher.
— Bizarre ! conclut Tarik Hamadi.
Cela commençait à faire beaucoup de coïncidences… Les deux hommes qui surveillaient Pamela Balzer appartenaient probablement à la CIA. Mais comment étaient-ils remontés jusqu’à elle ? L’échec d’Ibrahim dans sa liquidation de leur agent avait tout fichu en l’air.
— Elle quitte Vienne ce soir pour trois jours, annonça Ibrahim. Elle va en France pour une grande fête, dans un château, elle me l’a dit. Avec son fiancé.
Une idée jaillit dans le cerveau de Tarik Hamadi. Et pas une idée gaie… Tout devenait clair.
— Téléphonez immédiatement au château de Liezen, dit-il, et demandez si le prince Linge est déjà parti pour la France. Rappelez-moi aussitôt.
Il raccrocha et attendit. Pas longtemps. La voix d’Ibrahim Kamel était altérée lorsqu’il l’eut de nouveau en ligne.
— On m’a dit qu’il prenait l’avion pour Paris aujourd’hui, annonça-t-il.
Tarik Hamadi sentit le sang se retirer de son visage. C’était la catastrophe, cette fois, plus question de coïncidences.
— Cette chienne va retrouver l’agent de la CIA, dit-il. Débrouillez-vous pour savoir où elle va et liquidez-la, ordonna-t-il. Il faut empêcher qu’elle leur parle. Rappelez-moi dès que c’est fait.
Il raccrocha sans laisser à Ibrahim le temps de répondre.
— Holy cow !
Chris Jones échangea un regard avec Milton Brabeck tout aussi stupéfait que lui. Même Malko n’en revenait pas. Une apparition incroyable venait de surgir au milieu des passagers débarquant du vol en provenance de Londres.
Mandy Brown !
Un diadème d’impératrice ceignait ses cheveux blonds, encadrant son visage outrageusement maquillé, en dépit de l’heure matinale. Ses oreilles et son cou étaient ornés d’une parure d’émeraudes qui devait valoir dix mille ans de salaire d’un cadre moyen. Mais c’était surtout sa robe qui était inouïe. Un long fourreau de cuir noir descendant jusqu’au sol qui semblait cousu sur elle. Deux guirlandes de roses rouges en cuir en constituaient le haut, laissant les trois quarts de ses seins à l’air et elle était tellement étroite du bas que Mandy ne pouvait avancer qu’à tout petits pas. Arrivée devant Malko, elle pivota et il découvrit que le cuir noir se resserrait juste en haut des cuisses, moulant une mappemonde sur laquelle on aurait pu poser un verre !
— Tu aimes ? demanda-t-elle. C’est un truc de Jean-Claude Jitrois. Il paraît qu’on s’habillait comme ça à la Renaissance… Le problème, c’est que j’ai du mal à marcher.
Il l’entraîna à l’écart afin d’éviter un viol collectif. Les Britanniques qui débarquaient du vol avaient les yeux hors de la tête. Ils commençaient leurs vacances avant même d’avoir touché le sol français.
Accrochée à son bras, Mandy lui glissa à l’oreille :
— Si tu veux me sauter, faudra attendre que je l’enlève. J’ai rien dessous, sauf mes bas.
Elle prit sa main et la posa sur le cuir en haut des cuisses et il sentit effectivement les serpents des jarretelles. Mandy la Salope avait le sens de l’érotisme. Chris Jones et Milton Brabeck sentaient leur univers basculer. Elle leur sourit, coquine.
— Vous êtes pas déguisés, vous ?
— Viens ! dit Malko.
Elko Krisantem attendait au volant d’une Mercedes 600 de location. Il y avait quand même trois heures de route jusqu’à Amboise. Ils gagnèrent le parking où les « gorilles » récupérèrent la voiture de protection bourrée de costumes et d’armes.
Ils étaient arrivés de Vienne la veille au soir et avaient couché à Paris. En repassant au château de Liezen, Malko avait trouvé un mot très sec d’Alexandra l’avertissant qu’elle partait quelques jours chez des amis. Sans préciser lesquels, évidemment… Comme elle avait vidé la commode où elle entassait ses dessous, le pire était à craindre. À tout hasard, il avait laissé le numéro du château d’Amboise, au cas improbable où elle aurait un regret…
Malko s’installa à l’arrière de la Mercedes avec Mandy Brown qui se tenait très droite à cause du diadème. Elle expédia à Malko une œillade lubrique.
— C’est vachement excitant ce machin de cuir ! Quand j’attendais l’avion, il y a un mec qui est venu se frotter contre moi par-derrière. J’ai cru qu’il allait percer mon cuir avec son truc…
Elle en était encore tout émue.
Malko posa la main sur une cuisse gainée de cuir et dit de sa voix la plus douce.
— Mandy, il faut maintenant que je t’explique quelque chose.
Mandy Brown sembla parcourue par une décharge électrique. Tournant vers Malko un regard furibond.
— Je me doutais qu’il y avait une arnaque. Tu ne vas pas me parler de cette pute de Pamela ! Tu veux la baiser ou quoi ? Tu n’as pas besoin de moi pour ça…
Il était temps de dissiper un malentendu.
— C’est vrai, dit Malko, je m’intéresse à elle, mais pas pour ce que tu crois…
Mandy Brown poussa un glapissement aigu.
— Arrête cette caisse immédiatement ! Je veux descendre.
Comme il ne bronchait pas, elle attrapa Elko Krisantem par l’épaule et se mit à le secouer comme un prunier. Le Turc se retourna, expédiant à Mandy un regard à faire rentrer n’importe qui sous terre. La jeune Américaine revint alors à Malko, flamboyante de fureur.
— Salaud ! Et moi qui ai marché une fois de plus ! Comme une conne ! Je pensais que tu m’emmenais pour un week-end d’amoureux. C’est encore un de tes coups tordus.
Brutalement, elle se jeta vers la portière et tenta de l’ouvrir. Malko la rattrapa de justesse et dut la ceinturer pour l’empêcher de se jeter dehors. Ils luttèrent quelques instants et dans la bagarre la croupe moulée de cuir se retrouva tout contre son ventre. Tandis qu’elle continuait à le couvrir d’injures. Impavide, Elko Krisantem gardait l’œil fixé sur la route… La situation n’évoluait plus, mais, peu à peu, Malko, au contact de ce cuir tiède, sentit une sensation agréable monter de ses reins. D’une main, sans se soucier du tombereau d’injures déversées par Mandy, il se mit à caresser une cuisse, suivant la ligne des jarretelles, comme on apprivoise un animal.
Fous-moi la paix, hurla Mandy, je ne veux pas que tu me touches.
De nouveau, elle voulut sauter par la portière et Malko parvint à la refermer. Immédiatement, du volant, Elko Krisantem les verrouilla toutes les quatre… Répit. Il fallait employer les grands moyens.
Mandy restait tassée comme un animal, tournant le dos à Malko. Gentiment, celui-ci s’empara de la fermeture de la robe et tira vers le bas, découvrant le dos de Mandy Brown, la ceinture, à laquelle étaient attachés ses bas, et une bonne partie de sa croupe. Comme elle l’avait précisé, elle ne portait rien sous sa robe. Malko glissa une main entre le cuir et la peau, atteignit ce qu’il cherchait plus bas et commença à faire ce qu’il pouvait pour la calmer. D’abord, il ne se passa rien. Bloquée dans sa position inconfortable, à moitié nue, Mandy Brown subissait passivement en grognant des obscénités.
Malko réalisa que ce modeste hors-d’œuvre ne suffirait pas à la calmer. Il fit glisser les deux épaulettes, faisant retomber le haut de la robe jusqu’aux hanches. Encore un petit effort et le cuir s’enroula à mi-cuisse, découvrant entièrement la croupe de Mandy Brown. Malko se pencha à son oreille :
— Tu te rappelles Abu Dhabi ?
La vue de Mandy à demi déshabillée dans cette position soumise avait achevé de l’enflammer. Il ne fallait pas lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Il se cala entre la banquette arrière et le plancher et, en dépit du tangage, parvint à s’enfoncer d’un coup dans le ventre de Mandy, la maintenant par les hanches.
La jeune femme poussa un rugissement.
— Arrête ! Je n’ai pas envie de baiser !
Elko Krisantem avait de plus en plus de mal à garder son regard fixé sur la route.
Malko, bien abuté dans la jeune femme, commença à bouger lentement. À chaque coup de reins, la tête de Mandy heurtait la portière et elle rugissait de fureur. Hélas, les jambes entravées par la robe, elle ne pouvait pas faire grand-chose. Mais c’était diantrement excitant. Peu à peu, il sentit une houle légère animer le bassin de sa partenaire et comprit que Mandy la Salope était de retour… Elle cessa d’abord de glapir, se contentant de grogner. Puis ses grognements prirent une tonalité différente.
Malko se retenait. Maintenant, il sentait le sexe inondé et brûlant resserré sur le sien et savait, à son rythme respiratoire, que Mandy Brown approchait de l’orgasme. Il fallait tenir jusque-là… Au prix d’une performance acrobatique, il réussit à faufiler quelques doigts dans l’endroit le plus sensible, ce qui déclencha un feulement ravi.
Heureusement, l’autoroute traversait la Beauce et la Mercedes 600 filait tout droit, sans un cahot. Des petites secousses ébranlèrent les hanches de Mandy, elle feula de plus en plus fort pour exploser dans un hurlement de parturiente, les mains crispées sur l’accoudoir. Juste au moment où Malko se déversait en elle… Heureusement que Krisantem était d’une discrétion exemplaire. Malko pria silencieusement saint Georges pour que cette entorse aux bonnes manières ait un résultat positif. La seule personne capable d’extorquer la vérité à Pamela Balzer était Mandy Brown.
Il se rassit sur la banquette, pour se rajuster. Mandy, toujours agenouillée de guingois, se retourna vers lui, le regard encore flou.
— Salaud ! Tu m’as fait jouir. Avec toi, c’est automatique.
Après un bon orgasme, on pouvait lui demander n’importe quoi. Malko prit sa main et la baisa.
— Moi aussi, j’ai merveilleusement joui.
Elle haussa les épaules.
— Tu m’as filé un bas…
En se tortillant, ils parvinrent à remettre la robe en place et les seins de Mandy dans la robe… Congestionnée, encore haletante, elle posa sa tête sur l’épaule de Malko.
— Tu es un salaud, mais je t’aime bien. Alors, balance ton truc maintenant.
— Tu ne vas pas te jeter par la portière.
— Non, si tu promets de me rebaiser là-bas.
— Juré.
— Alors, raconte.
Malko s’exécuta, ne passant sous silence que les six meurtres. Inutile de l’affoler. Et conclut.
— Il faut découvrir qui sont les deux hommes avec qui elle se trouvait au Bristol.
Mandy Brown prit une cigarette dans un étui, qui devait peser un kilo d’or sans les diamants, l’alluma, puis dit pensivement.
— Déjà, à Londres, elle connaissait pas mal d’Arabes. Mais elle était très discrète. Je ne vois pas ce qu’elle peut faire dans ton histoire. Mais si elle sait quelque chose, elle me le dira.
— Ne lui parle surtout pas de moi.
— Elle va nous voir ensemble…
— Non, dès l’arrivée, nous nous séparerons. Il y a quatre cents personnes et il fera nuit. C’est toi qui viendras me retrouver dès que tu sauras quelque chose.
— OK.
Mandy ramassa son diadème tombé à terre dans la bagarre et le remit sur sa tête, se regardant dans la glace de l’accoudoir.
— La prochaine fois, dit-elle, tu me baiseras avec ce truc sur la tête, ça m’excite. J’ai l’impression d’être Catherine de Russie. Il paraît que c’était une grande salope.
Ibrahim Kamel donna un brusque coup de frein. Une fois de plus, il venait de prendre le mauvais embranchement. Depuis vingt-quatre heures, il vivait un cauchemar. Il lui avait fallu des trésors de ruse pour apprendre où se rendait Pamela Balzer. Ses correspondants parisiens avaient fini par découvrir l’adresse dans un journal. Maintenant, il zigzaguait dans les petites routes de Touraine, son complice Mahmoud à côté de lui, muet comme une carpe. Leurs instructions étaient simples : trouver Pamela Balzer et la liquider immédiatement, quelles que soient les circonstances. Et si l’agent viennois de la CIA se trouvait là aussi, lui faire subir le même sort. Ils n’avaient pas trouvé de costumes pour se déguiser, se contentant d’emporter des vestes blanches de maître d’hôtel. Dans une grande réception, on arrivait toujours à se faufiler…
— Tu crois qu’on va trouver ? demanda Mahmoud.
— Bien sûr, si tu arrives à lire cette putain de carte.
Il bifurqua vers la Loire. Il n’était plus qu’à une vingtaine de kilomètres de son objectif. Après l’action, ils devaient se réfugier à l’ambassade d’Irak à Paris et attendre les ordres.
Tarik Hamadi était tellement nerveux qu’il avait exigé qu’on lui téléphone toutes les deux heures. Ce qui n’arrangeait pas les choses.
Médusés, Chris Jones et Milton Brabeck contemplaient l’arrivée de Léonard de Vinci dans un superbe hélicoptère blanc. Le gros Bell oscillait au-dessus de la pelouse du château, descendant lentement vers le sol, où l’attendaient des cavaliers en costume d’époque.
— C’est dingue ! murmura Milton Brabeck. On se croirait à Hollywood.
Finalement, les deux Américains s’étaient habitués à leurs pourpoints de velours noir se terminant par des hauts-de-chausses moulant des cuisses et des mollets monstrueux. Seuls les fraises et les drôles de bérets ornés de plumes les gênaient un peu…
La fête des Saint-Brice était somptueuse. Quatre cents invités en costume Renaissance se pressaient autour du château de brique rouge où les héraults équipés de longues trompettes annonçaient les événements de la soirée. Plusieurs bars offraient à boire sur l’esplanade dominant la pelouse où s’ébattaient divers montreurs d’ours, baladins et autres amuseurs.
Les femmes, surtout, étaient magnifiques, avec des robes au décolleté pigeonnant, s’évasant en vastes traînes, des coiffures sophistiquées, des rangs de perles mêlés aux cheveux. Il y avait même une religieuse à l’expression provocante, inhabituelle chez un personnage de sa qualité… Plusieurs prêtres égrillards et même un superbe évêque plus vrai que nature. Plus bas, au fond de la pelouse, les tables étaient dressées en carré avec une simple planche de bois et un couteau : au XVIe siècle, ni les assiettes, ni l’argenterie n’existaient…
Malko échangea un sourire avec un jeune page blond – une ravissante jeune femme aux cheveux courts avec une culotte bouffante et un balconnet de dentelles – qui buvait, adossée à un coin de mur. Son déguisement à lui, en Soliman le Magnifique était parfait, des bottes au turban. Il avait glissé, sous son pourpoint grenat, son pistolet extra-plat. Elko Krisantem ne le quittait pas d’une semelle. En janissaire de la Sublime Porte, avec un turban moins chatoyant que celui de son maître, la large ceinture dissimulant son Astra, il n’était pas mal non plus. Personne n’avait prêté la moindre attention à l’arrivée des quatre hommes admis grâce à l’invitation de Malko. Ce dernier tourna la tête et aperçut Mandy Brown en train de traverser la pelouse.
Un spectacle… Entravée par sa robe de cuir, elle avançait à tout petits pas, très droite, le diadème vissé sur la tête. Le cuir moulait sa chute de reins d’une façon quasi obscène. Cette masse noire, ronde et cambrée se balançant harmonieusement, éclipsait les plus beaux déguisements, déclenchant des envies de viol sur son passage. L’évêque, abandonnant une noble dame à la tenue plus stricte, se précipita et lui offrit son bras pour gravir la pente herbue.
Son autre main, passée autour de la taille de Mandy, glissa, frôlant la chute de reins. Mandy gloussa et lui jeta un regard allumé. Depuis son arrivée, elle n’avait qu’une idée : regarder sous les pourpoints ce que moulaient les hauts-de-chausses. Arrivée sur l’esplanade entourant le château, elle remercia son évêque d’une œillade à lui interdire définitivement le paradis et se mit à parcourir les groupes à la recherche de Pamela Balzer.
Suivie à la trace par le pourpoint marron du propriétaire d’une galerie d’art abstrait, subitement en rut devant cette apparition sulfureuse.
Malko, d’un des buffets où il venait de se faire servir une coupe de Moët, observait Mandy Brown. Quelle joie c’eût été de se trouver à ce bal sans rien d’autre à faire que s’amuser à courtiser les belles déguisées. Ces costumes ajoutaient une note érotique à l’anonymat relatif qu’ils procuraient. Avant l’aube, les frondaisons du parc risquaient d’en voir de belles.
Il regarda autour de lui. Personne ne pouvait soupçonner que cette fête fastueuse abritait une équipe de la CIA en mission. Ni quel était l’enjeu de leur présence. Les six cadavres qui avaient jalonné le début de cette affaire gâchaient à Malko le goût de la fête. Pamela Balzer allait-elle dire ce qu’elle savait à Mandy Brown ?