Mme Cauteret, assistante sociale du canton, recevait chaque lundi après-midi dans un bureau de la mairie. Par téléphone, elle avait demandé à Marie Lacaze de se présenter vers les 15 heures. Sans autres précisions. Dans la salle d’attente, il y avait plusieurs mères de famille, des gosses. Marie ne pénétra dans la petite pièce de l’assistante qu’une heure plus tard. Julie avait parfaitement décrit cette femme d’apparence terne en disant qu’elle ressemblait à Gilberte Marty. On pouvait imaginer que la jeune fille serait ainsi dans une dizaine d’années. Mais Mme Cauteret n’hésitait pas à porter des lunettes épaisses pour sa myopie. Ce qui rendait son regard inquisiteur. À plusieurs reprises, elle les ôta et Marie découvrit un autre visage, des yeux flous qui liquéfiaient la structure déjà molle de l’ensemble.
Marie l’écouta avec attention au début, mais le mot enquête lui déplut.
— Nous sommes donc des criminelles ? demanda-t-elle doucement.
Mme Cauteret pinça ses lèvres pâles.
— Non, bien sûr, je comprends les circonstances… Vous travaillez toute la journée et ne pouvez vous occuper de Julie… Mais durant les vacances, ne pouvez-vous pas trouver une personne qui accepte de la garder ? Votre fille se trouve en danger moral et physique. Votre maison est bien isolée et proche de l’étang.
— Ma fille sait nager.
— Il y a d’autres dangers et vous le savez bien… Des rôdeurs, des gens suspects. Vous ne pouvez la laisser constamment seule… Pourquoi ne viendriez-vous pas habiter à Sigean ?
Très droite sur sa chaise, Marie eut un petit sourire amer.
— C’est ma belle-sœur qui nous a dénoncées ?
— Vous employez de ces mots ! se récria l’assistante… Dénoncer… J’ai été avertie de cet état de fait et j’ai voulu en avoir le cœur net… Je dois vous dire que votre fille ne s’est pas montrée particulièrement coopérative… Et qu’elle a été franchement grossière…
— Elle vous a demandé ce que ça pouvait bien vous foutre de savoir comment elle vivait ? demanda Marie avec la même douceur.
D’une main potelée, l’assistante ôta ses lunettes, laissa apercevoir deux secondes une expression éperdue, comme si elle suffoquait d’indignation.
— Elle vous l’a dit ?
— Julie ne me cache rien.
— Julie ne vit pas une existence normale dans cette solitude… Elle devient une véritable sauvageonne, finira par adopter une attitude antisociale… Julie…
Marie prit son souffle avec détermination.
— Puis-je vous demander une chose ?
— Bien sûr, fit Mme Cauteret se forçant à sourire.
— Je n’aime pas la façon dont vous prononcez le prénom de ma fille. Je vous demande de l’appeler autrement… Ce prénom lui appartient et elle ne délègue qu’aux gens qu’elle aime le droit de l’utiliser.
Il y eut un silence total. Dans la salle d’attente, un gosse répétait inlassablement une question qui se terminait invariablement par un « dis, m’man ? » plaintif.
— Je ne comprends pas, murmura l’assistante presque horrifiée… J’ai pour habitude d’appeler les enfants par leur prénom et jamais jusqu’à présent on ne m’a reproché la façon dont je les prononçais. Dois-je parler de Mlle Lacaze ? proposa-t-elle avec ironie.
— Non, fit Marie très sereine. Dites votre fille, votre enfant… Comme je n’ai qu’elle, ce sera parfait.
Nouveau silence. À côté, le gosse lançait sa question avec une hargne révoltée.
— Vous avez perdu un fils il y a deux ans ? Un accident malheureux ?
— Je ne tiens pas à en parler.
— Cette malheureuse affaire explique peut-être bien des choses… Vous n’avez pas envie d’essayer de vivre dans un milieu moins hostile ?
— Nous vivons en pleine nature dans les meilleures conditions. Ma fille est très heureuse ainsi.
— Il y a quand même eu ce précédent de votre fils… Une mauvaise chute de bicyclette alors qu’il roulait dans un endroit parsemé d’embûches ?
Marie fermait les yeux. Elle ne pouvait empêcher cette femme de parler mais pouvait l’effacer de sa vue. Si le geste n’avait pas été aussi théâtral, elle aurait pu aussi se boucher les oreilles avec ses mains.
— Je ne puis prendre la responsabilité de cette situation, dit soudain Mme Cauteret. Vous me comprenez ?
La mère de Julie ouvrit les yeux.
— Non. La responsable, c’est moi.
— Je dois surveiller les enfants que l’on me signale comme se trouvant en danger…
— Vous connaissez donc Germaine ?
— Je vous en prie… Ça n’a rien à voir avec cette entrevue…
— Germaine Marty, la sœur de mon mari. Lui aussi est mort dans un accident de la route. N’avez-vous pas effectué d’enquête à son sujet aussi ? Germaine se sent également des droits sur nous. Je ne pensais pas qu’elle irait jusque-là.
— Si vous persistez dans cette attitude, je me verrai obligée…
Puis elle se tut, porta la main à ses lunettes mais n’y toucha pas.
— Vous iriez jusqu’où ? Peut-être informeriez-vous le juge pour enfants de Narbonne ? C’est ainsi que les choses se passent, n’est-ce pas ?
— Nous n’en arriverons certainement pas là, murmura l’assistante.
— Mais si, voyons, vous y arriveriez… Vous avez dû en discuter avec ma belle-sœur. Elle se fait beaucoup de souci pour nous, Germaine. C’est une femme qui trouve encore le temps de s’occuper des autres… N’est-ce pas tout à son honneur ?
Regardant vers la porte, Mme Cauteret devait penser que ces femmes qui attendaient ne lui posaient pas autant de problèmes. Elles se montraient humbles, inquiètes. Et si parfois elles devenaient agressives, c’était avec une maladresse facile à désarmer.
— Il faudrait, murmura-t-elle, qu’avant la fin des grandes vacances vous ayez trouvé un logement… Ici… Qu’une voisine veille sur Ju… votre fille.
— Et vous me garantissez que dans ce milieu urbain elle sera moins en danger ? Vous me promettez qu’il ne lui arrivera rien ? Êtes-vous prête à me signer un engagement ?…
Mme Cauteret se raidit.
— Je suis une fonctionnaire du département et ma responsabilité ne peut être appréciée que par mes supérieurs…
— Bien, dit Marie. Donc, l’un de vos supérieurs peut signer une telle promesse… Peut-être le juge des enfants également ?
Nouveau silence. Un enfant pleurait dans la salle d’attente. Peut-être que lassée, la mère du quémandeur n’avait pu retenir une gifle.
— Nous ne pouvons continuer ainsi, madame Lacaze… Vous essayez de bafouer ma fonction… Je ne suis pas votre ennemie, loin de là… Mais l’intérêt de… votre enfant passe en premier.
Marie se leva lentement sans la lâcher de son regard tranquille.
— J’ai parfaitement compris ce que vous vouliez…
— Attendez.
À mi-chemin de la porte, Marie s’arrêta, se retourna à demi.
— Votre fille est en train de développer une névrose assez particulière. Elle imagine l’existence de gens, de jeunes garçons qui deviennent ses camarades. Il y a eu un certain…
Elle s’était levée au moment du faux départ de Marie et se penchait sur son bureau, consultait une fiche. Marie sentit monter en elle une colère folle. Sans sa maîtrise, elle se serait précipitée pour lui arracher cette fiche et la déchirer en mille morceaux. Julie étiquetée, cataloguée par cette personne équivoque !
— Un certain Willy… Puis Boris Romanov… Des enfants qui n’existent pas… Votre fille les crée puis les fait disparaître lorsqu’elle les juge sans intérêt… Cette névrose peut déboucher sur une psychose… Sa personnalité risque d’être profondément perturbée, voire complètement détruite par ces fantasmes…
— N’avez-vous jamais imaginé lorsque vous n’étiez qu’une petite fille des personnages fictifs ?
— Tous les enfants le font mais à partir de dix ans cela peut devenir inquiétant.
— Julie est une enfant équilibrée.
— Je n’en suis pas certaine. Elle n’éprouve aucune gêne, aucune confusion bien naturelle lorsqu’elle est surprise dans ce que vous appelez des jeux de son âge.
— Qu’en savez-vous ? Qui vous a renseignée ? Si c’est Germaine elle a menti car Julie…
Puis elle songea à l’autre, la nièce, la sournoise Gilberte qui avait pu habilement interroger Julie sur ses amis imaginaires.
— Vous faites un travail de flic, dit-elle soudain. Vous n’avez pas honte de vous, parfois ?
Cette audace l’effraya et elle préféra sortir de la pièce. Pensant qu’il était inutile de regagner son bureau, elle espéra arriver à temps pour prendre Julie à l’école mais le car de ramassage venait de passer.
Elle le croisa alors qu’il revenait sur l’ancien chemin des salines. Le chauffeur laissait sa fille à la croisée des chemins et, bientôt, elle aperçut la petite silhouette qui marchait vers la maison. Jamais comme ce jour-là elle ne la vit ainsi, menue, fragile, vulnérable. Chaque soir elle rentrait ainsi, seule, dans ce chemin légèrement encaissé entre deux sortes de dunes recouvertes d’une végétation ingrate. La vieille voiture la secouait ferme mais elle n’avait pas envie de rire. Ses yeux s’emplissaient de larmes.
Lorsqu’elle entendit le bruit du moteur, sagement Julie se rangea sur le bord du chemin, continua de marcher. Elle ne pouvait imaginer que c’était sa mère qui revenait ainsi à l’avance. Des gens empruntaient cette voie pour se rendre au bord de l’étang, à quelques vignes de plus en plus rares dans le coin.
Marie la dépassa de quelques mètres et s’arrêta.
— Bonjour, dit-elle gaiement pour que sa fille ne remarque pas ses yeux trop brillants. J’ai pu me libérer plus tôt…
— Chic, dit Julie, tu pourras peut-être me faire des crêpes…
— Bien sûr… Tout ce que tu voudras… Avec du chocolat bien chaud.
— Peut-être que Gildas viendra, dit Julie. Il ne me l’a pas promis formellement mais il m’a dit qu’il essayerait.
Mme Cauteret avait parlé de névrose qui pouvait par la suite devenir psychose. Pourquoi voulait-on à toute force dramatiser la simple exaspération d’une imagination trop vive ? Elle avait vu sa petite fille seule, peut-être inquiète sur le chemin du retour. Il y avait près d’un kilomètre jusqu’à la maison à partir du moment où le car l’abandonnait à la croisée des chemins. N’était-ce pas une peur sourde qui provoquait chez Julie le besoin d’un compagnon protecteur ? Elle fut tentée de l’interroger sur ce Gildas, estima préférable de tourner la difficulté.
— Il y a bien une étude à ton école ? À quelle heure sortent les élèves ?
— Cinq heures et demie.
Julie pourrait rester à l’étude. Ne quittant son bureau qu’une demi-heure avant, elle ferait ses courses avant de passer la prendre. Ainsi, elles rentreraient ensemble. Pour les jours de classe le problème serait donc résolu mais resteraient le jeudi, les jours de congé, les vacances.
Ne pouvant échapper à sa préoccupation, Marie confectionna ses crêpes, prépara le chocolat chaud. D’ordinaire, Julie mangeait au fur et à mesure que les crêpes glissaient de la poêle. Elle remarqua que le tas grossissait, pensa que sa fille n’avait pas très faim. Peut-être avait-elle trop mangé à la cantine scolaire.
Lorsqu’elle eut bu son chocolat, Julie prit un morceau de papier blanc et y déposa une dizaine de crêpes.
— Je vais jusqu’à l’étang les porter à Gildas. Il a dû se rendre directement là-bas.
Marie regarda le visage étroit, sourit malgré elle. Une moustache de chocolat soulignait la lèvre supérieure de l’enfant, formait une ligne parallèle à celle de la frange.
— Tu pourrais lui dire de venir jusqu’ici.
— Pas tout de suite… Je ne veux pas, comment dit-on ?
— L’effaroucher ?
— Voilà… L’effaroucher…
Willy, Boris, Gildas, des compagnons farouches, timides.
— Tu reviendras vite ?
— Avant la nuit.
Dès qu’elle fut sortie, Marie monta à l’étage, essaya de voir depuis la fenêtre de sa chambre. Un vent aigre dressait des pointes d’écume sur l’étang mais elle ne pouvait distinguer l’espèce de petite plage où Julie avait l’habitude de jouer. Le chemin contournait un groupe de tamaris et à partir de là elle la perdit de vue. La petite fille s’effaçait d’un coup de la réalité pour pénétrer dans un autre monde semblait-il. Marie en fut si bouleversée qu’elle ouvrit les vitres pour appeler. Mais aucun son ne put sortir de sa bouche. Seules des larmes ruisselèrent sur ses joues, tout de suite séchées par ce souffle glacé qui courait sur la solitude. Elle resta ainsi quelques minutes, referma enfin et redescendit dans la cuisine.
« Un jeu, se dit-elle, un simple jeu. Si les gens ne s’en mêlaient pas je n’y attacherais aucune espèce d’importance. »
Comme promis, Julie rentra avant la nuit.
— Il a beaucoup aimé les crêpes, dit-elle. J’aurais dû en fourrer quelques-unes de confiture d’abricot. Il aime beaucoup la confiture d’abricot.
— Nous n’en avons jamais, dit Marie. Tu ne l’aimes pas.
Julie n’aimait pas cette confiture mais Simon, son frère, l’adorait. Lorsqu’il vivait, elle en faisait toujours une dizaine de pots pour son fils. Depuis, elle avait cessé. Julie pouvait-elle se souvenir que son frère aimait ça ? Jamais elle ne parlait de l’enfant mort, de ses goûts, de ses habitudes.
Au cours du repas, Marie lui demanda si, à la rentrée des grandes vacances, elle aimerait rester à l’étude.
— Nous pourrions rentrer ensemble, expliqua-t-elle. Ce serait beaucoup mieux que le car et tu n’aurais pas à faire le reste du chemin à pied.
— Oh ! ça ne me fait rien, dit Julie. Et maintenant il y aura souvent Gildas pour me raccompagner.
— Il habite dans le coin ?
— Non, mais il a tout son temps. Ses parents lui laissent faire tout ce qu’il veut. De toute façon, il n’a plus besoin d’aller à l’école puisqu’il a plus de seize ans.
Marie frémit. Brusquement, elle comprenait que sa fille s’était heurtée avec Willy et Boris à des impossibilités criantes. Elle avait créé des compagnons de l’âge de son frère mort mais n’avait pu fournir des explications plausibles sur leur liberté de mouvements. D’un seul coup, elle venait de résoudre deux difficultés. Gildas n’était plus d’âge scolaire et ses parents lui laissaient toute latitude de faire ce qu’il voulait.
— N’aimerais-tu pas habiter carrément à Sigean ? demanda-t-elle plus tard alors qu’elles faisaient la vaisselle ensemble. Nous pourrions trouver un petit logement. Tu pourrais rentrer tranquillement de l’école, m’attendre en faisant tes devoirs.
— Et nous ne viendrions jamais plus ici ?
— Si, bien sûr, pour les vacances, le dimanche.
— Pourquoi as-tu l’air fâché ?
Marie détourna la tête. Elle n’avait pas cru trahir sa colère contre cette assistante sociale qui avait fini par l’impressionner. Maintenant, elle avait peur qu’on ne les relance, qu’on ne cesse de les harceler, de les surveiller. Les gens finiraient par savoir. Tout se savait dans un petit pays. On donnerait raison à Mme Cauteret, à sa belle-sœur. Elle deviendrait une mauvaise mère en laissant seule sa petite fille. Une petite fille un peu étrange. On chuchoterait peut-être autre chose, que Julie n’était pas tout à fait normale. Elle s’épouvantait de la cascade des ragots, des insinuations, des affirmations qui suivraient. À l’école, Julie serait considérée comme une bête curieuse, risquerait de devenir le souffre-douleur des autres enfants.
— Je ne suis pas fâchée contre toi, dit-elle, mais je suis forcée de réfléchir à certaines choses…
— Quelles choses ?
— Eh bien, le fait que tu sois souvent seule dans cette maison… Je n’y avais jamais tellement songé et depuis quelque temps je suis inquiète.
— C’est à cause de cette femme qui est venue l’autre jour ? Je sais qui elle est. Elle s’appelle Mme Cauteret et est assistante sociale. Je l’ai aperçue à l’école qui discutait avec Mme Plagnon.
Mme Plagnon était l’institutrice de Julie.
— Tu ne m’en avais pas parlé.
— J’avais oublié. Elle est venue hier. Nous étions en classe et Mme Plagnon est sortie dans le couloir pour discuter avec elle.
— Et puis ? demanda sa mère alertée.
— Mme Plagnon est revenue en classe parce que nous parlions trop fort.
— C’est tout ?
— Oui, c’est tout.
Marie aurait dû se sentir soulagée. Il n’y avait peut-être là qu’une coïncidence. Mme Cauteret avait pu rendre visite à Mme Plagnon pour une autre de ses élèves, pas spécialement pour Julie. Mais elle n’arrivait pas à s’en persuader.
— C’est à cause d’elle que tu veux qu’on déménage, qu’on aille habiter Sigean ?
Déconcertée par tant d’intuition, Marie secoua la tête.
— Non, pas du tout… Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Mme Cauteret m’a regardée à travers la vitre de la porte. Tu crois qu’elle a parlé de moi avec la maîtresse ?
— Que vas-tu t’imaginer là ? fit Marie avec une fausse désinvolture.
Elle se souvenait d’avoir lu, étant enfant, les aventures d’une petite fille évadée d’un orphelinat avec son chien et qu’une affreuse bonne femme, Mlle Ronchon, traquait sans arrêt. Dès que l’enfant trouvait des parents adoptifs, Mlle Ronchon finissait par la retrouver et l’enfant devait fuir de nouveau en compagnie de son chien qui, dans la version française, s’appelait Zéro. Elle ne se souvenait plus du nom de la petite fille. Mais pourquoi assimilait-elle ces aventures mélodramatiques aux ennuis que Mme Cauteret risquait de lui amener ? L’assistante sociale n’était certainement pas une personne méchante. Elle croyait agir dans l’intérêt des enfants même si elle s’y prenait avec quelques maladresses et surtout la certitude d’être dans son bon droit, celle aussi de faire son devoir. Elle représentait l’autorité administrative, détenait une parcelle de pouvoir et avait très bonne conscience.
— C’est ce qu’elle veut, que nous habitions Sigean ?
— Personne ne peut nous obliger à déménager, dit Marie. Ce que j’en dis c’est simplement pour avoir le temps d’y réfléchir, mais rien ne presse. Nous en reparlerons plus tard.
Le dimanche suivant sa belle-sœur et sa nièce arrivèrent au début de l’après-midi avec un carton de pâtisseries. Marie s’était demandée si elle ne les mettrait pas à la porte, mais finit par choisir la modération. En dehors d’elle Julie n’avait que Germaine Marty comme parente proche. Elle ne pouvait la couper de la famille de son père.
— Quelle belle journée, n’est-ce pas ? C’est le printemps… Vous avez déjeuné dehors ? Quelle chance !
Pour la première fois, Marie sentit une inflexion d’envie dans la voix de Germaine. Elle avait installé la table en plein soleil, à l’abri de la façade.
— Je parie que vous pourriez manger là même en hiver, reprit sa belle-sœur.
— Nous le faisions du temps de Noël.
— Dans le fond, cette maison n’est pas si mal… Bien sûr, elle aurait besoin de grands travaux.
— Julie n’est pas là ? demanda Gilberte.
Marie regarda sa nièce. Elle portait un pantalon jaune qui moulait ses grosses cuisses et son imposant derrière, une sorte de marinière verte trop fournie en fanfreluches.
— Elle doit s’amuser au bord de l’étang.
— Je vais la rejoindre.
Inexplicablement, elle eut envie de lui dire que la petite fille pouvait très bien se trouver ailleurs, qu’elle allait perdre son temps à essayer de la retrouver. Mais Gilberte s’éloignait en se tordant les pieds sur ses semelles compensées.
— Dans le fond, disait Germaine, on t’autoriserait certainement à vendre la maison bien qu’elle appartienne à Julie si tu réemployais l’argent dans l’achat d’un appartement au village… Tu as vu qu’il se construit un ensemble immobilier ?
— Je suis bien placée pour le savoir puisque c’est mon patron le maître d’œuvre.
— Où ai-je la tête, mon Dieu, c’est vrai… Mais dis donc, tu es bien placée pour obtenir un appartement avec une petite ristourne. À ta place, je sais ce que je ferais sans tarder… Je vendrais ici et je m’installerais là-bas.
Marie alla faire du café, oublia complètement ce que venait de lui dire la visiteuse mais celle-ci raccrocha à son retour.
— Si jamais tu es décidée, fais-moi signe… Je connais des gens que cette maison pourrait intéresser.
— Vraiment ?
Dès lors, Marie soupçonna Germaine d’avoir un plan secret pour lui faire quitter cette maison. Et cette évidence lui crevait soudain les yeux. C’était sa belle-sœur elle-même qui convoitait la vieille demeure familiale.
Gilberte revint en se tordant toujours les pieds, l’air pincé. Elle s’assit avec colère en face des deux femmes.
— Tu as une drôle de fille. Pas moyen de l’approcher. Elle m’a même menacée de m’envoyer un certain Gildas pour me taper dessus.
La mère et la fille échangèrent un regard entendu puis Germaine demanda d’une voix doucereuse :
— Qui est donc ce Gildas ?