Deux mois ont passé. Jamais je ne vous aurais raconté tout cela si cet après-midi je n’étais allée chez le médecin rapport à certains malaises. C’est un chic docteur, vous savez : gentil et qui comprend les choses. Et puis il m’a connue j’étais grande comme ça.
— Mon pauvre lapin, m’a-t-il fait, que veux-tu que je te dise, tu es enceinte…
Il s’attendait à ce que je pique la crise classique mais je n’ai pas sourcillé. Moi qui croyais cette affaire terminée, eh bien ! vous voyez : elle continue. C’est tout de même une consolation de penser que l’enfant que Jess désirait, c’est moi qui vais le lui donner, vous ne croyez pas ?
Oh ! il y aura des cris, naturellement, chez Arthur. Maman va prendre un coup de vieux et se dire que ça devient une fatalité décidément dans notre famille. Je m’en moque. Il est trop tard maintenant ; c’était avant qu’elle aurait dû intervenir.
Tout se serait alors passé autrement.
Mais voilà : les choses peuvent-elles se passer autrement ?
Dans le fond, voyez-vous, c’est ça le grand mystère des hommes.
De toutes manières, il vaut mieux se dire que c’était écrit. Un soir, en sortant de chez Ridel, je devais passer devant chez eux et les voir sur leur balancelle bleue, avec leurs whiskies et leur pick-up jouant « Loving you ».
Est-ce ma faute si mon imagination s’est mise alors à galoper et si, à un certain moment, elle s’est emballée ?
Non, puisque tout est prévu.
Je n’en démords pas et je me répéterai cela tous les jours, lorsque le chagrin et le remords s’approcheront de moi. Oui, tous les jours, comme une leçon qu’on doit savoir par cœur ou comme une prière ; tous les jours jusqu’à ce que je me console d’avoir achevé Madame dans l’ambulance, parce que j’avais cru comprendre qu’elle allait accuser Monsieur.