Chapitre VIII

Pamela Balzer ressemblait à une princesse orientale avec son teint mat, ses longs cheveux tressés en nattes avec des perles et ses immenses yeux noirs.

Sa robe de cour, marron au décolleté carré, étranglait sa taille et rebondissait en flots de velours et de dentelles. La plus belle femme de la soirée. Kurt de Wittenberg, avec une fraise et un pourpoint pourpre, avait grande allure. Lorsqu’il aperçut Mandy Brown se diriger vers eux, tous seins dehors, ondulant dans son fourreau de cuir, son cerveau se mit à bouillir.

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

Mandy Brown, à part le diadème, n’était guère déguisée, ce qui ne semblait gêner en aucune façon les mâles de la soirée. Son regard humide effleura à peine Wittenberg pour se poser sur Pamela Balzer.

— Pamela ! Qu’est-ce que tu fais là ?

Pamela Balzer mit quelques secondes à la situer. Puis la mémoire lui revint d’un coup.

— Mandy !

Elles s’embrassèrent comme du bon pain et elle la présenta à son fiancé.

— Marquise Mandy de Hartford. Une vieille amie du temps où je vivais à Londres.

Mandy la Salope avait beau ressembler à une marquise comme une merguez à une tranche de foie gras, Kurt de Wittenberg profita de son baise-main pour plonger sur les seins laiteux à s’enfoncer le nez dedans, se demandant brutalement si Pamela était le bon choix. Celle-ci lui fut aussitôt arrachée par Mandy qui se contenta de lui jeter :

— Excusez-nous, nous avons des tas de choses à nous raconter.

Pamela se laissa faire. Mandy savait beaucoup, beaucoup de choses sur elle. Inutile qu’elle aille donc les raconter à trop de gens. Les deux femmes se mirent à bavarder autour du buffet, après avoir commandé une coupe de Moët et un Cointreau. L’évêque continuait à rôder autour de Mandy, prêt, de toute évidence, à se défroquer au premier prétexte. Quant à l’amateur d’art abstrait, il se demandait comment il pourrait entraîner Mandy hors de cette foule sans avoir recours à une violence déplacée dans cet environnement serein.

— Avec qui es-tu ? demanda Pamela à Mandy Brown, après avoir trempé les lèvres dans son Cointreau.

— Oh, avec un copain que j’ai perdu en route, fit Mandy.

Elle n’avait pas changé. Pamela sourit avec indulgence.

— Et toi ? demanda Mandy. Toujours avec tes Arabes ?

Pamela Balzer tiqua. Voilà le genre de questions qu’elle voulait éviter en public. Ce n’était pas la peine de changer de ville pour être poursuivie par son passé. Comment Mandy Brown s’était-elle introduite dans cette soirée super-mondaine où les invités étaient triés sur le volet ?

— Moi, je crois que je vais me marier, annonça-t-elle. Avec le garçon qui m’accompagne.

Mandy eut une moue curieuse.

— Il est pas mal. Il te tire bien ? Il a du blé ?

— Il a beaucoup, beaucoup d’argent et il baise merveilleusement bien, affirma Pamela.

Mandy se fit remplir de nouveau sa coupe de Moët et lui donna un coup de coude amical.

— Allons, je sais bien ce que tu aimes…

Comme toutes les grandes putes, Pamela était plutôt lesbienne et avait un jour dévoré Mandy de façon très convenable, lui faisant ses confidences au passage. Ça amusait Mandy qui avait toujours préféré les hommes. Pamela se renfrogna et dit de sa vraie voix, vulgaire et cassante :

Arrête tes conneries, veux-tu ?

Mandy Brown se le tint pour dit. Ça faisait toujours un argument au cas où Pamela serait réticente à livrer ses petits secrets. Avec un sourire enjôleur, elle demanda :

— Parle-moi un peu de ta vie. Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Tu as bien d’autres mecs, non…

Pamela Balzer, très droite, lui jeta un regard détaché.

— Pas beaucoup ! Tu sais, Vienne est une petite ville… J’ai gardé quelques copains.

De l’équipe de Londres ?

Certains.

Visiblement, elle était hyper-prudente. Les héraults annonçant le dîner les interrompirent. Gentiment, Pamela proposa :

— Viens te mettre avec nous, si tu ne retrouves pas ton jules.


* * *

Tendu par l’angoisse, Malko n’aurait pas pu avaler un petit pois. Ils étaient à table depuis une demi-heure et il avait perdu Mandy de vue, car elle se trouvait de l’autre côté de l’estrade centrale, où avaient lieu diverses attractions d’époque. Pour l’instant, un quatuor composé d’une flûte, d’une viole, d’un tambourin et d’une cornemuse, jouait un vieil air, face à la table du Roi et de Léonard de Vinci… À l’anxiété s’ajoutait la faim. On ne leur avait encore pratiquement rien servi… À part quelques rillettes.

À côté de lui, Chris et Milton en étaient réduits à ronger leurs assiettes de bois, au bord de l’évanouissement.

Elko Krisantem avait trouvé un morceau de pain rassis qu’il mâchait courageusement, sans adresser la parole à ses voisins, de peur de commettre un impair.

Pour Malko, l’attente devenait interminable. Il se sentait totalement décalé par rapport à tous ses voisins qui oubliaient leur faim en plaisantant. Soudain, il sursauta : la longue silhouette noire de Mandy Brown se faufilait entre les tables, déclenchant sur son passage un flot de pensées lubriques. La jeune femme rejoignit Malko et se pencha à son oreille.

— C’est dur ! annonça-t-elle. Ou elle se doute de quelque chose ou elle a vraiment peur. Je ne lui sors aucune information.

Tout ce montage pour rien ! Malko en oublia sa faim.

— Insiste ! dit-il. Prêche le faux pour savoir le vrai. Dis-lui qu’un ami à toi l’a vue avec deux hommes au bar du Bristol. Il faut absolument savoir de qui il s’agit.

— C’est vraiment aussi important ?

— Oui.

Mandy soupira, ce qui faillit projeter ses seins sur la table, et fit d’un ton décidé :

— Bon. Je crois que je vais employer les grands moyens.

Un peu de chantage n’était pas pour lui faire peur.

Elle repartit, droite comme une impératrice.

Sur l’estrade, un montreur d’ours avait remplacé les quatre musiciens. Malko se demanda si tous ses efforts allaient déboucher sur quelque chose.


* * *

Le dîner se terminait enfin… Presque une heure du matin. Les invités se dispersaient, gagnant soit le château, où on dansait, soit le parc, certains s’installaient au milieu de la pelouse. Malko se leva à son tour, flanqué des deux « gorilles » et de Krisantem. Sa force de frappe ne lui servait à rien dans cet environnement… Il repéra de l’autre côté de l’estrade Mandy, Pamela et le jeune duc de Wittenberg. Celui-ci était assis entre les deux femmes.

Mandy l’aperçut. Presque aussitôt, elle se leva et, après un détour stratégique, le rejoignit.

— Ça ne marche pas, fit-elle. Elle est fermée comme une huître. J’ai même commencé à balancer quelques trucs, ça n’a rien fait.

Elle était désolée, Mandy, et, subrepticement, s’appuya contre Malko de tout son cuir, murmurant :

— L’évêque n’arrête pas de tourner autour de moi. Tu veux qu’on aille faire un tour dans le parc.

Malko était à des années-lumière de la gaudriole. Sa mission était en train de tourner en eau de boudin.

— Peux-tu me débarrasser du fiancé de Pamela ? demanda-t-il. Je vais essayer de lui parler moi-même.

— Pas de problème ! roucoula Mandy la Salope. Dans cinq minutes, il me mange dans la main.

Elle regagna sa table. Quand Malko regarda de nouveau dans sa direction, le bras droit de Mandy Brown disparaissait sous la table, du côté des genoux du jeune duc de Wittenberg.


* * *

Mandy Brown avait repris place à côté de Kurt de Wittenberg. Penchée vers lui, elle parlait à Pamela Balzer qui ne pouvait voir la main glissée sous le pourpoint du jeune homme pour effleurer le tissu léger du haut-de-chausses noir, à l’endroit précis où reposait le sexe endormi.

En dépit de l’excellente éducation du jeune duc, l’engin se mit à augmenter de volume à la vitesse d’un poulet nourri aux hormones. Mandy la Salope entreprit d’accélérer cette croissance par un massage léger mais d’une grande efficacité.

— Pamela darling, demanda-t-elle de sa voix la plus sage, je voudrais aller jusqu’à ma voiture, mais j’ai un peu peur dans le noir. Est-ce que tu me prêtes Kurt pour m’accompagner ?

— Je t’en prie, fit Pamela Balzer, d’un ton pincé et la foudroyant du regard.

Mandy se leva et Kurt en fit autant, tournant le dos à Pamela pour dissimuler son trouble. Il n’avait jamais encore rencontré quelqu’un de la trempe de Mandy Brown. La jeune femme lui prit le bras et s’éloigna sous les arbres du parc.

Vingt mètres plus loin, Mandy Brown s’arrêta tout à coup sur le sentier désert qui menait au parking à peine éclairé par des torchères posées à terre.

— J’ai mal au pied.

Elle fit face tête haute au jeune noble autrichien, qui en profita pour l’attirer contre lui, glissant des doigts inquisiteurs dans l’entrebâillement de son décolleté. Mandy souleva immédiatement le pourpoint et empoigna à travers le jersey noir le membre qu’elle avait déjà apprivoisé.

— Tu es en forme, dis donc ! lança-t-elle d’une voix canaille.

Joignant le geste à la parole, elle baissa d’un coup le haut-de-chausses, libérant son contenu. Kurt eut un haut-le-corps.

— Attendez ! Je…

— Il faut savoir ce que tu veux, fit Mandy Brown avec simplicité…

Elle l’empoigna à pleine main, le colla contre un vieux chêne et s’accroupit devant lui au risque de faire craquer sa robe. Lorsque sa bouche se referma sur le sexe gonflé, le jeune Autrichien poussa un couinement de bonheur. Jamais Pamela n’aurait eu cette fougue.

Mandy Brown se lança dans sa fellation comme si sa vie en dépendait, calculant le temps qu’il faudrait à Malko pour confesser Pamela.

Une idée sournoise commençait à faire son chemin dans son petit cerveau de salope : pourquoi ne pas piquer son jules à Pamela ? Ça lui apprendrait. Elle ne l’en aspira qu’avec plus d’application. Il avait glissé les mains sous les bandes de roses en cuir et tenait ses seins entre ses doigts crispés, exhalant de petits gémissements comiques et des mots allemands. Cette fille tout en cuir, qui lui administrait cette fellation royale avec, en plus, son diadème, c’était fou…

Les bruits de la fête leur parvenaient dans le lointain. Il sentit la sève monter de ses reins et se raidit, le bassin en avant.

Aussitôt, Mandy Brown se redressa, essoufflée, et lui jeta.

— Petit égoïste !

Il en resta bouche bée. Déjà, elle l’entraînait vers le parking, sans que son érection diminue. Elle avait décidé de joindre l’agréable à l’utile. Arrivée à la Mercedes de Malko, elle se retourna et s’appuya à l’aile.

— Défais ma robe, demanda-t-elle.

Le crissement de la fermeture, qui descendait jusqu’à ses reins, l’électrisa. Kurt, fasciné, contemplait sa chute de reins éclairée par la lune. Quelques froissements et la belle robe de Jean-Claude Jitrois se retrouva à ses pieds. Il ne restait à Mandy Brown que son diadème et ses bas montant presque jusqu’à l’aine.

Elle n’eut pas besoin de dire quoi que ce soit. Kurt, dernier duc de Wittenberg, s’était planté en elle d’un seul élan et commençait à s’agiter comme un malade.

— Il n’y a pas le feu, lança sèchement Mandy. Prends ton temps.

Il fallait laisser à Malko le sien.


* * *

Tout le monde se levait en même temps. Malko, zigzaguant entre les tables, se hâta le plus possible mais, lorsqu’il arriva à celle de Pamela Balzer, la jeune femme avait disparu ! Il regarda vainement autour de lui. Impossible de la repérer dans cette foule. Il remonta à tout hasard vers le château, examinant tous les couples. Il se retourna vers Chris Jones.

— Séparons-nous. Il faut la retrouver. Rendez-vous devant les trompettes.

Lui continua tout droit, vers l’entrée du château. Au moment où il atteignait la cour pavée, une silhouette passa dans un rai de lumière, beaucoup plus loin, et disparut dans les communs. Un maître d’hôtel en veste blanche qui était trop loin pour qu’on distingue son visage. Malko continua ses recherches quelques instants. Puis, brutalement, une idée le frappa comme un coup de tonnerre.

À ce bal, tout le monde était déguisé. Y compris les serveurs et les serveuses. Que faisait là ce maître d’hôtel ? Il fallait absolument en avoir le cœur net. Il se mit à chercher partout un des maîtres de maison avant de réaliser qu’ils étaient demeurés à la table du « Roi », en bas, sur la pelouse. Il s’y rua. De nouveau, il dut attendre la fin d’un numéro musical avant de pouvoir aborder un des frères Saint-Brice, organisateur de la fête.

— Cher ami, dit-il, votre fête est absolument sublime.

Jacques Saint-Brice eut un rire heureux.

— Mais je n’ai rien fait ou presque ! Ce sont mes invités qui sont merveilleux. Tous ces costumes, tous ces efforts. C’est grâce à eux que nous sommes un peu dépaysés : je n’ai fourni que le cadre.

— Mais quel cadre ! apprécia Malko. Même le personnel est en costume, n’est-ce pas ?

— Tout à fait !

— Il m’a semblé voir un maître d’hôtel en blanc, pourtant…

— C’est tout à fait impossible, trancha le maître de maison. Je n’en ai engagé aucun.

— Donc, je me suis trompé, conclut Malko.

Il prit congé et regagna le château en courant. L’homme qu’il avait vu ne pouvait être qu’un intrus. Étant donné ce qui s’était passé à Vienne, il y avait de fortes chances que ce soit un Irakien. Il savait que ceux-ci tenteraient de nouveau de liquider Pamela, mais il n’avait pas imaginé qu’ils la suivraient à Amboise. Plus que jamais, il fallait retrouver Pamela Balzer. Avant qu’on l’assassine sous son nez.

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