Le silence perdurant, sur fond de cancanements, la rassurance me revient.
Elle est de courte durée. Sais-tu pourquoi ? Parce que la question m'arrive de plein fouet, dirait un charretier : comment vais-je sortir de ce putain de tiroir ?
Grâce à mon système de corde, j'ai pu m'y enfermer, mais pour m'en extraire ? Hein, dis ?
T'as une idée à proposer ?
Moi non plus.
Me trouve bouclarès dans ce compartiment tel un macchabée dans son lardeuss sans manches. Je suis coincé absolument, dans l'impossibilité de remuer. Mon Dieu, quel con fus-je. N'avais que le souci de me placarder. Côté planque, parfait ; mais après ?
Beau essayer de cigogner la caisse de fer, je n'obtiens que des « boum-boum » d'instrument à percussion.
Foutu qu'il est, ton sublime Antoine ! S'est autopiégé. Quand les méchants reviendront, ce qui ne tardera pas, ils n'auront que d'ouvrir le tiroir et m'emparer. Probable qu'ils me le feront réintégrer après m'avoir fait passer par le broyeur.
Bis repetita placent : je lance un nouvel S.O.S à mon lutin salvateur. Ne va-t-il pas se fatiguer de mes implorades ? A trop quémander, on lasse vite.
Eh bien, crois-moi ou va te faire niquer avec un plantoir de jardinier, il répond sans tarder, le charmant ange gardien.
Moins de trois minutes s'écoulent et je perçois un bruit singulier, fait de halètements et de plaintes.
Alors le voile se déchire ! disait-on dans les fascicules hebdomadaires d'autrefois, commis par des gens qui écrivaient aussi vite que ma pomme mais ne disposaient pas de mon talent saugrenu.
« Salami ! »
Ma vie durant, plus les cinquante années qui succéderont, je ferai pénitence pour expier cet oubli passager. Je ne cherche pas d'excuses, mais tu ne m'empêcheras pas de penser que cette amnésie momentanée consécutait des drogues neutralisantes qui me furent administrées. Inconcevable autrement.
Mon cher copain quadrupède, frappé honteusement par ces gredins, m'était sorti de l'esprit ! Tu entends ça ? Occulté ! Extrait de mon existence, ce merveilleux toutou auquel je la dois !
— C'est vous, Salami ? demandé-je-confirmation-t-il.
Le cador d'élite émet un gémissement affirmatif.
— Comment vous expliquer ! attaqué-je dans une envolée en comparaison de laquelle, la veine poétique de Lamartine semblerait moins lyrique que l'annuaire des Chemins de fer.
— Taisez-vous, bougonne-t-il, je ne suis pas en mesure d'écouter vos conneries.
Me le tiens pour dit.
— Je possède une corde, rengracié-je, je vais passer l'une des extrémités par l'interstice. S'il vous est possible de vous en saisir et de tracter, je pense que ce putain de tiroir s'entrouvrirait suffisamment pour que je puisse sortir mes doigts de mon côté.
Éperdue d'espoir, j'agis comme annoncé, réussis à dégager l'un des deux bouts. Salami s'en empare à pleine gueule et entreprend de haler.
Sur l'instant, je pense que je vais l'avoir in the bab', car rien ne se passe. Mais un basset-hound est d'une farouchité à toute épreuve. Grognant, gémissant, jappouillant, il s'obstine, tire à mort. Ses griffes raclent le sol. Il se prodigue avec une telle énergie que le casier de fer frémit. S'écarte d'un centimètre. Puis de deux.
— Maintenant, reprenez haleine ! conseillé-je à mon sauveteur. Je vais saisir la corde avec mes dents pour avoir les mains libres et prendre appui sur le cadre.
Nous conjuguons nos efforts (au présent de l'indicatif), et cette fois ça bouge nettement.
P'pa chantait une autre chanson à la gomme narrant un emménagement difficile (connotation égrillarde, turellement). Le refrain c'était : « Encore ! Encore ! Encore un p'tit effort ! »
Ses copains rigolaient. Moi j'étais mi-amusé, mi-gêné. Toute mon enfance, je me suis trouvé un peu en porte-à-faux. Je le respectais vachement, mon dabe, mais par moments j'avais l'impression d'être son grand frère. Dans le fond, la vie n'est faite que de petits trucs comme ça ; c'est pourquoi elle reste indécise.
Une fois détiroiré, je me courbe en deux pour reprendre ma respiration. Seigneur, quel effort ! Mes ongles sont ébréchés et j'ai l'auriculaire gauche profondément entaillé par une aspérité de la tôle.
— Fantastique ! fais-je en soufflant. Vous avez été superbe !
Je me tais à la vue de mon malheureux clébard.
Le coup de goumi balancé lors de notre arrivée a déchiré la peau de son crâne et l'on aperçoit l'os blafard de l'occiput. Comme il a énormément saigné, sa tête et son large poitrail sont uniformément rouges.
— Dans quel état ils vous ont mis ! m'exclamé-je, avec les vibratos de l'émotion dans la voix.
— J'ai cru mourir ! admet Salami.
— Venez, je vais vous laver.
Nous sortons. Paysage asiatique dans tout son dépouillement. Au loin, des maisons aux toits pagodes. Entre elles et nous, les petits étangs où s'ébattent les Donald de Macao.
J'avise une fontaine, légèrement à l'écart. Y conduis mon sauveur et, usant de mon mouchoir, le toilette au mieux des disponibilités.
— Je vous conduirai chez un vétérinaire dès que possible ! promets-je.
Je me tais, pétrifié[5].