Le jeudi suivant, Marie quitta la maison comme une voleuse. Julie dormait paisiblement dans sa chambre. Les trois jours précédents sa fille était venue la rejoindre à son bureau de façon qu’elles puissent rentrer ensemble. Ne restait plus que ce point noir, le jeudi. Elle n’avait trouvé aucune solution satisfaisante, certaine de se heurter au mécontentement larvé de la fillette. D’ailleurs, l’une et l’autre avaient évité de faire allusion à ce jour crucial.
Elle tourna la clef du verrou avec lenteur et lorsqu’elle passa en voiture devant la façade elle y jeta un long regard. Continueraient-elles leur persécution ? Après son esclandre de dimanche dernier elle espérait que sa belle-sœur n’insisterait pas. Mais rien ne l’empêchait d’agir en dessous. Puisqu’elle connaissait si bien Mme Cauteret, qu’elle la proposait en modèle à sa fille et que cette dernière brûlait de devenir aussi assistante sociale.
Désormais tout dépendait de Julie. Si Mme Cauteret allait rôder autour de leur maison, que ferait la petite fille ? Poursuivrait-elle son jeu de cache-cache avec cette bonne femme ou bien finirait-elle par en avoir assez ?
Dans son bureau, elle compta le nombre de jeudis avant les grandes vacances. Dix. Mais il y aurait le mois de juillet, 31 jeudis. Jamais Julie ne pourrait tenir un mois entier contre une adulte expérimentée et rouée. L’approche de l’été pétrifiait littéralement Marie. Que pourrait-elle faire ? La Cauteret allait lui proposer des éventualités inacceptables comme colonies de vacances, placement chez des étrangers. Il y avait bien des garderies pour la journée seulement, mais elle n’avait pas le courage de priver Julie de sa merveilleuse liberté. Lorsqu’elle restait à la maison le dimanche, sa présence ne suffisait pas à conjurer le risque d’accident mais la morale sociale et Mme Cauteret semblaient s’en contenter. Alors que Julie restait livrée à elle-même autant de temps que lorsque sa mère travaillait. Lutter contre de telles absurdités la démoralisait, la rendait vainement agressive.
La petite jeune fille qui occupait la réception pénétra chez elle vers 11 heures, l’air bizarre.
— Ce sont les gendarmes, dit-elle la voix frémissante.
Marie pensa d’abord à cet accident grave survenu sur un chantier de l’entreprise. Ils devaient venir à des fins d’enquête.
— Faites-les entrer.
Elle avait déjà rencontré le chef de brigade, un certain Dobart, qu’elle trouvait sournois, n’avait jamais vu l’autre gendarme.
— Je n’ai pas encore tous les rapports…, commença-t-elle.
— Pouvez-vous rentrer chez vous, madame Lacaze ? Vous avez bien une voiture ?
— Chez moi ?
Elle commença de se lever, les jambes tremblantes.
— Il s’est passé quelque chose ?
L’adjudant hocha la tête.
— Mieux vaut aller là-bas…
— Ma fille ?
— Vous l’aviez laissée seule, n’est-ce pas ? Comme tous les jeudis, à ce que nous savons ?
— Je vous en prie, lui est-il arrivé un accident ?
— Oui, mais ce n’est pas elle la victime.
Elle ne put retenir un sourire soulagé, passa la main sur son visage et se laissa tomber sur son siège.
— Vous devez venir, dit Dobart croyant qu’elle n’avait pas exactement compris.
— Oui, je sais, mais je vous demande quelques instants. Je ne pourrais pas marcher.
— Vous ne demandez pas qui est la victime ?
— Si, bien sûr…, murmura-t-elle.
— Il s’agit de Mme Marty… C’est une parente à vous ?
— Germaine ? Ma belle-sœur… La sœur de mon mari… Mais que lui est-il arrivé ?
— Elle a reçu une balle de carabine 22 long rifle en pleine poitrine. Tuée sur le coup.
Marie hochait lentement la tête. Quelle horreur, mais pourquoi lui parlait-il aussi de Julie ?
— Pourquoi dois-je rentrer chez moi ?
— L’affaire s’est passée là-bas, vous ne comprenez pas ? Il semble que votre petite fille ait tiré sur sa tante alors que celle-ci se trouvait dans l’escalier de votre maison…
— Voyons, c’est complètement absurde… Comment aurait-elle pu ?…
— Madame, dit sévèrement Dobart, d’après les premiers éléments de l’enquête il semble que votre belle-sœur était très inquiète de savoir votre petite fille toute seule dans votre maison isolée… Elle s’est rendue là-bas avec Mme Cauteret, l’assistante sociale…
— Mais jamais…
Marie avait failli dire que Julie n’aurait jamais ouvert à cette femme qu’elle détestait.
— Je ne comprends pas.
— Mme Marty avait une clef qui ouvrait une porte derrière la maison. Elle voulait en avoir le cœur net.
— Mais le cœur net de quoi ? murmura Marie. J’étais libre de laisser ma fille seule chez moi…
— Le croyez-vous vraiment ? Mais cela suffit… Je vous demande de vous rendre immédiatement sur place… Ne pensez-vous pas que votre fille a besoin de vous dans ces affreuses circonstances ou bien êtes-vous vraiment inconsciente ?
— Oui, bien sûr… Mais Julie n’a pas pu tirer sur ma belle-sœur… Comment voulez-vous qu’elle se serve d’une arme pareille ?…
Elle alla décrocher sa veste en laine, ne parvint pas à enfiler les manches aussi vite qu’elle l’aurait souhaité.
— Vous aviez bien cette arme chez vous ?
— Mon mari avait une carabine… Il tirait sur des boîtes de conserve au bord de l’étang… Jamais sur les animaux… Je l’avais montée au grenier… Et la boîte de cartouches était ailleurs…
— Venez, maintenant.
— Êtes-vous en état de conduire ? demanda l’autre gendarme avec une sollicitude qui parut déplaire à son chef.
— Oui, je crois, merci.
Elle aperçut non loin du parking de l’entreprise deux petits groupes qui s’arrêtèrent de discuter lorsqu’elle apparut. Elle s’efforça de maîtriser le tremblement de ses mains lorsqu’elle démarra, ensuite n’eut qu’à suivre le fourgon de la gendarmerie.
Jamais elle n’avait tant vu de véhicules autour de la vieille bâtisse. Beaucoup de curieux qu’un gendarme s’efforçait de faire reculer pour que le fourgon et la 2 CV puissent avancer. Dans la cuisine, elle vit Julie assise à la table devant un bol de café au lait qui fumait. Mme Cauteret se trouvait debout près de la porte-fenêtre.
Julie lui sourit tranquillement puis mit trois sucres dans son bol. Marie faillit lui dire que le café au lait lui donnait des crampes d’estomac d’habitude.
Ils attendaient tous quelque chose d’elle. Une démonstration mélodramatique d’affection qui satisferait leur sensibilité. Mais elle en fut incapable.
— Que s’est-il passé ? murmura-t-elle.
— Un instant, dit l’adjudant.
— Elle a voulu entrer, dit Julie. Par la porte de derrière, celle qu’on n’ouvre jamais, sous l’escalier.
— C’est faux, lança Mme Cauteret avec indignation. Germaine est entrée effectivement par cette porte mais en criant qui elle était et en demandant où se trouvait cette enfant.
Marie nota, dans le désordre mental de son esprit, que l’assistante sociale appelait sa belle-sœur par son prénom. Elle n’avait jamais cru qu’il existait une telle intimité entre elles.
— Madame Lacaze, voulez-vous venir ? demanda l’adjudant Dobart avec agacement.
Elle le suivit dans la salle à manger. Ils étaient entrés en son absence dans cette pièce où elle ne mettait que rarement les pieds, avaient ouvert la fenêtre sans lui en demander l’autorisation. Ils étaient chez elle en maîtres et elle ne comprenait pas comment on pouvait la traiter avec tant de désinvolture.
— Reconnaissez-vous cette arme ?
La carabine était sur la table en acajou, enfermée dans un sac en plastique transparent. Elle se pencha et reconnut les initiales de son mari sur la crosse, se souvenait qu’il les avait gravées lui-même avec la pointe d’un tisonnier qu’il faisait rougir dans la cheminée de cette même salle à manger.
— Oui, dit-elle, c’est celle de Noël.
— Et la boîte de cartouches, où se trouvait-elle ?
— Dans ce placard que je ferme toujours à clef. Je la cache dans la cafetière chinoise du buffet.
Dobart l’y trouva en effet et ouvrit le placard. Il en sortit une autre boîte de cartouches et Marie lui confirma qu’il y en avait deux.
— Pourquoi ne me dites-vous pas ce qui s’est exactement passé ? fit-elle avec désespoir. Ma belle-sœur n’avait pas le droit de pénétrer dans cette maison, pas plus que cette assistante sociale.
— Mme Cauteret n’a pas franchi le seuil, répliqua l’adjudant d’un air furieux. Elle ne l’a fait qu’après le coup de feu et le cri de votre belle-sœur, pour la trouver morte à moitié escalier.
Marie pensa qu’il défendait l’assistante sociale parce qu’elle était également une fonctionnaire.
— Pourquoi a-t-elle laissé faire Germaine ?… Cette maison ne lui appartient plus. L’héritage des parents Lacaze a été partagé entre mon mari et elle. Mon mari a eu cette maison. Maintenant, elle appartient à Julie…
— Elle a dit à Mme Cauteret qu’elle avait parfaitement le droit d’y pénétrer, que la maison était dans l’indivision.
— Non, c’est absolument faux, dit Marie.
— De toute façon, elle s’est annoncée, insista le gendarme. Elle a dit qui elle était, appelé votre fille par son prénom… Indivision ou pas votre fille lui a tiré dessus.
— Rien ne le prouve vraiment, dit Marie.
— Mais votre fille a avoué.
Marie secoua la tête.
— Ça ne veut rien dire… Pourquoi minimisez-vous le fait que ma belle-sœur n’avait pas à pénétrer dans cette maison ? Téléphonez au notaire. Il vous dira que Julie est ici chez elle. Qu’à sa majorité elle sera l’unique propriétaire.
— Vous essayez de prouver qu’en tirant elle n’a fait qu’user de son droit de propriété ? Mme Marty ne la menaçait pas, que je sache.
— Ma belle-sœur se mêlait de ce qui ne la regardait pas dans cette affaire. Elle n’avait pas à s’inquiéter si ma fille restait seule ou non le jeudi. Je suis l’unique responsable de Julie.
— Mme Marty était sa tante, la sœur de son père, et avait parfaitement le droit de s’inquiéter de la façon dont vous l’éleviez… Trouvez-vous normal qu’une enfant de dix ans ait sous la main une carabine chargée, qu’elle vise un être humain et lui tire dessus ?
Marie resta frappée de stupeur. L’adjudant ne faisait qu’esquisser la somme des gestes nécessaires pour en arriver là. Il avait fallu que Julie trouve l’arme au grenier, apprenne à la manipuler, puis se souvienne qu’une boîte de cartouches se trouvait dans ce placard, qu’elle en découvre la clef.
— Ce n’est pas croyable, murmura-t-elle.
— Je ne vous le fais pas dire…
— Je veux dire que Julie n’aurait jamais eu cette idée.
Dobart la regardait avec un petit sourire en coin très désagréable.
— Que voulez-vous dire, madame Lacaze ?
— Que je ne comprends pas que ma fille ait pu accomplir tous ces gestes seule.
— Voulez-vous insinuer qu’une personne étrangère aurait pu lui apprendre le maniement de cette arme ?
D’abord elle ne flaira pas le piège, pensa que le gendarme n’émettait qu’une hypothèse objective. Mais elle découvrit une ride d’ironie au coin de son sourire.
— Non, dit-elle, je n’ai rien dit de tel.
— Peut-être pensez-vous qu’il y avait une autre personne dans la maison ? Pourquoi pas un certain Willy ? Ou Boris ? À moins que ce ne soit…
Il fit claquer ses doigts d’impatience comme s’il avait un trou de mémoire.
— Ah ! oui, Gildas. Vous pensez que c’est ce Gildas, n’est-ce pas, qui a fait le coup ?
Mme Cauteret avait donc eu le temps de parler de ces compagnons de jeu imaginaires que Julie se plaisait à créer.
— Willy, Boris c’était il y a quelques mois, n’est-ce pas ? Maintenant c’est Gildas. Pouvez-vous me parler de ce Gildas ?
— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, dit-elle en le fixant dans les yeux.
Il parut ébranlé.
— Allons donc, vous savez bien que votre fille n’avait pas un comportement normal… Elle vivait trop seule dans cette maison perdue et elle s’inventait des compagnons imaginaires…
— Qui vous a raconté cela ?
— Mme Cauteret. Elle le tenait de votre belle-sœur.
— Rien ne lui permet d’affirmer que ce sont des compagnons imaginaires…
Dobart haussa les épaules.
— Allons, madame Lacaze, soyez sérieuse… Il s’agit d’un meurtre… Votre fille a reconnu les faits…
— Il faut que je retourne dans la cuisine.
— Nous devons prendre votre déposition par écrit, Mme Cauteret s’occupe de votre fille.
— Je ne l’accepte pas, déclara Marie. Je ne veux pas que cette femme ait le moindre pouvoir sur elle.
Il ne put l’empêcher de retourner à la cuisine où un gendarme allait et venait en surveillant Julie. La petite fille, après avoir bu le café au lait, lavait son bol.
— Qui t’a donné du café au lait ?
— C’est elle, dit Julie en désignant Mme Cauteret assise au bout de la table.
— Tu sais bien que ça te donne des crampes d’estomac.
— J’ai pensé qu’un peu de café lui ferait du bien, dit l’assistante sociale.
Elle parlait sans s’énerver, sereine. La lutte contre cette femme serait disproportionnée. Elle avait l’agrément respectueux de tout le monde dans cette maison.
— Ma nièce sait-elle ? demanda Marie.
— Pas encore. Elle est à Narbonne pensionnaire, vous le savez. Pour l’instant, il n’est pas nécessaire de la prévenir.
— Préférez-vous qu’elle apprenne la mort de sa mère par des étrangers ?
— Croyez-vous utile d’en parler devant Julie ?
Marie lui adressa un regard mauvais. Le fait qu’elle ose appeler la petite fille par son prénom lui dévoilait l’ampleur du bouleversement. Désormais, Julie allait dépendre de gens qui, comme cette Cauteret, ne la comprendraient pas. On la lui arrachait sans même prendre de précautions et peu à peu on la priverait d’elle.
— Qu’allez-vous en faire ? cria-t-elle.
Mme Cauteret leva son regard globuleux vers elle. Le jour de la fenêtre accrochait un reflet dans les verres de ses lunettes.
— Croyez-vous que ce soit le moment d’en parler devant elle ?
— Oui, dit Marie. Julie a le droit de savoir tout autant que moi, tout autant que vous.
L’assistante échangea un regard avec l’adjudant comme pour le prendre à témoin. Elle n’avait rien inventé sur l’étrange éducation que cette femme donnait à son enfant. Cette façon de parler des droits de celle-ci devait les choquer profondément.
— Je dois prendre la déposition de Julie en votre présence, dit l’adjudant.
Lui aussi se croyait autorisé à utiliser son prénom. Et dans leurs bouches il devenait une sorte de produit exotique. Elle imaginait bien cet adjudant, cette fonctionnaire de l’humanitaire prononcer de la même façon Ali, Carmen ou Pietro.
— Vous allez me conduire en prison ? demanda alors Julie d’une voix très claire et sans la moindre émotion.
Marie l’aurait serrée dans ses bras pour ce sens prodigieux de la dignité. Elle les forçait à détourner la tête, le flic et l’assistante, à montrer pour la première fois un sentiment humain qui n’était malheureusement que de la honte.
— Mais non, mais non, dit l’adjudant. On ne met pas les enfants en prison.
— Ce sera tout de même une prison, dit Marie.
Elle aurait voulu crier mais l’exemple de Julie l’obligeait à rester aussi calme qu’elle.
— En voilà assez, dit Mme Cauteret. Le juge la fera certainement conduire dans un établissement spécialisé où elle sera très bien accueillie et aura de gentilles petites camarades… Je suis certaine qu’elle s’y plaira beaucoup.
— Combien de temps va-t-on me garder là-bas ?
— Ne t’inquiète pas, dit Mme Cauteret. Tout sera fait pour que tu sois rapidement fixée…
— Vous dites n’importe quoi, lança Marie. En fait, vous ignorez absolument ce qui l’attend. Vous essayez de la rassurer mais ne voyez-vous pas qu’au contraire vous ne faites que l’angoisser un peu plus ? Julie aime que les choses soient nettes.
— Je ne peux rester un instant de plus dans cette maison, déclara Mme Cauteret avec une simplicité qui finalement n’était que de l’emphase.
— Non, dit l’adjudant, je préfère que vous restiez.
— Puisque vous me le demandez, monsieur Dobart… Mais avouez qu’il est difficile d’en supporter davantage. Une femme a été tuée. Une personne honorable et qui était mon amie. J’accepte qu’on ne paraisse éprouver ni regrets ni remords à son sujet mais je crois qu’il ne faut quand même pas perdre de vue la raison qui nous retient tous ici.
L’adjudant approuva d’un signe de tête et Marie se rendit compte qu’elle nuisait à l’intérêt de Julie. Mais il lui avait été difficile de se contenir.
Elle fit un effort pour détendre l’atmosphère, ne trouva à proposer que de faire du café. N’obtenant aucune réponse, elle décida d’en préparer quand même.
— Comprenez-moi, madame Lacaze, dit Dobart. Je pourrais vous emmener à la gendarmerie mais ne vaut-il pas mieux que nous restions ici ?
Un gendarme entra avec une machine à écrire.
— Non, dans la salle à manger, dit l’adjudant. Nous allons d’abord prendre la déposition de Mme Cauteret.
Elles restèrent seules avec un gendarme qui allait et venait dans la grande cuisine. Marie alluma une cigarette, tout en surveillant son café qui passait. Elle se souvint de la réflexion de sa belle-sœur, le dimanche précédent. Lors de sa première visite huit jours plus tôt, un jeudi également, Mme Cauteret avait reniflé une odeur de tabac et pensé qu’il y avait quelqu’un dans la maison. Elle avait oublié de demander à sa fille si elle fumait en cachette et ne pouvait le faire maintenant.
— Veux-tu manger quelque chose ?
Julie réfléchit à cette proposition.
— Juste un sandwich avec de la moutarde.
Le gendarme leur lança un regard aigu. Un mélange d’incompréhension et de reproche muet. Marie craignait que Julie n’apparaisse comme un monstre de froideur incapable de s’émouvoir après ce qui s’était passé. Il faudrait que dans sa propre déposition elle explique de quelle façon sa belle-sœur et l’assistante avaient fini par paraître odieuses aux yeux de l’enfant.
Elle prépara un sandwich avec de la moutarde et une tranche de jambon, remplit un verre de jus d’orange.
— Voulez-vous une tasse de café ? proposa-t-elle au gendarme.
Il secoua la tête et elle n’insista pas, but la sienne en lui tournant le dos mais laissa le pot à réchauffer dans un bain-marie. Elle se demandait comment avertir Julie de l’importance de ce qu’elle dirait dans un instant, supposait que le gendarme ne les laisserait pas discuter de ce drame.
— Tu t’es levée tôt ?
— Vers 9 heures.
— Il y avait un morceau de brioche, tu l’as trouvé ?
— Oui. Je m’en suis souvenu.
Marie ne l’avait pas aperçu dans le réfrigérateur. Peut-être dans le buffet ? Il devait en rester un bon morceau encore. Brusquement, elle ne songeait qu’à cela.
— Il en reste ? demanda-t-elle avec une fausse indifférence.
— Non, elle est finie.
Julie n’avait pas dit « Je l’ai finie ». La brioche avait été entièrement mangée. Il n’en manquait qu’un quart environ. Comment avait-elle pu venir à bout, seule, des trois quarts restants ?
— Et puis qu’as-tu fait ?
— J’ai rangé ma chambre.
Une chose surprenante. Julie ne rangeait jamais sa chambre. Du coin de l’œil, elle vit que le gendarme paraissait s’intéresser à ce qu’il voyait depuis la porte-fenêtre. Y avait-il encore des badauds à l’extérieur ? L’heure du repas de midi approchait et les gens finiraient bien par s’en aller.
— Ont-elles essayé au moins de frapper à la porte de devant ? demanda-t-elle rapidement.
Le gendarme se retourna et Julie n’eut pas le temps de répondre. D’autant plus qu’elle avait la bouche pleine et devait avaler pour le faire.
— Je vous en prie, madame. Vous ne pouvez parler de l’affaire… Sinon je serai forcé de vous faire sortir de la pièce.
Marie se versa une seconde tasse de café. Elle avait besoin d’avoir l’esprit clair et net.