CHAPITRE XVI

William Turner s’était agenouillé pour porter plus aisément son coup de poignard. Une mèche Monde descendait entre ses deux yeux et il eut un geste de la main gauche pour la relever. Kovask qui le guettait entre ses yeux mi-fermés, choisit cet instant pour lui saisir le poignet droit à deux mains tandis que d’un coup de reins il lui coinçait la tête entre ses deux caisses. Le coupe-papier piqua le lino, hésita un moment avant de tomber.

Tenant toujours le poignet dans ses mains il se redressa, retourna l’Écossais sur le ventre et lui plaqua un genou entre les omoplates. L’homme était nerveux, se tortillait entre ses mains comme une anguille. Il était temps d’en finir. De la rue montaient des rafales, des cris et les sirènes des voitures de police.

Deux manchettes eurent raison de Turner.

Kovask sortit les menottes de la poche de sa victime, le tira vers le radiateur et l’y attacha. Il se rua ensuite vers l’extérieur, dévala le grand escalier.

Dans le hall, il faillit buter contre lord Simons.

— Ils se servent de Eileen Gynt comme otage et l’entraînent vers leur voiture. Il y a une bande de fous qui tiennent la rue.

— Eileen est leur complice ! hurla Kovask. C’est une feinte.

Dans la rue déserte on n’y voyait pas à trois mètres. Il se dirigea vers la droite.

— Attention, lui cria un homme planqué derrière une voiture. Ils tirent dans cette direction.

L’accent américain le renseigna.

— Vous êtes un homme du commander Davis ? Je suis le lieutenant commander Kovask.

L’autre grimaça un sourire.

— Ils nous ont eus. La petite leur sert de bouclier et ça tiraille de partout. Sans parler du gaz lacrymogène et des bombes fumigènes.

— Suivez-moi. Avez-vous une autre arme ? Le marin sortit un Colt d’un holster de ceinture.

— Toujours deux armes sur moi. Celle-ci vient du Texas.

— Venez avec moi. La fille n’est pas un otage mais une complice. Leur voiture est plus haut.

Le brouillard artificiel était un avantage pour tout le monde. Son compagnon fit un signe à un autre malabar allongé un peu plus loin.

— C’est du bidon, lui cria-t-il. La fille est des leurs.

— Ils vont vers une Jaguar à dix ou vingt mètres.

Francis Grant et les deux femmes avaient certainement été retardés par la descente et la traversée du hall. Même avec un otage factice, l’opération n’était pas facile, et ils avaient dû vouloir jouer la comédie jusqu’au bout.

Kovask les aperçut auprès de la voiture métallisée. Il se mit à rire. Francis Grant fouillait ses poches avec fébrilité, certainement à la recherche de ses clés. Les deux femmes s’impatientaient auprès de lui. Un type allongé plus loin les visait avec son pistolet mitrailleur. Le lieutenant commander tira et fit mouche.

— Ils nous les faut vivants, dit-il à ses deux Compagnons.

— Un autre tire depuis le trottoir en face et impossible de le voir. Il arrose régulièrement entre nous et la bagnole. Faudrait crever les pneus d’abord.

Kovask rejoignit les façades et les suivit, arrivant bientôt à hauteur de la Jaguar. Moira le vit la première. Elle avait glissé sa main dans son foulard noué autour du cou.

— Là, hurla-t-elle.

L’Américain visa Francis Grant aux jambes.

De l’autre côté de la rue, le tireur inconnu faisait sauter des bouts de trottoir à quelques centimètres de lui.

Grant sursauta, une balle dans le mollet, mais il ouvrit la portière, poussa Eileen et Moira à l’intérieur de la voiture. Kovask apprécia le geste, reconnut que le chef du réseau gardait son sang-froid jusqu’au bout, tira dans un pneu. La balle fut déviée par la jante. Il tira une seconde balle, sentit une brûlure à l’épaule.

Moira tirait par la vitre baissée, de la main gauche. Déjà le moteur de la puissante voiture grondait. Il vit nettement Francis Grant prendre quelque chose dans la boîte à gants, le passer à Eileen qui descendit également la glace. La grenade roula jusqu’à lui et il la renvoya instinctivement d’un coup de pied jusque sous la voiture à l’instant même où celle-ci démarrait. L’engin éclata alors que le véhicule avait décollé d’un bon mètre du trottoir.

Kovask s’était planqué derrière une autre voiture, mais il vit le pneu arrière gauche complètement déchiqueté par l’explosion. La voiture, déséquilibrée par le puissant démarrage, pivota sur elle-même et traversa la rue.

Le tireur de l’équipe de Meredith la vit arriver sur lui et, dans un geste d’affolement braqua sa mitraillette sur elle. Le pare-brise vola en éclats. L’homme fut fauché en pleine action, écrasé contre la façade avec tout l’avant de la Jaguar.

Kovask et les deux hommes de Davis arrivaient. Le lieutenant commander plaqua Francis Grant au sol alors que ce dernier se dégageait de la voiture. Il lui colla au corps, le culbuta. Le crâne de l’homme frappa sèchement le trottoir et il resta K.O.

Les yeux fous, hurlant de terreur, Eileen sortait également de la voiture et en pleine crise de nerfs se débattait entre les deux agents de l’O.N.I.

En se relevant, Serge aperçut Moira. Elle était restée immobile sur le siège avant. Il s’approcha, vit les deux trous sombres de son front.

Davis, le reste de ses hommes, des policiers en uniforme et en civil arrivaient.

— Que s’est-il passé ? Vous n’avez pas ouvert la fenêtre, lui reprocha le commander.

— Ils m’ont eu au dernier moment.

— Mais que faites-vous avec elle ? C’était l’otage de ces deux salauds, dit Davis à ses deux hommes qui tenaient toujours Eileen.

— Non, mon vieux. Tous les quatre étaient complices. Toute l’équipe sauf le malheureux Thomas.

Le commander le présenta à un contrôleur de la spécial branch de Scotland Yard.

— Mais Turner alors ?

— Là-haut. Je vous expliquerai.

— Nous avons capturé trois hommes de l’équipe de soutien. Les autres ont réussi à fuir.

— Je connais le nom du gars qui les commande, Meredith.

Le contrôleur hocha doucement la tête.

— Il est connu chez nous. Nous pourrons le retrouver dans des délais raisonnables.

Des policiers se penchaient vers Francis Grant et l’un d’eux lui tâtait le pouls. Il sourit.

— Simplement assommé, dit-il.

— Il a aussi une balle dans le mollet, dit Kovask. Mieux vaudrait le soigner rapidement, car vous aurez certainement besoin de lui.

Dans la rue, le brouillard artificiel et les gaz lacrymogènes commençaient à se disperser. Davis posa sa main sur l’épaule de Kovask qui grimaça.

— Du bon travail mon vieux.

Kovask jeta un coup d’œil à son veston, vit qu’il avait été labouré sur plusieurs centimètres. La peau avait dû être entamée.

— Tout cela à partir de l’histoire de l’ELBA à Gênes.

Kovask sortit ses cigarettes.

— Dès que j’ai deviné que les gars se servaient de la T.A.S.A. comme couverture j’ai pressenti quelque chose d’énorme.

Il se retourna pour voir placer Francis Grant sur une civière.

— L’ennui, c’est qu’une foule de renseignements vont rester dans ce pays. Et nous n’y pouvons rien.

— Le commodore Rice devait entrer en contact avec le M.I.5, dit le commander Davis. Espérons que nous ne serons pas trop tenus à l’écart. Dans les conditions présentes nous ne pouvions agir sans l’accord et le soutien des autorités anglaises.

— Allons retrouver William Turner. Ils vont peut-être l’oublier pendant quelques heures et nous pourrions lui soutirer quelques tuyaux.

Ils échangèrent un clin d’œil et se dirigèrent vers le hall de la T.A.S.A. Lord Simons avait dû remonter dans ses bureaux. Ils prirent l’ascenseur jusqu’au deuxième étage.

Toujours attaché au radiateur de chauffage central, William Turner venait juste de reprendre connaissance. Son regard se fit sombre lorsqu’il les vit entrer.

Загрузка...